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11/06/2025 | LUXEMBOURG | N°49671

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 juin 2025, 49671


Tribunal administratif N° 49671 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49671 3e chambre Inscrit le 7 novembre 2023 Audience publique du 11 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A) et consorts, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49671 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 7 novembre 2023 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats Ã

  Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Irak), et de son épouse, Madam...

Tribunal administratif N° 49671 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49671 3e chambre Inscrit le 7 novembre 2023 Audience publique du 11 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A) et consorts, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49671 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 7 novembre 2023 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Irak), et de son épouse, Madame (B), née le … à … (Irak), agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs (C), né le … à … (Irak), (D), né le … à …, et (E), née le … à …, tous de nationalité irakienne, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 18 octobre 2023 portant retrait du statut de réfugié à leur encontre et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 janvier 2024 ;

Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2024 par Maître Samira MABCHOUR, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des requérants, préqualifiés ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Pascale MILLIM en sa plaidoirie à l’audience publique du 28 janvier 2025, Maître Samira MABCHOUR s’étant excusée.

Le 13 novembre 2015, Monsieur (A) et son épouse, Madame (B), agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leur enfant mineur (C), introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 10 avril 2018, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », accorda aux époux (AB) et à leurs enfants mineurs (C) et (D), né le … à …, le statut de réfugié, ainsi qu’une autorisation de séjour valable jusqu’au 9 avril 2023.

1Par décision du 30 janvier 2019 et suite à une demande afférente des époux (AB) du 19 décembre 2018, le ministre accorda à (E), enfant mineur des époux (AB), née le … à …, le statut de réfugié, ainsi qu’une autorisation de séjour valable jusqu’au 9 avril 2023.

En date du 12 juin 2023, les époux (AB) furent entendus par un agent du ministère au sujet de leur situation administrative et de celle de leurs enfants mineurs.

Par courrier du 1er août 2023, notifié aux intéressés le 8 août 2023, le ministre informa les époux (AB) et leurs enfants mineurs (C), (D) et (E), ci-après désignés par « les consorts (ABCDE) », de son intention de leur retirer le statut de réfugié et les invita à présenter leurs observations dans un délai de huit jours.

Par courrier du 11 août 2023, le mandataire des consorts (ABCDE) fit parvenir les observations de ceux-ci au ministre.

Par décision du 18 octobre 2023, notifiée aux intéressés par courrier recommandé le 23 octobre 2023, le ministre retira le statut de réfugié aux consorts (ABCDE), tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :

« […] Je reviens vers vous suite à la missive qui vous a été notifiée en date du 9 août 2023 concernant l'intention de vous retirer le statut de réfugié dont vous ainsi que vos fils, (C) et (D), êtes bénéficiaires depuis le 10 avril 2018 et dont votre fille (E) est bénéficiaire depuis le 30 janvier 2019 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée la « Loi de 2015 »).

Par courrier du 1er août 2023, notifié en date du 9 août 2023, vous avez été informés de l'intention ministérielle de vous retirer votre statut de réfugié sur base de l'article 44 paragraphe (1) point a) de la Loi de 2015 et du fait que vous pouvez présenter des observations quant aux faits indiqués dans le courrier endéans un délai de huit jours, respectivement, de votre droit d'être entendus.

Il vous est reprochés d'être retournés en Irak alors que vous êtes bénéficiaires du statut de réfugié, mais surtout de vous être faits établir des passeports irakiens alors que cela est incompatible avec votre protection internationale. En effet, vous avez sollicité des nouveaux passeports auprès des autorités de votre pays d'origine, passeports qui vous ont été délivrés le 30 avril 2023 respectivement le 3 mai 2023 et qui sont valables jusqu'au 29 avril 2031 respectivement le 2 mai 2031.

Par courrier du 11 août 2023, entré à la Direction de l'immigration le 14 août 2023, vous avez fait part de vos observations par le biais de votre mandataire. Vous concédez être rentrés en Irak et vous tentez de justifier vos déplacements dans votre pays d'origine alors que vous auriez « reçu des menaces qu'on envisageait » de vous « retirer » vos enfants au Luxembourg, raison pour laquelle vous auriez décidé de retourner dans votre pays d'origine.

Vous ajoutez que vous seriez uniquement restés un mois et demi en Irak et que vous auriez entrepris les démarches nécessaires pour revenir au Luxembourg en contactant l'Ambassade du Luxembourg à Ankara. Enfin, vous exprimez vos regrets d'avoir agi de cette manière et vous essayez de justifier vos actes en avançant que l'Office national de l'accueil au Luxembourg vous aurait demandés de quitter votre logement et que par conséquent, vous auriez eu peur de vous « retrouver dans la rue avec la menace de placer les enfants dans un foyer ».

2 Vous remettez les pièces suivantes :

- une copie d'une attestation médicale, établie par le Dr. … en date du 16 avril 2018 vous concernant Monsieur ;

- une copie d'un rapport médical, établi par le Dr. … en date du 20 mai 2019 vous concernant Monsieur ;

- une copie d'un rapport médical, établi par le Dr. … en date du 16 avril 2021 vous concernant Monsieur ;

- une copie d'une fiche d'inscription à l'année scolaire 2022/2023 établi par la ville de … en date du 1er juin 2023 concernant votre enfant (D) ;

- une copie d'une fiche d'inscription à l'année scolaire 2022/2023 établi par la ville de … en date du 1er juin 2023 concernant votre enfant (E) ;

- une copie d'une fiche d'inscription à l'année scolaire 2022/2023 établi par la ville de … en date du 1er juin 2023 pour le compte de votre enfant (C) ;

- une copie d'un certificat d'admission, établi par le Centre de … en date du 14 juillet 2023 concernant votre enfant (D) ;

- une copie d'une ordonnance médicale, établie par le Dr. … en date du 14 juillet 2023 vous concernant Monsieur ;

- une photo d'un accord de prise en charge émis par l'Office national de l'enfance, établi en date du 19 juillet 2023 ;

- une copie d'un courriel concernant votre enfant (C) au sujet d'un rendez-vous pour une prise de sang auprès de la … en date du 16 août 2023 ;

- une copie d'une fiche de renseignement pour le premier cycle de l'année scolaire 2023/2024 à l'école fondamentale de … concernant votre enfant (E).

Madame, Monsieur, je vous informe par la présente que votre protection internationale vous est retirée avec effet immédiat conformément aux articles 47 et 44 de la Loi de 2015.

L'article 47 (1) de la Loi de 2015 dispose que : « Le ministre révoque le statut de réfugié octroyé à un ressortissant de pays tiers ou à un apatride, lorsque le réfugié a cessé de bénéficier de ce statut en vertu de l'article 44 ».

L'article 44 (1) de la Loi de 2015 dispose que: « Tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride cesse d'être un réfugié dans les cas suivants :

a) s'il s'est volontairement réclamé à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité ; (…) ».

Il ressort de manière claire et non équivoque que vous vous êtes réclamés de la protection de votre pays d'origine en sollicitant l'émission de nouveaux passeports dans votre chef, Madame et Monsieur, et en déclarant vos enfants nés au Luxembourg aux autorités irakiennes et en sollicitant des passeports pour ces derniers.

A cela s'ajoute que vous vous êtes tous rendus à l'aéroport de … en Allemagne pour prendre un avion pour … en date du 3 mars 2023. Vous avez ensuite indiqué avoir loué un appartement à … et que vous vous êtes rendus à … pour faire établir des nouveaux passeports irakiens, étant donné que vos anciens passeports se trouvent à la Direction de l'immigration.

Vous avez avancé être par la suite tous retournés à … et y avoir séjourné en attendant que vos nouveaux passeports soient émis.

3Vous précisez être allés en Irak par peur de vous faire retirer la garde de vos enfants au Luxembourg, pays qui vous a octroyé une protection internationale en raison de prétendues persécutions que vous auriez subies en cas de retour dans votre pays d'origine.

Vous avez en outre indiqué qu'après avoir obtenu vos nouveaux passeports, vous avez réservé un vol de retour prévu pour le 20 ou 22 avril 2023. Vous avez précisé que vous êtes cependant tous restés bloqués en Irak, étant donné que les autorités allemandes vous ont refusés l'entrée dans l'espace Schengen avec des documents de voyage luxembourgeois sur le point d'expirer.

Il est dès lors incontestable que vous vous êtes volontairement à nouveau réclamés de la protection du pays dont vous avez la nationalité. Par conséquent, les conditions du point a) de l'article 44(1) de la Loi de 2015 sont remplies.

Votre protection internationale vous est dès lors retirée tel que prévu par l'article 47(1) de la Loi de 2015 et vous êtes, en vertu des dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015 dans l'obligation de quitter le territoire luxembourgeois.

Conformément aux termes des articles 44(1), point a) et 47(1) de la Loi de 2015, votre protection internationale est révoquée.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l'Irak, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 novembre 2023, Monsieur (A) et son épouse, Madame (B), agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs (C), (D) et (E), ont fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 18 octobre 2023 portant retrait du statut de réfugié à leur encontre et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours visant la décision du ministre portant retrait du statut de réfugié Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions portant retrait d’un statut de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé à titre principal contre la décision du ministre du 18 octobre 2023, telle que déférée, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Moyens et arguments des parties A l’appui de leur recours et au-delà des faits et rétroactes exposés ci-avant, les époux (AB) rappellent qu’ils seraient partis en Irak avec leurs enfants mineurs alors qu’ils auraient été expulsés de la structure d’hébergement de l’Office national de l’accueil, ci-après désigné par « l’ONA », et que les autorités luxembourgeoises auraient de ce fait envisagé de leur retirer la garde de leurs enfants. Dans ce contexte, ils soulignent qu’ils seraient restés en Irak pendant un mois et demi seulement avant de se réfugier en Turquie en raison des risques encourus dans 4leur pays d’origine. Ils font encore valoir que leurs démarches s’expliqueraient par leur crainte de perdre leurs enfants et qu’ils n’auraient fait qu’agir dans l’intérêt de ces derniers.

En droit, les demandeurs soutiennent tout d’abord que le ministre aurait tiré des conclusions hâtives concernant leur situation sans prendre en considération les faits invoqués.

Dans ce contexte, ils font valoir que le ministre leur aurait ordonné, à travers la décision déférée, de quitter le territoire luxembourgeois, ce qui serait incohérent dans la mesure où les mêmes services ministériels auraient auparavant organisé leur retour au Luxembourg depuis l’ambassade luxembourgeoise à Ankara.

Les demandeurs concluent ensuite à une violation de l’article 44, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, en reprochant au ministre d’avoir retenu que par le fait de retourner dans leur pays d’origine et de solliciter la délivrance de passeports irakiens dans leur chef, ils se seraient réclamés à nouveau de la protection de l’Etat irakien.

A cet égard, ils font valoir que le simple fait d’entrer en contact avec les autorités de leur pays d’origine, respectivement de solliciter la délivrance de « documents administratifs », tels que des passeports, auprès de ces dernières, ne saurait suffire pour considérer qu’ils auraient voulu se réclamer à nouveau de la protection dudit pays.

Ils soutiennent encore que le fait de retourner une seule fois dans leur pays d’origine pour une durée d’un mois et demi ne saurait constituer à lui seul un motif suffisant pour conclure qu’ils ne risqueraient plus de faire l’objet de persécutions en cas de retour en Irak et donc pour leur retirer le statut de réfugié, ceci d’autant plus qu’en application du point d) de l’article 44, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, seul le fait de retourner volontairement dans son pays d’origine en vue de s’y établir, c’est-à-dire en vue de s’y installer de manière durable, serait susceptible de justifier la cessation du statut de réfugié, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

Par ailleurs, ils estiment que le ministre aurait dû vérifier les critères énoncés à l’article 44, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 dans le chef de chacun des demandeurs. A cet égard, ils donnent à considérer que les enfants (CDE) ne se seraient en effet pas réclamés volontairement, c’est-à-dire de manière délibérée, de la protection de l’Etat irakien, les époux (AB) ayant sollicité les passeports dans leur chef.

En se référant aux articles 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CEDH », 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant, ci-après désignée par « la CIDE », et 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », les intéressés font valoir que la décision déférée n’aurait pris en compte ni le bien-être et l’intérêt supérieur, ni le droit à la vie privée et familiale des enfants (CDE), qui vivraient au Luxembourg depuis plusieurs années, qui y seraient scolarisés et dont deux y seraient nés.

Ils soutiennent qu’en tout état de cause, la décision déférée serait disproportionnée dans la mesure où ils n’auraient séjourné en Irak que pour une très courte durée, et ce sans vouloir s’y établir mais dans l’intention de se voir délivrer des passeports irakiens et de repartir dudit pays aussitôt qu’ils les auraient obtenus. Dans ce contexte, ils insistent encore sur le fait qu’après avoir été expulsés de la structure d’hébergement de l’ONA, et se retrouvant sans ressources avec trois enfants à charge, les époux (AB) se seraient vus contraints de quitter le territoire luxembourgeois avec leurs enfants.

5Au vu de ce qui précède, les concernés estiment que le ministre aurait dû se limiter à un « rappel à la loi » au lieu de leur retirer le statut de réfugié.

Enfin, ils donnent à considérer que Monsieur (A) souffrirait d’une dysphorie de genre et ferait l’objet d’un suivi psychiatrique ainsi que d’un traitement par hormonothérapie en vue d’une intervention chirurgicale visant à rendre son corps conforme à son identité de genre. Ils ajoutent que les signalements de violences fondées sur le genre en Irak se seraient multipliés, alors que les mesures de protection mises en place par l’Etat irakien demeureraient insuffisantes.

Les demandeurs en concluent que la décision ministérielle déférée devrait encourir la réformation et demandent par ailleurs « de leur conserver leurs titres de séjour ».

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.

Appréciation du tribunal Il convient à titre préliminaire de souligner que dans la mesure où le contentieux administratif est un contentieux objectif, il s’agit d’un procès fait à l’acte taxé d’illégalité en vue de le faire disparaître de l’ordre juridique. Le tribunal administratif n’est dès lors pas saisi d’une situation, mais concrètement d’une décision, étant encore relevé qu’un acte administratif individuel, et plus particulièrement celui qui est de nature à faire grief soit à son destinataire soit à de tierces personnes, bénéficie de la présomption de légalité ainsi que de conformité par rapport aux objectifs de la loi sur base de laquelle il a été pris, de sorte qu’il appartient à celui qui prétend subir un préjudice ou des inconvénients non justifiés du fait de l’acte administratif en question, et qui partant souhaite le voir réformer ou annuler en vue d’obtenir une situation de fait qui lui est plus favorable, d’établir concrètement en quoi l’acte administratif en question viole une règle fixée par une loi ou un règlement grand-ducal d’application1, sans qu’il n’appartienne au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse à cet égard2.

Suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, il appartient d’abord au tribunal de vérifier la légalité externe de l’acte lui déféré, avant de se livrer, par le biais de l’examen de la légalité des motifs, au contrôle de la légalité interne.

Quant à la légalité externe de la décision déférée, les demandeurs reprochent au ministre qu’il aurait tiré des conclusions hâtives concernant leur situation sans prendre en considération les faits invoqués, ce qui s’apparente à un moyen de violation de l’article 33 de la loi du 18 décembre 2015.

Ledit article dispose que « […] (2) Un examen en vue de retirer la protection internationale à une personne donnée peut être engagé par le ministre dès lors qu’apparaissent des éléments ou des faits nouveaux indiquant qu’il y a lieu de réexaminer la validité de sa protection internationale.

1 Trib. adm., 16 juillet 2003, n° 15207 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Actes administratifs, n° 169 (1er volet) et les autres références y citées.

2 Trib. adm., 26 mars 2003, n° 15115 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 533 et les autres références y citées.

6(3) La personne concernée est informée par écrit que le ministre procède au réexamen de son droit à bénéficier d’une protection internationale, ainsi que des motifs de ce réexamen et elle a le droit de présenter, lors d’un entretien personnel ou par écrit, les motifs pour lesquels il n’y a pas lieu de lui retirer la protection internationale. […] ».

En l’espèce, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, force est de constater que les époux (AB) ont été entendus amplement en leurs explications lors de leur entretien auprès du ministère le 12 juin 2023, que, par courrier du 1er août 2023, le ministre a informé les consorts (ABCDE) de son intention de leur retirer le statut de réfugié ainsi que des motifs à la base de ce réexamen de leur situation, et que les consorts (ABCDE) ont, par le biais du courrier de leur mandataire du 11 août 2023, présenté leurs observations au ministre, ce dernier s’étant fondé sur l’ensemble des déclarations des concernés faites à ces occasions au moment de prendre la décision litigieuse. La seule circonstance que le ministre a considéré que leurs déclarations n’étaient pas de nature à convaincre de ne pas leur retirer le statut de réfugié ne permet pas de retenir que le ministre n’aurait pas pris en considération l’ensemble des faits invoqués en méconnaissance de l’article 33 de la loi du 18 décembre 2015.

Ce constat n’est pas énervé par l’affirmation des demandeurs suivant laquelle le ministre leur aurait ordonné, à travers la décision déférée, de quitter le territoire luxembourgeois, ce qui serait incohérent dans la mesure où les mêmes services ministériels auraient auparavant organisé leur retour au Luxembourg depuis l’ambassade luxembourgeoise à Ankara, les concernés restant en effet en défaut d’expliquer dans quelle mesure ce fait démontrerait que le ministre n’aurait pas pris en considération les faits invoqués en méconnaissance dudit article, ceci d’autant plus qu’il ressort du dossier administratif qu’au moment où les services ministériels organisaient le retour des intéressés au Luxembourg depuis l’ambassade luxembourgeoise à Ankara, le ministre n’était pas encore au courant que ces derniers se sont rendus en Irak en vue de solliciter de nouveaux passeports auprès des autorités de leur pays d’origine.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, il est constant en cause que le ministre a considéré que le statut de réfugié devait être retiré aux demandeurs sur base du point a) de l’article 44, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, lequel dispose que « Tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride cesse d’être un réfugié […] s’il s’est volontairement réclamé à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité ».

Aux termes de l’article 47, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Le ministre révoque le statut de réfugié octroyé à un ressortissant de pays tiers ou à un apatride, lorsque le réfugié a cessé de bénéficier de ce statut en vertu de l’article 44. ».

Il suit de ces dispositions que le statut de réfugié peut être révoqué par le ministre, notamment lorsque le bénéficiaire dudit statut s’est volontairement réclamé à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité. En effet, dans ce cas, la protection internationale n’est plus nécessaire, le réfugié ne se retrouvant plus dans une situation dans laquelle il ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Le tribunal relève tout d’abord que l’hypothèse prévue au point a) de l’article 44, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 est à distinguer de celle prévue au point d) dudit article, lequel prévoit que : « Tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride cesse d’être un réfugié […] s’il est retourné volontairement s’établir dans le pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré de crainte d’être persécuté ». En effet, dans le cadre de l’hypothèse prévue au 7point d) de l’article 44, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, la cessation du statut de réfugié suppose non seulement que le réfugié retourne dans son pays d’origine, mais encore qu’il s’y établisse volontairement et effectivement3/4. Or, sous peine de vider cette dernière disposition légale de tout sens, le simple fait de retourner dans son pays d’origine une seule fois et pour une durée limitée ne saurait pas davantage suffire, à lui seul, contrairement aux affirmations de la partie étatique, pour se voir retirer le statut de réfugié sur base du point a) du même article.

Le tribunal relève ensuite que, dans le cadre de l’hypothèse prévue au point a) de l’article 44, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, sur le fondement duquel la décision litigieuse a été prise, un réfugié doit être considéré s’être volontairement réclamé à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité (i) s’il a agi volontairement, (ii) s’il avait l’intention de se prévaloir à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité et (iii) s’il a effectivement obtenu une telle protection diplomatique ou consulaire5.

En l’espèce, il ressort des déclarations des consorts (ABCDE) pendant la phase précontentieuse et la phase contentieuse, qu’ils se sont rendus en Irak le 3 mars 2023 après avoir obtenu des laissez-passer auprès de l’ambassade irakienne à Bruxelles « pour pouvoir retourner en Irak sans devoir utiliser les titres de voyage établis par le Luxembourg »6. Arrivés sur place, ils ont loué un appartement à … et se sont ensuite rendus à … pour solliciter de nouveaux passeports « étant donné que leurs anciens passeports se trouvent à la Direction de l’immigration »7, avant de revenir à … dans l’attente de se voir délivrer lesdits passeports, lesquels ont été émis, tel qu’il ressort du dossier administratif et des explications circonstanciées et non contestées de la partie étatique, le 30 avril respectivement le 3 mai 2023.

Après un séjour d’environ un mois et demi, ils ont tenté de quitter l’Irak « [d]ès l’obtention des passeports […] le 20 ou 22 avril 2023 »8 en direction du Luxembourg, mais ils y sont restés bloqués alors que leurs documents de voyage et titres de séjour étaient sur le point d’expirer.

Ils ont alors contacté, le 22 avril 2023, par le biais d’un courrier électronique de la part de leur mandataire, le ministère en vue d’obtenir des laissez-passer pour pouvoir revenir au Luxembourg, lesquels ont finalement été émis le 24 mai 2023 par l’ambassade luxembourgeoise à Ankara. Le 27 mai 2023, les consorts (ABCDE) sont enfin revenus au Luxembourg.

Il en ressort encore que les époux (AB) estiment qu’ils se seraient vus contraints de quitter le Luxembourg et de se rendre en Irak avec leurs enfants mineurs alors qu’ils auraient été obligés de quitter la structure d’hébergement de l’ONA et se seraient retrouvés sans ressources, de sorte qu’ils auraient craint de se voir retirer la garde de leurs enfants et que ces derniers soient placés dans un foyer.

En ce qui concerne la première condition relative au caractère volontaire des agissements du réfugié, force est au tribunal de constater que les époux (AB), qui sont les représentants légaux des enfants (CDE) et titulaires de l’autorité parentale à leur égard, se sont volontairement rendus en Irak avec leurs enfants mineurs en vue de solliciter, en leur nom personnel ainsi qu’au nom et pour le compte de leurs enfants, de nouveaux passeports auprès 3 UNHCR, « The Cessation Clauses: Guidelines on their Application », avril 1999, § 19.

4 Voir notamment : Cour adm., 4 août 2021, n° 45905C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

5 UNHCR, « The Cessation Clauses: Guidelines on their Application », avril 1999, §§ 6 et 8.

6 Page 3 du compte-rendu d’entretien du 12 juin 2023, ci-après désigné par « le compte-rendu d’entretien ».

7 Ibidem.

8 Ibidem.

8des autorités du pays dont ils ont la nationalité et dans lequel ils auraient prétendument craint de subir des persécutions au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève ».

Ce constat n’est pas énervé par l’affirmation des demandeurs suivant laquelle les époux (AB) se seraient vus contraints de se rendre en Irak avec leurs enfants alors qu’ils auraient été obligés de quitter la structure d’hébergement de l’ONA et se seraient retrouvés sans ressources, de sorte qu’ils auraient craint de se voir retirer la garde de leurs enfants et que ces derniers soient placés dans un foyer. En effet, le fait pour les concernés d’être expulsés de la structure d’hébergement de l’ONA après avoir refusé de payer le loyer9 et de se retrouver sans ressources, même à le supposer établi, ne saurait impliquer une quelconque nécessité ou contrainte dans leur chef de solliciter de nouveaux passeports nationaux auprès des autorités de leur pays d’origine, étant encore relevé que les demandeurs ne prétendent pas, et il ne ressort d’ailleurs d’aucun élément du dossier administratif que tel aurait été le cas, que les autorités luxembourgeoises auraient, pour quelque raison que ce soit, sollicité ou exigé des passeports irakiens dans leur chef. La prétendue crainte des époux (AB) de se voir retirer la garde de leurs enfants et que ces derniers soient placés dans un foyer, laquelle serait à l’origine de leurs actes, reste par ailleurs à l’état d’une pure allégation.

En ce qui concerne la deuxième condition relative à l’intention de se prévaloir à nouveau de la protection du pays de nationalité, s’il est vrai que le simple fait d’entrer en contact avec les représentations diplomatiques ou consulaires de son pays d’origine ne saurait suffire pour en déduire une intention dans le chef du réfugié de se prévaloir à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité, il échet néanmoins de relever qu’une demande de délivrance ou de renouvellement d’un passeport national présentée par un réfugié fait présumer en principe l’intention de se réclamer à nouveau de la protection dudit pays, étant encore relevé que cette présomption n’est pas irréfragable mais peut être renversée par celui-ci. En effet, dans certains cas, l’obtention ou le renouvellement d’un passeport national ne doit pas être considéré comme un indice de l’intention du réfugié de se prévaloir à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité, la question clé étant celle de la raison ou finalité pour laquelle la demande de délivrance ou de renouvellement d’un passeport national a été effectuée10/11.

En l’espèce, il ressort du dossier administratif et notamment du compte-rendu d’entretien que les intéressés ont sollicité la délivrance de nouveaux passeports auprès des autorités irakiennes, par ailleurs en se rendant dans leur pays d’origine à cet effet, de sorte qu’il y a lieu d’admettre, en l’absence de preuve contraire, qu’ils avaient l’intention de se réclamer à nouveau de la protection du pays dont ils ont la nationalité, étant encore précisé qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer la carence des parties demanderesses dans la présentation de leurs moyens.

Il aurait en effet appartenu aux demandeurs de rapporter la preuve qu’ils n’ont pas agi dans l’intention de se réclamer à nouveau de la protection des autorités irakiennes, ce qu’ils sont toutefois restés en défaut de faire. Au contraire et tel que relevé ci-avant, il ressort des déclarations des intéressés au cours de la phase précontentieuse qu’ils ont sollicité des laissez-

passer auprès de l’ambassade irakienne à Bruxelles « pour pouvoir retourner en Irak sans 9 Page 4 du compte-rendu d’entretien.

10 UNHCR, « The Cessation Clauses: Guidelines on their Application », avril 1999, § 10 ; European Asylum Support Office (EASO), Analyse juridique : Fin de la protection internationale, 2e éd., 2021, p. 29.

11 Voir notamment : Conseil d’Etat français, 13 janvier 1989, n° 78055.

9devoir utiliser les titres de voyage établis par le Luxembourg »12 et se sont rendus dans le pays dans lequel ils auraient prétendument craint de subir des persécutions au sens de la Convention de Genève, en vue de se procurer de nouveaux passeports irakiens « étant donné que leurs anciens passeports se trouvent à la Direction de l’immigration »13, et ce sans d’ailleurs avoir consulté au préalable les autorités luxembourgeoises, les concernés ayant, tel que cela ressort encore du compte-rendu d’entretien, tenté de dissimuler le fait qu’ils se sont rendus dans leur pays d’origine en vue d’y solliciter de nouveaux passeports et d’induire en erreur les autorités luxembourgeoises à ce sujet14.

En ce qui concerne la troisième condition relative à l’obtention effective d’une protection, le tribunal constate qu’il ressort du dossier administratif ainsi que des explications circonstanciées et non contestées de la partie étatique, que les autorités irakiennes ont accueilli favorablement la demande des consorts (ABCDE) qui se sont effectivement vus délivrer de nouveaux passeports en date des 30 avril respectivement 3 mai 2023, de sorte que cette dernière condition est également remplie dans le chef des demandeurs, étant précisé que la délivrance ou le renouvellement d’un passeport, à la demande expresse d’un réfugié, doit être assimilé à l’obtention de la protection du pays d’origine15.

Il s’ensuit que les demandeurs se sont volontairement réclamés à nouveau de la protection du pays dont ils ont la nationalité, de sorte que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 44, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, leur retirer le statut de réfugié.

Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’affirmation des demandeurs suivant laquelle Monsieur (A) souffrirait d’une dysphorie de genre et ferait l’objet d’un suivi psychiatrique ainsi que d’un traitement par hormonothérapie en vue d’une intervention chirurgicale visant à rendre son corps conforme à son identité de genre, cette circonstance, même à supposer ce fait comme établi, ne remettant pas en cause le constat retenu ci-avant que les intéressés se sont volontairement réclamés à nouveau de la protection du pays dont ils ont la nationalité.

Quant à leur argumentation suivant laquelle la décision déférée n’aurait pris en compte ni le bien-être et l’intérêt supérieur, ni le droit à la vie privée et familiale des enfants (CDE), il y a tout d’abord lieu de relever que les intéressés se limitent à affirmer que ces derniers, dont deux seraient nés au Luxembourg, y vivraient depuis plusieurs années tout en y étant scolarisés, de sorte que la décision litigieuse violerait les articles 8 de la CEDH, 3 de la CIDE et 24 de la Charte.

12 Page 3 du compte-rendu d’entretien.

13 Ibidem.

14 Voir notamment : page 1 du compte-rendu d’entretien : « Madame (B) a pris la parole et a confirmé avoir quitté le Luxembourg en date du 3 mars 2023. Elle a expliqué qu'ils auraient pris la décision de partir après avoir obtenu un jugement les condamnant à quitter le foyer, sans néanmoins avoir une destination précise en tête. Les époux auraient ensuite décidé de partir en Turquie, voyage qu'ils auraient effectué en se rendant en voiture en Allemagne, sans être à même de préciser où, afin de prendre l'avion pour …. Madame (B) a avancé qu'à …,, la famille aurait séjourné auprès d'une amie du nom de … durant tout leur séjour, mais ils n'auraient rien fait de spécial pendant leur séjour à part des promenades et du shopping, étant donné qu'ils auraient eu peur à cause de l'instabilité en Turquie due aux élections législatives qui ont eu lieu en mai 2023. » et page 3 du compte-rendu d’entretien : « Elle a finalement avoué que toute la famille était en effet rentrée en Irak. Invitée à tout expliquer en détail, Madame (B) a concédé qu'ils se seraient rendus à l'aéroport de … en Allemagne le 3 mars 2023 pour se rendre en Irak en avion. Il se serait agi d'un vol direct pour … sans transiter par la Turquie. […] Madame (B) a également admis ne jamais avoir séjourné à … et que l'amie dénommée … n'existait pas. ».

15 Cour adm., 30 janvier 2025, n° 51807C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

10S’agissant d’abord de l’intérêt supérieur de l’enfant garanti par l’article 3-1 de la CIDE qui prévoit que « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. », il échet de rappeler que si ce principe doit guider les instances d’asile dans l’exercice de leurs compétences, il n’en reste pas moins qu’il est de portée générale, et ne saurait être interprété comme dispensant les demandeurs de satisfaire aux conditions d’obtention du statut de protection internationale16, ni ne saurait les dispenser d’expliquer concrètement dans quelle mesure ils ne devraient pas être considérés, au regard des critères énoncés ci-dessus, comme s’étant volontairement réclamés à nouveau de la protection du pays dont ils ont la nationalité, ce qu’ils sont restés en défaut de faire en l’espèce, tel que relevé ci-avant.

Force est par ailleurs de constater que la situation dénoncée résulte en premier lieu du choix des demandeurs. En effet, tel que relevé ci-avant, les époux (AB) se sont rendus dans leur pays d’origine avec leurs enfants mineurs en vue de solliciter des passeports auprès des autorités irakiennes en leur nom personnel ainsi qu’au nom et pour le compte de leurs enfants, passeports que les demandeurs se sont effectivement vus délivrer, amenant ainsi les autorités luxembourgeoises à tirer les conséquences légales de leurs propres agissements et à réexaminer leur droit à bénéficier d’une protection internationale. De surcroît, dans la mesure où les époux (AB), qui sont les représentants légaux des enfants (CDE) et titulaires de l’autorité parentale à leur égard, ont expliqué qu’ils n’ont fait qu’agir dans l’intérêt de leurs enfants17 et qu’ils avaient par ailleurs l’obligation de protéger ceux-ci dans leur sécurité et leur santé en vue d’assurer leur éducation et de permettre leur développement, il n’appert pas dans quelle mesure la décision litigieuse, laquelle maintient encore l’unité familiale, n’aurait pas pris en compte l’intérêt supérieur des enfants (CDE).

La même conclusion est à retenir au sujet du moyen des demandeurs basé sur une violation de l’article 24 de la Charte, lequel prévoit que « 1. Les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être. Ils peuvent exprimer leur opinion librement. Celle-ci est prise en considération pour les sujets qui les concernent, en fonction de leur âge et de leur maturité. 2. Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. 3. Tout enfant a le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt. », moyen qui est, par ailleurs, à rejeter pour être simplement suggéré, dans la mesure où ces derniers, mis à part de mentionner ledit article, n’ont pas autrement précisé la situation factuelle respectivement juridique à l’origine d’une éventuelle violation dudit article dans leur chef.

Les moyens afférents encourent dès lors le rejet.

S’agissant ensuite du moyen ayant trait à une violation de l’article 8 de la CEDH qui prévoit que « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des 16 Cour adm., 25 février 2021, n° 45378C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 227 et l’autre référence y citée.

17 Courrier du 11 août 2023.

11infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. », il échet de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour administrative que la question d’une éventuelle atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale ne relève ni du champ d’application de la Convention de Genève ni de celui de la loi du 18 décembre 201518, mais relève d’une autre procédure que celle de la demande de protection internationale19 et, par conséquent, de celle du retrait d’une telle protection, la décision litigieuse maintenant par ailleurs l’unité familiale, tel que relevé à juste titre par la partie étatique, de sorte que ce moyen est à rejeter comme étant inopérant.

Pour être tout à fait complet, il échet encore de relever que les demandeurs sont restés en défaut de soumettre au tribunal un quelconque élément probant afin de démontrer l’existence d’éventuelles relations des enfants (CDE) avec des personnes séjournant légalement sur le territoire luxembourgeois devant être protégées au titre de l’article 8 de la CEDH. En effet, le seul fait de séjourner depuis plusieurs années au Luxembourg et d’y fréquenter l’école ne saurait suffire à cet égard, en l’absence notamment d’éléments permettant de conclure à l’existence d’une quelconque relation personnelle ou sociale nouée ou développée au Luxembourg, étant encore relevé que les époux (AB) ne semblent pas avoir vu un quelconque problème d’interrompre le séjour et la scolarité de leurs enfants au Luxembourg lorsqu’ils les ont emmenés en Irak en vue d’y solliciter de nouveaux passeports.

Au vu des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres éléments, le tribunal est amené à conclure que les demandeurs se sont volontairement réclamés à nouveau de la protection du pays dont ils ont la nationalité, de sorte que c’est à bon droit que le ministre leur a retiré le statut de réfugié sur base de l’article 44, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 et la décision déférée ne saurait être considérée comme étant disproportionnée de ce fait.

Il s’ensuit que le recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle portant retrait du statut de réfugié dans le chef des demandeurs est à déclarer non fondé.

Quant à la demande des intéressés « de leur conserver leurs titres de séjour », il convient de relever qu’elle ne figure pas au dispositif de la requête introductive d’instance, auquel le tribunal est seul tenu. A cet égard, il échet encore de rappeler que l’objet du litige soumis au tribunal se limite à l’analyse d’une décision de retrait du statut de réfugié dans le chef des intéressés, de sorte qu’il ne saurait de toute façon pas être donné suite à leur demande d’octroi d’un titre de séjour dans leur chef.

2) Quant au recours visant la décision du ministre portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal à l’encontre de la décision du ministre du 18 octobre 2023 portant ordre de quitter le territoire, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

18 Cour adm., 18 novembre 2021, n° 46359C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 225 et les autres références y citées.

19 Cour adm., 2 juillet 2019, n° 42747C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

12Moyens et arguments des parties Les demandeurs sollicitent la réformation de l’ordre de quitter le territoire pour violation des articles 2 et 3 de la CEDH ainsi que de l’article 4 de la Charte.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.

Appréciation du tribunal Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « [u]ne décision du ministre vaut décision de retour […] » et en vertu de l’article 2, point q) de la même loi, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre en matière de protection internationale.

A défaut de restriction prévue à cet égard, cette disposition légale a également vocation à s’appliquer à un ordre de quitter le territoire contenu dans une décision portant révocation du statut de réfugié prise en application de l’article 47, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a retiré le statut de réfugié aux demandeurs, le ministre a a priori valablement assorti ladite décision d’un ordre de quitter le territoire.

En ce qui concerne la violation alléguée des articles 2 et 3 de la CEDH et 4 de la Charte, il échet de constater, en ce qui concerne les risques prétendument encourus par les demandeurs en cas de retour dans leur pays d’origine, que le tribunal vient de conclure ci-avant que ceux-

ci se sont volontairement réclamés à nouveau de la protection du pays dont ils ont la nationalité, à savoir l’Irak, conclusion dont le tribunal ne saurait actuellement se départir à ce niveau-ci de son analyse.

Le tribunal n’estime, dès lors, pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi des demandeurs dans leur pays d’origine soit dans des circonstances incompatibles avec les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, voire 2 de la CEDH, étant encore précisé que ces moyens sont simplement suggérés, dans la mesure où les demandeurs, mis à part de mentionner lesdits articles, n’ont pas autrement précisé la situation factuelle respectivement juridique à l’origine d’une éventuelle violation desdits articles dans leur chef, de sorte que les moyens afférents encourent le rejet.

Il s’ensuit que le recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire est à déclarer non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

13reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 18 octobre 2023 portant retrait du statut de réfugié de Monsieur (A) et de son épouse, Madame (B), ainsi que de leurs enfants mineurs (C), (D) et (E) ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 18 octobre 2023 portant ordre de quitter le territoire à l’égard de Monsieur (A) et de son épouse, Madame (B), ainsi que de leurs enfants mineurs (C), (D) et (E) ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne les demandeurs aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 juin 2025 par :

Thessy Kuborn, premier vice-président, Sibylle Schmitz, premier juge, Felix Hennico, attaché de justice délégué, en présence du greffier Yannick Maquet.

s.Yannick Maquet s.Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 14


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 49671
Date de la décision : 11/06/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-06-11;49671 ?

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