Tribunal administratif N° 52856 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52856 1re chambre Inscrit le 14 mai 2025 Audience publique du 11 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4) L.18.12.2015)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52856 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 mai 2025 par Maître Lukman ANDIC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Érythrée) et être de nationalité érythréenne, connu sous différents alias, actuellement assigné à résidence à la maison retour, sise à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 29 avril 2025 de le transférer vers la France comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 22 mai 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO en sa plaidoirie à l’audience publique du 2 juin 2025.
Le 17 janvier 2025, Monsieur (A), connu sous différents alias, ci-après désigné par « Monsieur (A) », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Une recherche effectuée à la même date par les autorités luxembourgeoises dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur (A) avait irrégulièrement franchi la frontière grecque en date du 2 octobre 2024 et avait introduit une demande de protection internationale en Grèce en date du 9 octobre 2024.
1 En date du 20 janvier 2025, les autorités luxembourgeoises soumirent à leurs homologues grecs une demande d’information sur base de l’article 34 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Par courrier du 27 février 2025, les autorités grecques informèrent les autorités luxembourgeoises que Monsieur (A) avait été transféré vers la France dans le cadre d’un programme de relocalisation en date du 10 janvier 2025.
En date du 14 mars 2025, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues français une demande de reprise en charge de Monsieur (A) basée sur l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III.
Par courrier du 14 avril 2025, les autorités françaises informèrent les autorités luxembourgeoises de leur acceptation de la reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III.
Par décision du 29 avril 2025, notifiée à l’intéressé en mains propres le lendemain, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », informa Monsieur (A) que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers la France sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :
« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 17 janvier 2025 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)b du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la France qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains le rapport de Police Judiciaire du 17 janvier 2025 établi dans le cadre de votre demande de protection internationale.
1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 17 janvier 2025, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.
La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez irrégulièrement franchi la frontière grecque en date du 2 octobre 2024 2 et que vous avez introduit une demande de protection internationale en Grèce en date du 9 octobre 2024. Il résulte d'ailleurs de nos recherches supplémentaires que les autorités grecques vous ont transféré vers la France dans le cadre d'un programme de relocalisation en date du 10 janvier 2025.
Sur base des informations à notre disposition, une demande de reprise en charge en vertu de l'article 18(1)b du règlement DIII a été adressée aux autorités françaises en date du 14 mars 2025, demande qui fut acceptée par lesdites autorités françaises en date du 14 avril 2025.
2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.
Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point b) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.
Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).
3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection que vous avez irrégulièrement franchi la frontière grecque en date du 2 octobre 2024 et que vous avez introduit une demande de protection internationale en Grèce en date du 9 octobre 2024. Il ressort également de ces recherches que les autorités grecques vous ont transféré vers la France dans le cadre d'un programme de relocalisation en date du 10 janvier 2025.
3 Selon vos déclarations auprès du Service de Police judiciaire, vous auriez quitté votre pays d'origine en juin 2015 vers l'Ethiopie. Vous y seriez resté pendant six semaines avant de rejoindre le Soudan du Sud où vous auriez vécu pendant neuf ans. Lors de votre séjour au Soudan du Sud, vous auriez pris un vol vers le Qatar où vous avez introduit une demande de visa auprès de l'ambassade de l'Espagne à Doha. Vous seriez resté au Qatar pendant trois mois, cependant votre demande de visa a ultimement été refusée. Vous seriez ensuite retourné au Soudan du Sud avant de vous rendre en Ouganda en date du 1er août 2024. Après environ trois semaines là -bas, vous auriez décidé de rejoindre la Turquie en avion muni d'un passeport éthiopien obtenu par un passeur. Après deux semaines en Turquie, vous seriez monté à bord d'un bateau en direction de la Grèce où vous auriez dû laisser vos empreintes à votre arrivée.
Selon vos déclarations, vous seriez resté en Grèce pendant quatre mois avant de rejoindre l'Italie en avion en utilisant un passeport italien reçu d'un passeur. Après une nuit à Milan, vous auriez pris un train afin de rejoindre la France où vous seriez resté pendant trois jours.
Finalement, vous auriez décidé de vous rendre au Luxembourg où vous seriez arrivé en train, le 12 janvier 2025.
Une demande d'informations auprès des autorités grecques a finalement révélé que, contrairement à vos déclarations auprès du Service de Police judiciaire, vous avez en effet fait l'objet d'un transfert de la Grèce vers la France dans le cadre d'un programme de relocalisation.
Lors de votre entretien de Police Judiciaire du 17 janvier 2025, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la France qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Rappelons à cet égard que la France est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).
Il y a également lieu de soulever que la France est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Soulignons en outre que la France profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.
Par conséquent, la France est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.
4 Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la France sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires françaises.
Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en France revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.
torture.
Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l'exécution du transfert vers la France, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi en France, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers la France en informant les autorités françaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités françaises n'ont pas été constatées. (…) ».
5 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 mai 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle, précitée, du 29 avril 2025.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation introduit en l’espèce, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Prétentions des parties A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée.
Il conteste dans un premier temps la compétence de principe de la France pour connaître de sa demande de protection internationale. Il cite dans ce contexte les articles 23, 24 et 25 du règlement Dublin III tout en soulignant que le dossier administratif lui transmis par le ministère ne comporterait ni de décision de transfert de la Grèce vers la France, ni de demande de protection internationale en France, ni d’élément de nature à établir qu’il aurait donné ses empreintes digitales en France, ni de demande de reprise en charge adressée aux autorités françaises, ni d’acceptation de la demande de reprise en charge par les autorités françaises. Le demandeur en conclut que le ministre aurait méconnu les règles régissant la procédure de reprise en charge.
Il conclut ensuite à une violation de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III.
Il reproche dans ce contexte au ministre de s’être abstenu d’examiner de manière rigoureuse et approfondie la situation prévalant en France. Monsieur (A) s’empare de plusieurs arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », et de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », et soumet à l’appréciation du tribunal un arrêt du Conseil du contentieux des étrangers belge du 19 mars 2024. Il en conclut que la France ne serait pas à considérer comme un pays sûr pour les demandeurs de protection internationale au seul motif d’avoir ratifié différentes conventions internationales prohibant des actes de traitements inhumains et dégradants.
En soutenant que si des rapports et articles de presse faisaient état d’une situation problématique dans un Etat membre, les autorités nationales chargées de l’examen de la demande de protection internationale auraient l’obligation de s’assurer que les droits fondamentaux ne soient pas mis à mal dans l’Etat membre responsable et ne pourraient pas se contenter de constater que le demandeur ne démontre pas lui-même le risque de traitement inhumain et dégradant. Il soutient que la CourEDH aurait eu l’occasion de retenir que la situation de dénuement dans laquelle se serait trouvé un demandeur de protection internationale resté plusieurs mois dans l’incapacité à répondre à ses besoins les plus élémentaires, à savoir se nourrir, se laver et se loger et dans l’absence de perspective de voir sa situation s’améliorer combinée à l’inertie des autorités compétentes en matière d’asile seraient constitutives d’une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ».
6 Il donne ensuite à considérer que dans la mesure où il n’aurait été que « de passage en France », il ne saurait être exigé de lui de rapporter la preuve d’avoir subi des « mauvais traitements », d’autant plus que l’article 3 du règlement Dublin III emploierait le terme de « risque », de sorte à laisser supposer que ce risque ne se soit pas réalisé.
Monsieur (A) se prévaut ensuite d’une violation isolée de l’article 3 de la CEDH en se référant à des arrêts de la CourEDH et à des analyses statistiques qui auraient révélé que la France rencontrerait des difficultés à accueillir les réfugiés et ne serait matériellement plus en capacité d’accueillir les demandeurs de protection internationale dans des conditions satisfaisantes.
Le demandeur conclut finalement à une violation de l’article 13 de la CEDH en faisant valoir qu’il appartiendrait aux juges nationaux d’apprécier si les éléments de preuve produits par le demandeur avaient été examinés par les autorités nationales. Il précise à cet égard que les juges nationaux devraient faire un double contrôle de la décision de transfert consistant, d’un côté, en un contrôle de la situation de droit et de fait prévalant dans l’Etat membre requis, et, d’un autre côté, en un contrôle de l’application des critères de détermination de l’Etat membre responsable avec l’option de prononcer la suspension de ladite décision de transfert.
Il critique dans ce contexte le fait que le ministre ne se serait pas livré à un examen approfondi de la situation en France, mais se serait borné à affirmer que ledit Etat membre serait présumé respecter les dispositions de la CEDH et de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève ».
Il donne à considérer que la France présenterait actuellement une instabilité gouvernementale et que le ministre de l’Intérieur aurait pris des mesures visant à restreindre l’accueil des demandeurs de protection internationale afin de limiter l’immigration en France.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Appréciation du tribunal L’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que : « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
L’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités françaises pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur (A) prévoit que « L’État membre 7 responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (…) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. ».
Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui où le demandeur a déposé une demande de protection internationale qui est toujours en cours d’examen.
Il est constant en l’espèce que la décision litigieuse a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, au motif que ce ne serait pas le Luxembourg qui serait compétent pour le traitement de la demande de protection internationale introduite par le demandeur, mais la France.
Il ressort du dossier administratif et plus particulièrement du résultat des recherches effectuées le 17 janvier 2025 dans la base de données EURODAC que Monsieur (A) est entré irrégulièrement en Grèce en date du 2 octobre 2024 et qu'il y a introduit une demande de protection internationale en date du 9 octobre 2024. Il ressort également du dossier administratif que les autorités grecques ont informé les autorités luxembourgeoises par courrier du 27 février 2025 que le demandeur avait, dans le cadre d'un programme de relocalisation, fait l'objet d'un transfert de la Grèce vers la France en date du 10 janvier 2025.
Il est également constant en cause que les autorités françaises ont formellement accepté la reprise en charge du demandeur en date du 14 avril 2025 sur base de l'article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, de sorte que c'est a priori à bon droit que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers la France et de ne pas examiner sa demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
Or, s’il est vrai que le demandeur n’a pas introduit de demande de protection internationale en France, il n’en reste pas moins qu’il ressort du dossier administratif et plus particulièrement du courrier des autorités grecques du 27 février 2025 qu’il avait fait l’objet d’un transfert vers la France dans le cadre d’un programme de relocalisation consistant en une mesure de solidarité européenne pour soutenir les pays de l’Union européenne confrontés à un flux important de demandeurs de protection internationale et de réfugiés, de sorte que la France a accepté sa responsabilité pour connaître de la demande de protection internationale du demandeur.
Si le demandeur n’a pas entamé les démarches administratives qui s’imposent pour l’introduction de sa demande de protection internationale en France, cette seule circonstance ne saurait conduire à l’incompétence de la France, voire à la compétence du Luxembourg, étant encore relevé que contrairement aux affirmations du demandeur, la demande de reprise en charge adressée aux autorités françaises en date du 14 mars 2025, ainsi que l'acceptation de reprise en charge en date du 14 avril 2025, figurent dans le dossier administratif.
Il s'ensuit que la compétence des autorités françaises pour reprendre en charge le demandeur est établie et que le moyen afférent du demandeur encourt le rejet.
8 C’est dès lors a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers la France et de ne pas examiner sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg.
Le demandeur reproche au ministre d’avoir décidé de le transférer vers la France, en violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ainsi que des articles 3 et 13 de la CEDH.
Les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte de droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par la « Charte », auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.
L’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III n’ayant pas été invoqué par le demandeur, le tribunal ne procédera pas à son examen.
S’agissant des moyens ayant trait à une violation des articles 3, paragraphe (2) du règlement Dublin et 3 de la CEDH, le tribunal rappelle que l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III prévoit ce qui suit : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».
Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.
La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé1.
1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.
9 A cet égard, le tribunal relève que la France est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3.
Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable-
que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4. Dans son arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile5, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.
Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives6, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE7, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au 2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-
493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., pt. 78.
3 Ibidem, pt. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur ww.jurad.etat.lu.
4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.
5 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.
6 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.jurad.etat.lu.
7 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, pt. 62.
10 sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20178.
Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 20199 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, précité, du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine10. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant11.
Dans ce contexte, le tribunal constate que le demandeur se réfère dans son recours à une publication de Forum réfugiés, intitulée « Asile : une analyse statistique confirme les limites du système d’accueil », et affirme que des analyses statistiques auraient permis de mettre en lumière les difficultés rencontrées par la France à accueillir les demandeurs de protection internationale. Si, certes, ladite publication relate des problèmes ponctuels affectant le système d'accueil en France, elle ne permet toutefois pas de conclure que les conditions matérielles d'accueil des demandeurs de protection internationale en France soient caractérisées par des carences structurelles d'une ampleur telle qu'il y aurait lieu de conclure d'emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d'espèce, à l'existence de risques suffisamment réels et concrets, pour tout demandeur de protection internationale, d'être systématiquement exposé à une situation de précarité et de dénuement matériel et psychologique, au point que tout transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l'article 3 de la CEDH et par l'article 4 de la Charte.
L’affirmation du demandeur selon laquelle la France serait un pays présentant une instabilité gouvernementale et viserait à restreindre l’immigration n’est, à défaut de précision et d’un quelconque élément de preuve, pas non plus de nature à établir l’existence de défaillances systématiques dans la procédure d’asile française.
S’agissant de la référence faite par le demandeur à l'arrêt de la CourEDH du 2 juillet 2020 dans l'affaire N.H. et autres c. France, force est de constater que si cet arrêt fait certes état de difficultés ponctuelles, limitées à deux régions spécifiques, au niveau de la procédure d'asile et des conditions d'accueil en France, il ne permet cependant pas de constater qu'il existe actuellement et de manière générale en France des défaillances systémiques dans le système 8 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.
9 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.
91.
10 Ibidem, pt. 92.
11 Ibidem, pt. 93.
11 d'accueil français empêchant tout transfert de demandeurs d'asile vers la France, étant encore relevé que la problématique dont était saisie la CourEDH tournait essentiellement autour du primo-accueil des migrants, de sorte à être en tout état de cause étrangère à la situation concrète de reprise en charge du demandeur dans le cadre du règlement Dublin III.
Par ailleurs, le tribunal relève que le demandeur, qui n’était, par ailleurs, que « de passage » en France pendant trois jours, de sorte à ne pas pouvoir se prévaloir du fait d’avoir personnellement subi des défaillances systémiques, n’invoque aucune jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers la France, voire une demande en ce sens de la part du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, ci-
après désigné par « UNHCR ». Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers la France dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile française qui exposerait les personnes concernées à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que le demandeur n’a pas rapporté la preuve de l’existence, en France, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays.
Cependant, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable12.
Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte13, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant14.
En l’espèce, le tribunal constate que Monsieur (A) ne prouve pas que, personnellement et concrètement, ses droits n’auraient pas été respectés lors de son bref séjour en France, respectivement qu’ils n’y seraient pas garantis sans possibilité de les faire valoir en cas de transfert en France. A ce titre, le tribunal constate, au contraire, que le demandeur expose être 12 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12, pt. 103 ; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.
13 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, pts. 65 et 96.
14 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, n° C-163/17, pt. 88.
12 resté en France pendant trois jours avant de se rendre au Luxembourg, sans solliciter une quelconque aide ou protection auprès des autorités françaises.
Le demandeur n’a pas non plus avancé des éléments suffisamment concrets et plausibles tenant à sa situation personnelle de nature à démontrer qu’en cas de transfert, il serait personnellement exposé au risque que ses besoins existentiels minimaux ne soient pas satisfaits et ce, de manière durable, sans perspective d’amélioration, au point qu’il aurait fallu renoncer à son transfert ou bien demander des garanties individuelles auprès des autorités françaises avant de le transférer.
Il convient, par ailleurs, de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’asile français est à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités françaises en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates. Il en va de même si le demandeur devait estimer que le système d’accueil et d’aide français n’était pas conforme aux normes européennes.
Il suit des considérations qui précèdent que l’argumentation du demandeur ayant trait à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile française au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, respectivement à l’existence, dans son chef, d’un risque de subir des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 3 de la CEDH, en cas de transfert vers la France, est à rejeter dans son ensemble.
S’agissant enfin du moyen ayant trait à une violation de l’article 13 de la CEDH, aux termes duquel « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. », le tribunal constate, à l’instar du délégué du gouvernement, que le demandeur reste en défaut d’avancer concrètement en quoi son droit à un recours effectif aurait été violé, voire même quel droit ou quelle liberté reconnus par la CEDH auraient été violés soit par les autorités luxembourgeoises, soit par les autorités françaises.
Le moyen afférent est dès lors rejeté.
Au vu des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, le recours est à rejeter pour être non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
13 Ainsi jugé par :
Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Annemarie THEIS, premier juge, et prononcé à l’audience publique du 11 juin 2025 par le vice-président Daniel Weber en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Daniel WEBER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 14