Tribunal administratif N° 48776 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48776 2e chambre Inscrit le 4 avril 2023 Audience publique du 12 juin 2025 Recours formé par la société à responsabilité limitée simplifiée (AA) SARL-S, …, contre une décision du ministre des Classes moyennes, en matière d’autorisation d’établissement
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 48776 du rôle et déposée le 4 avril 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Anne PAUL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée simplifiée (AA) SARL-S, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, dirigée contre une décision du ministre des Classes moyennes du 4 janvier 2023 ayant révoqué l’autorisation d’établissement délivrée le 14 juin 2017 et portant le numéro … ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 juillet 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment l’acte déféré ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST en sa plaidoirie à l’audience publique du 3 mars 2025.
Par courrier du 2 septembre 2022, le ministre des Classes moyennes, ci-après dénommé « le ministre », informa la société à responsabilité limitée simplifiée (AA) SARL-S, désignée ci-après par « la société (AA) », qu’il envisageait de révoquer l’autorisation d’établissement délivrée le 14 juin 2017 et portant le numéro …. Ledit courrier fut libellé dans les termes suivants :
« […] Suite à un courrier du Centre Commun de la Sécurité Sociale, m'informant d'arriérés systématiques concernant le règlement de vos cotisations sociales (société et compte cotisant personnel), j'aimerais d'emblée vous rappeler que la loi modifiée d'établissement du 2 septembre 2011 prévoit à l'article 4.4 comme suit:
« Art.4. L'entreprise qui exerce une activité visée à la présente loi désigne au moins une personne physique, le dirigeant, qui:
4. ne s'est pas soustrait aux charges sociales et fiscales, soit en nom propre, soit par l'intermédiaire d'une société qu'il dirige ou a dirigée. » Dans ces conditions, je vous saurais gré de bien vouloir vous mettre en rapport avec cet organisme et de me faire parvenir soit une attestation certifiant que tous les arriérés ont 1été payés soit la preuve d'un arrangement transactionnel déterminant un plan de remboursement de ces arriérés.
A défaut de régularisation de la situation endéans un mois, je me verrai malheureusement contraint d'ouvrir une procédure de révocation de l'autorisation sous rubrique, conformément à l'article 28 (3) de la loi modifiée d'établissement du 2 septembre 2011.
A toutes fins utiles, je vous signale que les virements, versements ou extrait bancaires ne sont pas acceptés, seul une attestation du CCSS ou un plan d'apurement dûment accepté par l'administration concernée peut arrêter la procédure de révocation. […] ».
Par courrier du 7 octobre 2022, le ministre s’adressa à la société (AA) en les termes suivants :
« […] Je reviens par la présente au dossier référencé sous rubrique, qui a entre-temps fait l’objet de l’instruction administrative prévue à l’article 28 de la loi modifiée d’établissement du 2 septembre 2011.
Le résultat m’amène à vous informer qu’à défaut de réponse au courrier ministériel du 2 septembre 2022 et en l’absence de la présentation de la preuve de la régularisation de vos obligations sociales (société et compte cotisant personnel) à l’issue du délai consenti pour ce faire, j’ai l’intention de procéder à la révocation de l’autorisation sous rubrique, conformément aux dispositions des articles 4 et 28 (3) de la loi modifiée d’établissement du 2 septembre 2011.
Par conséquent et conformément aux dispositions du règlement du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’État et des Communes, vous disposez d’un délai de 8 jours à partir de la réception de la présente pour présenter d’éventuelles observations ou demander à être entendu(e) en personne. […] ».
Par décision du 4 janvier 2023, le ministre révoqua l’autorisation d’établissement portant le numéro … et ayant été délivrée le 14 juin 2017 à la société (AA). La décision du ministre fut libellée comme suit :
« […] Par la présente, j'ai l'honneur de me référer à votre autorisation susmentionnée.
En raison de l'absence de la présentation de la preuve de la régularisation de votre situation en ce qui concerne vos obligations sociales et à défaut de réponse aux courriers ministériels des 2 septembre et 7 octobre 2022, je révoque par la présente l'autorisation no … délivrée en date du 14 juin 2017, conformément aux dispositions des articles 28 (3) et 6 de la loi modifiée d'établissement du 2 septembre 2011.
Je vous prie dans ces conditions de remettre l'autorisation en question dans les meilleurs délais à mes services. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 avril 2023, la société (AA) a fait introduire un recours dirigé contre la décision, précitée, du ministre du 4 janvier 2023.
2Par courrier du 23 mai 2023, Maître Anne PAUL a informé le tribunal administratif qu’elle avait déposé son mandat dans l’affaire introduite par ses soins.
Le 24 mai 2023, un courrier simple a été envoyé à la société (AA) par les soins du greffe du tribunal administratif afin de l’informer que, suite au dépôt de mandat de son litismandataire, elle devait confier la défense de ses intérêts à un autre avocat à la Cour et qu’à défaut d’instruction de sa part, son recours risquait d’être rejeté pour défaut d’intérêt à agir.
Suite à un entretien téléphonique du 9 juin 2023, un courrier électronique a été envoyé, en date du même jour, par les soins du greffe du tribunal administratif à la société (AA) afin de s’enquérir sur les suites qu’elle entendait réserver au recours qu’elle avait fait introduire.
Le 19 octobre 2023, un courrier électronique a été envoyé à la société (AA) par les soins du greffe du tribunal administratif afin de s’enquérir de nouveau auprès de celle-ci concernant les suites qu’elle entendait réserver au recours qu’elle avait fait introduire, tout en l’informant que son affaire était appelée pour fixation à l’audience publique du 9 novembre 2023.
Le 12 février 2025, un courrier recommandé avec avis de réception a été envoyé à la société (AA) par les soins du greffe du tribunal administratif afin de l’informer une nouvelle fois que, suite au dépôt de mandat de son litismandataire, elle devait confier la défense de ses intérêts à un autre avocat à la Cour et que son affaire était fixée pour plaidoiries au 3 mars 2025, en tirant une nouvelle fois son attention sur le fait qu’à défaut d’instruction de sa part, son recours risquait d’être rejeté pour défaut d’intérêt à agir.
A l’audience publique du 3 mars 2025, et au vu du constat que le tribunal n’avait toujours aucune nouvelle de la société (AA) et qu’aucun nouvel avocat ne s’était constitué pour la représenter, le tribunal a soulevé d’office la question du maintien de l’intérêt à agir de la société (AA), conformément à l’article 30 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », l’intérêt à agir conditionnant la recevabilité d’une demande s’analysant en effet en question d’ordre public1.
Le délégué du gouvernement s’est rapporté à prudence de justice quant au moyen d’irrecevabilité ainsi soulevé.
Le tribunal relève que, si stricto sensu l’intérêt à agir est à apprécier au moment de l’introduction du recours, il n’en reste pas moins que le maintien d’un intérêt à agir, ou plus précisément d’un intérêt à poursuivre une action doit être vérifié au jour du jugement2 sous peine de vider ce dernier de tout effet utile, les juridictions administratives n’ayant pas été instituées pour procurer aux plaideurs des satisfactions purement platoniques ou leur fournir des consultations3, ainsi que sous peine, le cas échéant, outre d’encombrer le rôle des juridictions administratives, d’entraver la bonne marche des services publics en imposant à l’autorité compétente de se justifier inutilement devant les juridictions administratives et en exposant, le cas échéant, ses décisions à la sanction de l’annulation ou de la réformation sans 1 Cour adm., 29 mai 2008, n° 23728C du rôle, Pas. adm. 2024, Procédure contentieuse, n° 5 et les autres références y citées.
2 LEROY M., Contentieux administratif, 3e édition, p. 494.
3 Trib. adm., 14 janvier 2009, n° 22029 du rôle, Pas. adm. 2024, Procédure contentieuse, n° 71 et les autres références y citées.
3que l’administré ayant initialement introduit le recours ne soit encore intéressé par l’issue de ce dernier.
Or, la première personne à pouvoir justifier s’il existe effectivement dans son chef un intérêt concret et personnel suffisant pour intenter un procès et pour le poursuivre ensuite, est le justiciable lui-même qui a saisi le tribunal administratif d’une demande : non seulement, il estime qu’il a été porté atteinte à ses droits ou que ses intérêts ont été lésés, mais il considère que le redressement qu’il espère obtenir au moyen d’une décision juridictionnelle apportera à sa situation une amélioration qui compense les frais et les désagréments inhérents à un procès.
La volonté du justiciable, manifestée par l’introduction d’une demande en justice, de défendre ce qu’il considère comme un intérêt le concernant est donc le premier élément qui est nécessaire pour rendre possible la constatation que ce justiciable justifie effectivement de l’intérêt concret et personnel requis en droit pour être recevable à intenter un procès.
Si cette volonté vient à disparaître en cours de procès, il n’est potentiellement plus satisfait à la condition qui doit être remplie en tout premier lieu pour que l’on puisse admettre que la partie litigante conserve effectivement un intérêt concret et personnel à faire statuer sur la demande qu’elle a introduite. Cette première condition n’étant plus remplie, il y a lieu d’en conclure que le recours n’est plus recevable en raison de la disparition de l’intérêt requis en droit.
Or, le défaut de volonté de maintenir une demande peut résulter de la persistance avec laquelle le justiciable s’abstient de toute marque d’intérêt pour le déroulement du procès qu’il a engagé4. Cette absence de toute marque d’intérêt constitue dès lors un motif suffisant pour décider que l’intérêt requis en droit pour obtenir une décision sur la demande n’existe plus et qu’à défaut de cet intérêt, le recours doit être rejeté comme n’étant plus recevable.
En l’espèce, force est tout d’abord de rappeler que le litismandataire ayant introduit le recours sous analyse, au nom et pour compte de la société (AA), a informé le tribunal en date du 23 mai 2023 qu’il a déposé son mandat dans cette affaire. Il n’y a toutefois pas eu de reprise de mandat, ni de constitution de nouvel avocat en conformité avec les articles 5, paragraphe (5) et 10 de la loi du 21 juin 1999, malgré le courrier simple envoyé le 25 mai 2023, le courrier électronique du 19 octobre 2023 et le courrier recommandé avec accusé de réception notifié à la société (AA) le 13 février 2025, par lesquels le greffe du tribunal administratif a invité celle-
ci à confier la défense de ses intérêts dans les meilleurs délais à un autre avocat, faute de quoi elle risquerait de voir rejeté son recours pour défaut d’intérêt et malgré le courrier électronique du 9 juin 2023, par lequel le greffe du tribunal s’est enquis auprès de la société en question en vue de connaître les suites que celle-ci entendait réserver au recours qu’elle avait fait introduire et lui communiquant encore la date de fixation de son affaire.
Au regard des considérations qui précèdent, il doit être admis que suite au dépôt de mandat de son litismandataire le 23 mai 2023, la société (AA) n’a pas témoigné le moindre intérêt pour le déroulement et le maintien de l’instance qu’elle a mue par sa requête du 4 avril 2023, notamment en se présentant ou en se faisant représenter à l’audience des plaidoiries ou tout simplement en se renseignant auprès du greffe du tribunal administratif des démarches à entreprendre suite au dépôt de mandat de son litismandataire, respectivement en répondant aux courriers lui adressés par le greffe du tribunal administratif.
4 Voir notamment Conseil d’Etat belge, 6 avril 1982, n° 22183.
4Il convient dès lors de rejeter le recours pour perte d’un intérêt à agir.
Dans la mesure où l’avocat constitué a, en l’espèce, déposé son mandat après que la requête introductive d’instance ait été introduite pour compte du destinataire de l’acte déféré, le présent jugement est néanmoins rendu contradictoirement entre parties5.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
rejette le recours ;
condamne la société demanderesse aux frais et dépens.
Ainsi jugé par:
Alexandra Bochet, vice-président, Caroline Weyland, premier juge, Melvin Roth, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 12 juin 2025 par le vice-président en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Bochet 5 En ce sens : trib. adm. 24 janvier 2000, n° 11558 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 1022 (2e volet) et les autres références y citées.