La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/06/2025 | LUXEMBOURG | N°49403

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juin 2025, 49403


Tribunal administratif N° 49403 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49403 2e chambre Inscrit le 11 septembre 2023 Audience publique du 12 juin 2025 Recours formé par Madame (A), …, contre deux décisions du ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural, en matière d’aides agricoles

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49403 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 septembre 2023 par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Diekirch,

au nom de Madame (A), demeurant à L-

…, tendant à la reformation, sinon à l’annu...

Tribunal administratif N° 49403 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49403 2e chambre Inscrit le 11 septembre 2023 Audience publique du 12 juin 2025 Recours formé par Madame (A), …, contre deux décisions du ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural, en matière d’aides agricoles

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49403 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 septembre 2023 par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Diekirch, au nom de Madame (A), demeurant à L-

…, tendant à la reformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural du 20 décembre 2022 portant refus de l’allocation d’une aide financière sollicitée pour une réfection et un rehaussement de la toiture d’un bâtiment d’élevage à stabulation libre, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux du même ministre du 14 juin 2023 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 décembre 2023 ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment les déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Luca ESTGEN en sa plaidoirie à l’audience publique du 24 mars 2025, Maître Daniel BAULISCH n’ayant été ni présent, ni représenté.

Par le biais d’un formulaire de demande daté au 22 mars 2021 et réceptionné le 9 avril 2021, Madame (A), agissant en sa qualité de représentante de l’exploitation agricole « (AA) », introduisit auprès de l’administration des services techniques de l’Agriculture (« ASTA ») une demande tendant à l’octroi d’une aide financière pour l’investissement suivant :

« Dacherneuerung/erhöhung Boxenlaufstall », sur base de l’article 9 de la loi modifiée du 27 juin 2016 concernant le soutien au développement durable des zones rurales, ci-après « la loi du 27 juin 2016 », ledit formulaire indiquant sous la rubrique « voraussichtliches Anschaffungsdatum respektiv Baubeginn » la date approximative du 15 mai 2021.

Par décision du 30 juin 2021, le ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural, ci-après le « ministre », avisa favorablement cette demande en accordant à Madame (A) un taux d’aide à hauteur de 25 pour-cent du coût total de l’investissement projeté.

1Par un deuxième formulaire intitulé « Auszahlungsantrag einer Investitionsbeihilfe », daté au 4 novembre 2022 et réceptionné par l’ASTA en date du 8 novembre 2022, Madame (A) introduisit une demande de paiement tenant à l’allocation d’une aide à l’investissement, ci-

après « la demande de paiement », renseignant au total onze factures dont la première fut datée au 19 janvier 2021.

Par décision ministérielle du 20 décembre 2022, le ministre rejeta ladite demande de paiement avec la motivation suivante :

« Nach Prüfung des Antrags auf Auszahlung der Beihilfe vom 8. November 2022 ergeht folgender Bescheid:

Der Antrag auf Auszahlung der Beihilfe wird abgelehnt.

Begründung:

Mit Bescheid vom 30. Juni 2021 wurde der Antrag auf Gewährung einer Beihilfe vom 9. April 2021 für eine Dacherneuerung/Erhöhung des Boxenlaufstalls bewilligt.

Gemäß Artikel 3, Paragraph 1, Buchstabe g) des abgeänderten Gesetzes vom 27. Juni 2016 zur Förderung der nachhaltigen Entwicklung des ländlichen Raums, muss der Beihilfeantrag vor der Durchführung des Vorhabens eingereicht werden.

Aus den dem Auszahlungsantrag beigefügten Unterlagen geht hervor, dass das Material bereits am 19. Januar 2021 erworben wurde. » Par courrier de son litismandataire du 15 mars 2023, Madame (A) fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle, précitée, du 20 décembre 2022.

Par décision du 14 juin 2023, le ministre confirma sa décision initiale dans les termes suivants :

« Par courrier du 15 mars 2023, entré le 16 mars 2023, la partie requérante, Madame (A), par l'intermédiaire de son avocat, Maître Daniel Baulisch, forme un recours gracieux contre la décision du Ministre de l'Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural du 20 décembre 2022 rejetant la demande de paiement de l'intéressée tendant à l'allocation de l'aide pour une « Dacherneuerung/Erhöhung Boxenlaufstall » prévue par l'article 3 à 9 de la loi modifiée du 27 juin 2016 concernant le soutien au développement durable des zones rurales.

La demande a été rejetée au motif que la réalisation a eu lieu le 19 janvier 2021, donc avant l'introduction de la demande d'aide relative au projet l'investissement du 12 avril 2021 (article 3, paragraphe 1er, g) de la loi modifiée du 27 juin 2016 concernant le soutien au développement durable des zones rurales).

En vertu de l'article 13, paragraphe 3, du règlement grand-ducal modifié du 23 juillet 2016 portant exécution des titres I et II de la loi modifiée du 27 juin 2016 concernant le soutien au développement durable des zones rurales, la date de réalisation d'un investissement correspond :

- pour les constructions, à la date d'établissement de la première facture concernant les travaux de bétonnage;

- pour les autres investissements, à la date d'établissement de la première facture concernant l'investissement, à l'exception des factures concernant les frais généraux.

Aucun nouveau élément susceptible de remettre cette décision initiale en cause n'a été présenté par la partie requérante. Madame (A) déclare seulement, qu'une facture concernant des travaux effectués avant l'introduction de la demande d'aide, a été soumise par erreur avec la demande de paiement.

2 La décision du 20 décembre 2022 est confirmée. ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 septembre 2023, Madame (A) a fait introduire un recours tendant à la reformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 20 décembre 2022, ainsi que de la décision confirmative sur recours gracieux du 14 juin 2023.

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre des décisions déférées. En revanche, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation dirigé contre les mêmes décisions, lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et au-delà des rétroactes repris ci-avant, la demanderesse explique que la facture émise en date du « 7 janvier 2021 » par la société de droit allemand (BB) se rapporterait en réalité à une commande pour les besoins de l’exploitation agricole et « se serait glissée de façon erronée parmi les factures ayant trait aux travaux de rehaussement de la toiture du bâtiment d’élevage à stalles libres ». A toutes fins utiles et en cas de contestations de la partie étatique, elle offre de prouver par voie d’attestations testimoniales, respectivement par photos, que les « travaux [auraient] commencé dans les délais légaux. ».

En droit, la demanderesse soulève en premier lieu une violation de l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », en arguant, jurisprudence et doctrine luxembourgeoises et belges à l’appui, que la décision d’allocation d’aides financières du 30 juin 2021 s’analyserait en un acte administratif créateur de droit dans son chef que le ministre lui aurait ensuite fautivement retiré par le biais de sa décision litigieuse du 20 décembre 2022.

A cet égard, après avoir souligné que les aides financières lui auraient été accordées sur base de l’article 9 de la loi du 27 juin 2016 et non pas sur base de l’article 3 de la même loi, la demanderesse fait plaider que le ministre aurait, en méconnaissance de l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 et des principes régissant la théorie du retrait de l’acte administratif, largement dépassé le délai endéans lequel il aurait pu révoquer l’aide financière accordée.

En deuxième lieu, la demanderesse invoque une violation de article 9, paragraphe (1) de la loi du 27 juin 2016, ainsi que de l’article 1er, paragraphe (3) du règlement grand-ducal modifié du 23 juillet 2016 portant exécution des titres I et II de la loi du 27 juin 2016, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 23 juillet 2016 », dans la mesure où l’ensemble des conditions prévues par ces textes seraient réunies dans son chef, ce qui se trouverait d’ailleurs confirmé par la décision d’allocation d’aides financières du 30 juin 2021. Dans ce même contexte, en raison des « circonstances de l’affaire », en ce qu’elle aurait été privée des droits qui lui seraient expressément réservés de par la loi et qui lui auraient par ailleurs été accordés par le ministre, la demanderesse conclut encore à une violation par ce dernier du principe de légalité et du principe général de « patere legem quam ipse fecisti » qui serait étroitement lié au principe de légalité et qui pourrait se traduire par la phrase « Souffre la loi que tu as toi-

même faite ».

3En troisième lieu, la demanderesse soutient que le ministre aurait enfreint les principes de bonne administration, à commencer par celui de l’intangibilité des droits définitivement acquis que le ministre aurait en l’occurrence violé par sa décision de refus de paiement d’aides financières du 20 décembre 2022, la demanderesse donnant à ce sujet à considérer que même si elle avait erronément déposé une facture contestée à l’appui de sa demande de paiement, cela ne remettrait nullement en cause les autres factures qui seraient toutes valables et qui auraient dû être prises en compte pour le paiement des aides financières qui lui auraient été accordées par le ministre en date du 30 juin 2021. Dans un même ordre d’idées, elle conclut encore à une violation par le ministre du principe de sécurité juridique en ce que ce dernier lui aurait fait croire qu’elle serait « effectivement bénéficiaire » des aides financières qui lui auraient été accordées par décision du 30 juin 2021 et que, nonobstant cela, il aurait « refusé de les lui payer », ainsi qu’à une violation du principe de légitime confiance dans la mesure où elle ne « pouvait légitimement s’attendre que le Ministre refuserait le paiement des aides financières accordées préalablement par une décision ministérielle du 30 juin 2021, le tout sur base d’une prétendue violation d’un article 3 §1 g) de la loi modifiée du 27 juin 2016 précitée, jamais invoquée au cours de la procédure de demande d’allocation des aides financières. ».

En quatrième lieu, la demanderesse estime que le ministre aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en lui refusant le paiement de la totalité des aides financières qui lui auraient été préalablement accordées en raison de la transmission erronée d’une facture au moment de la demande de paiement.

En cinquième lieu, elle conclut à une violation du principe de l’exercice effectif du pouvoir d’appréciation qui imposerait à l’administration d’exercer effectivement le pouvoir d’appréciation qui lui est confié « avec minutie ou soin », en procédant notamment à « toute mesure d’instruction de nature à lui donner une connaissance complète des données utiles de la cause ». La demanderesse affirme que le ministre aurait violé ce principe à deux égards :

d’une part, en omettant de vérifier, préalablement à l’allocation des aides financières, la réunion dans son chef des conditions prévues à l’article 3, paragraphe (1) de la loi du 27 juin 2016 et, d’autre part, en lui refusant ensuite le paiement de ces aides en raison d’une facture versée par erreur au dossier.

En sixième et dernier lieu, la demanderesse invoque, une violation du principe de proportionnalité qui se serait en l’occurrence matérialisée par le refus total du paiement des aides financières qui lui auraient été accordées conformément à la décision ministérielle du 30 juin 2021 en raison d’une « prétendue violation de l’article 3 §1 g) » de la loi du 27 juin 2016, respectivement en raison d’un dépôt erroné d’une facture portant une date antérieure à la demande d’aide relative au projet d’investissement.

Au vu de toutes les considérations qui précèdent, la demanderesse conclut à la réformation, sinon à l’annulation de la décision de refus de paiement d’aides financières du 20 décembre 2022, ainsi que de la décision confirmative sur recours gracieux du 14 juin 2023, pour violation de la loi, sinon pour excès de pouvoir, sinon pour violation des formes destinées à protéger les intérêts privés, sinon pour détournement de pouvoir, sinon pour défaut d’indication de motivations précises réelles et sérieuses.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

4A titre liminaire, le tribunal relève qu’en présence de plusieurs moyens invoqués, il n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, étant relevé que la logique juridique impose que les questions de légalité externe soient traitées avant celles de légalité interne1.

S’agissant dès lors tout d’abord du moyen tiré d’une violation de l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ayant trait à la légalité externe des décisions déférées, le tribunal relève que celui-ci est rédigé comme suit :

« En dehors des cas où la loi en dispose autrement, le retrait rétroactif d'une décision ayant créé ou reconnu des droits n'est possible que pendant le délai imparti pour exercer contre cette décision un recours contentieux, ainsi que pendant le cours de la procédure contentieuse engagée contre cette décision.

Le retrait d´une telle décision ne peut intervenir que pour une des causes qui auraient justifié l´annulation contentieuse de la décision. ».

La disposition précitée vise le retrait rétroactif d’un acte administratif individuel illégal créateur ou générateur de droits, étant souligné que la notion de « retrait » d’une décision administrative est conçue comme étant l’acte par lequel l’administration annule en tout ou partie une de ses décisions, le retrait ayant pour effet que la décision disparaît rétroactivement de l’ordonnancement juridique2. En prononçant le « retrait » d’une décision, l’autorité administrative procède en effet à l’annulation de la décision qui en fait l’objet. La décision sera réputée ne jamais avoir existé. Ainsi, au niveau de ses effets, le retrait par l’autorité administrative a les mêmes effets qu’une décision d’annulation prononcée par la juridiction administrative, en ce sens que, dans les deux cas, les décisions disparaissent rétroactivement de l’ordonnancement juridique3.

En l’espèce, le tribunal constate qu’il ressort explicitement de la décision du 30 juin 2021 par laquelle la demanderesse s’est vu allouer un taux d’aide à concurrence de 25 pour-cent du coût total de l’investissement projeté selon la demande d’aide du 9 avril 2021, que le paiement ultérieur des aides financières accordées est subordonné au respect des dispositions légales en vigueur4.

Par décision du 20 décembre 2022, le ministre a refusé de faire droit à la demande de paiement introduite par la demanderesse en date du 8 novembre 2022 par renvoi à l’article 3, paragraphe (1), point g) de la loi du 27 juin 2016, aux termes duquel l’exploitant « introduit, préalablement à sa réalisation, la demande d'aide relative au projet d'investissement », au motif que les documents joints indiquaient que le matériel avait déjà été acheté le 19 janvier 20215, soit antérieurement à l’introduction de la demande d’aide relative au projet d’investissement du 9 avril 2021.

1 Cour adm., 12 octobre 2006, n°20513C du rôle, Pas. adm. 2024, v° Procédure contentieuse, n°1051 (2ième volet) et les autres références y citées.

2 CAMPILL H., Conséquences de l’incompatibilité de décisions administratives définitives et de jugements définitifs des juridictions administratives des Etats membres avec la législation européenne, Colloque de l’Association des Conseils d’Etat et des juridictions administratives suprêmes de l’Union européenne, rapport luxembourgeois, octobre 2007, p.1.

3 Ibidem, p.3.

4 « Die Auszahlung der Beihilfe ist an die Einhaltung der einschlägigen Rechtsvorschriften gebunden. ».

5 « Aus den dem Auszahlungsantrag beigefügten Unterlagen geht hervor, dass das Material bereits am 19. Januar 2021 erworben wurde. ».

5 Contrairement à ce que soutient la demanderesse, il se dégage ainsi sans aucune équivoque du libellé même de la décision ministérielle litigieuse du 20 décembre 2022 que le ministre n’a aucunement procédé au retrait de sa décision initiale du 30 juin 2021, laquelle n’a partant pas été remise en cause et continue d’exister dans l’ordonnancement juridique, mais qu’il a simplement constaté le non-respect par la demanderesse des conditions légales en vigueur dont dépend le paiement de l’aide.

Il s’ensuit que le moyen tiré d’une violation de l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, respectivement des principes régissant la théorie du retrait de l’acte administratif, manque de fondement et encourt dès los le rejet.

Quant à la légalité interne des décisions déférées, il est constant en cause que la demande d’aide formulée par la demanderesse vise une aide à un investissement dans une exploitation agricole, telle que prévue par l’article 9 de la loi du 27 juin 2016, aux termes duquel « (1) Les exploitants agricoles qui remplissent les critères de l’article 2, paragraphe 3, points 2 à 4, ou paragraphe 6, point 2 et qui gèrent une exploitation agricole dont la dimension économique répond au moins à l’exigence de l’article 2, paragraphe 5, point 1, ainsi que les exploitants agricoles à titre accessoire, qui:

a) possèdent des connaissances et des compétences professionnelles suffisantes;

b) gèrent une exploitation agricole remplissant les normes minimales requises dans les domaines de l’environnement, de l’hygiène et du bien-être des animaux;

c) présentent une attestation que tous les investissements dépassant le montant de 150.000 euros ont fait l’objet d’un conseil économique par le Service d’économie rurale ou un service de gestion agréé par le ministre conformément aux dispositions de l’article 3, paragraphe 5;

d) présentent un justificatif de la part d’un établissement bancaire qu’ils disposent des fonds nécessaires pour les investissements dépassant un montant de 150.000 euros;

e) présentent les autorisations nécessaires à la réalisation du projet ;

f) introduisent, préalablement à sa réalisation, la demande d’aide relative au projet d’investissement ;

bénéficient, pour la réalisation de projets d’investissement visés à l’article 4, d’une aide de 25 pour cent du coût calculé des investissements pour les biens immeubles et de 15 pour cent du coût calculé des investissements pour les biens meubles définis par règlement grand-ducal, à condition que les investissements soient réalisés dans le cadre de leur activité agricole. […] ».

Il se dégage notamment de cette disposition que l’octroi d’une telle aide est, entre autres, conditionné par l’antériorité de la demande y afférente à la réalisation de l’investissement.

Aux termes de l’article 1er, paragraphe (3) du règlement grand-ducal du 23 juillet 2016 :

« Les aides [visées à l’article 9 de la loi du 27 juin 2016] sont payées sur présentation d’une demande de paiement ».

6En application des dispositions de l’article 79, paragraphe (2) de la loi du 27 juin 20166, la date de la réalisation d’un investissement est déterminée par l’article 13, paragraphe (3) du règlement grand-ducal du 23 juillet 2016, qui dispose ce qui suit : « La date de réalisation d’un investissement correspond :

- pour les constructions, à la date d’établissement de la première facture concernant les travaux de bétonnage ;

- pour les autres investissements, à la date d’établissement de la première facture concernant l’investissement, à l’exception des factures concernant les frais généraux. ».

En l’espèce, dans la mesure où les travaux projetés concernent la réfection et le rehaussement de la toiture d’un bâtiment d’élevage à stabulation libre ne nécessitant a priori pas de travaux de bétonnage, ils tombent nécessairement sous la qualification d’« autres investissements » au sens du deuxième tiret de la disposition précitée, cette qualification n’étant d’ailleurs pas contestée par la partie demanderesse7.

Il suit des dispositions qui précèdent qu’en l’espèce, la date de la réalisation de l’investissement correspond non pas à la date à laquelle ont débuté les travaux, mais à la date d’établissement de la première facture concernant l’investissement, de sorte que l'octroi des aides financières est subordonné à la condition que la demande d’aide relative au projet d’investissement ait été introduite avant la date d’établissement de la première facture, rendant ainsi sans pertinence aucune l’offre de preuve évoquée par la demanderesse tendant à démontrer « que les travaux ont commencé dans les termes et délais légaux ».

Il est ensuite constant en cause que parmi les factures annexées par la demanderesse à la demande de paiement figure une facture émise par la société de droit allemand (BB) en date du 19 janvier 2021, laquelle est partant antérieure à la demande d’aide relative au projet d’investissement introduite, tel que relevé ci-avant, par le biais d’un formulaire réceptionné le 9 avril 2021 par l’ASTA, les parties étant toutefois en désaccord concernant le lien de cette facture avec le projet d’investissement subventionné, la demanderesse alléguant, pour sa part, que celle-ci se serait glissée par erreur dans le dossier et aurait en réalité trait « à une commande pour les besoins de l’exploitation agricole ».

Or, force est au tribunal de constater que la facture litigieuse du 19 janvier 2021 n’était pas seulement jointe à la demande de paiement du 8 novembre 2022, mais elle a été manuscritement renseignée par la demanderesse sur le formulaire correspondant, et ce, à titre de première facture avec la mention suivante : « Eisen für Dachkonstruktion », la demanderesse ayant en outre confirmé l’exactitude du décompte des frais et pris acte du fait qu’elle s’expose à des sanctions en cas de présentation de dépenses non éligibles, sa signature apposée à la deuxième page de ce même formulaire étant précédée d’une mention en ce sens8.

A cela s’ajoute encore que la demanderesse est restée en défaut de fournir le moindre élément de preuve qui étayerait son affirmation suivant laquelle la facture litigieuse du 19 janvier 2021 aurait en effet trait à une commande pour les besoins de l’exploitation agricole et serait ainsi étrangère au projet d’investissement subventionné. Dans ce contexte, le tribunal tient à rappeler qu’en vertu du principe selon lequel les actes administratifs bénéficient de la 6 Art. 79 (2) de la loi du 27 juin 2016 : « Les dates de réalisation et d’achèvement d’un investissement sont déterminées par règlement grand-ducal. ».

7 V. requête introductive d’instance, page 5, huitième paragraphe.

8 « Der Antragssteller bestätigt die Vollständigkeit sowie die Richtigkeit der vorliegenden Kostenaufstellung und nimmt zur Kenntnis, dass er mit Sanktionen rechnen muss, falls nicht förderfähige Ausgaben vorgelegt werden. ».

7présomption de légalité, il incombe au demandeur de rapporter la preuve de l’illégalité de l’acte faisant l’objet de son recours. Si le principe de loyauté impose que l’autorité administrative collabore à l’administration des preuves dès lors qu’elle en détient, il n’en reste pas moins que l’essentiel du fardeau de la preuve en droit administratif est porté par le demandeur9.

Nonobstant ce qui précède et même à suivre, pour les besoins de la discussion, la demanderesse dans son argumentation et à faire ainsi abstraction de la facture litigieuse du 19 janvier 2021, il s’ensuivrait que dans la chronologie des factures présentées par la demanderesse, la « première » facture serait alors celle émise en date du 7 mai 2021 par la société à responsabilité limitée (CC) SARL, une société spécialisée dans la ferronnerie et sollicitée par la demanderesse pour procéder à la galvanisation à chaud de 585,20 kilogrammes de fer. Or, cette version des faits selon laquelle la demanderesse aurait en premier lieu fait appel à une société spécialisée dans la galvanisation à chaud du fer contredit non seulement le bon sens en l’absence d’acquisition préalable d’un métal pouvant, le cas échéant, nécessiter un tel processus, mais se trouve également réfutée par les factures versées par la demanderesse à l’appui de sa demande de paiement du 8 novembre 2022, dont seule celle du 19 janvier 2021 a effectivement trait à l’acquisition de plusieurs centaines de kilos de fer ayant pu, en l’occurrence, justifier l’appel à une société spécialisée dans la galvanisation à chaud du fer.

Dans ces circonstances, l’affirmation de la demanderesse suivant laquelle la facture litigieuse du 19 janvier 2021 ne serait pas en lien avec le projet d’investissement subventionné reste à l’état de pure allégation, voire n’est pas contredite par les éléments du dossier. Aucun reproche ne saurait dès lors être adressé au ministre pour avoir considéré qu’au jour de l’introduction de la demande d’aide relative au projet d’investissement, la première facture ayant trait à l’investissement projeté avait déjà été émise et que, dès lors, la demanderesse avait déjà réalisé l’investissement au sens des dispositions précitées. C’est dès lors également a priori à bon escient que le ministre a refusé de faire droit à sa demande de paiement du 8 novembre 2022.

Il s’ensuit que le moyen de la demanderesse tiré de la violation des dispositions légale et réglementaire en question est à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne, dans ce même contexte, les moyens tirés d’une violation du principe de légalité et du principe général de droit « Patere legem quam ipse fecisti », force est au tribunal de constater que la demanderesse reste en défaut d’expliquer en quoi ces principes auraient en l’occurrence été violés par le ministre. Ces moyens encourent partant le rejet pour être simplement suggérés, étant donné qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de la demanderesse en recherchant lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions.

S’agissant ensuite du moyen ayant trait à une violation du principe de bonne administration, il convient tout d’abord de rappeler que le principe général de confiance légitime ainsi invoqué par la demanderesse s’apparente au principe de la sécurité juridique et a été consacré tant par la jurisprudence communautaire en tant que principe du droit communautaire10, que par la jurisprudence nationale en tant que principe général du droit.

9 ERGEC R. et DELAPORTE F., Le contentieux administratif en droit luxembourgeois, Pas. adm. 2024, n° 25.

10 V. notamment CJUE 5 juin 1973, aff. 81/72, Commission c/ Conseil.

8Ce principe général du droit tend à ce que les règles juridiques ainsi que l’activité administrative soient empreintes de clarté et de prévisibilité, de manière à ce qu’un administré puisse s’attendre à un comportement cohérent et constant de la part de l’administration dans l’application d’un même texte de l’ordonnancement juridique par rapport à une même situation administrative qui est la sienne.

En vertu de ce principe, l’administré peut exiger de l’autorité administrative qu’elle se conforme à une attitude qu’elle a suivie dans le passé, ce principe garantissant la protection de l’administré contre les changements brusques et imprévisibles de l’attitude de l’administration.

D’une manière générale, un administré ne peut toutefois prétendre au respect d’un droit acquis que si, au-delà de ses expectatives, justifiées ou non, l’autorité administrative a créé à son profit une situation administrative acquise et réellement reconnu ou créé un droit subjectif dans son chef. Ce n’est qu’à cette condition que peut naître dans le chef d’un administré la confiance légitime que l’administration respectera la situation par elle créée, les deux notions de droits acquis et de légitime confiance étant voisines.

En l’espèce, dans la mesure où le paiement ultérieur de l’aide relative au projet d’investissement est conditionné au respect des conditions légales en vigueur – dont, entre autres, celle de l’antériorité de la demande d’aide relative au projet d’investissement par rapport à sa réalisation –, tel que rappelé d’ailleurs explicitement par le ministre dans sa décision ministérielle du 30 juin 2021, celle-ci n’a pas donné lieu à la création dans le chef de la demanderesse d’un droit acquis quant au paiement effectif de l’aide allouée, ni n’a-t-elle raisonnablement pu inspirer chez la demanderesse le sentiment qu’un tel droit avait été créé en sa faveur, de sorte que le ministre n’a pas contrevenu, à travers sa décision déférée du 20 décembre 2022, telle que confirmée par décision du 14 juin 2023, aux principes de bonne administration visés par la demanderesse. Ce moyen encourt partant également le rejet.

Quant aux moyens tirés de l’erreur manifeste d’appréciation et de la méconnaissance du principe général du droit de proportionnalité, il convient de relever que ces moyens reposent sur la prémisse ci-avant rejetée par le tribunal que la facture litigieuse du 19 janvier 2021 se serait glissée par erreur parmi les autres factures annexées à la demande de paiement, de sorte que c’est sur base des mêmes considérations qu’ils encourent nécessairement le rejet pour manquer de fondement.

En ce qui concerne, enfin, le reproche fait au ministre d’avoir violé le principe général de droit de l’exercice effectif du pouvoir d’appréciation, et plus précisément, de ne pas avoir exercé le pouvoir d’appréciation lui confié « avec minutie ou soin », en omettant notamment de vérifier l’accomplissement par la demanderesse des conditions d’octroi d’aides financières prévues par la loi avant de prendre sa décision du 30 juin 2021 en vertu de laquelle il lui a accordé un taux d’aide à concurrence de 25 pour-cent du coût total d’investissement projeté, force est de relever que ce n’était, en toute logique, qu’au plus tôt au stade de l’introduction par la demanderesse de la demande de paiement en date du 8 novembre 2022, factures à l’appui, que le ministre pouvait procéder à la vérification de l’accomplissement de la condition tenant à l’antériorité de l’introduction de la demande d’aide relative au projet d’investissement par rapport à sa réalisation, conformément aux articles 9, paragraphe (1), point g) de la loi du 27 juin 2016 et 13, paragraphe (3), deuxième tiret du règlement grand-ducal du 23 juillet 2016, de sorte que ce moyen laisse également d’être fondé.

Eu égard aux développements faits ci-avant, le tribunal retient que les décisions 9ministérielles déférées, par lesquelles le ministre a refusé de faire droit à la demande de paiement introduite par la demanderesse en date du 8 novembre 2022, ne sont pas sujettes à critique.

Cette conclusion n’est pas énervée par le fait que le ministre s’est erronément basé, dans sa décision du 20 décembre 2022, sur l’article 3 paragraphe (1), point g) de la loi du 27 juin 2016 au lieu de l’article 9, paragraphe (1), point f) de la même loi. Au-delà du constat que la demanderesse n’en tire aucune conclusion en droit, cette erreur purement matérielle ne porte en l’occurrence de toute façon pas à conséquence au regard du libellé identique de ces dispositions.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, le recours sous analyse est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

La demanderesse sollicite encore l’octroi d’une indemnité de procédure de 2.500 euros, sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, aux termes duquel « Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine. ».

Cette demande est cependant à rejeter au vu de l’issue du litige.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

déboute la demanderesse de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, vice-président, Melvin Roth, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 12 juin 2025 par le vice-président Alexandra Castegnaro, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 49403
Date de la décision : 12/06/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-06-12;49403 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award