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11/06/2025 | LUXEMBOURG | N°50493

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 juin 2025, 50493


Tribunal administratif N° 50493 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:50493 3e chambre Inscrit le 22 mai 2024 Audience publique du 11 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), sans adresse connue, contre des décisions du ministre des Affaires intérieures, en matière de protection temporaire et de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50493 du rôle et déposée le 22 mai 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Max LENERS, av

ocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de ...

Tribunal administratif N° 50493 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:50493 3e chambre Inscrit le 22 mai 2024 Audience publique du 11 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), sans adresse connue, contre des décisions du ministre des Affaires intérieures, en matière de protection temporaire et de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50493 du rôle et déposée le 22 mai 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Max LENERS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Guinée), de nationalité guinéenne, sans adresse connue, élisant domicile en l’étude de Maître Max LENERS, sise à L-1631 Luxembourg, 15, rue Glesener, tendant à l’annulation 1) d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 22 février 2024 portant refus de lui accorder la protection temporaire, ainsi que 2) d’une décision séparée du même jour du même ministre déclarant son séjour irrégulier et portant ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours dans son chef ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 août 2024 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 23 août 2024 par Maître Max LENERS, pour le compte de son mandant, préqualifié ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 octobre 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Vyacheslav PEREDERIY en sa plaidoirie à l’audience publique du 4 mars 2025, Maître Max LENERS s’étant excusé.

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Le 15 février 2024, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection temporaire au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », suite à la décision d’exécution (UE) 2022/382 du Conseil de l’Union européenne du 4 mars 2022 constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire, ci-après désignée par « la décision du Conseil du 4 mars 2022 ».Ses déclarations sur son identité furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée, dans un rapport du même jour.

Toujours le même jour, il remplit un questionnaire en relation avec sa demande de protection temporaire.

Par décision du 22 février 2024, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur (A) du rejet de sa demande de protection temporaire dans les termes suivants :

« […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection temporaire que vous avez introduite le 15 février 2024.

Par la décision d'exécution 2022/382 du 4 mars 2022, le Conseil de l'Union européenne a décidé de déclencher le mécanisme de la protection temporaire afin de permettre aux ressortissants ukrainiens, aux personnes bénéficiant d'une protection internationale ou d'une protection nationale équivalente en Ukraine ainsi qu'à leurs membres de famille, aux apatrides et aux ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine, qui peuvent établir qu'ils étaient en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022 sur base d'un titre de séjour permanent ou temporaire en cours de validité délivré conformément au droit ukrainien, et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou leur région d'origine dans des conditions sûres et durables de s'établir temporairement au sein de l'Union européenne en raison de l'invasion militaire russe en Ukraine.

Je suis cependant dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande alors que vous ne remplissez pas les conditions prévues par les textes en vigueur.

En effet, il s'avère que l'article 2 de la décision d'exécution 2022/382 prévoit que deux conditions cumulatives doivent être remplies dans le chef de ressortissants de pays tiers ayant vécu en Ukraine.

Quant à la première condition ayant trait au séjour régulier en Ukraine au moment du début du conflit, il échet de noter que vous n'êtes pas en possession d'un titre de séjour temporaire ou permanent. Force est dès lors de constater que vous n'étiez pas en séjour régulier en Ukraine au moment de l'invasion de l'Ukraine par les forces russes de sorte que la première des deux conditions pour pouvoir bénéficier de la protection temporaire n'est donc pas remplie. Il convient dès lors de conclure qu'aucune protection temporaire ne saurait vous être accordée.

A cela s'ajoute que la deuxième condition n'est pas non plus remplie dans votre chef alors qu'il convient de constater qu'aucun élément de votre dossier ne permet de conclure que vous ne seriez pas en mesure de retourner dans votre pays d'origine, en l'occurrence le Guinée, dans des conditions sûres et durables.

D'après les informations en ma possession, la Guinée n'est actuellement pas confrontée à une situation de conflit armé ou de violence endémique et au risque grave de violation systématique ou généralisée des droits de l'Homme.

2 De plus, vous n'apportez aucune preuve permettant de conclure que vous présentez, au niveau individuel, un risque aggravé vous empêchant de retourner en Guinée dans des conditions sûres et durables.

Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que vous ne remplissez pas les conditions d'éligibilité relatives aux personnes auxquelles s'applique la protection temporaire telles que retenues par l'article 2 de la décision susmentionnée. […] ».

Le même jour, le ministre prit encore à l’encontre de l’intéressé un arrêté, notifié à celui-ci également le même jour, sur base des articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », pour déclarer son séjour irrégulier, tout en lui ordonnant de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de 30 jours, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et considérations suivants :

« […] Vu les articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la demande de protection temporaire de l’intéressé du 15 février 2024 ;

Vu le refus de la demande de protection temporaire de l’intéressé du 22 février 2024 ;

Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un visa en cours de validité ;

Considérant que l’intéressé ne justifie pas l’objet et les conditions du séjour envisagé ;

Considérant que l’intéressé n’est ni en possession d’une autorisation de séjour valable, ni d’une autorisation de travail […] ».

Par requête déposée le 22 mai 2024, Monsieur (A) a fait introduire un recours en annulation à l’encontre 1) de la décision du ministre du 22 février 2024 portant refus de lui accorder une protection temporaire, ainsi que 2) de l’arrêté du ministre du 22 février 2024 déclarant son séjour irrégulier et portant ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours dans son chef.

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en la présente matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation introduit contre les décisions attaquées, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours et en fait, outre de réitérer les faits et rétroactes exposés ci-

avant, le demandeur explique être de nationalité guinéenne et qu’il serait arrivé en Ukraine en 2001 ensemble avec sa mère, laquelle se serait à cette époque mariée avec un ressortissant ukrainien et qu’il aurait de nouveau quitté ledit pays en date du 24 février 2022.

En droit, après avoir cité les articles 2, point r) et 69 de la loi du 18 décembre 2015 et en se référant à l’article 2, paragraphe (1), point b) de la décision du Conseil du 4 mars 2022, le demandeur fait valoir que les ressortissants d’un pays tiers pourraient se voir octroyer une protection temporaire à condition, d’une part, qu’ils ont bénéficié en Ukraine d’une protection internationale ou d’une protection nationale équivalente avant le 24 février 2022 et, d’autre part, qu’ils sont dans l’impossibilité de rentrer dans leur pays d’origine dans des conditions sûres et durables, et estime qu’il remplirait lesdites conditions cumulatives.

Quant à la condition tenant à son séjour régulier en Ukraine, le demandeur cite le considérant numéro 12 de la décision du Conseil du 4 mars 2022 pour faire valoir qu’il aurait remis un document du département de l’immigration de … aux autorités luxembourgeoises « duquel il dédui[rait] qu’il s’agi[rait] d’un titre de séjour » lequel n’aurait toutefois pas été pris en compte par le ministre, alors que la décision du 22 février 2024 lui refusant l’octroi d’une protection temporaire ne mentionnerait pas ladite pièce, le demandeur estimant que l’absence de prise en compte de celle-ci serait due au fait qu’elle serait en langue ukrainienne.

Il explique à cet égard que, vu la qualité insuffisante dudit document, son mandataire n’aurait pas été en mesure de mandater un traducteur aux fins de le traduire et qu’il serait, de ce fait, lui-même dans l’impossibilité d’en connaître le contenu exact. Tout en se référant à cet égard à la jurisprudence administrative relative à la charge de la preuve en matière de protection internationale, le demandeur conclut qu’il serait « opportun de demander » à la partie étatique d’instruire cette pièce « afin qu’une décision éclairée puisse être prise ».

Quant à la condition relative à l’absence de possibilité dans son chef de retourner dans son pays d’origine dans des conditions sûres et durables, l’intéressé estime que contrairement à l’analyse du ministre, il existerait dans son chef une crainte fondée de ne pas pouvoir retourner en Guinée dans de telles conditions. Il cite à cet égard un extrait d’un rapport de l’organisation non-gouvernementale « Amnesty International », intitulé « Guinea 2023 », duquel il ressortirait que les autorités guinéennes réprimeraient des personnes qui participent à des manifestations politiques, de même qu’un extrait du site internet du ministère de l’Europe et des affaires étrangères français, mis à jour le 5 avril 2024, duquel il ressortirait qu’une dégradation des conditions sécuritaires aurait pu être constatée en Guinée, notamment à Conakry et sa banlieue, où le nombre d’agressions à main armée serait en augmentation, l’intéressé soulignant qu’il ne saurait bénéficier d’une quelconque protection de la part des autorités guinéennes.

Le demandeur conclut dès lors à l’annulation des décision déférées.

Dans son mémoire en réplique, tout en mettant en exergue que la partie étatique omettrait de préciser de quelle recommandation de la Commission européenne il serait question dans son mémoire en réponse, le demandeur présume qu’il s’agirait de la Communication de la Commission européenne du 21 mars 2022 relative aux lignes directrices opérationnelles pour la mise en œuvre de la décision d’exécution 2022/382 du Conseil constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire, désignée ci-

après par « la communication de la Commission européenne du 21 mars 2022 ».

Quant au reproche de la partie étatique qu’il n’aurait versé qu’une photo du document duquel il estime qu’il établirait un titre de séjour ukrainien dans son chef, l’intéressé fait valoir qu’en « droit de l’immigration et des réfugiés » une certaine crédibilité devrait être donnée aux déclarations « d’un demandeur », alors qu’il ne pourrait pas disposer de toutes les pièces nécessaires, notamment en cas de fuite abrupte, de sorte que le bénéfice du doute devrait lui profiter, conformément à la jurisprudence administrative y relative, qui devrait, selon lui, également être appliquée en matière de protection temporaire.

Le demandeur estime qu’en tout état de cause, si les autorités luxembourgeoises seraient d’avis qu’il ne disposerait pas de l’original de son titre de séjour et que la faible qualité de la photo dudit document ne permettrait pas d’en saisir le contenu, il leur aurait appartenu, conformément à la communication de la Commission européenne du 21 mars 2022, decontacter les autorités ukrainiennes pour confirmer son statut de résident en Ukraine avant son départ.

Quant à l’absence de conditions sûres et durables dans lesquelles il pourrait retourner en Guinée, le demandeur se réfère encore à la communication de la Commission européenne du 21 mars 2022, de laquelle il ressortirait que l’existence d’un lien significatif avec le pays d’origine d’un demandeur de protection temporaire devrait être pris en compte, Monsieur (A) précisant à cet égard qu’il serait arrivé en Ukraine en 2001 et qu’il y aurait vécu depuis cette date, soit depuis 23 ans, de sorte qu’il n’aurait plus aucun lien avec son pays d’origine.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Analyse du tribunal 1) Quant à la décision ministérielle portant refus d’une protection temporaire A titre liminaire, le tribunal rappelle qu’il n’est pas tenu par l’ordre des moyens tel que présenté par le demandeur mais qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

Ensuite, en ce qui concerne le cadre légal d’une demande de protection temporaire, le tribunal relève que la notion de « protection temporaire » est définie par l’article 2, point r) de la loi du 18 décembre 2015 comme « […] une procédure de caractère exceptionnel assurant, en cas d’afflux massif ou d’afflux massif imminent de personnes déplacées en provenance de pays tiers qui ne peuvent rentrer dans leur pays d’origine, une protection immédiate et temporaire à ces personnes, notamment si le système d’asile risque également de ne pouvoir traiter cet afflux sans provoquer d’effets contraires à son bon fonctionnement, dans l’intérêt des personnes concernées et celui des autres personnes demandant une protection. […] ».

L’article 69 de la même loi dispose que « Le régime de protection temporaire est déclenché par une décision du Conseil de l’Union européenne prise dans les conditions définies par les articles 4 à 6 de la directive 2001/55/CE du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil. ».

Il est constant en cause que dans sa décision d’exécution (UE) 2022/382 du 4 mars 2022, le Conseil de l’Union européenne, après avoir constaté l’existence d’un afflux massif dans l’Union européenne de personnes déplacées qui ont dû quitter l’Ukraine en raison d’un conflit armé, a précisé les catégories de personnes pouvant bénéficier de la protection temporaire dans son deuxième article, dont les termes sont les suivants :

« […] 1. La présente décision s’applique aux catégories suivantes de personnes déplacées d’Ukraine le 24 février 2022 ou après cette date, à la suite de l’invasion militaire par les forces armées russes qui a commencé à cette date :

a) les ressortissants ukrainiens résidant en Ukraine avant le 24 février 2022;

5 b) les apatrides, et les ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine, qui ont bénéficié d’une protection internationale ou d’une protection nationale équivalente en Ukraine avant le 24 février 2022; et, c) les membres de la famille des personnes visées aux points a) et b).

2. Les États membres appliquent la présente décision ou une protection adéquate en vertu de leur droit national à l’égard des apatrides, et des ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine, qui peuvent établir qu’ils étaient en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022 sur la base d’un titre de séjour permanent en cours de validité délivré conformément au droit ukrainien, et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou leur région d’origine dans des conditions sûres et durables.

3. Conformément à l’article 7 de la directive 2001/55/CE, les États membres peuvent également appliquer la présente décision à d’autres personnes, y compris aux apatrides et aux ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine, qui étaient en séjour régulier en Ukraine et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou région d’origine dans des conditions sûres et durables. […] ».

Il ressort de l’article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022, et plus particulièrement de son troisième paragraphe, que les Etats membres peuvent étendre l’octroi d’une protection temporaire aux apatrides et aux ressortissants de pays tiers qui étaient en séjour régulier en Ukraine sans y disposer d’un titre de séjour permanent en cours de validité, et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou région d’origine dans des conditions sûres et durables.

Tel qu’indiqué par le délégué du gouvernement dans ses écrits contentieux, le gouvernement luxembourgeois a pris le 18 mars 2022 la décision d’appliquer l’article 2, paragraphe (3) de la décision du Conseil du 4 mars 2022 aux demandeurs de protection temporaire ressortissants de pays tiers en séjour régulier en Ukraine.

Ainsi, il se dégage de ces développements que pour bénéficier d’une protection temporaire, le ressortissant de pays tiers doit démontrer (i) qu’il était en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022, à titre permanent ou temporaire, et (ii) qu’il n’est pas en mesure de rentrer dans son pays d’origine dans des conditions sûres et durables.

Il se dégage ensuite de la décision du 22 février 2024 refusant l’octroi d’une protection temporaire dans le chef du demandeur, que le ministre a basé ce refus sur le constat que le demandeur ne remplirait aucune de ces conditions cumulatives.

A) Quant à la légalité externe • Quant au reproche suivant lequel le ministre aurait omis de prendre en compte le document prétendument délivré par le « département de l’immigration de … » Pour autant que le demandeur, en reprochant au ministre de ne pas avoir pris position, dans le cadre de la décision déférée, par rapport au document prétendument lui délivré par le « département de l’immigration de … », ait ainsi entendu invoquer un défaut de motivation à l’égard de ladite décision, il échet de relever que l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes,certes non invoqué expressément en l’espèce, mais auquel se rattache le moyen du demandeur, dispose que : « Toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux.

La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle:

- refuse de faire droit à la demande de l’intéressé;

- révoque ou modifie une décision antérieure, sauf si elle intervient à la demande de l’intéressé et qu’elle y fait droit;

- intervient sur recours gracieux, hiérarchique ou de tutelle;

- intervient après procédure consultative, lorsqu’elle diffère de l’avis émis par l’organisme consultatif ou lorsqu’elle accorde une dérogation à une règle générale.

Dans les cas où la motivation expresse n’est pas imposée, l’administré concerné par la décision a le droit d’exiger la communication des motifs. […] ».

Cette disposition consacre dès lors le principe selon lequel d’une manière générale toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux, et certaines catégories de décisions, notamment celles refusant de faire droit à la demande de l’intéressé, telles que la décision déférée, doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base.

Force est au tribunal de constater que la décision déférée énonce clairement les motifs gisant à sa base, à savoir le fait que le demandeur ne remplirait pas les conditions de l’article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022, en ce qu’il n’établirait ni un séjour régulier dans son chef en Ukraine en date du 24 février 2022, ni qu’il ne saurait retourner dans son pays d’origine dans des conditions sûres et durables.

Le tribunal relève, par ailleurs, que la sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consiste dans la suspension des délais de recours et non point dans son annulation, étant relevé que la décision reste valable et l’administration peut produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois devant le juge administratif1.

En l’espèce, si certes la décision déférée ne mentionne pas les pièces versées par le demandeur à l’appui de sa demande de protection temporaire, il se dégage néanmoins de l’argumentation de la partie étatique apportée dans le cadre du présent recours que celles-ci ont bien été prises en compte dans le cadre de l’examen de ladite demande et que le ministre estime que le document litigieux est insuffisant pour établir un séjour régulier du demandeur en Ukraine en date du 24 février 2022, le bien-fondé de ce motif de refus relevant de l’analyse au fond, effectuée, le cas échéant, ci-dessous.

Il s’ensuit que le moyen tenant à une absence de motivation de la décision déférée est à rejeter pour ne pas être fondé.

• Quant au reproche d’un défaut d’instruction de la part du ministre 1 Cour. adm., 8 juillet 1997, n°9918C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure administrative non contentieuse, n°93 (1er volet) et les autres références y citées. En ce qui concerne le reproche du demandeur suivant lequel le ministre aurait dû instruire davantage le document prétendument délivré par le « département de l’immigration de … », le tribunal relève qu’il ressort du considérant (12) de la décision du Conseil du 4 mars 2022 que « […] Les personnes souhaitant bénéficier de la protection devraient être en mesure de prouver qu’elles remplissent ces critères d’éligibilité en présentant les documents pertinents aux autorités compétentes de l’État membre concerné. Si ces personnes ne sont pas en mesure de présenter les documents pertinents, les États membres devraient les réorienter vers la procédure appropriée. », tandis que la communication de la Commission européenne du 21 mars 2022 précise que « […] Si les Etats membres ont des doutes quant à l’authenticité des documents, ou si la personne n’est pas en possession des documents susmentionnés, les autorités ukrainiennes peuvent être contactées dans les Etats membres pour obtenir un soutien ou pour certifier, si possible, la nationalité ukrainienne de la personne ou son statut de résident en Ukraine […] ».

Il échet à cet égard tout d’abord de constater que mis à part la question du caractère contraignant desdites recommandations à l’égard des Etats membres, l’option y prévue pour les autorités compétentes d’un Etat membre devant lesquelles une demande de protection temporaire a été introduite de contacter les autorités ukrainiennes aux fins de renseignements constitue un tempérament au principe découlant du considérant (12) de la décision du Conseil du 4 mars 2022 suivant lequel la charge de la preuve d’un séjour régulier en Ukraine en date du 24 février 2022 incombe en principe au demandeur d’une protection temporaire.

Le tribunal constate encore que cette option constitue une simple faculté, alors que, d’une part, elle ressort d’une simple recommandation de la Commission européenne et que, d’autre part, il y est précisé que les Etats membres « peuvent » contacter les autorités ukrainiennes aux fins de renseignements.

Il n’en reste pas moins qu’il est de jurisprudence constante qu’un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend non pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge2 et que, le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de proportionnalité 3.

En l’espèce, le tribunal ne saurait toutefois constater un quelconque dépassement de la marge d’appréciation du ministre. En effet, ladite recommandation inscrit la faculté de contacter les autorités ukrainiennes afin de demander des renseignements relatifs à la situation administrative en Ukraine d’un demandeur de protection temporaire dans l’hypothèse soit de l’existence de doutes relatifs à l’authenticité des documents présentés par le concerné, soit de défaut de présentation de documents nécessaires, étant, sous peine de vider le considérant numéro (12) précité de tout sens, sous-entendu que le demandeur doit d’abord établir des causes 2 Trib. adm., 30 mars 2015, n°33570 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 39 (1er volet) et les autres références y citées.

3 Cour adm., 9 novembre 2010, n° 26886C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 42 et les autres références y citées. externes à sa volonté qui l’empêcheraient de se procurer lui-même desdits documents, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

En effet, mis à part le constat qu’il ressort des développements de part et d’autre du demandeur qu’il ne peut affirmer avec certitude qu’il aurait été en séjour régulier en Ukraine en date du 24 février 2022 et qu’il a, au contraire, lors de son audition par la police grand-

ducale le 15 février 2024 dans le cadre de sa demande de protection temporaire déclaré avoir été en séjour illégal en Ukraine4, le tribunal constate que le demandeur reste en défaut d’établir une impossibilité dans son chef de fournir des documents établissant sa situation administrative en Ukraine, alors qu’il ressort d’ailleurs d’un document intitulé « Checklist ressortissants de pays tiers », que le demandeur a déclaré à l’agent ministériel en charge de son entretien sur sa demande de protection temporaire être marié à une ressortissante « Russe/UKR », laquelle se trouverait en Russie avec son enfant. Or, le demandeur reste, dans le cadre de sa requête introductive d’instance, en défaut d’expliquer en quelle mesure il serait dans l’impossibilité de fournir d’autres documents à l’appui de sa demande de protection temporaire, le cas échéant en contactant son épouse.

Sur base des considérations ci-avant, le tribunal ne saurait dès lors constater un dépassement de sa marge d’appréciation dans le chef du ministre pour ne pas avoir usé de la faculté lui proposée par la Commission européenne dans sa communication du 21 mars 2022 de contacter les autorités ukrainiennes afin de demander des renseignements quant à la situation de séjour du demandeur en Ukraine en date du 22 février 2022.

Ce constat n’est pas énervé par la référence du demandeur à la jurisprudence administrative relative aux pouvoirs propres d’investigation dont disposerait le ministre face à des pièces dont l’authenticité ne serait pas établie, alors qu’en l’espèce, la pièce litigieuse constitue une photo d’un document, de sorte qu’à défaut d’original déposé par l’intéressé, l’authenticité de celui-ci ne saurait en tout état de cause être vérifiée.

Ce constat n’est pas non plus énervé par les développements du demandeur relatifs au principe du bénéfice du doute applicable, de l’avis du demandeur, en « droit de l’immigration et des réfugiés », lequel devrait également lui être appliqué en l’espèce, alors qu’indépendamment du constat que l’intéressé reste en défaut de préciser une quelconque base légale afférente, la jurisprudence administrative citée par le demandeur dans ce contexte relative à l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015 ne saurait, en tout état de cause, trouver application en l’espèce, alors que le bénéfice du doute y prévu est conditionné par le fait, d’une part, que les déclarations de la personne concernée soient cohérentes et crédibles et, d’autre part qu’elle s’est réellement efforcée d’étayer sa demande, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, tel que cela ressort des développements qui précèdent.

Il s’ensuit que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

B) Quant à la légalité interne En ce qui concerne tout d’abord la condition tenant au séjour régulier de l’intéressé en Ukraine, il ressort du dossier administratif qu’à l’appui de sa demande de protection temporaire celui-ci a versé son passeport guinéen duquel il ressort qu’il a quitté l’Ukraine en date du 26 4 Rapport d’audition de police du 15 février 2024 : « […] Monsieur a vécu illégalement en Ukraine et en Europe […] ». février 2022, ainsi qu’une photo d’un document en alphabet cyrillique et non traduit qui aurait, selon lui, été délivré par le « département de l’immigration … », le demandeur présumant qu’il s’agirait d’un titre de séjour ukrainien dans son chef.

Le tribunal constate, par ailleurs, que le demandeur ne conteste pas que le document prétendument délivré par le « département de l’immigration … », constitue une copie difficilement lisible et non traduite, de sorte à ne pas permettre d’établir sa situation administrative en Ukraine le 24 février 2022.

Dans la mesure où le demandeur admet dès lors lui-même que ledit document n’établirait pas un séjour régulier dans son chef en Ukraine en date du 24 février 2022 et qu’il n’a versé aucun autre élément documentant sa situation administrative en Ukraine à cette date, c’est à bon droit que le ministre lui a refusé l’octroi de la protection temporaire, étant relevé que l’examen de la deuxième condition tenant aux conditions sûres et durables du retour de l’intéressé dans son pays d’origine devient dès lors surabondant, lesdites conditions étant cumulatives.

Il s’ensuit que le recours contre la décision ministérielle du 22 février 2024 refusant la protection temporaire dans le chef de l’intéressé est à rejeter pour ne pas être fondé.

2) Quant à la décision ministérielle de retour Le tribunal constate que si l’intéressé demande dans le dispositif de sa requête introductive d’instance l’annulation de la décision du ministre du 22 février 2024 déclarant son séjour au Grand-Duché de Luxembourg illégal et portant ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours, il ne formule toutefois aucun moyen à l’encontre de cette décision dans le cadre de sa requête introductive d’instance.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé l’octroi d’une protection temporaire dans le chef du demandeur et à défaut de moyens dirigés contre la décision ministérielle de retour du 22 février 2024, le recours contre celle-ci est également à rejeter pour ne pas être fondé, étant relevé qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer la carence des parties dans le développement de leurs moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation contre la décision ministérielle du 22 février 2024 portant refus d’accorder une protection temporaire à Monsieur (A), ainsi que contre l’arrêté ministériel du même jour portant décision de retour à son encontre;

au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 juin 2025 par :

Laura Urbany, premier juge,Sibylle Schmitz, premier juge, Felix Hennico, attaché de justice délégué, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s.Judith Tagliaferri s.Laura Urbany Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 50493
Date de la décision : 11/06/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-06-11;50493 ?

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