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06/06/2025 | LUXEMBOURG | N°48455

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 juin 2025, 48455


Tribunal administratif N° 48455 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48455 4e chambre Inscrit le 25 janvier 2023 Audience publique du 6 juin 2025 Recours formé par l’association de droit autrichien (AA), … (AT), et Monsieur (A), … contre un acte de la Commission nationale pour la protection des données, Belvaux, en matière de protection des données

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48455 du rôle et déposée le 25 janvier 2023 au greffe du tribuna

l administratif par Maître Catherine WARIN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l...

Tribunal administratif N° 48455 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48455 4e chambre Inscrit le 25 janvier 2023 Audience publique du 6 juin 2025 Recours formé par l’association de droit autrichien (AA), … (AT), et Monsieur (A), … contre un acte de la Commission nationale pour la protection des données, Belvaux, en matière de protection des données

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48455 du rôle et déposée le 25 janvier 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Catherine WARIN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de :

1) l’association de droit autrichien (AA), établie et ayant son siège social à … (Autriche), …, immatriculée au registre autrichien des associations (Zentrales Vereinsregister) sous le numéro …, représentée par son « Vorstandsvorsitzender » actuellement en fonctions, agissant pour le compte de et ensemble avec 2) Monsieur (A), demeurant à AT…, élisant domicile à l’étude de leur litismandataire sise à L-1611 Luxembourg, 9, avenue de la Gare, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un acte du 21 octobre 2022 de la Commission nationale pour la protection des données (« CNPD »), établissement public, inscrit au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro J52, établie au L-4370 Belvaux, 15, boulevard du Jazz, représentée par son collège des commissaires actuellement en fonctions ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Laura GEIGER, en remplacement de l’Huissier de justice Carlos CALVO, demeurant à Luxembourg, du 30 janvier 2023, portant signification de la prédite requête à la CNPD, préqualifiée ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Elisabeth GUISSART, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom et pour le compte de la CNPD, préqualifiée, déposée au greffe du tribunal administratif le 1er février 2023 ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 28 avril 2023 par Maître Elisabeth GUISSART au nom et pour le compte de la CNPD, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 30 mai 2023 par Maître Catherine WARIN au nom et pour le compte de ses mandants ;

1Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2023 par Maître Elisabeth GUISSART au nom et pour le compte de la CNPD, préqualifiée ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’acte critiqué ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Catherine WARIN et Maître Elisabeth GUISSART en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 février 2025.

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En date du 18 janvier 2019, l’association de droit autrichien (AA), dénommée ci-après « (AA) », en représentation de Monsieur (A), saisit l'autorité autrichienne de protection des données « Datenschutzbehörde », ci-après dénommée « la DSB », d'une réclamation contre les sociétés à responsabilité limitée (BB), (CC), (DD) et (EE), ayant chacune leur siège social à L-

…, ainsi que contre la société à responsabilité limitée de droit allemand (FF) établie à D…, toutes ensembles dénommées ci-après « (GG)», pour se plaindre de plusieurs violations de ses droits garantis par le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, désigné ci-après par « le RGPD ».

Par un courrier du 2 juillet 2019, la DSB informa Monsieur (A) et (AA) que la Commission nationale pour la protection des données, dénommée ci-après « la CNPD », était l'autorité chef de file pour traiter cette réclamation.

Par un courrier du 28 octobre 2020, la DSB informa Monsieur (A) et (AA) encore de ce qui suit :

« (…) Die Datenschutzbehörde teilt Ihnen mit, dass Ihre Anfrage vom 18. Mai 2020 der luxemburgischen Aufsichtsbehörde - konkret die Commission nationale pour la protection des données (CNPD) -, welche sich in diesem Verfahren als federführende Aufsichtsbehörde („Lead Supervisory Authority") deklariert hat, übermittelt wurde. Weiters wurde Ihre Anfrage hinsichtlich der Kontaktaufnahme durch die Beschwerdegegnerin dem Bayerischen Landesamt für Datenschutzaufsicht (BayLDA) übermittelt, welches sich in diesem Verfahren jedoch offenbar nicht als federführende Aufsichtsbehörde deklariert hat.

Die luxemburgische Aufsichtsbehörde hat die Datenschutzbehörde darüber informiert, dass das Verfahren anhängig ist sowie Untersuchungen durchgeführt werden. Eine detaillierte Mitteilung über den Stand des Verfahrens oder die Ergebnisse der Untersuchungen kann jedoch aufgrund der nationalen Rechtslage bzw. um die Ermittlungen nicht zu beeinträchtigen derzeit nicht erfolgen. Weiters kann angesichts des großen Umfangs der Untersuchungen derzeit nicht bekannt gegeben werden, wann das Verfahren abgeschlossen werden kann. (…) ».

Par un courrier électronique du 8 février 2022, adressé à la CNPD, (AA) demanda à cette dernière de l’informer sur le suivi de la réclamation du 18 janvier 2019, demande à laquelle la CNPD répondit comme suit en date du 9 février 2022 :

« (…) La Commission nationale pour la protection des données accuse bonne réception de votre courriel.

2Nous confirmons avoir reçu ladite réclamation de la part de l'autorité autrichienne dans le cadre de la coopération entre l'autorité de contrôle chef de file et les autres autorités de contrôle concernées. Ainsi, conformément à l'article 77(2) GDPR, il appartient dès lors à l'autorité autrichienne de vous informer de l'état d'avancement et/ou de l'issue de la réclamation.

Ceci étant, nous pouvons vous rassurer que le dossier est bien en cours d'instruction et qu'en fin de procédure, un projet de décision sera soumis à toutes les autorités concernées afin d'obtenir leur avis. (…) ».

Par un courrier de leur litismandataire du 1er août 2022, Monsieur (A) et (AA) demandèrent à la CNPD de « (…) prendre dans les plus brefs délais une décision motivée sur la réclamation introduite il y a bientôt trois ans, en suivant notamment les modalités prescrites par l'article 60 RGPD et conformément à l'article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations », tout en demandant un « accès à l'intégralité du dossier et aux éléments d'information dont fait usage la CNPD dans cette affaire, afin de permettre à (AA) de constater la réalité de l'avancement du traitement de la plainte (…) ».

En date du 21 octobre 2022, la CNPD adressa à Monsieur (A) et (AA) le courrier qui suit :

« (…) La Commission nationale pour la protection des données (« CNPD ») revient à votre courrier du 1er août 2022 concernant la réclamation introduite par l'organisation (AA) auprès de l'autorité autrichienne (Datenschutzbehörde —, la « DSB ») en date du 18 janvier 2019 (références IMI 62796).

Dans votre courrier, vous nous informez du fait que le 8 juillet 2019, la DSB vous a confirmé que la CNPD était l'autorité chef de file pour le traitement de la réclamation sous rubrique. Vous indiquez également que la DSB a donné à votre mandante accès au dossier le 21 décembre 2020, mais que (AA) ne reçoit plus de réponses de la part de la DSB depuis lors.

Vous faites également état du fait qu'en date du 8 février 2022, votre mandante a sollicité auprès de la CNPD un point sur l'état d'avancement du traitement de la réclamation, mais que (AA) n'aurait reçu qu'une réponse « extrêmement vague » en date du 9 février 2022 confirmant que le dossier était bien en cours d'instruction.

Pour ces raisons, vous demandez à la CNPD de (1) prendre une décision motivée dans les plus brefs délais concernant la réclamation et de (2) donner accès à votre mandante à l'intégralité du dossier et aux éléments d'information dont la CNPD fait usage dans ce dossier.

1) Sur la prise d'une décision rapide quant à la réclamation émargée et sur l'état d'avancement du dossier A titre préliminaire, et comme déjà indiqué dans notre courrier du 8 février 2022, nous pouvons vous rassurer sur le fait que la CNPD a bien reçu la réclamation dont vous faites état dans votre courrier, de la part de la DSB, via le système de coopération IMI.

Nous tenons également à vous rassurer sur le fait que le dossier est bien en cours d'instruction et de traitement auprès de la CNPD.

3Néanmoins, veuillez noter que, compte tenu du nombre de réclamations similaires introduites dans le contexte d'une question de principe liée à ce dossier, de la complexité de cette question de principe, de l'étendue des traitements réalisés par le responsable du traitement concerné, et des risques de recours juridictionnels auxquels la CNPD ferait face en cas de décision juridiquement erronée, l'instruction et le traitement de ladite réclamation nécessite beaucoup de temps et de ressources.

Nous soulignons que l'article 77 (2) du RGPD dispose que « L'autorité de contrôle auprès de laquelle la réclamation a été introduite informe l'auteur de la réclamation de l'état d'avancement et de l'issue de la réclamation, y compris de la possibilité d'un recours juridictionnel en vertu de l'article 78 ».

Il ressort de cette disposition que c'est à la DSB — auprès de laquelle la réclamation a été introduite par (AA) — d'informer sur l'état d'avancement du dossier, et non à la CNPD, qui agit en l'espèce comme autorité chef de file dans le cadre du mécanisme de cohérence et de coopération.

A cet égard, nous vous informons, à toutes fins utiles également, que la CNPD a récemment informé les autorités concernées — en ce compris l'autorité autrichienne — de l'état d'avancement du dossier via le système de coopération IMI. Il vous est loisible de soumettre une demande auprès de la DSB, afin que celle-ci vous communique l'état d'avancement du dossier.

2) Sur votre demande d'accès au dossier Dans votre courrier du 1er aout 2022, vous demandez également à la CNPD de donner à votre mandante « accès à l’intégralité du dossier et aux éléments d'information dont fait usage la CNPD dans cette affaire, afin de permettre à (AA) de constater la réalité de l'avancement du traitement de la plainte », « conformément aux articles 11 et 12 » du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations (« ci-après : « règlement grand-ducal du 8 juin 1979 »).

La CNPD tient à rappeler dans ce contexte les règles de coopération et de cohérence prévues aux articles 60 à 67 du RGPD qui exigent que l'autorité de contrôle chef de file -

coopère avec les autres autorités de contrôle concernées, tandis qu'il revient uniquement à l'autorité de contrôle auprès de laquelle une réclamation a été introduite d'être le point de contact « unique » au niveau national du réclamant et de l'informer de la décision prise.

En tant qu'autorité de contrôle chef de file, la CNPD a donc l'obligation de coopérer avec la DSB en tant qu'autorité de contrôlé concernée, (AA) ayant introduit sa réclamation auprès de l'autorité autrichienne. Il ne revient donc pas à la CNPD, mais uniquement à la DSB d'interagir directement avec l'organisation (AA), cette dernière n'étant pas à considérer comme partie à la procédure administrative luxembourgeoise au sens du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979, alors que la procédure est dirigée à l'encontre du responsable du traitement. Par conséquent, ledit règlement n'est pas applicable en l'espèce. A cela s'ajoute que le RGPD, norme juridique hiérarchiquement supérieure, prévoit une procédure spécifique par rapport à la procédure administrative non contentieuse luxembourgeoise.

A titre subsidiaire, même si le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 s'appliquait au cas d'espèce, nous attirons votre attention sur le fait que les articles 11 et 12 du règlement 4grand-ducal du 8 juin 1979 que vous invoquez pour avoir accès au dossier, ne confèrent pas un droit absolu à avoir accès au dossier administratif d'une autorité de contrôle indépendante.

Ces articles ne sauraient déroger au secret professionnel auquel est soumise une autorité de contrôle comme la CNPD, au regard des exceptions prévues à l'article 13 de ce règlement.

Dans ce contexte, la CNPD ne pourrait fournir à un réclamant l'accès à un dossier administratif en cours d'instruction par la CNPD, sans porter atteinte à son secret professionnel.

L'article 13 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 prévoit en outre que la communication des pièces pourra être refusée si « […] des intérêts prives importants, notamment ceux des parties ayant des intérêts opposés, exigent que le secret soit gardé […] ».

Une réclamation oppose en général les intérêts de la personne concernée et les intérêts de l'entité visée par la réclamation, si bien que la demande doit également être rejetée sur cette base.

En ce qui concerne les droits de la défense et le droit à un recours effectif invoqués dans votre courrier, la Cour administrative a eu l'occasion de préciser à cet égard que :

« Quant aux droits de la défense et à un recours effectif consacrés par l'article 6 de la CEDH et les articles 47 et 48 de la Charte, entrevus comme fondements d'un droit d'accès à l'ensemble du dossier des éléments examinés par la CSSF et qui ne saurait être limité que pour des motifs valables de secret professionnel et sous contrôle judiciaire, la Cour est amenée à conclure à partir des jurisprudences mises en avant par l'appelant que le respect des droits de la défense et du principe du contradictoire n'implique pas en faveur de la personne concernée un droit d'accès illimité et absolu à l'ensemble des informations traitées par l'autorité compétente dans le cadre de son enquête, mais que ledit droit doit être mis en balance avec les droits de tiers et le secret professionnel de l'autorité. » Au vu de ce qui précède, nous vous informons que la CNPD ne peut donner suite à votre demande d'accès à l'intégralité du dossier administratif comme demandé dans votre courrier du 1er aout 2022.

Bien entendu, votre mandante sera tenue informée de l'issue de sa réclamation par la DSB, conformément à l'article 77.2 du RGPD. (…) ».

Par requête déposée au tribunal administratif le 25 janvier 2023, (AA) et Monsieur (A) ont fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de l’acte précité de la CNPD du 21 octobre 2022.

Dans son mémoire en réponse, la CNPD conclut d’abord à l’irrecevabilité de la requête introductive d’instance pour cause de libellé obscur, pour absence d’un acte administratif faisant grief, pour défaut de qualité à agir de la part de (AA), ainsi que pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de Monsieur (A), tout en relevant l’incompétence du tribunal relative aux demandes tendant à lui adresser des injonctions.

A titre liminaire, le tribunal donne acte à la CNPD qu’à l’audience des plaidoiries, elle a déclaré renoncer à son moyen mettant en cause la qualité à agir de (AA) dans la présente affaire en application de l’article 80, paragraphe (1) du RGPD.

5Quant au moyen d’irrecevabilité du recours pour cause de libellé obscur, la CNPD donne à considérer que la requête introductive d’instance serait confuse et difficilement compréhensible, de sorte à porter atteinte à ses droits de la défense.

En effet, d’un côté, le recours viserait son courrier du 21 octobre 2022, alors que de l’autre côté, il y serait fait état du « silence de la CNPD équivalent à une décision de refus », par laquelle elle aurait rejeté la réclamation du 18 janvier 2018.

Ainsi, il ne serait pas clair quelle décision serait finalement visée par le recours et partant, quels arguments concerneraient quelle décision.

De plus, le recours subsidiaire en annulation ne mentionnerait aucun des cas d'ouverture précis, tels qu’ils seraient énoncés à l'article 2.1 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, dénommée ci-après « la loi du 7 novembre 1996 », de sorte qu’il ne serait pas possible de savoir s’il lui serait reproché une incompétence, un excès ou un détournement de pouvoir, respectivement une violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés.

La CNPD explique encore, dans son mémoire en duplique, que le fait pour elle d’avoir fourni un mémoire en réponse volumineux et détaillé ne contredirait pas son argumentation relative à un libellé obscur, alors que le « volume » de ses écrits s'expliquerait exclusivement par la nécessité de « tenter de répondre à l'écheveau des moyens » de la requête introductive d’instance, « en diversifiant les hypothèses et réponses aux prises de position sibyllines » de (AA) et de Monsieur (A). En effet, si les demandes et moyens de la requête introductive d’instance avaient été limpides, il lui aurait été possible d’y répondre de façon beaucoup plus directe et succincte.

(AA) et Monsieur (A) font répliquer qu’il n'y aurait aucune contradiction ou obscurité dans leurs écrits, alors que la lettre de la CNPD du 21 octobre 2022 matérialiserait les refus à leurs deux demandes, à savoir la demande qu’une décision au fond soit enfin prise, ainsi que la demande d'accès au dossier.

Ainsi, le refus sur leur première demande devrait être qualifié d'« implicite », alors que la CNPD, dans le courrier litigieux, n'aurait pas explicitement ou directement refusé de prendre une décision, mais s'en serait tenue à répondre que « le dossier est en cours de traitement ».

Par ailleurs, au vu du volume et du degré de détail du mémoire en réponse, il semblerait, pour (AA) et Monsieur (A), que la CNPD n'aurait pas eu de réelles difficultés à comprendre « cela ». Cette dernière n'aurait pas davantage eu de mal à comprendre que la loi violée en l’espèce serait le RGPD.

Aux termes de l’article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, dénommée ci-après « la loi du 21 juin 1999 », « (…) La requête, qui porte date, contient :

– les noms, prénoms et domicile du requérant, – la désignation de la décision contre laquelle le recours est dirigé, – l’exposé sommaire des faits et des moyens invoqués, – l’objet de la demande, et 6– le relevé des pièces dont le requérant entend se servir. », l’article 29 de la même loi disposant que « L’inobservation des règles de procédure n’entraîne l’irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense ».

L'exceptio obscuri libelli, qui est d'application en matière de contentieux administratif, sanctionne de nullité l'acte contrevenant aux prescriptions de l’article 1er précité de la loi du 21 juin 1999, dont le but est de permettre au défendeur de savoir quelle est la décision critiquée et quels sont les moyens à la base de la demande, afin de lui permettre d'organiser utilement sa défense1. En l'absence de grief effectif porté aux droits de la défense de la partie défenderesse, le moyen d'irrecevabilité pour libellé obscur est à écarter2.

Il appartient ainsi au tribunal saisi d'apprécier in concreto si l'exposé sommaire des faits et des moyens, ensemble les conclusions s'en dégageant, est suffisamment explicite ou non.

Force est d’abord au tribunal de relever que si le recours de (AA) et de Monsieur (A) prête effectivement à confusion en ce qu’il est, dans ses développements, d’un côté, question d’une « décision » explicite de la CNPD du 21 octobre 2022 et, d’un autre côté, fait référence à une décision implicite de cette dernière, force est de retenir qu’il appert cependant clairement à la lecture de la requête introductive d’instance que l’acte visé par le recours est bien le courrier de la CNPD du 21 octobre 2022, tel que cité in extenso ci-avant, lequel est d’ailleurs précisément mis en avant à la première page du recours, étant encore relevé que le dispositif de la requête introductive d’instance ne fait également référence qu’à une seule « décision » de la CNPD, non autrement spécifiée, mais visant nécessairement l’acte du 21 octobre 2022.

En effet, à défaut d’avoir expressément visé une décision implicite de la CNPD dans le dispositif de la requête introductive d’instance, le recours ne saurait pas être dirigé contre une telle décision de la CNPD, quand bien même (AA) et Monsieur (A) en fassent état dans leurs conclusions, en ce qu’ils font plaider que le fait, pour le courrier du 21 octobre 2022, de ne pas répondre à leur demande d’une prise de décision au fond sur leur réclamation équivaudrait à un refus implicite de cette dernière.

Il s’ensuit que la CNPD n’a pas pu se tromper sur l’acte visé par le recours, à savoir son courrier du 21 octobre 2022.

Il ressort ensuite de ses mémoires déposés dans la présente affaire que malgré la confusion dont elle fait état, la CNPD a cependant bien pu présenter sa défense sur plusieurs pages en prenant position sur la recevabilité et le fond de l’affaire en répondant, comme elle le souligne elle-même, à toutes les hypothèses évoquées par la requête introductive d’instance.

Il résulte des considérations qui précèdent que le moyen d’irrecevabilité relatif à un libellé obscur de la requête introductive d’instance est à rejeter.

En ce qui concerne ensuite plus particulièrement le moyen d’irrecevabilité pour défaut d’objet, respectivement d’incompétence du tribunal administratif, invoqué par la CNPD, tenant à l’absence de décision administrative de nature à faire grief, la CNPD fait plaider que l’acte 1 trib. adm. 30 avril 2003, n° 15482 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 534 et les autres références y citées.

2 trib. adm. 12 juin 2002, n° 14304 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 535 et les autres références y citées.

7attaqué ne comporterait pas d’élément décisionnel de nature à faire grief, tel que cela serait pourtant exigé par la jurisprudence constante des juridictions administratives.

Elle estime à cet égard que son courrier du 21 octobre 2022 ne serait qu’une simple lettre d'information, alors que ce dernier ne porterait aucune décision, mais ne serait que l'expression d'une opinion destinée à éclairer l'administré sur les droits qu'il peut faire valoir ou plus généralement sur sa situation juridique. De même, un avis sur l'interprétation à donner à un texte légal ne seraient pas susceptibles de faire l'objet d'un recours.

Dans le cadre de son mémoire en duplique, la CNPD demande à constater que dans leur mémoire en réplique, (AA) et Monsieur (A) n’auraient pas pris position par rapport à ce moyen d’irrecevabilité.

Dans leur requête introductive d’instance, (AA) et Monsieur (A) justifient la recevabilité de leur recours dirigé contre l’acte de la CNPD du 21 octobre 2022, sur base de l’article 47, paragraphe (1) de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dénommée ci-après « la Charte », consacrant le droit de toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés, à un recours effectif devant un tribunal, tel que ce droit, en matière de protection des données personnelles, serait encore consacré par l'article 78, paragraphe (2) du RGPD, lorsque l'autorité de contrôle compétente ne traiterait pas une réclamation ou n'informerait pas la personne concernée, dans un délai de trois mois, de l'état d'avancement ou de l'issue de la réclamation introduite au titre de l'article 77 du même texte.

Ils en concluent que toute décision adoptée par la CNPD dans l'exercice de ses pouvoirs devrait pouvoir faire l'objet non seulement d'un recours, mais également d'un recours de pleine juridiction, tel que ce recours serait également prévu par l'article 55 de la loi du 1er août 2018 portant organisation de la Commission nationale de la protection des données, dénommée ci-

après « la loi du 1er août 2018 ».

Force est au tribunal de relever que l'article 2 de la loi du 7 novembre 1996 limite l'ouverture d'un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l'acte litigieux doit constituer une décision administrative, c'est-à-dire émaner d'une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et que cet acte doit affecter les droits et intérêts de la personne qui le conteste3. En d’autres termes, l’acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux doit constituer une véritable décision de nature à faire grief, c’est-à-dire, un acte final dans la procédure susceptible de produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle et patrimoniale de l’intéressé.

En ce qui concerne l’acte de la CNPD du 21 octobre 2022, tel que déféré, force est de relever que ce dernier ne constitue pas un acte attaquable en justice qui refuse de faire droit à une demande légitime d’un administré, étant donné que tel que relevé ci-avant, la CNPD n’a pas opposé à (AA) et à Monsieur (A) un refus de leur demande d’une prise de décision au fond sur leur réclamation, alors qu’il ressort expressément des termes non équivoques de ce courrier que la CNPD se limite à informer (AA) et Monsieur (A), qu’en application de l'article 77, paragraphe (2) du RGPD, c’est l’autorité de contrôle auprès de laquelle la réclamation a été introduite, à savoir en l’occurrence la DSB, auprès de laquelle il incombe au réclamant de 3 Trib. adm. du 6 octobre 2004, n° du rôle 16533, Pas. adm. 2024, V° Acte administratif, n°9 et les autres références y citées.

8s’informer sur l'état d'avancement, ainsi que sur l'issue de sa réclamation, et auprès de laquelle il faut nécessairement également solliciter des pièces y relatives, afin de respecter la systémique du mécanisme de coopération et de cohérence prévu aux articles 60 et suivants du RGPD.

Ainsi, l’acte déféré du 21 octobre 2022, en ses deux volets, est tout au plus à considérer comme une simple information juridique, laquelle n’est pas à considérer comme un acte administratif faisant grief4.

Il en va de même pour le fait que la CNPD a, dans ledit courrier, rassuré, de manière volontaire, (AA) et Monsieur (A) que leur réclamation est bien en cours d'instruction et de traitement auprès d’elle et qu’elle a informé la DSB de l'état d'avancement du dossier via le système de coopération IMI.

Si la CNPD a ensuite, à « titre subsidiaire », procédé à une analyse de l’application du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations, dénommé ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », cela ne saurait tout au plus être considéré comme un avis juridique non susceptible de recours.

En effet, une simple information juridique, respectivement un avis juridique sur l'interprétation à donner à un texte légal ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un recours du fait de ne pas être à considérer comme un acte administratif faisant grief5.

Il suit de ces considérations que le recours dirigé contre le courrier de la CNPD du 21 octobre 2022, dans ses deux volets, est à déclarer irrecevable faute d’objet.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’invocation, par (AA) et Monsieur (A), des articles 47, paragraphe (1) de la Charte, 78, paragraphe (2) du RGPD et 55 de la loi du 1er août 2018, alors que le courrier actuellement déféré de la CNPD, tel que retenu ci-avant, n’est justement pas à considérer comme un acte susceptible de recours au sens des dispositions ainsi invoquées.

La CNPD n’ayant pas établi en quoi il serait inéquitable qu'elle supporte seule les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, elle est à débouter de sa demande en allocation d'une indemnité de procédure d’un montant de 5.000 euros, présentée en application de l’article 33 de la loi du 21 juin.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

donne acte à la CNPD de ce qu’elle renonce à son moyen tenant à une violation de l’article 80, paragraphe (1) du RGPD ;

déclare irrecevable le recours dirigé contre le courrier de la CNPD du 21 octobre 2022 ;

4 En ce sens : trib. adm. 7 mars 2007, n° 21708 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Actes administratifs, n° 93 et les autres références y citées.

5 ibidem 9rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par la CNPD ;

condamne (AA) et Monsieur (A) in solidum aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 juin 2025 par :

Paul Nourrissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourrissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 48455
Date de la décision : 06/06/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-06-06;48455 ?

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