Tribunal administratif N° 49193 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49193 4e chambre Inscrit le 20 juillet 2023 Audience publique du 6 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre un acte du ministre de la Fonction publique en matière de pension
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49193 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 juillet 2023 par Maître James JUNKER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-
…, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision, ainsi qualifiée, du ministre de la Fonction publique du 20 avril 2023 refusant de prendre en considération ses périodes d'études au niveau du temps de service servant de base au calcul de sa retraite ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 octobre 2023 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 24 novembre 2023 par Maître James JUNKER pour le compte de son mandant ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2023 ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment l’acte critiqué ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître James JUNKER et Monsieur le délégué du gouvernement Marc LEMAL en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 mai 2025.
Par courrier du 25 juin 2020, le Centre de gestion du personnel et de l'organisation de l'Etat, ci-après désigné par « le CGPO », adressa à Monsieur (A), en sa qualité de fonctionnaire d’Etat, un relevé de son état de service, ledit relevé ayant encore été adressé, le même jour, à la Caisse Nationale d'Assurance Pension.
Par courrier du 20 avril 2022, Monsieur (A) s'adressa au CGPO, estimant que ce dernier avait omis de prendre en considération ses périodes d'études pour le calcul du temps de service servant de base pour le calcul de sa retraite, courrier par rapport auquel le CGPO, suite à l’intervention du médiateur en date du 5 juillet 2022, prit position, par courrier du 7 décembre 2022, comme suit :
1« (…) Dans votre courrier du 20 avril 2022 vous réclamez la prise en compte de vos années d'études pour le droit à pension. Je peux vous informer que vous faites partie du régime de pension spécial transitoire pour fonctionnaires d'Etat. Dans ce régime de pension, les années d'études ne sont pas prises en compte pour la détermination du droit à pension.
Les modalités du régime de pension spécial transitoire sont définies pour la loi modifiée du 25 mars 2015 instituant un régime de pension spécial transitoire pour les fonctionnaires de l'Etat et des communes ainsi que pour les agents de la Société nationale des Chemins de Fer luxembourgeois. Vous citez dans votre courrier un passage de l'article 4.II.a) de cette loi, mais uniquement les parties de l'article qui pourraient laisser des doutes par rapport à une ouverture éventuelle pour la prise en compte des années d'études. Vous ignorez les passages précisant clairement l'intention de l'article. L'article 4.II.a) doit évidemment être lu dans son intégralité :
« II. Comptent pour la détermination du droit à la pension au sens de l'article 7.1.1., à condition de se situer avant la cessation des fonctions, a) 1. le temps d'absence de service au sens du paragraphe I. sous a), 1. à 3. qui précède, résultant de l'interruption ou de la réduction du temps de travail, non couvert par une computation conformément au point 4. y prévu, 2. les périodes d'assurance prises en compte par le régime de pension général aux fins visées par l'article 172 du Code de la sécurité sociale, 3. les périodes d'absence de service au sens du paragraphe I. du présent article, non couvertes par une mise en compte au titre des points 1. et 2. ci-avant, et à condition qu'elles ne soient pas déjà mises en compte pour un autre régime de pension légal étranger, pendant lesquelles le parent concerné par la présente loi a élevé au Luxembourg un ou plusieurs enfants âgés de moins de six ans accomplis; ces périodes ne peuvent être inférieures à huit ans pour la naissance de deux enfants, ni être inférieures à dix ans pour la naissance de trois enfants. L'âge prévisé est porté à dix-huit ans si l'enfant est atteint d'une infirmité physique ou mentale telle qu'il ne peut subsister sans l'assistance et les soins du parent concerné, dûment constatée par la Commission des pensions, sauf si l'éducation et l'entretien de l'enfant ont été confiés à une institution spécialisée.
Dans la mesure où une mise en compte s'avère nécessaire pour la réalisation du droit à la pension prévu à l'article 7.1.1., cette mise en compte a lieu sur la base d'une décision qui est prise par l'organisme de pension compétent au plus tard au moment de la cessation des fonctions. Cette décision peut dispenser de la condition que l'enfant soit élevé au Luxembourg.
La demande de computation, accompagnée des pièces à l'appui, est à présenter à l'organisme de pension compétent. » La partie soulignée de l'article 4.II.a) indique clairement que l'ensemble de l'article vise les « périodes d'éducation d'enfants » qui sont prises en compte pour la détermination du droit à pension à partir de l'âge de soixante ans ; les points 1) à 3) prévoient les différentes formes possibles des périodes d'éducation d'enfants.
2 Dans aucun des articles de la loi précitée du 25 mars 2015, les périodes d'études sont définies comme périodes à prendre en compte pour la détermination du droit à pension. Cette prise en compte n'était jamais prévue dans le régime de pension spécial transitoire ou dans un régime prédécesseur du régime de pension spécial transitoire.
En conséquence, vos périodes d'études ne peuvent pas être considérées pour votre droit à pension et votre relevé de temps de service ne sera pas adapté. (…) ».
Par courrier du 21 février 2023, erronément daté au 21 février 2022, Monsieur (A) s’adressa au ministre la Fonction publique, ci-après désigné par « le ministre », pour critiquer la position du CGPO de ne pas prendre en compte ses périodes d’études pour le calcul du temps de service servant de base pour le calcul de sa retraite et afin de solliciter de la part de ce dernier la confirmation que « (…) mes périodes d’étude au sujet desquelles je joins une copie de mes diplômes, doivent être prises en considération au niveau de mon temps de service, qui servira de base au calcul de ma retraite (…) ».
Par courrier du 20 avril 2023, le ministre répondit au courrier de Monsieur (A) du 21 février 2023 dans les termes suivants :
« (…) Par la présente, je reviens à votre courrier du 21 février 2023, par lequel vous sollicitez, sur base de l'article 172 du Code de la sécurité sociale, la prise en compte de vos années d'études pour la détermination de votre droit à la retraite.
Par la loi modifiée du 25 mars 2015 instituant un régime de pension spécial transitoire pour les fonctionnaires de l'Etat et des communes ainsi que pour les agents de la Société nationale des Chemins de Fer luxembourgeois, il a été créé un régime de pension spécial applicable aux fonctionnaires de l'Etat entrés en service ou en fonction avant le 1er janvier 1999, de sorte que le Code de la sécurité sociale, qui est une loi générale, ne s'applique pas dans votre cas.
En effet, la loi spéciale déroge à la loi générale, ce qui signifie que lorsque deux cadres juridiques peuvent s'appliquer à une situation, l'un spécifique et l'autre général, c'est le cadre spécifique qui doit être appliqué.
Pour le surplus, je me réfère au courrier du Centre de gestion du personnel et de l'organisation de l'Etat du 7 décembre 2022, vous expliquant que dans aucun des articles de la loi précitée du 25 mars 2015, les périodes d'études ne sont définies comme périodes à prendre en compte pour la détermination du droit à pension.
Je suis donc au regret de vous informer que vos années d'études ne peuvent pas être prises en compte pour la détermination du droit à pension. (…) ».
Par requête déposée au tribunal administratif le 20 juillet 2023, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision, ainsi qualifiée par le requérant, du ministre du 20 avril 2023 refusant de prendre en considération ses périodes d'études au niveau du temps de service servant de base au calcul de sa retraite.
3A l’audience publique des plaidoiries, le tribunal a soulevé d’office la question de la recevabilité du recours sous examen tenant à l’absence de décision administrative de nature à faire grief dans le chef de Monsieur (A).
Le litismandataire de Monsieur (A) conclut au rejet du moyen d’irrecevabilité ainsi soulevé par le tribunal en faisant valoir que le courrier ministériel litigieux du 20 avril 2023 serait à considérer comme une décision de refus par rapport à sa demande explicite du 21 février 2023 exigeant la prise en considération de ses périodes d'études au niveau du temps de service servant de base au calcul de sa retraite. Il expose encore, dans ce cadre, que l’acte déféré du 20 avril 2023 serait annonciateur de la décision à intervenir quant à sa retraite.
Le délégué du gouvernement fait valoir que l’acte attaqué en l’espèce ne comporterait pas d’élément décisionnel de nature à faire grief, tel que cela serait pourtant exigé par la jurisprudence constante des juridictions administratives.
Force est au tribunal de relever que l'article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dénommé ci-après « la loi du 7 novembre 1996 », limite l'ouverture d'un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l'acte litigieux doit constituer une décision administrative, c'est-à-dire émaner d'une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et que cet acte doit affecter les droits et intérêts de la personne qui le conteste1. En d’autres termes, l’acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux doit constituer une véritable décision de nature à faire grief, c’est-à-dire, un acte final dans la procédure susceptible de produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle et patrimoniale de l’intéressé.
En ce qui concerne le courrier ministériel du 20 avril 2023, tel que déféré, force est de relever que ce dernier ne constitue pas un acte attaquable en justice qui refuse de faire droit à une demande légitime d’un administré, étant donné que le ministre s’est seulement prononcé sur une question théorique posée par Monsieur (A) sur le calcul de son temps de service le moment venu, lorsqu’il sera susceptible de partir en retraite, de sorte qu’il n’a pas opposé à ce dernier un refus de sa demande de prise en considération de ses périodes d'études au niveau du temps de service servant de base au calcul de sa retraite de nature à lui faire per se grief.
En effet, le tribunal doit, dans ce cadre, tout d’abord, relever que le grief du demandeur ne ressort pas directement du courrier ministériel déféré du 20 avril 2023, mais ne se produira, le cas échéant, qu’ultérieurement lors de la prise de la retraite de Monsieur (A), au moment où le montant mensuel de sa pension de vieillesse est fixé.
Ainsi, le courrier ministériel du 20 avril 2023 est tout au plus à considérer comme une simple information juridique, laquelle n’est pas à considérer comme un acte administratif faisant grief2, alors que le ministre s’est limité à procéder à une analyse juridique de la loi modifiée du 25 mars 2015 instituant un régime de pension spécial transitoire pour les fonctionnaires de l’Etat et des communes ainsi que pour les agents de la Société nationale des chemins de fer luxembourgeois, ci-après désignée par « la loi du 25 mars 2015 », laquelle 1 Trib. adm. du 6 octobre 2004, n° du rôle 16533, Pas. adm. 2024, V° Acte administratif, n°9 et les autres références y citées.
2 En ce sens : trib. adm. 7 mars 2007, n° 21708 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Actes administratifs, n° 93 et les autres références y citées.
4pourrait, en tant que loi spéciale, déroger à l’application de la loi générale, en l’occurrence du Code de la Sécurité sociale. Le ministre s’est, par ailleurs, référé aux conclusions du CGPO relatives à l’article 4 de la loi du 25 mars 2015, lequel avait d’ailleurs précisé dans un courrier du 25 juin 2025 que sa position est susceptible de changer jusqu’au départ en retraite effectif de Monsieur (A).
En effet, une simple information juridique, respectivement un avis juridique sur l'interprétation à donner à un texte légal ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un recours du fait de ne pas être à considérer comme un acte administratif faisant grief3.
Il suit de ces considérations le recours dirigé contre le courrier du ministre du 20 avril 2023 est à déclarer irrecevable faute d’objet.
Finalement, le demandeur sollicite la condamnation de l’Etat à un montant de 3.000 euros à titre d’indemnité de procédure, demande qui est à rejeter au regard de l’issue du litige sous examen.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
déclare irrecevable le recours dirigé contre le courrier du ministre de la Fonction publique du 20 avril 2023 ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par Monsieur (A) ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 juin 2025 par :
Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 3 Ibidem 5