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06/06/2025 | LUXEMBOURG | N°48889

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 juin 2025, 48889


Tribunal administratif Numéro 48889 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48889 4e chambre Inscrit le 2 mai 2023 Audience publique du 6 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous un autre alias, … (France), contre un bulletin d’appel en garantie de l’administration des Contributions directes en matière d’appel en garantie

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48889 du rôle et déposée le 2 mai 2023 au greffe du tribunal administratif par la so

ciété à responsabilité limitée IE.LEX SARL, inscrite sur la liste V du tableau de l’Or...

Tribunal administratif Numéro 48889 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48889 4e chambre Inscrit le 2 mai 2023 Audience publique du 6 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous un autre alias, … (France), contre un bulletin d’appel en garantie de l’administration des Contributions directes en matière d’appel en garantie

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48889 du rôle et déposée le 2 mai 2023 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée IE.LEX SARL, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg et établie à L-1930 Luxembourg, 68, avenue de la Liberté, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Daniel PHONG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), alias (A), demeurant à F…, élisant domicile en l’étude de son mandataire, préqualifié, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’un bulletin d’appel en garantie du 10 mai 2022 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 août 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le bulletin critiqué ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART en sa plaidoirie à l’audience publique du 22 avril 2025.

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En date du 10 mai 2022, le bureau d’imposition RTS Luxembourg 1 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », émit un bulletin d’appel en garantie (« Haftungsbescheid ») en vertu du paragraphe 118 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », à l’encontre de Monsieur (A), alias . (A), ci-après désigné par « Monsieur (A) », en sa qualité de gérant unique de la société à responsabilité limitée (AA) SARL, en faillite, ci-après désignée par « la Société », ledit bulletin déclarant Monsieur (A) débiteur d’un montant de … euros, en principal et intérêts, au titre de l’impôt sur les traitements et salaires pour les années d’imposition 2017, 2018 et 2019 dans les termes suivants :

« (…) Il est dû à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg par la société (AA) en faillite ayant son siège à L-…, immatriculée sous le numéro fiscal … et enregistrée au Luxembourg Business Registers sous le numéro B … à titre de l’impôt sur les traitements et salaires:

Année Principal Intérêts Total 2017 … € … € … € 2018 …. € … € … € 2019 … € … € … € TOTAL … € … € … € Il résulte du dépôt au Luxembourg Business Registers sous la référence L… du …2016 que vous avez été nommé gérant unique de la société (AA) en faillite.

En cette qualité vous avez le pouvoir d’engager la société sous votre seule signature depuis le ….2016.

En votre qualité de gérant unique vous êtes en charge de la gestion de la société (AA) en faillite.

Par conséquent et conformément aux termes des §§ 108 et § 103 AO, vous êtes personnellement tenu à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société (AA) en faillite, dont notamment le paiement des impôts dus par la société (AA) en faillite à l’aide des fonds administrés.

En vertu de l’article 136 alinéa 2 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, l’employeur est tenu de retenir l’impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel.

En vertu de l’article 136 alinéa 6 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, l’employeur est tenu à déclarer et à verser l’impôt retenu à l’Administration des contributions directes.

En vertu de l’article 136 alinéa 6 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu et du règlement grand-ducal modifié du 27 décembre 1974 concernant la procédure de la retenue d’impôt sur les salaires et les pensions, l’employeur est tenu de présenter au bureau RTS compétent les comptes de salaires ainsi que tous autres documents comptables.

Dans le cas d’une société, conformément aux termes du § 103 AO, ces obligations incombant aux employeurs sont transmises à celui qui a le pouvoir de représenter la société à l’égard des tiers.

En votre qualité de représentant de la société (AA) en faillite il vous appartient de déclarer et de verser/de veiller à la retenue, à la déclaration et au versement de la retenue d’impôt due sur les traitements et les salaires du personnel.

Or pour les années 2017 à 2019 le paiement des salaires a été fait sans que les montants à retenir aient été continués entièrement au receveur.

L’omission de retenir, de déclarer et de payer les sommes dues à titre de retenue d’impôt est à qualifier d’inexécution fautive de vos obligations en tant que représentant de la société (AA) en faillite.

L’omission de payer sur les fonds disponibles de la société (AA) en faillite les retenues échues avant votre entrée en fonction est à qualifier d’inexécution de vos obligations.

Suite à l’inexécution fautive de vos obligations, le receveur de l’Administration des contributions directes n’a pas perçu les retenues d’impôt d’un montant de … €.

Ce montant de … € se compose comme suit :

Année Principal Intérêts Total 2017 … € … € … € 2018 … € … € … € 2019 … € … € … € TOTAL … € … € … € En vertu du § 110 AO votre responsabilité pour les actes accomplis pendant la période de vos fonctions survit à l’extinction de votre pouvoir de représentation.

Considérant qu’en vertu du § 103 AO vous êtes tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société (AA) en faillite.

Considérant que l’inexécution de ces obligations est à qualifier de fautive.

Considérant que l’inexécution fautive de vos obligations a empêché la perception d’impôt sur les traitements et salaires d’un montant de … €.

Considérant que dans la mesure où, par l’inexécution fautive de vos obligations, vous avez empêché la perception de l’impôt légalement dû, vous êtes constitué débiteur de ce montant conformément au § 109 AO.

Considérant que le § 118 AO m’autorise à engager votre responsabilité.

Considérant le fait qu’en votre qualité de représentant vous êtes chargé de la gestion de la société (AA) en faillite j’engage votre responsabilité, l’appel en garantie s’élève au montant de … €, sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs.

Par conséquent, vous êtes invité à payer sans délai le montant de … €, sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs, au receveur de l’Administration des contributions directes à Luxembourg (…).

Un bulletin d’appel en garantie identique au présent fut déjà émis le 25 février 2019 et notifié à Monsieur (A) par lettre recommandée.

Le destinataire en conteste formellement sa réception dans son recours enrôlé sous le numéro 47030T.

Vérification faite, il s’est avéré que la preuve du dépôt du recommandé à la poste a été égarée de sorte que la notification du bulletin est impossible à prouver.

Un bulletin non notifié est privé d’effet exécutoire de sorte qu’il y a lieu d’en émettre un nouveau. (…) ».

Par un courrier de son litismandataire du 2 août 2022, réceptionné le 4 août 2022, Monsieur (A) saisit le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », d’une réclamation contre le bulletin d’appel en garantie précité émis le 10 mai 2022, réclamation qui ne connut aucune suite de la part dudit directeur.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 mai 2023, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation du susdit bulletin d’appel en garantie du 10 mai 2022.

Quand bien même une partie a formulé un recours en annulation à titre principal et un recours en réformation à titre subsidiaire, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, alors qu’en vertu de l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, désignée ci-après par « la loi du 7 novembre 1996 », un recours en annulation n’est possible qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements.

Conformément aux dispositions du paragraphe 119 AO, les personnes à l’encontre desquelles un bulletin d’appel en garantie a été émis bénéficient des mêmes voies de recours que celles ouvertes aux contribuables. Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3), point 3. de la loi du 7 novembre 1996, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre un bulletin d’imposition, en cas de silence du directeur pendant plus de six mois suite à une réclamation y relative lui adressée dans les délais. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation tel qu’introduit par le demandeur, lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours principal en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur expose, tout d’abord, les faits et rétroactes, tels que retracés ci-avant, en précisant avoir été nommé gérant unique de la Société par décision de l’assemblée générale extraordinaire du 24 février 2016, ladite société ayant été déclarée en état de faillite par un jugement du 1er février 2019 du tribunal d’arrondissement de Luxembourg.

En date du 10 mai 2022, le bulletin d’appel en garantie litigieux aurait été émis à son encontre par l’administration des Contributions directes afin de lui enjoindre de régler la somme de … euros au titre de retenues d’impôt de la prédite société qu’il n’aurait, à tort, pas continuées aux autorités fiscales compétentes. Il relève finalement avoir formé un recours gracieux, ainsi qu’une opposition enregistrée sous le n° du rôle …, à l’encontre du bulletin d’appel en garantie déférée.

En droit, le demandeur fait, tout d’abord, valoir que toute demande en garantie à l’égard d’un dirigeant de société nécessiterait préalablement la preuve de fautes caractérisées, respectivement de négligences avérées de sa part. Or, en l’espèce, le simple constat, opéré par le biais du bulletin d’appel en garantie litigieux, d’une violation d’une obligation fiscale découlant de l’article 103 AO dans son chef en tant que gérant de la Société déclarée en faillite le 1er février 2019, ne serait pas suffisant pour engager sa responsabilité personnelle et pour émettre, en conséquence, un bulletin d’appel en garantie à son encontre.

Le demandeur conteste finalement le montant lui réclamé à travers le bulletin d’appel en garantie litigieux de ….-€, alors qu’aucune suite n’aurait été réservée par l’administration des Contributions directes à sa demande de communication des documents justifiant le prédit montant. Il précise encore, dans ce contexte, que si le bulletin litigieux relèverait uniquement du non-paiement de prétendus salaires, il faudrait tenir compte de la circonstance que la Société n’aurait plus réglé de salaire à son seul salarié depuis de nombreux mois.

Sur base de ces arguments, le demandeur soutient que le bulletin d’appel en garantie litigieux devrait encourir la réformation.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour manquer de fondement.

Quant au bien-fondé de la décision litigieuse et notamment en ce qui concerne l’engagement de la responsabilité personnelle du demandeur, le tribunal relève qu’en vertu des dispositions de l’article 136, alinéa 4 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après dénommée « LIR », l’employeur est tenu de retenir et de verser l’impôt qui est dû sur les salaires et traitements de son personnel. Dans le cas d’une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise aux représentants de celle-ci, conformément au paragraphe 103 AO, qui dispose que « Die gesetzlichen Vertreter juristischer Personen und solcher Personen, die geschäftsunfähig oder in der Geschäftsfähigkeit beschränkt sind, haben alle Pflichten zu erfüllen, die denen Personen, die sie vertreten, obliegen ; insbesondere haben sie dafür zu sorgen, dass die Steuern aus den Mitteln die sie verwalten, entrichtet werden. Für Zwangsgeldstrafen und Sicherungsgelder die gegen sie erkannt, und für Kosten von Zwangsmitteln die gegen sie festgesetzt werden, haften neben ihnen die von ihnen vertretenen Personen ».

Il s’ensuit que le représentant d’une société commerciale est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à cette dernière et notamment de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable directement, respectivement ceux dont elle est redevable pour compte d’autrui. Ces obligations légales mettent ainsi une obligation personnelle à charge des représentants légaux d’une société.

En l’espèce, il n’est pas contesté en cause, pour ressortir des actes de la Société figurant au dossier fiscal, que le demandeur avait été nommé gérant unique de la Société, lors d’une assemblée générale extraordinaire des associés du 24 février 2016, jusqu’à la mise en faillite de ladite Société en date … 2019, de sorte que le demandeur, en tant que représentant de la Société, est, de jure, considéré responsable de l’administration de cette dernière pendant toute la période litigieuse, administration dont fait partie en l’occurrence l’accomplissement des obligations fiscales incombant à cette dernière, et plus particulièrement le paiement, sur les fonds de la Société, des impôts dont elle est redevable directement, de même que ceux dont elle est, comme en l’espèce il s’agit du paiement des retenues sur salaires et traitements, redevable pour compte d’autrui.

Quant à la mise en œuvre de la responsabilité personnelle des représentants du fait du non-paiement des impôts dont est redevable une personne morale, le paragraphe 109 AO pévoit dans son alinéa 1er ce qui suit: « Die Vertreter und die übrigen in den §§ 103 bis 108 bezeichneten Personen haften insoweit persönlich neben dem Steuerpflichtigen, als durch schuldhafte Verletzung der ihnen in den §§ 103 bis 108 auferlegten Pflichten Steueransprüche verkürzt oder Erstattung oder Vergütung zu Unrecht gewährt worden sind ». Ces dispositions légales mettent ainsi une obligation personnelle à charge des représentants légaux de la société.

Il se dégage encore du paragraphe 109, alinéa 1er AO que le simple constat d’un manquement à une obligation fiscale découlant du paragraphe 103 AO dans le chef d’un représentant légal d’une société n’est pas suffisant pour engager sa responsabilité personnelle en application du paragraphe 109, alinéa 1er AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d’appel en garantie, le législateur ayant, en effet, posé à cet égard l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive (« schuldhafte Verletzung ») des obligations du représentant de la société envers l’administration fiscale.

Le paragraphe 109 AO soumet ainsi la mise en œuvre de la garantie à la triple condition de l’existence d’une faute (« schuldhafte Verletzung ») commise dans une qualité visée au paragraphe 103 à 108 AO, d’un dommage subi par l’Etat et d’un lien de causalité entre le dommage et la faute.

Par ailleurs, le paragraphe 7, alinéa 3 de la loi d’adaptation fiscale du 16 octobre 1934, dite « Steueranpassungsgesetz », en abrégé « StAnpG », dispose que « Jeder Gesamtschuldner schuldet die ganze Leistung. Dem Finanzamt steht es frei an welchen Gesamtschuldner es sich halten will. Es kann die geschuldete Leistung von jedem Gesamtschuldner ganz oder zu einem Teil fordern ». Dès lors, en cas de pluralité de responsables, la possibilité de poursuivre simultanément tous les responsables résulte implicitement du paragraphe 7 StAnpG en vertu duquel ceux qui sont poursuivis en qualité de responsables sont tenus solidairement. Le bureau d’imposition n’est par contre pas obligé de poursuivre tous les co-responsables et peut limiter son recours contre un ou plusieurs d’entre eux1.

En toute hypothèse, il appartient au bureau d’imposition de relever les circonstances particulières qui ont déterminé son choix.

Le pouvoir du bureau d’imposition d’engager une poursuite contre un tiers responsable, et, plus particulièrement, contre le représentant d’une société, ne relève en effet pas d’une compétence liée, mais constitue un pouvoir d’appréciation dans son chef et ce, à un double 1 Trib. adm. 14 juin 2010 n° 26277, conf. par Cour adm. 6 janvier 2011, n° 27126C, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 594 (1er volet) et les autres références y citées.

titre, tout d’abord en ce qui concerne l’appréciation du degré fautif du comportement de la personne visée, et, ensuite, en ce qui concerne le choix du ou des codébiteurs contre lesquels l’émission d’un bulletin d’appel en garantie est décidée, chaque fois compte tenu des circonstances particulières de l’espèce. Il appartient dès lors à l’administration des Contributions directes de justifier la décision à ce double égard.

Quant à l’exercice du pouvoir d’appréciation par l’administration fiscale, le paragraphe 2 StAnpG dispose dans ses alinéas (1) et (2) « Entscheidungen, die die Behörden nach ihrem Ermessen zu treffen haben (Ermessensentscheidungen) müssen sich in den Grenzen halten, die das Gesetz dem Ermessen zieht. (2) Innerhalb dieser Grenzen sind Ermessensentscheidungen nach Billigkeit und Zweckmässigkeit zu treffen ». Ainsi, l’administration investie d’un pouvoir d’appréciation doit procéder selon des considérations d’équité et d’opportunité et partant se livrer à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles, en raison et en équité, de fonder sa décision.

Le tribunal constate ainsi que le non-paiement des retenues sur salaires et traitements visant les périodes litigieuses, à savoir les années 2017 à 2019, mis en l’espèce à charge du demandeur, a eu pour effet que des impôts de l’ordre de … euros en principal, ainsi que … euros en intérêts n’ont pas été perçus par le fisc.

Par conséquent, en sa qualité de gérant unique, la responsabilité personnelle du demandeur est, en principe, susceptible d’être engagée dans les conditions du paragraphe 109, alinéa 1er AO d’autant plus que sont concernées des retenues sur salaire non réglées et échues durant son mandat.

S’agissant de la question de savoir si le demandeur s’est rendu coupable d’une inexécution fautive de ses obligations, alors qu’il est rappelé, tel que relevé ci-avant, que le simple constat d’un manquement à une obligation fiscale découlant du paragraphe 103 AO dans le chef d’un représentant social n’est pas suffisant pour engager sa responsabilité personnelle en application du paragraphe 109, alinéa 1er AO, le tribunal relève que les retenues constituent des sommes d’argent qui, dès le versement du salaire, ne doivent pas recevoir une affectation autre que le seul paiement de l’impôt dû par le salarié et que l’employeur et débiteur du revenu salarial qui a opéré la retenue sans en assurer le versement au fisc a, de ce fait, nécessairement détourné les sommes retenues à d’autres fins, alors que cette partie du salaire est due à l’Etat non pas par l’employeur, mais par le salarié2. Le manquement fautif consiste dès lors dans le fait de ne pas avoir prélevé les retenues lors de l’allocation de traitements ou salaires, respectivement de ne pas avoir versé les retenues au trésor public3.

Autrement dit, en n’ayant pas veillé à ce que soient continués au Trésor l’intégralité des montants qui ont été retenus ou qui auraient dû être retenus par la Société à titre d’impôt sur les traitements et salaires, Monsieur (A) a toléré que la partie non payée des retenues d’impôt a reçu une affectation autre que le seul paiement de l’impôt dû, impôt qui est dû pour compte des salariés de la Société, de manière que l’inexécution fautive dans son chef réside dans le fait de ne pas avoir veillé à ce que soit donné à ces montants la seule affectation légalement admissible et de les avoir utilisés à d’autres fins4.

2 Cour adm. 28 juin 2019, n° 40913C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

3 Cour adm. 4 janvier 2018, n° 40087C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

4 Cour adm., 27 juillet 2016, n° 37634C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 602 et les autres références y citées.

Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, c’est partant à juste titre que le bureau d’imposition a décidé de mettre en œuvre la responsabilité personnelle du demandeur en sa qualité de gérant unique de la Société, au motif qu’il était personnellement responsable des insuffisances d’impôt qui sont la conséquence de son comportement fautif, à savoir son défaut d’avoir fait en sorte que la dette fiscale soit réglée.

Ainsi, en avançant ces considérations à l’appui de sa décision, le bureau d’imposition s’est livré à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles de fonder sa décision, de sorte que le moyen y relatif du demandeur doit encourir le rejet pour manquer de fondement.

Quant aux montants réclamés au demandeur à travers le bulletin d’appel en garantie litigieux et dont le demandeur conteste le quantum, en argumentant ne pas s’être vu soumettre, de la part de l’administration des Contributions directes, les documents y relatifs, malgré le fait d’avoir formulé une demande expresse en ce sens, le tribunal doit rappeler, comme retenu ci-

avant, que la mise en œuvre de la garantie d’un représentant d’une société nécessite l’existence d’un dommage pour l’Etat consistant dans l’insuffisance de l’impôt effectivement perçu par rapport à celui légalement dû conformément aux bulletins d’impôt émis à l’égard du débiteur principal, à travers soit des défauts de paiements de cotes d’impôts dues ou des diminutions indues des cotes d’impôts fixées, soit par le biais de l’obtention de restitutions ou de crédits d’impôts indus (« … Steueransprüche verkürzt oder Erstattung oder Vergütung zu Unrecht gewährt worden sind … »).

Ce sont partant les bulletins ayant fixé des cotes d’impôt qui constituent, à côté des paiements accomplis ou non par le débiteur principal, le facteur à la base du montant d’impôts pouvant donner lieu à un appel en garantie à l’égard d’un représentant du débiteur principal.

Il convient ensuite de souligner que les bases d’imposition telles que retenues dans les bulletins d’impôt en tant que fondement des cotes d’impôt ne sauraient partant plus être remises en cause par le garant que pour autant qu’il est encore en mesure, conformément au paragraphe 119 AO, de contester, au-delà des conditions de son appel en garantie, également la soumission du débiteur principal à l’impôt ou la cote d’impôt fixée à son égard5.

La portée du recours introduit par une personne appelée en garantie d’impôts redus par un autre débiteur principal et partant l’étendue des moyens qu’il peut soulever contre le bulletin d’appel en garantie émis à son égard se trouvent régies par le paragraphe 119 AO en vertu duquel : « (1) Wer neben dem Steuerpflichtigen oder an dessen Stelle persönlich auf Zahlung einer Steuer in Anspruch genommen wird (§ 97 Absatz 2), kann gegen seine Heranziehung die Rechtsmittel geltend machen, die dem Steuerpflichtigen zustehen. Die Frist zur Einlegung des Rechtsmittels beginnt mit Ablauf des Tags, an dem Ihm der Beschluss über seine Heranziehung zugestellt oder, wenn keine Zustellung vorgeschrieben ist, bekannt gemacht worden ist.

(2) Ist die Steuerschuld dem Steuerpflichtigen gegenüber unanfechtbar festgestellt, so hat dies gegen sich gelten zu lassen, wer als Rechtsnachfolger des Steuerpflichtigen haftet oder wer in der Lage gewesen wäre, den gegen den Steuerpflichtigen erlassenen Bescheid als dessen Vertreter, Bevollmächtigter oder kraft eigenen Rechts anzufechten ».

5 Cour adm., 10 mai 2016, n°37313C du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu Cette disposition pose le principe que le tiers appelé en garantie peut introduire les mêmes voies de recours et faire valoir les mêmes moyens contre le bulletin d’appel en garantie que ceux dont dispose le débiteur principal de l’impôt.

Cette faculté de faire valoir les mêmes moyens contre le bulletin d’appel en garantie que ceux à disposition du débiteur principal de l’impôt implique que la personne appelée en garantie est en droit de soulever tant des moyens dirigés contre la décision de l’appeler en garantie, en ce que les conditions afférentes ne se trouveraient pas réunies dans son chef, que des moyens tendant à contester la soumission du débiteur principal à l’impôt ou la cote d’impôt fixée à son égard. Le paragraphe 119 AO est sous cet aspect une application de l’assimilation de la personne appelée en garantie au débiteur même de l’impôt posée par le paragraphe 97, alinéa (2) AO6.

Il n’est dérogé à cette étendue des voies de recours à disposition de la personne appelée en garantie que dans les hypothèses prévues par le paragraphe 119, alinéa (2) AO, dont notamment celle où la personne appelée en garantie était représentant du débiteur principal en temps utile, de manière à avoir été en mesure d’introduire en cette qualité une voie de recours contre le bulletin d’impôt émis à l’égard du débiteur principal, mais que l’absence de recours a emporté l’autorité de chose décidée dans le chef dudit bulletin. Si un représentant d’une société omet d’introduire une telle voie de recours, il ne saurait conclure par après à une violation de ses droits de la défense.

En l’espèce, la situation est particulière en ce sens que les impôts en souffrance n’ont pas été fixés par voie d’assiette à travers des bulletins d’impôt formels, mais bien de bulletins d’impôt non écrits qui sont censés avoir été émis à l’égard de la Société et qui lui ont imposé de procéder aux retenues d’impôt sur traitements et salaires et de les continuer au Trésor.

A cet égard, il convient encore de souligner que conformément au paragraphe 228 AO, les bulletins non formels visés au paragraphe 212 AO figurent parmi les décisions qui peuvent être attaquées dans un délai de trois mois par voie de réclamation devant le directeur ou son délégué, la décision directoriale étant susceptible d’un recours en réformation devant le tribunal administratif, ledit délai de recours de trois mois prévu au paragraphe 228 AO commençant à courir en toute hypothèse à partir de la date supposée d’émission d’un bulletin de retenues d’impôts qui correspond, en principe, à la date de la réception de la déclaration des retenues opérées par le débiteur des revenus et du paiement afférent de sa part7. Dans l’hypothèse où les paiements n’ont pas été effectués en temps utile, le délai de recours de trois mois commence à courir à la date de réception de la déclaration des retenues qui doit être considérée comme ayant chiffré pour la première fois la créance d’impôt du trésor public.

Ainsi, et au vu des considérations qui précèdent, force est de constater qu’à la date du jugement déclaratif de faillite de la Société, à savoir le 1er février 2019 tous les bulletins non formels découlant de déclarations de retenues d’impôts sur traitements et salaires soumises au bureau d’imposition compétent par ladite société jusqu’au 1er novembre 2018 avaient acquis autorité de chose décidée. Dans la mesure où le demandeur a rempli les fonctions de gérant de la Société depuis le … 2016 et ce jusqu’au jour du jugement déclaratif de faillite, fonctions qui l’ont mis en mesure d’exercer les voies de recours légalement prévues contre lesdits bulletins, 6 Tipke-Kruse, RAO, édit. 1961, ad § 119, nos 2-3 ; Hübschmann-Hepp-Spitaler, Kommentar zur RAO, ad § 119, Anm. 2a 7 Cour adm., 27 juillet 2016, n° 37634C du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu le paragraphe 119, alinéa (2) AO l’empêche actuellement de pouvoir valablement critiquer la validité de ces bulletins non écrits émis avant le 1er novembre 2018, de manière que le caractère définitif de ces bulletins implique que l’Etat peut légalement se prévaloir des montants renseignés dans les déclarations à la base de ces bulletins, mais non réglés en temps utile par la Société, comme constituant son préjudice justifiant l’appel en garantie du demandeur.

En ce qui concerne les bulletins non formels découlant de déclarations de retenues d’impôts sur traitements et salaires soumises au bureau d’imposition à partir du 1er novembre 2018, jusqu’au jugement déclaratif de faillite, il ressort des explications circonstanciées et non contestées de la partie étatique que la Société a déposé sa déclaration concernant les retenues d’impôt sur rémunérations de l’année 2018 en date du 26 février 2019, ainsi que la déclaration concernant le mois de janvier 2019 le 28 janvier 2019.

Si le demandeur est en principe autorisé à contester le quantum de ces mêmes bulletins non formels de retenues d’impôt sur traitements et salaires, il lui appartient toutefois de rapporter la preuve des faits le libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la côte d’impôt, cette preuve pouvant être rapportée par tous les moyens hormis le serment.

En l’espèce, il échet cependant de constater que Monsieur (A) est resté en défaut de faire valoir un quelconque moyen utile pour contester les bulletins en question, le demandeur se contentant en effet d’affirmer, concernant le montant déclaré à titre de retenue d’impôt sur salaires et retenu par l’administration fiscale, que la Société n’aurait plus payé de salaires depuis des mois, sans pour autant verser une quelconque pièce à l’appui de ses dires.

A cela s’ajoute, qu’il ressort des explications circonstanciées et non utilement remises en cause du délégué du gouvernement, dans le cadre de son mémoire en réponse, que les montants déclarés, tant par la Société que par Monsieur (A), alors que les salaires litigieux sont les siens, sont les montants repris par l’autorité fiscale dans le bulletin d’appel en garantie litigieux.

Au vu des considérations qui précèdent, il échet de retenir que le demandeur, outre de ne plus être en mesure de contester les bulletins non formels émis avant le 1er novembre 2018, reste en défaut d’énerver valablement la légalité des bulletins émis postérieurement à cette date, de sorte que les contestations relatives au quantum de la dette d’impôt réclamée sont à rejeter pour ne pas être fondées.

Il suit de ce qui précède et à défaut d’autres moyens que le recours est à rejeter dans son ensemble.

Le demandeur sollicite encore l’octroi d’une indemnité de procédure s’élevant à 1.500 euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, demande qui est à rejeter au regard de l’issue du litige.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours subsidiaire en réformation recevable ;

au fond, le déclare non fondé et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours principal en annulation ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que présentée par le demandeur ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 juin 2025 par :

Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 48889
Date de la décision : 06/06/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-06-06;48889 ?

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