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13/06/2025 | LUXEMBOURG | N°48438,48818

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 juin 2025, 48438,48818


Tribunal administratif Nos 48438 et 48818 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48438+48818 4e chambre Inscrits les 20 janvier 2023, respectivement 13 avril 2023 Audience publique du 13 juin 2025 Recours formé par la société à responsabilité limitée de droit slovène (AA), … (Slovénie), contre deux décisions du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines en matière d’amende administrative

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JUGEMENT

I) Vu la requête inscrite sous le numéro 48438 du rôle

et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 janvier 2023 par Maître Mil...

Tribunal administratif Nos 48438 et 48818 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48438+48818 4e chambre Inscrits les 20 janvier 2023, respectivement 13 avril 2023 Audience publique du 13 juin 2025 Recours formé par la société à responsabilité limitée de droit slovène (AA), … (Slovénie), contre deux décisions du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines en matière d’amende administrative

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JUGEMENT

I) Vu la requête inscrite sous le numéro 48438 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 janvier 2023 par Maître Miloud AHMED BOUDOUDA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée de droit slovène (AA), établie et ayant son siège social à SLO-…, élisant domicile en l’étude de son litismandataire, sise à L-8009 Strassen, 151, route d’Arlon, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines du 17 octobre 2022 ayant déclaré, à titre principal, l’opposition irrecevable et confirmé, à titre subsidiaire, l’amende administrative de 21.000 euros prononcé à son encontre par sa décision du 21 juin 2022 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 avril 2023 ;

II) Vu la requête inscrite sous le numéro 48818 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 avril 2023 par Maître Miloud AHMED BOUDOUDA, préqualifié, au nom de la société à responsabilité limitée de droit slovène (AA), préqualifiée, élisant domicile en l’étude de son litismandataire, sise à L-8009 Strassen, 151, route d’Arlon, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines du 10 janvier 2023 ayant réduit, sur recours gracieux, l’amende administrative prononcée à son encontre par la décision du 21 juin 2022 à un montant de 13.000 euros;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2023 ;

I) et II) Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Miloud AHMED BOUDOUDA et Monsieur le délégué du gouvernement Yves HUBERTY en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 février 2025.

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A la suite d’un contrôle effectué le 21 avril 2022 sur le lieu de travail sis à L-…, l’Inspection du Travail et des Mines, dénommée ci-après « l’ITM », sur base du constat que la société à responsabilité limitée de droit slovène (AA), ci-après désignée par « la Société », avait détaché des salariés en vue d’effectuer une prestation de service sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, tout en ayant omis de transmettre certains documents visés par l’article L. 142-3 du Code du travail, adressa, par courrier recommandé avec accusé de réception du 18 mai 2022 une injonction à la Société, lui demandant conformément aux articles L. 614-4, paragraphe (1), point a) et L. 614-5 du Code du travail, de régulariser sa situation par rapport à l’article L. 142-3 du même Code, endéans un délai de 15 jours calendrier, par la communication via la plateforme électronique prévue à cet effet, de toutes les informations et de tous les documents requis, traduits en langue française ou allemande, tout en l’avertissant que tout manquement de sa part de s’y conformer risquerait de l’exposer aux mesures et sanctions administratives prévues à l’article L. 143-2 du Code du travail.

En date du 21 juin 2022, le directeur de l’ITM, ci-après dénommé « le directeur », infligea à la Société, une amende administrative de 21.000 euros, sur base de l’article L. 614-

13 du Code du travail, pour avoir omis de donner suite à l’injonction précitée du 18 mai 2022 et de prendre les mesures requises endéans les délais impartis.

En date du 21 juin 2022 et par un courrier électronique du 1er juillet 2022, respectivement par deux courriers électroniques du 26 septembre 2022, la Société fit parvenir plusieurs documents à l’ITM.

Par une décision du 17 octobre 2022, le directeur déclara irrecevable ladite opposition de la Société du 26 septembre 2022 pour cause de tardivité, tout en confirmant sa décision du 21 juin 2022 ayant infligée à la Société une amende administrative de 21.000 euros.

Suite à un courrier électronique de la Société du 23 novembre 2022, transmettant plusieurs documents à l’ITM, le directeur déclara, en date du 10 janvier 2023, recevable ledit recours gracieux, tout en le déclarant partiellement fondé, de sorte à réduire l’amende infligée à la Société à 13.000 euros. Cette décision est motivée comme suit :

« (…) Aufgrund der Artikel L. 142-2, L. 142-3 und L. 143-2 des Arbeitsgesetzbuchs;

Aufgrund des Artikels L. 614-13, Absatz 1 bis 4 des Arbeitsgesetzbuchs;

Angesichts der Anordnung vom 18. Mai 2022, welche gemäß den Artikeln L. 614-4 Absatz 1 Buchstabe a) und L 614-5 des Arbeitsgesetzbuchs von …, Inspecteur principal du travail des Gewerbe- und Grubenaufsichtsamtes, erstellt wurde;

Angesichts des Beschlusses des Direktors des Gewerbe- und Grubenaufsichtsamtes vom 21. Juni 2022, die Gesellschaft (AA) mit Sitz in SLO-…, in ihrer Eigenschaft als Arbeitgeber, wegen Nichtergreifens bis zum Tag des eben genannten Beschlusses aller in der Anordnung des Gewerbe- und Grubenaufsichtsamtes vom 18. Mai 2022 geforderten Maßnahmen, mit einem Bußgeld « ITM Amende … » von 21.000 Euro zu belegen;

2 Angesichts des Beschlusses des Direktors des Gewerbe- und Grubenaufsichtsamtes vom 17. Oktober 2022 das Bußgeld « ITM Amende … » von 21.000 Euro, das gegen die oben genannte Gesellschaft (AA), in ihrer Eigenschaft als Arbeitgeber verhängt wurde, zu bestätigen;

Angesichts der informellen Beschwerde vom 23. November 2022 gegen den besagten Beschluss des Direktors des Gewerbe- und Grubenaufsichtsamtes, der von der oben genannten Gesellschaft (AA), in ihrer Eigenschaft als Arbeitgeber eingelegt wurde und beim Gewerbe- und Grubenaufsichtsamt am 23. November 2022 eingegangen ist;

In Erwägung, dass die informelle Beschwerde vom 23. November 2022 gegen den Beschluss des Direktors des Gewerbe- und Grubenaufsichtsamtes ordnungsgemäß binnen einer Frist von 3 Monaten ab Zustellung des Verwaltungsbeschlusses eingelegt wurde;

In Erwägung, dass die oben genannte Gesellschaft (AA) die Lohnzettel für den Monat April 2022 der entsandten Arbeitnehmer … (…), … (…), … (…), … (…), … (…), … (…), und … (…) übermittelt hat ;

In Erwägung, dass die oben genannte Gesellschaft (AA) die Zahlungsbelege des kompletten Lohnes für den Monat April 2022 der entsandten Arbeitnehmer … (…), … (…), … (…), … (…), … (…), und … (…) übermittelt hat ;

*** In Erwägung, dass die oben genannte Gesellschaft (AA) die folgenden Dokumente nicht bis zum Tag des Beschlusses des Direktors des Gewerbe- und Grubenaufsichtsamtes übermittelt hat;

Dass die oben genannte Gesellschaft (AA) somit den Zahlungsbeleg des kompletten Lohnes für den Monat April 2022 des entsandten Arbeitnehmers … (…), nicht übermittelt hat;

Dass die oben genannte Gesellschaft (AA) somit die Arbeitszeitnachweise mit Angabe des Beginns, des Endes und der Dauer der täglichen Arbeitszeit für den Monat April 2022 der entsandten Arbeitnehmer … (…), … (…), … (…), … (…), … (…), … (…), und … (…) nicht übermittelt hat ;

Dass der vorliegende Sachverhalt einen teilweisen Erlass des gegen die Gesellschaft (AA) ausgesprochenen Bußgeldes begründet;

Aus diesen Gründen beschließt der Direktor des Gewerbe- und Grubenaufsichtsamtes:

sich für zuständig zu erklären, über die informelle Beschwerde, die von der Gesellschaft (AA), mit Sitz in SLO-…, in ihrer Eigenschaft als Arbeitgeber eingelegt wurde, zu entscheiden;

diese als zulässig und teilweise begründet zu erklären;

3 somit den Betrag des Bußgeldes, das mit Beschluss des Direktors des Gewerbe- und Grubenaufsichtsamtes vom 21. Juni 2022 gegen die Gesellschaft (AA) mit Sitz in SLO-…, in ihrer Eigenschaft als Arbeitgeber verhängt wurde, auf die Summe von 13.000 Euro herabzusetzen; (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 janvier 2023, la Société a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du directeur du 17 octobre 2022 déclarant, à titre principal, l’opposition du 26 septembre 2022 irrecevable et confirmant, à titre subsidiaire, sa décision du 10 août 2022 d’infliger une amende de 21.000 euros à la Société.

Par une deuxième requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 avril 2023, la Société a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision directoriale précitée du 10 janvier 2023 ayant réduit, sur recours gracieux, l’amende administrative infligée à la Société à un montant de 13.000 euros.

Il y a tout d’abord lieu de prononcer la jonction des deux recours, inscrits sous les numéros 48438 et 48818 du rôle, étant donné qu’il est dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice de statuer sur ces deux affaires par un seul et même jugement, dans la mesure où il y a identité de parties et que les deux affaires sont intimement liées, alors qu’il s’agit de deux décisions administratives prises successivement par le directeur suite au même contrôle effectué le 21 avril 2022.

En ce qui concerne ensuite la compétence du tribunal pour statuer sur les actes litigieux, il convient de rappeler qu’en application des articles L. 143-3 et L. 614-14 du Code du travail, les décisions de l’ITM « sont soumises au recours en réformation visé à l’article 3 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif ».

Il s’ensuit que le tribunal administratif est compétent pour connaître des recours en réformation introduits, à titre principal, contre les actes litigieux, de sorte qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les recours en annulation introduits à titre subsidiaire et sur les moyens d’irrecevabilité y relatifs, tels que développés par le délégué du gouvernement dans ses mémoires en réponse, cet examen étant devenu surabondant.

Dans son mémoire en réponse dans le rôle 48438, le délégué du gouvernement soulève encore l’irrecevabilité, pour défaut d’objet, du recours dirigé contre la décision directoriale du 17 octobre 2022, laquelle, selon lui, n’existerait plus. Il fait valoir que la décision directoriale du 10 janvier 2023 constituerait une décision nouvelle qui se substituerait à la décision directoriale du 17 octobre 2022, de sorte que cette dernière n’aurait plus d’existence légale et ne pourrait, par conséquent, plus faire l’objet d’un recours contentieux. Le délégué du gouvernement se réfère encore à cet égard à la jurisprudence du tribunal administratif ayant retenu cette même solution et à la doctrine en la matière.

A l’audience publique des plaidoiries, la Société a fait valoir, par le biais de son litismandataire, qu’elle contesterait que l’envoi de pièces à l’ITM, après la prise de la décision litigieuse du 17 octobre 2022, constituerait, dans son chef, un recours gracieux, alors que, selon elle, un recours gracieux devrait contenir, de manière non équivoque, l’intention yrelative de celui qui le forme, ce qui ne serait pourtant pas le cas en l’espèce, s’agissant d’une simple transmission de documents.

En l’espèce, si le directeur a pris une première décision sur opposition en date du 17 octobre 2022 que la Société a déférée devant le tribunal administratif, par le biais de son recours du 20 janvier 2023, force est cependant de constater qu’une nouvelle décision est intervenue en date du 10 janvier 2023, de sorte que le tribunal est amené à examiner si cette décision du 10 janvier 2023 est effectivement de nature à remplacer la décision initiale ou s’il s’agit d’une décision distincte.

En effet, l’autorité compétente est habilitée à prendre une nouvelle décision, qui se substitue à la première décision, si elle consent à rouvrir l’instruction et à réexaminer la cause, à condition toutefois qu’elle se trouve en présence d’éléments nouveaux qui sont de nature à modifier la situation juridique et qu’elle prenne position quant à ceux-ci. Il y a encore lieu de relever qu’en tout état de cause, l’autorité administrative peut décider, même spontanément, de retirer ou de rapporter ses décisions, une possibilité lui offerte de réparer spontanément ses erreurs en réalisant elle-même ce que ferait le juge saisi d’un recours contentieux1.

Force est de constater que la décision du directeur du 10 janvier 2023 est bien basée sur des éléments qui n’ont pas été pris en considération dans la décision du 17 octobre 2022, notamment sur les documents déposés à l’ITM en date du 23 novembre 2022, de sorte que la décision du 10 janvier 2023, prise sur base d’éléments nouveaux et après réexamen du dossier, est à considérer comme une décision nouvelle se substituant à la décision sur opposition du 17 octobre 2022, qu’elle réforme d’ailleurs partiellement en réduisant le montant de l’amende prononcée de 21.000 euros à 13.000 euros, de sorte que cette dernière n’a plus d’existence légale.

Il s’ensuit que le recours en réformation est à déclarer irrecevable faute d’objet en ce qu’il est dirigé contre la décision directoriale du 17 octobre 2022.

En revanche, le recours en réformation dirigé contre la décision du directeur du 10 janvier 2023 est à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

Cette conclusion n’est pas énervée par le fait que le délégué du gouvernement, dans son mémoire en réponse, se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité du recours en ce qui concerne les délais et la forme, alors que s’il est exact que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, alors qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions.

Dès lors, étant donné que la partie gouvernementale est restée en défaut de préciser dans quelle mesure le recours serait irrecevable quant à la forme et quant aux délais, le moyen d’irrecevabilité afférent encourt le rejet, étant relevé que le tribunal n’entrevoit pas non plus de cause d’irrecevabilité d’ordre public qui serait à soulever d’office.

1 Trib. adm., 16 juin 2010, n° 26323 du rôle, Pas adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 403 et les autres références y citées.

Quant au fond et à l’appui de son recours, la demanderesse rappelle certains faits et rétroactes tels que relevés ci-avant, tout en faisant observer que le délai lui accordé pour répondre à l’injonction du 18 mai 2022 et pour faire traduire les documents nécessaires aurait été largement insuffisant. Elle fait encore valoir qu’entretemps, un responsable se serait rendu à l’ITM où on aurait personnellement garanti à ce dernier que le délai serait prolongé. La demanderesse explique ensuite qu’une fois toutes les traductions effectuées, l’intégralité des documents requis aurait été fournie, de sorte que l’injonction aurait été respectée.

En droit, la demanderesse conclut à un excès de pouvoir dans le chef du directeur, alors que le délai de quinze jours pour répondre à l’injonction du 18 mai 2022 ne lui aurait pas permis, en tant que société de droit étranger, avec siège social en Slovénie, d’exercer son droit de réponse conformément aux règles de la procédure administrative contentieuse au regard du fait que la traduction de l’intégralité des pièces en français ou en allemand aurait été sollicitée et que ces circonstances auraient dû permettre un allongement dudit délai en raison de la distance.

Elle fait encore relever que son responsable aurait effectué toutes les diligences demandées endéans un délai raisonnable et en tous cas avant la décision du 10 janvier 2023, ce qui ressortirait des pièces qu’elle aurait versées à l’appui de son recours, de sorte que l’amende serait à annuler, respectivement que le montant de l’amende serait à réduire à de plus justes proportions, eu égard aux circonstances de l’espèce.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours sous analyse pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.

Force est de rappeler, à titre liminaire, en ce qui concerne la loi applicable à l’examen du bien-fondé du présent recours, que si, dans le cadre d’un recours en réformation, le tribunal est amené à considérer les éléments de fait et de droit de la cause au moment où il statue, en tenant compte des changements intervenus depuis la décision litigieuse2, il n’en reste pas moins qu’en vertu du principe de non-rétroactivité des lois, consacré à l’article 2 du Code civil, le tribunal doit apprécier tant la question du champ d’application du Code du travail que celle de la qualification des faits au regard des obligations y inscrites et susceptibles de conduire à une sanction administrative, ainsi que la question de la compétence du pouvoir sanctionnateur au regard du Code du travail tel qu’il était en vigueur au moment des faits, respectivement au jour de la décision déférée, le principe et le quantum de la sanction étant, par contre, à analyser sur base de la version du Code du travail applicable au jour du jugement.

Aux termes de l’article L. 614-4, paragraphe (1), point a) du Code du travail : « (1) Les membres de l’inspectorat du travail, sont autorisés en outre : a) à procéder à tous les examens, contrôles ou enquêtes jugés nécessaires pour s’assurer que les dispositions légales, réglementaires, administratives et conventionnelles sont effectivement observées et notamment : (…) - à demander communication dans les meilleurs délais de tous livres, registres, fichiers, documents et informations relatifs aux conditions de travail, en vue d’en vérifier la 2 Trib. adm., 15 juillet 2004, n° 18353 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en reformation, n° 19 et les autres références y citéesconformité avec les dispositions légales, réglementaires, administratives et conventionnelles, de les reproduire ou d’en établir des extraits; (…) ».

Il résulte de cette disposition légale que les membres de l’ITM peuvent procéder aux contrôles et examens qu’ils estiment nécessaires en vue de garantir l’observation des dispositions légales et réglementaires, respectivement conventionnelles applicables et qu’ils peuvent, à cette fin, notamment demander communication de tous les documents et informations relatifs aux conditions de travail des salariés d’une entreprise endéans un certain délai, ce qui a été fait en l’espèce par le biais de l’injonction litigieuse du 18 mai 2022, enjoignant à la demanderesse de verser toute une série de documents relatifs au détachement de sept de ses salariés sur le territoire luxembourgeois, en vue de permettre à l’ITM de procéder à la vérification du respect de toutes les dispositions légales en matière de détachement.

En ce qui concerne d’abord le moyen tiré de l’excès de pouvoir tenant à critiquer le délai lui imparti par l’ITM pour la transmission des documents requis, force est d’abord de relever qu’il a été jugé qu’en vertu de l’article L. 614-4, paragraphe (1) précité du Code du travail, autorisant l’ITM à demander la communication de tous livres, registres, fichiers, documents et informations relatifs aux conditions de travail « dans les meilleurs délais », c’est-à-dire dans un court délai, combiné avec l’article L. 614-13, paragraphe (1) du même Code selon lequel « En cas de non-respect endéans le délai imparti, des injonctions du directeur [de l’ITM] ou des membres de l’inspectorat du travail, dûment notifiées par écrit, conformément aux articles L. 614-4 à L. 614-6 et L. 614-8 à L. 614-11, le directeur de l’Inspection du travail et des mines est en droit d’infliger à l’employeur, à son délégué, ou au salarié une amende administrative », que tant le directeur que les membres de l’ITM sont en droit de fixer, dans leurs injonctions adressées à un employeur, un délai dans lequel ces informations et documents doivent être remis à l’ITM3, délai qui est de rigueur en ce que son non-respect autorise le directeur à infliger une amende administrative à la personne visée par l’injonction non respectée. Dans la mesure où l’article L. 143-2 du Code du travail, dans sa version applicable au moment de la décision déférée, prévoit expressément que l’amende administrative prononcée par le directeur suite à la constatation d’infractions aux dispositions des articles L. 142-2 et L. 142-3 du même Code, doit respecter la procédure d’injonction prévue à l’article L. 614-13 du Code du travail, le même constat s’impose en l’espèce.

Par ailleurs, si la loi elle-même ne prévoit aucun délai précis endéans lequel les pièces et informations sollicitées par l’ITM doivent lui être communiquées, la mention « meilleurs délais », laisse une marge d’appréciation certaine au directeur, ainsi qu’aux autres membres de l’ITM pour fixer un délai en vue d’obtenir la communication des pièces et informations ainsi visées4.

En considération du fait que les pièces et informations sollicitées par l’injonction du 18 mai 2022 sont des documents standard que tout employeur devrait a priori avoir à sa disposition dès l’écoulement du mois afférent, le délai de 15 jours calendaires ne saurait a priori porter à critique.

Si la demanderesse estime que le délai lui imposé aurait été insuffisant pour la communication de la traduction des documents sollicités, force est toutefois de constater que 3 Trib. adm., 12 mars 2019, n° 39663 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Travail, n° 266 et l’autre référence y citée.

4 Ibidem.dans la mesure où il ressort des considérations qui précèdent que le délai de 15 jours était, en l’espèce, suffisant, et que l’ITM, sans aucune réaction de la part de la Société dans le délai utile, n’a, dès lors, pas fait un usage disproportionné du pouvoir lui accordé par la loi dans ce contexte, étant relevé qu’il s’est écoulé un délai de plus d’un mois avant le prononcé de la première décision directoriale. Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation de la demanderesse selon laquelle la traduction desdits documents aurait requis un allongement dudit délai en raison de la distance, alors que les documents sollicités par l’ITM étaient, dans tous les cas, à communiquer à l’ITM sur la plateforme électronique destinée à cet effet, à compter du jour du commencement du détachement, étant encore précisé, à cet égard, que la Société, ayant fait l’objet d’un contrôle de l’ITM en date du 21 avril 2022, avait connaissance, depuis au moins cette date, de son obligation de présenter la documentation relative aux salariés pour le mois en question et que, contrairement à ses dires, il n’est pas établi qu’elle se serait manifestée pour solliciter une prolongation du délai lui imparti ni que ledit délai aurait été prolongé oralement, tel que le soutient la demanderesse.

Il s’ensuit que le moyen de la demanderesse tirée d’un prétendu excès de pouvoir en ce qui concerne le délai lui imposé pour communiquer les documents sollicités encourt le rejet pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne ensuite le moyen tenant à affirmer que la totalité des documents sollicités dans l’injonction du 18 mai 2022 aurait été remise, preuve dont la demanderesse a la charge, il échet de relever qu’il résulte tant des pièces versées en cause, que des explications de part et d’autre, que la totalité des pièces y énumérées n’a pas été remise à l’ITM dans les délais impartis par ladite injonction.

En effet, force est de constater que si la demanderesse affirme avoir transmis à l’ITM la totalité des documents réclamés par l’injonction du 18 mai 2022 dans le cadre de ses transmissions de documents des 21 juin, 1er juillet, 26 septembre et 23 novembre 2022, il ressort cependant tant du dossier administratif que du mémoire en réponse du délégué du gouvernement que la communication tant des pointages indiquant le début, la fin et la durée du travail journalier pour le mois d’avril 2022 pour les sept salariés détachés concernés, ainsi que la preuve de paiement du salaire du mois d’avril 2022 pour le salarié …, n’a pas été faite, conclusion que la demanderesse n’a pas utilement remise en cause dans le cadre du recours sous examen, faute d’avoir pris position par un mémoire en réplique. Ainsi, elle reste actuellement toujours en défaut de fournir les huit documents précités lui réclamés dans le cadre de l’injonction du 18 mai 2022, qu’elle reste partant en défaut d’avoir intégralement respectée.

Ainsi, au-delà de ce qu’aux vœux de l’article L. 614-13 précité du Code du travail, le simple retard dans les suites données à une injonction est déjà passible d’une amende, le fait qu’en l’espèce, la totalité des documents sollicités n’avait pas été remise dans le délai imparti, amène le tribunal à conclure que c’est a priori à bon droit que le directeur a infligé une amende administrative à la demanderesse, le simple fait que certains des documents sollicités aient seulement été communiqués avec l’opposition, respectivement le recours gracieux n’est pas de nature à énerver ce constat.

Etant donné que ni le dossier administratif, ni les pièces versées par la demanderesse à l’appui de son recours ne comportent ces huit documents litigieux, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement a fait valoir que la demanderesse n’est pas seulement restée en défaut d’avoir respecté le délai de 15 jours y relatif pour leur transmission, tel que figurantdans l’injonction concernée du 18 mai 2022, mais qu’elle reste actuellement toujours en défaut de les avoir versés, même en cours d’instance.

Il s’ensuit que l’affirmation selon laquelle l’injonction aurait été respectée encourt le rejet.

En ce qui concerne, finalement, le bien-fondé et le montant de la sanction retenue, il échet d’abord de rappeler qu’en vertu de l’article L. 143-2, paragraphe (1) du Code du travail, « Les infractions aux dispositions des articles L. 142-2, L. 142-3 L. 145-4, L. 145-5, L. 145-6, et L. 281-1 sont passibles d’une amende administrative entre 1.000 et 5.000 euros par salarié détaché et entre 2.000 et 10.000 euros en cas de récidive dans le délai de deux ans à compter du jour de la notification de la première amende.

Le montant total de l’amende ne peut être supérieur à 50.000 euros.

Pour fixer le montant de l’amende, le directeur de l’Inspection du travail et des mines prend en compte les circonstances et la gravité du manquement ainsi que le comportement de son auteur. (…) ».

Ainsi, les infractions aux dispositions des articles L. 142-2 et L. 142-3 du Code du travail sont passibles d’une amende administrative entre 1.000 et 5.000 euros par salarié détaché, le montant de l’amende ne pouvant être supérieur à 50.000 euros. L’amende tient compte des circonstances et de la gravité du manquement, ainsi que du comportement de son auteur, de sorte que l’article L. 143-2, paragraphe (1), précité, du Code du travail laisse une certaine marge d’appréciation à l’autorité compétente en ce qui concerne le montant à prononcer à titre d’amende administrative.

En l’espèce, il ressort de l’analyse de la décision déférée que la Société s’est vu infliger une amende administrative de 13.000 euros pour avoir contrevenu aux articles L. 142-2 et L. 142-3 du Code du travail, c’est-à-dire une amende se trouvant dans la fourchette légale, s’agissant de sept salariés concernés.

A cet égard, il convient encore de rappeler que le tribunal, saisi d’un recours en réformation, est amené à apprécier la décision déférée quant à son bien-fondé et quant à son opportunité, avec le pouvoir d’y substituer sa propre décision, impliquant que cette analyse s’opère au moment où il est appelé à statuer5, de sorte qu’il y a lieu de statuer suivant les éléments de fait et de droit présentement acquis6 afin de vérifier si l’amende confirmée par la décision déférée est toujours justifiée au jour où le tribunal statue.

Force est ensuite de rappeler que si la partie étatique admet qu’une partie des documents sollicités par l’ITM à travers son injonction du 18 mai 2022 ont été entretemps remis par la Société, c’est à bon droit qu’elle conteste cependant l’affirmation de la demanderesse selon laquelle la totalité des documents sollicités se trouverait désormais en possession de l’ITM.

5 Trib. adm., 1er octobre 1997, n° 9699 du rôle, Pas adm. 2024, V° Recours en réformation, n° 16 et les autres références y citées.

6 Trib. adm., 8 juillet 2002, n° 13600 du rôle, Pas adm. 2024, V° Recours en réformation, n° 17 et les autres références y citées.En effet, il appartient au demandeur de rapporter la preuve qu’il a communiqué la totalité des documents requis à l’administration et non à l’administration de rapporter la preuve négative qu’elle ne disposerait pas des pièces en question7, la simple affirmation en ce sens étant insuffisante, de sorte qu’en l’absence de preuve contraire, la demanderesse reste toujours en défaut d’établir qu’elle a mis à disposition de l’ITM la totalité des documents visés par l’injonction du 18 mai 2022, et plus particulièrement les documents retracés ci-

avant, tel que ce manquement a déjà été constaté par le décision directoriale déférée du 10 janvier 2023.

Bien que le tribunal a retenu ci-avant que l’amende décidée à l’encontre de la demanderesse était justifiée dans son principe, étant donné que le délai pour la transmission des documents sollicités n’a pas été respecté, alors que ledit délai a expiré le 8 juin 2022, et, vu que certains documents sollicités par l’ITM sont toujours en souffrance à l’heure actuelle, de sorte que le retard y relatif s’est encore accentué, empêchant toujours l’ITM de contrôler si la partie demanderesse s’est bien conformée à ses obligations légales vis-à-vis de tous ses salariés, ce qui a été l’objectif primaire du contrôle du 21 avril 2022, le montant de l’amende prononcée par la décision déférée doit néanmoins être considéré comme étant disproportionné par rapport aux critères fixés par le paragraphe (1) de l’article L. 143-2 du Code du travail, de sorte qu’il y a lieu de réduire, par réformation de la décision déférée et ex aequo et bono, le montant de l’amende à 8.600 euros.

Il s’ensuit que le moyen afférent relatif au caractère disproportionné de l’amende litigieuse est à accueillir en ce sens, de sorte que le recours en réformation dans le rôle 48818 est à déclarer comme partiellement fondé.

Il n’y a cependant pas lieu de faire droit à la demande présentée par la demanderesse en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.000 euros, la demanderesse laissant d’établir en quelle mesure il serait inéquitable qu’elle supporte seule les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens.

Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de faire masse des frais et dépens de l’instance et de les imposer pour moitié à chaque partie.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

joint les recours inscrits sous les numéros de rôle 48438 et 48818 ;

déclare irrecevable le recours principal en réformation en ce qu’il est dirigé contre la décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines du 17 octobre 2022 ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines du 10 janvier 2023 ;

au fond, le dit partiellement justifié :

7 Voir en ce sens Trib. adm., 21 mai 2007, n° 22205 du rôle, conf. par Cour adm., 6 décembre 2007, n°23150C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n°889 et l’autre référence y citée. partant, par réformation de la décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines du 10 janvier 2023, réduit le montant de l’amende administrative à payer par la demanderesse à 8.600 euros ;

rejette le recours pour le surplus ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les recours subsidiaires en annulation dirigés contre les deux décisions déférées ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la demanderesse ;

fait masse des frais et dépens de l’instance et les impose pour moitié à l’Etat et pour moitié à la demanderesse.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 juin 2025 par :

Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier, Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 48438,48818
Date de la décision : 13/06/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-06-13;48438.48818 ?

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