Tribunal administratif No 49416 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49416 3e chambre Inscrit le 12 septembre 2023 Audience publique du 4 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du Ministre de la Sécurité intérieure, en matière de discipline
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49416 du rôle et déposée le 12 septembre 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du Ministre de la Sécurité intérieure du 12 juin 2023 ayant prononcé, à son égard, la sanction de la révocation prévue à l’article 13, point 10 de la loi du 18 juillet 2018 relative au statut disciplinaire du personnel du cadre policier de la Police grand-ducale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 16 novembre 2023 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 15 décembre 2023 par Maître Jean-Marie BAULER pour le compte de son mandant, préqualifié ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 janvier 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jonathan HOLLER, en remplacement de Maître Jean-Marie BAULER, et Madame le délégué du gouvernement Pascale MILLIM en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 janvier 2025.
Par un rapport de la police grand-ducale établi par le contrôleur de la circonscription régionale de Luxembourg, désignée ci-après par « le contrôleur », daté au 20 mars 2013, portant le numéro de référence …, intitulé « BRM », le Directeur de la Circonscription Régionale Luxembourg, désigné ci-après par « le directeur régional », fut informé du fait que plusieurs personnes provenant de l’entourage de travail direct du commissaire en chef, Monsieur (A), chef du groupe …, avaient rapporté des suspicions à son encontre relativement à des faits de détournement de fonds de sa part à diverses occasions.
Par courrier du même jour, le directeur régional ordonna au contrôleur d’entamer une enquête administrative dans ce contexte.
Il ressort ensuite d’un rapport de la police grand-ducale, établit par le contrôleur le 8 avril 2013 portant le numéro de référence …, intitulé « BRM », et transmis en date du même jour au directeur régional, qu’en date du 21 mars 2013 Monsieur (A) a été entendu afin de prendre position par rapport à ces reproches.
Par courrier du 8 mai 2013, le directeur régional, informa le directeur général de la police grand-ducale, désigné ci-après par « le directeur général » de la nécessité de muter Monsieur (A) vers une autre unité que le « … », en raison de l’ambiance détériorée au sein dudit groupe en relation avec les faits reprochés au concerné.
Par courrier du 21 mai 2013, le directeur général adjoint de la police grand-ducale, désigné ci-après par « le directeur général adjoint », notifia un ordre de détachement à Monsieur (A) en mains propres le jour suivant avec effet au 22 mai 2013 jusqu’à nouvel ordre.
Suite à un courrier lui adressé le 23 mai 2013 par le directeur général adjoint l’informant qu’une enquête administrative était ouverte à l’encontre de Monsieur (A), le Procureur d’Etat informa le directeur général adjoint, par courrier du 3 juin 2013, qu’une enquête judiciaire était en cours auprès de l’Inspection Générale de la Police, désignée ci-après par l’« IGP », à l’encontre de Monsieur (A) du chef d’abus de confiance et d’escroquerie.
Par courrier du 12 juin 2013, notifié à l’intéressé en mains propres le lendemain, le directeur régional adjoint informa Monsieur (A) qu’il faisait l’objet d’une instruction disciplinaire « sur base du dossier … renseignant sur [ses] problèmes d’ordre financier. » conformément aux articles 30 et suivants de la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force Publique, désignée ci-après par « la loi du 16 avril 1979 », information également transmise au directeur général par courrier du 13 juin 2013 du directeur régional adjoint.
Par courrier du 11 août 2014, le Procureur d’Etat informa le directeur général de l’ouverture d’une instruction judiciaire à l’encontre de Monsieur (A) des chefs de corruption, trafic d’influence, faux, usage de faux, escroquerie, abus de confiance et blanchiment d’argent, le Procureur d’Etat y faisant, par ailleurs, part de son avis qu’une suspension immédiate des fonctions de policier de Monsieur (A) s’imposerait.
Par courrier du 12 août 2014, notifié au concerné le lendemain, le directeur général adjoint prononça la suspension de l’exercice de son emploi à l’égard de Monsieur (A) avec effet au 13 août 2014, décision qui fut confirmée par le ministre de la sécurité intérieure, désigné ci-après par « le ministre », par décision du 14 août 2014 notifiée à l’intéressé en mains propres en date du 28 août 2014.
Par courrier du 30 octobre 2018 du directeur général, l’instruction disciplinaire à l’encontre de Monsieur (A) a été transmise à l’IGP en vertu de la loi du 18 juillet 2018 relative au statut disciplinaire du personnel du cadre policier de la Police-Grand-ducale, désignée ci-
après par « la loi du 18 juillet 2018 », élément duquel Monsieur (A) fut informé par courrier de l’IGP du 27 novembre 2018.
Par jugement du … 2020 du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, Monsieur (A) fut condamné, au pénal, notamment du chef de corruption passive, de trafic d’influence, d’escroquerie, de tentative d’escroquerie, d’abus de confiance, et de blanchiment, à une peine d’emprisonnement de 18 mois, dont 12 mois assortisd’un sursis probatoire, ainsi qu’à une amende correctionnelle de 1.000.- euros, ainsi qu’au civil à rembourser diverses sommes à diverses parties civiles.
Par courrier du 7 octobre 2020, Monsieur (A) a été convoqué de se présenter aux locaux de l’IGP le 28 octobre 2020 pour une audition dans le cadre de l’instruction disciplinaire ouverte à son encontre, audition reportée à plusieurs reprises et qui eût finalement lieu le 21 juillet 2021.
En date du 2 février 2022, l’enquêteur de l’IGP en charge de l’instruction disciplinaire à l’encontre de Monsieur (A), désigné ci-après par « l’enquêteur », clôtura ladite instruction disciplinaire par l’émission d’un rapport d’instruction.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 7 février 2022, l’inspecteur général adjoint de la police, désigné ci-après par « l’inspecteur général adjoint », informa Monsieur (A) de la clôture de l’instruction disciplinaire à son encontre, ainsi que de son droit de prendre inspection du dossier, de présenter des observations et de demander un complément d’instruction dans un délai de 10 jours conformément à l’article 27, alinéa 2 de la loi du 18 juillet 2018. En date du 9 février 2022, une copie du dossier de l’instruction disciplinaire fut remise en mains propres au mandataire de Monsieur (A).
A travers un courrier de son mandataire ad litem du 14 février 2022, Monsieur (A) fit parvenir ses observations relatives au rapport d’instruction à l’inspecteur général adjoint, courrier qui fut transmis à l’enquêteur par courrier du 23 février 2022. Celui-ci prit position auxdites observations de Monsieur (A) par un courrier du 4 mars 2022, transmis à l’intéressé par courrier de l’inspecteur général de la police, désigné ci-après par « l’inspecteur général », du 30 mars 2022.
Par courrier du 27 avril 2022, l’enquêteur informa l’inspecteur général de la clôture de l’instruction disciplinaire à l’encontre de Monsieur (A).
Par courrier du 4 juillet 2022, le directeur général transmit conformément à l’article 27, alinéa 3 de la loi du 18 juillet 2018, le dossier relatif à l’instruction disciplinaire de Monsieur (A) pour attribution au Conseil de discipline de la Police grand-ducale, désigné ci-après par « le Conseil de discipline ».
Par avis du 10 mai 2023, le Conseil de discipline proposa d’appliquer à Monsieur (A) la sanction disciplinaire prévue à l’article 13, point 10 de la loi du 18 juillet 2018, à savoir la sanction de la révocation.
Par décision du 12 juin 2023, notifiée en mains propres à Monsieur (A) le 21 juin 2023, le ministre prononça à l’égard de celui-ci la sanction de la révocation, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] Vu l'avis du Conseil de discipline de la Police grand-ducale du 10 mai 2023 dont copie ci-jointe ;
Vu les faits retenus à charge du commissaire en chef (A) suspendu de l'exercice de ses fonctions depuis le 12 août 2014, à savoir :
3 Par un jugement rendu par le Tribunal correctionnel le … 2020, l'intéressé a été condamné pour corruption pour avoir accepté des sommes d'argent de plusieurs personnes en contrepartie de la promesse d'intervenir en leur faveur dans des procédures en cours. Il a été condamné pour trafic d'influence pour avoir accepté une somme d'argent d'une personne en contrepartie de la promesse d'intervenir en sa faveur auprès du ministère des affaires étrangères. Il a été condamné pour abus de confiance pour avoir incité des personnes à lui remettre des sommes d'argent qu'il promettait fallacieusement de placer pour elles. Il a été condamné pour escroquerie notamment pour avoir poussé des subordonnés à lui remettre sous des prétextes fallacieux des sommes d'argent qu'il promettait d'investir dans un projet immobilier en Géorgie et pour avoir emprunté des sommes d'argent à diverses personnes sous des prétextes fallacieux. Les sommes d'argent ainsi escroquées sont parties, en partie du moins, en fumée dans des paris sportifs à l'insu des victimes.
L'intéressé a encore été condamné pour tentative d'escroquerie pour avoir essayé de récupérer sur son compte personnel l'indemnisation que l'assurance devait à une tierce personne. Il a finalement été condamné pour blanchiment-détention de versements opérés sur son compte justifié par des pièces non conformes à la réalité.
Pour ces faits, l'intéressé a notamment été condamné à une peine d'emprisonnement de 18 mois, dont une durée de 12 mois assortie du sursis probatoire avec l'obligation de se soumettre à un traitement médical et d'indemniser les victimes moyennant des paiements mensuels minimum de 2.000 euros jusqu'à épuisement des créances de ces dernières, ainsi qu'à une amende de 1.000 euros ;
Il est de jurisprudence que le principe « non bis in idem » ne s'oppose pas à ce qu'il soit infligé, à raison des mêmes faits, une sanction pénale et une sanction administrative, dès lors que la mise en place de chacun de ces types de sanction repose sur un objet différent, de nature à assurer la sauvegarde de valeurs ou d'intérêts qui ne se confondent pas. En effet, si la sanction pénale, de manière générale, tend à la préservation de l'ordre public ou de l'ordre social, la répression disciplinaire tend à assurer la cohérence interne de l'administration en sanctionnant un agent qui a manqué à ses obligations et à sauvegarder sa crédibilité auprès des administrés.
S'il est vrai que le délai raisonnable a été dépassé dans le cadre de la procédure disciplinaire, notamment en raison du fait qu'il avait été omis de renouveler le mandat des membres du Conseil de discipline, l'affaire disciplinaire n'ayant comparu devant le Conseil de discipline que 3 ans après le jugement du tribunal correctionnel, il ne faut cependant pas perdre de vue que le dépassement du délai raisonnable dans l'affaire disciplinaire ne s'est pas soldé par un préjudice particulier dans le chef de Monsieur (A), puisque tout en étant suspendu de ses fonctions, il a continué à toucher son salaire pendant les 9 années qu'a duré la procédure.
Les faits qui sont reprochés à Monsieur (A) sont d'une extrême gravité et totalement incompatibles avec la fonction de policier et le statut du fonctionnaire, peu importe par ailleurs ses états de service. Il serait en effet inconcevable qu'un policier coupable de corruption, d'abus de confiance et d'escroquerie puisse rester en fonction. La réputation des services de police a été gravement atteinte par cette affaire, alors surtout qu'elle a été largement commentée dans la presse.
4 Considérant qu'en agissant ainsi, le commissaire en chef a violé la discipline des policiers et les devoirs qui en découlent, et plus particulièrement ceux énoncés aux articles 4 et 7, alinéas 1er et 2 de la loi du 18 juillet 2018 relative au statut disciplinaire du personnel du cadre policier de la Police grand-ducale, à savoir :
- ne pas avoir en tant que supérieur hiérarchique donné l'exemple par sa façon de se comporter et d'accomplir ses devoirs;
- ne pas avoir évité tout ce qui pourrait nuire à l'image de la Police, porter atteinte à la dignité de ses fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service ;
- ne pas s'être comporté avec dignité et civilité envers les autorités publiques, ses supérieurs hiérarchiques, ses subordonnés et envers les citoyens qu'il traite avec compréhension, prévenance et sans aucune discrimination ;
Considérant que le Conseil de discipline a retenu dans son avis du 10 mai 2023 comme sanction à prononcer à l'égard de l'inculpé, la révocation prévue à l'article 13, point 10° de la loi du 18juillet 2018 relative au statut disciplinaire du personnel du cadre policier de la Police grand-ducale ;
Vu l'article 2 de la loi du 18 juillet 2018 précitée et l'article 53, alinéa 1er de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat ;
Vu l'article 13, point 10° de la loi du 18 juillet 2018 relative au statut disciplinaire du personnel du cadre policier de la Police grand-ducale ;
Vu l'article 15, paragraphe 2, point 4° et paragraphe 5 de la loi la loi du 18 juillet 2018 relative au statut disciplinaire du personnel du cadre policier de la Police grand-ducale ;
Arrête:
Article 1er.- La révocation est prononcée à l'encontre du commissaire en chef (A) à compter de la notification de la présente.
Article 2.- En application de l'article 15, paragraphe 2, point 4° et paragraphe 5 de la loi du 18 juillet 2018 précitée, l'intéressé est de plein droit suspendu de l'exercice de son emploi et privé de la moitié de son traitement et des rémunérations accessoires à compter de la notification de la présente. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 septembre 2023, inscrite sous le numéro 49416 du rôle, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre du 12 juin 2023.
I. Quant à la compétence du tribunal et la recevabilité du recours Aux termes de l’article 35 de la loi du 18 juillet 2018 prévoyant un recours au fond contre les sanctions disciplinaires visées à l’article 13, points 4 à 10 prononcées à l’égard d’un policier, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titreprincipal contre la décision précitée du ministre du 12 juin 2023 prononçant la sanction de révocation, prévue à l’article 13, point 10 de la loi du 18 juillet 2018 à l’égard de Monsieur (A).
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Dans son mémoire en réponse, la partie étatique se rapporte encore à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité du recours introduit par Monsieur (A).
En ce qui concerne les contestations de la partie étatique relative à la recevabilité du recours, force est au tribunal de rappeler qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions1.
Dès lors, dans la mesure où l’Etat est resté en défaut de préciser dans quelle mesure la requête introductive sous analyse ne serait pas recevable, ledit moyen est rejeté pour ne pas être fondé.
Il s’ensuit que le recours principal en réformation dirigé contre la décision déférée du ministre du 12 juin 2023 est recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi, étant relevé que le tribunal n’entrevoit pas de causes d’irrecevabilité d’ordre public à soulever d’office.
II. Quant au fond A titre liminaire, il convient de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par les parties, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, l’examen de la légalité externe précédant celui de la légalité interne.
A) Quant à la légalité externe de la décision déférée 1) Quant à la violation du principe de légalité Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours et en fait, tout en reprenant les rétroactes passés en revue ci-
avant, le demandeur explique être entré au service de la gendarmerie le 31 octobre 1984, puis au sein de la police grand-ducale en 2000, où il aurait été nommé Commissaire en chef le 1er juin 2007.
En droit, le demandeur conclut tout d’abord à une violation du principe de légalité consacré par l’article 14 de la Constitution et l’article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après par « la CEDH », alors que les incriminations dont il ferait l’objet seraient trop vagues et qu’il n’aurait pas su à quelle peine 1 Trib. adm., 23 janvier 2013, n° 30455 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 930 (2e volet) et les autres références y citées.s’attendre tant l’éventail des sanctions serait important et que le principe de la légalité de la peine ne serait plus garanti.
Il fait, dans ce contexte, valoir qu’un dénommé Monsieur (B) aurait, pour des faits similaires, été sanctionné d’une amende et « quelque temps plus tard » de la rétrogradation, exemple qui établirait l’incertitude qui planerait entre le manquement invoqué et la sanction prononcée et qui démontrerait qu’une énumération, même détaillée, « des sanctions et obligations » laisserait une grande latitude au pouvoir disciplinaire qui disposerait ainsi d’un pouvoir discrétionnaire, voire arbitraire. Cette impression serait, par ailleurs, corroborée par le fait que l’avis du Conseil de discipline serait consultatif et que l’administration n’aurait pas l’obligation de suivre ledit avis.
Il estime ensuite que quand bien même la législation disciplinaire d’autres pays ne prévoirait pas non plus une sanction spécifiquement rattachée à un manquement déterminé, et que quand bien même la Cour Constitutionnelle aurait jugé que le droit disciplinaire tolèrerait une marge d’indétermination et que « l’article 53 » permettrait suivant la Cour d’éviter l’arbitraire, le demandeur estime que ledit article aurait pour finalité de permettre au fonctionnaire de bénéficier d’éventuelles circonstances atténuantes. Or, en l’espèce, le Conseil de discipline, en précisant dans son avis que l’application des sanctions disciplinaires se règlerait d’après la gravité de la faute commise, le grade, la nature de l’emploi et les antécédents de la personne poursuivie confondrait la personnalisation de la sanction et la légalité des manquements et peines. Le demandeur en conclut qu’afin de pouvoir évaluer si « l’application théorique de la personnalisation de la sanction permet d’éviter l’arbitraire », il y aurait lieu d’enjoindre la communication « de toutes les décisions disciplinaires, ainsi que les avis rendus par le Conseil de discipline entre le 18 juillet 2018 et le 31 août 2023 ».
Dans son mémoire en réplique, le demandeur réitère en substance ses développements, tout en contestant la pertinence de l’arrêt de la Cour administrative du 25 février 2021, inscrit au numéro 45262C du rôle, cité par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse.
Il précise encore que la décision ministérielle litigieuse viserait « l’article 53 » uniquement dans le visa, sans pour autant en faire une application concrète à son cas.
Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet de ce moyen pour ne pas être fondé.
Analyse du tribunal En vertu de l’article 7, paragraphe 1er de la CEDH « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise ». Ledit article consacre le principe de la légalité des peines tel que prévu également par l’ancien article 14 et actuel article 19 de la Constitution, en vertu duquel « Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu de la loi ». Tel que cela a été retenu par la Cour Constitutionnelle à différentes occasions, en droit disciplinaire, la légalité des peines suit les principes généraux du droit pénal et doit observer les mêmes exigences constitutionnelles de base. Le principe de la légalité de la peine entraîne la nécessité de définir les infractions en termes suffisamment clairs et de préciser le degré de répression pour en exclure l’arbitraire et pour permettre aux intéressés de mesurer exactement la portée de ces dispositions et le principe de la spécification de l’incrimination est le corollaire de celui de la légalité des peines. La Cour Constitutionnellea encore retenu que le droit disciplinaire tolère dans la formulation des comportements illicites et dans l’établissement des peines à encourir une marge d’indétermination sans que le principe de la spécification de l’incrimination et de la peine n’en soit affecté, si des critères logiques, techniques et d’expérience professionnelle permettent de prévoir avec une sureté suffisante la conduite à sanctionner et la sévérité de la peine à appliquer.2 La Cour Constitutionnelle a pareillement retenu que le principe de la légalité des peines ne fait pas obstacle à ce qu’en matière disciplinaire les infractions soient définies par référence aux obligations légales et réglementaires auxquelles est soumise une personne en raison des fonctions qu’elle exerce, de la profession à laquelle elle appartient ou de l’institution dont elle relève.3 En l’espèce, le tribunal constate que l’argumentation du demandeur tendant à la violation de l’ancien article 14, actuel article 19 de la Constitution et l’article 7 de la CEDH, se résume à la critique par lui (i) d’avoir fait l’objet d’incriminations trop vagues, (ii) de ne pas avoir pu anticiper la sanction prononcée par le ministre, (iii) que le ministre aurait fondé sa décision sur un « article 53 » sans pour autant l’appliquer réellement et (iv) que l’avis du Conseil de discipline ne serait que consultatif, sans obligation pour le ministre de le suivre.
En ce qui concerne tout d’abord les critiques du demandeur relatifs à la nature consultative de l’avis du Conseil disciplinaire, le tribunal se doit de constater que l’intéressé reste en défaut de préciser en quelle mesure la nature consultative de l’avis du Conseil de discipline, tel que prévu à l’article 23 de la loi du 18 juillet 2018, se heurterait en l’espèce aux articles 19 de la Constitution ou 7 de la CEDH. En effet, les développements du demandeur à cet égard, pourtant rédigés par son mandataire ad litem, professionnel de la postulation, ne permettent pas au tribunal d’entrevoir une quelconque corrélation entre la nature consultative de l’avis du Conseil de discipline et une violation desdits articles. Il y a, en effet, lieu de rappeler qu’afin de pouvoir utilement réformer ou annuler une décision administrative, le tribunal, en tant qu’organe juridictionnel, est appelé à statuer par rapport aux moyens tant en droit qu’en fait qui lui sont soumis par la partie demanderesse, mais il ne lui appartient pas, en l’absence de moyens concrètement soumis, - sous la réserve de moyens d’ordre public qui sont à soulever d’office -, d’instruire de sa propre initiative une demande qui lui est adressée : ainsi l’exposé d’un moyen de droit requiert normalement de désigner la règle de droit qui serait violée, mais également la manière dont celle-ci aurait été violée par l’acte attaqué4. Il n’appartient en effet pas au tribunal administratif de suppléer à la carence du demandeur et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions5. D’autre part, le tribunal n’est pas en mesure de prendre position par rapport à des moyens simplement suggérés sans être soutenus effectivement.
Ce même constat s’impose en ce qui concerne l’argumentation suivant laquelle le ministre, tout en visant « l’article 53 » - pour autant que l’intéressé ait ainsi entendu se référer à l’article 53 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, désignée ci-après par « le statut général », - n’aurait pas appliqué ledit article pour fixer 2 cf. arrêt n° 23/04 du 3 décembre 2004 de la Cour Constitutionnelle, Mém. A n° 201 du 23 décembre 2004.
3 cf. arrêt n° 41/07 du 14 décembre 2007 de la Cour Constitutionnelle, Mém. A n° 1 du 11 janvier 2008.
4 Trib. adm., 27 mai 2013, n° 32017 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 520 z(1er volet) et les autres références y citées.
5 Trib. adm., 5 juillet 2000, n° 11527 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 525 (1er volet) et les autres références y citées.la sanction disciplinaire prononcée à son égard, le demandeur restant en défaut d’expliquer quel élément prévu audit article le ministre aurait omis de prendre en compte.
En ce qui concerne ensuite la critique du demandeur suivant laquelle les « incriminations » dont il ferait l’objet seraient trop vagues, et pour autant qu’il ait ainsi entendu critiquer une absence de précision dans la décision du ministre des manquements disciplinaires retenus à sa charge, le tribunal constate qu’il ressort de la décision déférée que le ministre se réfère, en ce qui concerne les reproches retenus à charge de Monsieur (A), tant à l’avis du Conseil de discipline du 10 mai 2023, faisant ainsi partie intégrante de ladite décision, qu’au jugement prémentionné du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du … 2020, par lequel l’intéressé a été condamné à une peine d’emprisonnement de 18 mois, dont 12 mois assortis d’un sursis probatoire des chefs notamment de corruption, de trafic d’influence, abus de confiance, tentative d’escroquerie, escroquerie et blanchiment-détention, tout en mettant en exergue que lesdits faits seraient d’une gravité extrême et seraient incompatibles avec la fonction de policier et le statut de fonctionnaire, de même qu’il y vise expressément à cet égard les articles 4 et 7, alinéas 1er et 2 de la loi du 18 juillet 2018.
Si, certes, ladite décision ne précise pas, moyennant une liste exhaustive, l’ensemble des reproches retenus à sa charge, il se dégage néanmoins de la lecture de celle-ci que le ministre a basé sa décision sur l’ensemble des faits retenus à charge de Monsieur (A) tant au niveau correctionnel par le jugement du tribunal d’arrondissement du … 2020, qu’au niveau disciplinaire, tel que suggéré par le Conseil de discipline dans son avis du 10 mai 2023, le demandeur ne contestant pas avoir connaissance de l’ensemble de ces actes et des faits lui reprochés y contenus. Il s’ensuit que le moyen relatif à une violation du principe de légalité des incriminations et des peines, en ce que les manquements disciplinaires retenus à charge de l’intéressée seraient trop vagues, est à rejeter pour ne pas être fondé.
En ce qui concerne ensuite la critique du demandeur suivant laquelle les « incriminations » dont il ferait l’objet seraient trop vagues, ainsi que sa critique tenant à sa prétendue impossibilité de prévoir la sanction applicable à ses manquements, le tribunal rappelle qu’en matière disciplinaire, la Cour Constitutionnelle a relevé dans ses arrêts des 3 décembre 2004 et 14 décembre 2007, inscrits sous les numéros de registre 23/04, respectivement 41/07, que si en règle générale le droit disciplinaire devait répondre aux exigences du principe de la légalité des peines, le droit disciplinaire est appelé à tolérer dans la formulation des comportements illicites et dans l’établissement des peines à encourir une marge d’interprétation, sans que le principe de la spécification de l’incrimination et de la peine ne soit affecté, dans la mesure où des critères logiques, techniques et d’expérience professionnelle permettaient de prévoir avec une sûreté suffisante la conduite à sanctionner et la sévérité de la peine à appliquer. De même, ledit principe de la légalité des peines ne fait pas obstacle à ce qu’en matière disciplinaire les infractions soient définies par référence aux obligations légales et réglementaires auxquelles est soumise une personne en raison des fonctions qu’elle exerce, de la profession à laquelle elle appartient ou de l’institution dont elle relève6.
Dans la mesure où, tel que retenu ci-avant le ministre vise, dans sa décision du 12 juin 2023, les articles 4 et 7, alinéas 1er et 2 de la loi du 18 juillet 2018 que l’intéressé aurait méconnu, le moyen tendant à une violation du principe de légalité est, sous cet aspect, 6 Cour adm. 4 juillet 2017, n° 39250C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Fonction publique, n° 355, (2ème volet) et l’autre référence y relevée.également à rejeter, étant précisé qu’en droit disciplinaire, le choix d’une peine dans le catalogue des peines par le législateur est forcément conditionné par une marge d’appréciation de l’auteur de la décision, qui est en définitive soumise au contrôle du juge7.
Ce constat n’est pas énervé par la référence non autrement précisée du demandeur à une affaire disciplinaire d’un dénommé « Monsieur (B) », le tribunal se trouvant, faute de développements circonstanciés de la part du demandeur à cet égard, dans l’impossibilité d’entrevoir une quelconque pertinence d’une affaire disciplinaire d’une autre personne relativement à une violation des articles 19 de la Constitution et 7 de la CEDH par la décision ministérielle sous analyse. Il s’ensuit, par ailleurs, que la demande, formulée exclusivement dans le corps de la requête introductive d’instance du demandeur, d’enjoindre à la partie étatique de communiquer « toutes les décisions disciplinaires, ainsi que les avis rendus par le Conseil de discipline entre le 18 juillet 2018 et le 31 août 2023 » encourt le rejet pour défaut de pertinence, étant, par ailleurs, relevé que les juridictions administratives n’ont pas été instituées pour procurer aux plaideurs des satisfactions purement platoniques ou leur fournir des consultations.
Il s’ensuit que le moyen du demandeur tendant à une violation des articles 19 de la Constitution et 7 de la CEDH encourent le rejet pour ne pas être fondé, étant relevé que le bien-
fondé de la décision du ministre, notamment la proportionnalité de la sanction prononcée, fera, le cas échéant, l’objet d’une analyse au fond ci-dessous.
2) Quant à la violation des droits de la défense et de l’article 6 de la CEDH Moyens et arguments des parties Tout en citant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme relative à l’application de l’article 6 de la CEDH en matière disciplinaire, le demandeur fait ensuite valoir que la décision ministérielle pêcherait d’une violation dudit article à plusieurs égards.
Dans ce contexte il fait tout d’abord valoir une violation du principe d'impartialité et d’indépendance consacré par l’article 6 de la CEDH, notamment en ce qui concerne la composition du Conseil de discipline, le demandeur critiquant plus particulièrement le fait que dans cet organe décisionnel, siègeraient des représentants de l’Etat, alors que ce dernier serait pourtant partie en cause.
Ainsi, le Conseil de discipline serait composé notamment d’un délégué du ministère de la Fonction publique et d’un délégué du ministère d’Etat qui, eux, devraient être considérés comme parties en cause, du fait de disposer d’une délégation de signature pour le compte des ministres respectifs et du fait de représenter ceux-ci régulièrement dans la gestion quotidienne de l’administration. Le demandeur rajoute que lesdits représentants de l’Etat au sein du Conseil de discipline risqueraient d’avoir eu, en amont et au sein de leurs ministères respectifs, une connaissance des dossiers jugés par le Conseil de discipline auprès duquel ils siègent de sorte qu’il se poserait un problème d’équilibre face au seul représentant de la chambre des fonctionnaires et employés publics. L’ensemble de ces circonstances ne garantirait pas leur indépendance et impartialité dans leur rôle de membre du Conseil de discipline.
7 Trib. adm., 21 mai 2014, n° 32235 du rôle, confirmé par Cour adm., 26 février 2015, n° 34682C du rôle, disponibles sous www.jurad.etat.lu.Le demandeur invoque, à ce titre deux décisions du Conseil constitutionnel français qu’il estime pertinentes en l’espèce par analogie en ce que la première aurait invalidé un article du code de l’action sociale et des familles pour contrariété à la Constitution française en ce qu’il prévoyait la participation de fonctionnaires dans la composition d’une commission centrale d’aide sociale en méconnaissance du principe d’indépendance, et la deuxième ayant décidé que les dispositions, prévoyant que deux fonctionnaires, représentant le ministre de la santé et le ministre de l’outre-mer, siégeant au sein du conseil national de l’ordre des pharmaciens, seraient contraires à la Constitution pour méconnaître le principe d’indépendance, alors même que celles-ci prévoyaient que lesdits représentants ministériels y siègent avec voix consultative.
Dans ce contexte, le demandeur se réfère encore à un avis du Conseil d’Etat sur la question du prétendu déséquilibre dans la composition du Conseil de discipline et fait valoir que les représentants du ministère de la Fonction publique et du ministère d’Etat représenteraient « l’employeur », partie en cause.
En deuxième lieu, toujours dans le cadre d’une violation de l’article 6 de la CEDH, le demandeur s’estime victime d’une différence de traitement, dans la mesure où la loi du 18 juillet 2018 instaurerait un régime disciplinaire différent pour les membres de la police que pour les fonctionnaires relevant de la fonction publique générale, dans la mesure où, pour les premiers, le ministre resterait compétent pour prononcer une sanction disciplinaire à leur encontre, sur base seulement d’un avis non contraignant du Conseil de discipline, tandis que les membres de la fonction publique générale seraient sanctionnés par le Conseil de discipline directement sans que le ministre du ressort du concerné ne soit compétent pour prononcer seul une telle sanction.
Cette philosophie poserait, selon le demandeur, un problème d’indépendance et d’impartialité de la procédure, alors qu’un risque d’arbitraire serait ainsi attaché aux sanctions prononcées par le ministre. Dans ce contexte, le demandeur estime que l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 15 novembre 2013, inscrit sous le numéro 00102 du registre, par lequel celle-ci se serait prononcée sur le caractère non décisionnel de l’avis du Conseil de discipline dans le cadre de la discipline dans la force publique résultant de la loi du 16 avril 1979, ne serait plus pertinent. En effet, en adoptant la loi du 18 juillet 2018, le législateur aurait entendu faire sortir la discipline des policiers des règles de la discipline militaire afin de doter ledit personnel d’un statut disciplinaire spécifique, le demandeur estimant que ladite loi serait constitutive d’un rapprochement entre la discipline des policiers et celle de la fonction publique générale.
Le demandeur en conclut qu’il y aurait lieu de poser la question préjudicielle suivante à la Cour Constitutionnelle : « La loi du 18 juillet 2018 relative au statut disciplinaire du personnel du cadre policier de la Police grand-ducale, en ce qu’elle instaure une procédure disciplinaire spécifique à l’égard des membres de la Police grand-ducale, et plus particulièrement l’article 22 alinéa 2 et l’article 30 alinéa 1er en ce qu’ils prévoient l’avis consultatif du conseil de discipline, alors que le statut général des fonctionnaires de l’Etat confère un pouvoir décisionnel au Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat, est-elle conforme à l’article 15, paragraphe 1er, de la Constitution ? ».
Toujours dans le cadre du moyen tendant à une violation de l’article 6 de la CEDH, le demandeur fait encore valoir qu’il ne se serait pas vu notifier les faits lui reprochés, cette garantie fondamentale résultant pourtant, de l’avis de l’intéressé, des articles 56, paragraphe(3) du statut général, ainsi que de l’article 24 de la loi du 18 juillet 2018 et 31, paragraphe (3) de la loi abrogée du 16 avril 1979, de sorte que ses droits de la défense auraient été violés. Il précise à cet égard que suite à la reprise par l’IGP de l’instruction disciplinaire diligentée à son encontre, cette dernière ne lui aurait, malgré le fait que son mandataire ad litem aurait soulevé ce point dans un courrier du 14 février 2022, pas notifié les faits à la base de ladite procédure disciplinaire. Il reproche, à cet égard, encore au Conseil de discipline d’avoir, dans son avis du 10 mai 2023, rejeté son moyen de nullité tiré de ce chef au motif qu’il se serait vu notifier les faits lui reprochés par un courrier du directeur régional adjoint du 12 juin 2013. L’intéressé fait à cet égard valoir que ledit courrier se référerait uniquement « au dossier … renseignant sur ses problèmes d’ordre financier », et ne comporterait dès lors pas la teneur ou le nombre des faits lui reprochés, Monsieur (A) mettant encore en exergue qu’il n’aurait d’ailleurs pas non plus eu accès au dossier ainsi référencé, élément de fait que l’enquêteur en charge de l’instruction disciplinaire à son encontre aurait d’ailleurs admis aux pages 17 et 18 de son rapport d’instruction du 2 février 2022. Lors de son audition devant ledit enquêteur, il aurait, en outre expressément demandé qu’il lui soit donné acte de ce fait, le demandeur citant à cet égard plusieurs jugements du tribunal administratif desquels il ressortirait qu’en matière de discipline dans la force publique l’agent poursuivi devrait se voir notifier une information écrite devant contenir l’énumération des faits qui lui sont reprochés, et que cette garantie relèverait de l’ordre public pour toucher aux droits de la défense.
Le demandeur en conclut que la décision litigieuse devrait encourir à l’annulation pour violation de cette garantie essentielle.
Dans un même ordre d’idées, ses droits de la défense auraient été violés, alors que le dossier administratif ne lui aurait, en violation de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, désigné ci-après par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », ainsi que du principe d’une bonne administration, pas été communiqué. Dans la mesure où, par ailleurs, la pratique de la communication du dossier administratif serait établie en matière disciplinaire générale, il en résulterait encore une différence de traitement dans son chef, alors qu’il n’existerait aucune raison d’exclure les policiers de cette pratique. Monsieur (A) critique en outre le délai de dix jours duquel il aurait disposé pour prendre position au rapport d’instruction, alors que celui-ci ferait 20 pages et dont les pièces auraient été compilées dans deux classeurs.
Finalement, le demandeur fait encore valoir qu’il serait inacceptable que le Conseil de discipline aurait, dans son avis du 10 mai 2023, fait état d’antécédents disciplinaires dans son chef remontant à 1993 et 2012.
Dans son mémoire en réplique, outre de réitérer ses développements précédents relatifs à la composition du Conseil de discipline, le demandeur conteste la pertinence de la jurisprudence des juridictions administratives sur ce point, invoquée par le délégué du gouvernement, alors que, d’une part, il serait de jurisprudence entretemps constante que même si le Conseil de discipline n’est pas soumis à l’article 6 de la CEDH, il devrait néanmoins respecter les principes généraux de droit et que, d’autre part, il ne s’agirait plus de la seule question de considérer la composition du Conseil de discipline comme l'application traditionnelle du principe de l'échevinage qui, il serait vrai, tendrait à rechercher un équilibre dans la représentation des parties présentes au sein d'une quasi juridiction ayant un pouvoir décisionnel, mais que son moyen viserait un manque d'indépendance du Conseil de discipline dans la mesure où ce dernier ne serait qu'un des services du ministère de la Fonction publique.
Dans le cadre de la violation du principe d’impartialité objective, il ne serait pas question de rechercher si les différents fonctionnaires du ministère de la Fonction publique auraient ou non manifesté d’une quelconque manière un comportement caractérisé permettant de conclure à une appréhension raisonnable de préjugé, à savoir un problème de partialité subjective, mais de la structure même ou de l’organisation de l’entité concernée.
En ce qui concerne le défaut de notification des faits lui reprochés, outre de réitérer ses développements contenus dans sa requête introductive d’instance, le demandeur fait valoir qu’il ressortirait des travaux parlementaires de la loi du 18 juillet 2018 que l’IGP aurait, à partir du moment où elle est saisie, l’obligation d’informer l’agent poursuivi des faits lui reprochés.
Pour appuyer par ailleurs son affirmation selon laquelle lors de son audition en date du 21 juillet 2021, il aurait informé l’enquêteur ne pas avoir connaissance des faits lui reprochés, il y aurait lieu d’entendre ce dernier comme témoin pour en attester.
Il réfute encore l’argumentation de la partie étatique suivant laquelle il aurait eu le temps nécessaire pour étudier le dossier disciplinaire lui mis à disposition par l’IGP suite à la clôture de l’instruction disciplinaire, au motif qu’il aurait par courrier de son litismandataire du 14 février 2022, pris position sur trois pages par rapport au rapport d’instruction du 2 février 2022, le demandeur soulignant que ledit courrier ne serait au contraire que sommaire.
Quant à la mention d’antécédents disciplinaires dans le cadre de l’avis du Conseil de discipline du 10 mai 2023, le demandeur réfute l’argumentation de la partie étatique que ceux-
ci n’auraient pas été pris en compte dans la fixation de la sanction disciplinaire, tout en s’interrogeant sur la raison de les mentionner dans ledit avis dans ce cas.
Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet dudit moyen pour ne pas être fondé.
Analyse du tribunal Quant à l’article 6, paragraphe 1er de la CEDH, celui-ci dispose que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle […] ».
Si l’article 6, précité, impose certes des impératifs à respecter en matière de procès équitable, les garanties afférentes n’ont néanmoins pas pour autant vocation à s’appliquer au niveau d’une procédure disciplinaire purement administrative, en ce qu’elles n’entrent en ligne de compte qu’à un stade ultérieur, au niveau de l’instance juridictionnelle compétente pour connaître du recours dirigé contre la décision administrative traduisant l’aboutissement de ladite procédure disciplinaire.
Or, tant l’IGP que le Conseil de discipline critiqués en l’espèce ne constituent qu’une étape dans le processus décisionnel aboutissant à la sanction disciplinaire et ne revêtent pas en eux-mêmes un caractère juridictionnel, de sorte que les moyens avancés par le demandeur, en ce qu’ils sont basés sur une violation alléguée de l’article 6 de la CEDH au niveau de la procédure disciplinaire administrative ayant précédé la décision déférée, laissent d’être fondés.
Force est de relever que, même si l’autorité administrative en charge de la procédure disciplinaire n’est pas formellement soumise au respect de l’article 6 de la CEDH, il a été jugé qu’elle est néanmoins tenue d’observer les principes généraux de droit, tels que le principe de procédure équitable, le respect des droits de la défense ou encore le principe général d’impartialité, et ce, même en l’absence d’un texte exprès8.
A cet égard, il a été retenu qu’il échet d’une manière générale d’assurer que l’enquête disciplinaire soit conduite par une personne compétente à condition que son impartialité ne soit pas contestable. De même, l’autorité amenée à prendre la décision sur la sanction à appliquer doit être impartiale d’un point de vue subjectif, en ce qu’elle ne doit pas avoir procédé à des prises de position antérieures de nature à préjuger du résultat de la procédure disciplinaire, de même qu’il est exigé que, d’un point de vue objectif, ledit organe ne puisse pas être soupçonné de partialité objective, la partialité objective pouvant découler de conditions structurelles ou organisationnelles qui autoriseraient à suspecter l’impartialité d’un organe9.
Quant à la composition du Conseil de discipline En ce qui concerne les développements du demandeur relatifs à la composition du Conseil de discipline, force est de constater que cette mise en doute de l’impartialité de cet organe se base sur le seul constat qu’il a été composé, outre de deux magistrats, d’un représentant du ministère de la Fonction publique, ainsi que d’un représentant du ministère d’Etat, ces derniers membres manquant, d’après le demandeur, d’objectivité du fait de leur pouvoir de représentation des ministres de leurs ressorts respectifs dans la gestion quotidienne des affaires courantes.
Aux termes de l’article 59, alinéa 1er du statut général, lequel est, en vertu de l’article 2 de la loi du 18 juillet 2018 applicable en matière des discipline des policiers, « Le Conseil de discipline est composé de deux magistrats de l'ordre judiciaire, d'un délégué du ministre [ de la Fonction Publique ], d'un délégué du ministre d'Etat et d'un représentant à désigner par la Chambre des Fonctionnaires et Employés Publics, ainsi que d'un nombre double de suppléants choisis selon les mêmes critères. […]. ».
Il a été retenu que la seule présence au sein du Conseil de discipline d’un fonctionnaire du ministère de la Fonction publique et d’un représentant du ministère d’Etat ne permet pas de conclure à une appréhension raisonnable de préjugé lorsque ces fonctionnaires n’ont pas manifesté d’une quelconque manière un comportement caractérisé permettant de conclure à une appréhension raisonnable de préjugé et notamment lorsque ceux-ci n’ont pas été appelés à prendre précédemment une décision ou à effectuer une intervention qui les auraient conduits à prendre position ou à émettre une appréciation pouvant constituer un préjugé sur le litige leur soumis en tant que membres du conseil de discipline.10 Il convient encore de souligner que dans ce contexte, la Cour administrative a retenu que le fait de déduire un caractère non objectif de la composition du Conseil de discipline du simple fait de l’appartenance d’un ou de deux représentants appartenant à la sphère de 8 Trib. adm., 12 mars 2008, n° 21852a du rôle, Pas. adm. 2024, V° Fonction publique, n° 277 (1er volet) et les autres références y citées.
9 Trib. adm., 8 juillet 2015, n°34312 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Fonction publique, n° 277 (2e volet) et les autres références y citées.
10 Trib. adm., 12 mars 2008, n° 21852a du rôle, Pas. adm. 2024, V° Fonction publique, n° 295 (1er volet) et les autres références y citées.l’employeur public reviendrait à consacrer l’arrêt de mort de toute juridiction fonctionnant d’après le système de l’échevinage, lequel a jusque lors été, à juste titre, regardé comme étant celui qui conciliait au mieux la représentation des deux parties intéressées en matière de conflits du travail et de sécurité sociale au sens large, sous la présidence d’un ou de plusieurs magistrats de l’ordre judiciaire appelés à garantir la continuité de l’application adéquate du droit en matière11.
Le demandeur restant, en l’espèce, en défaut de rapporter des éléments de preuve concrets à cet égard, le moyen tiré d’une absence d’impartialité dans le chef du Conseil de discipline est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant à une différence de traitement des fonctionnaires de l’Etat et des policiers En ce qui concerne ensuite les développements du demandeur relatifs à une différence de traitement résultant de l’instauration par la loi du 18 juillet 2018 d’une procédure disciplinaire spécifique applicable aux policiers, celle-ci se différenciant de la procédure disciplinaire de la fonction publique générale prévue au statut général, notamment dans la mesure où le Conseil de discipline n’émettrait qu’un avis non décisionnel à l’égard des premiers, le tribunal relève, pour autant que le demandeur ait ainsi entendu soulever une violation de l’ancien article 10bis et actuel l’article 15, paragraphe (1) de la Constitution, que ledit article prévoit, dans sa version actuelle : « […] Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi. La loi peut prévoir une différence de traitement qui procède d’une disparité objective et qui est rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but. ».
Il convient de rappeler que le principe d’égalité de traitement est compris comme interdisant le traitement de manière différente de situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée. Il appartient par conséquent aux pouvoirs publics de traiter de la même façon tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit.
Cependant, les pouvoirs publics peuvent, sans violer le principe d’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que les différences instituées procèdent de disparités objectives, qu’elles soient rationnellement justifiées, adéquates et proportionnées au but.
Le contrôle de la constitutionalité d’une loi appartenant toutefois exclusivement à la Cour Constitutionnelle, il est rappelé que l’article 6 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, désignée ci-après par « la loi du 27 juillet 1997 », dispose que : « Lorsqu’une partie soulève une question relative à la conformité d’une loi à la Constitution devant une juridiction, celle-ci est tenue de saisir la Cour Constitutionnelle.
Une juridiction est dispensée de saisir la Cour Constitutionnelle lorsqu’elle estime que:
a) une décision sur la question soulevée n'est pas nécessaire pour rendre son jugement;
b) la question de constitutionnalité est dénuée de tout fondement;
c) la Cour Constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet. […] ».
Or, s’il n’est certes pas contesté que l’autorité compétente pour prononcer une sanction disciplinaire à l’encontre d’un fonctionnaire relevant de la fonction publique en générale constitue le Conseil de discipline, tandis qu’en vertu des articles 17 et 22 de la loi du 18 juillet 11 Cour adm., 17 décembre 2009, n° 25839C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Fonction publique, n° 300 et les autres références y citées.2018, ce pouvoir appartient au ministre sur base d’un avis du Conseil disciplinaire, en ce qui concerne les policiers, c’est à bon droit que la partie étatique argue que la Cour Constitutionnelle a d’ores et déjà répondu à cette question en jugeant qu’une telle différence de traitement serait justifiée et proportionnée au but.
C’est en effet à tort que le demandeur argue que les enseignements de la Cour Constitutionnelle en la matière ne seraient, depuis l’adoption de la loi du 18 juillet 2018 plus applicables, alors que si certes l’arrêt de la Cour Constitutionnelle prémentionné du 15 novembre 2013, inscrit sous le numéro 00102 du registre, a été rendu sur base d’une question préjudicielle visant la loi du 16 avril 1979, laquelle n’est plus applicable depuis la loi du 18 juillet 2018, ladite question préjudicielle avait néanmoins pour objet une différence de traitement entre les fonctionnaires relevant de la fonction publique générale et les fonctionnaires relevant de la force publique, en ce que le Conseil disciplinaire ne rend qu’un avis consultatif en matière de discipline de la force publique, tandis que les fonctionnaires relevant de la fonction publique générale étaient sanctionnés par une décision dudit Conseil de discipline.
Dans la mesure où la Cour constitutionnelle a retenu que «[…] la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force publique, en ce qu’elle instaure une procédure disciplinaire spécifique à l’égard des membres de la Police grand-ducale, et plus particulièrement l’article 31 de la prédite loi, en ce qu’il confie l’instruction disciplinaire au supérieur hiérarchique du fonctionnaire en cause, et l’article 33 en ce qu’il prévoit l’avis consultatif du conseil de discipline, n’est pas contraire à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution; […] » et ce, sur base de la considération notamment que « […] le régime disciplinaire applicable aux fonctionnaires de la Force publique accorde toutefois à ces derniers un ensemble de garanties procédurales substantielles; qu’ainsi le chef hiérarchique rassemble tous les éléments à charge et à décharge susceptibles d’avoir une influence sur la décision à prendre, qu’il notifie au fonctionnaire les faits qui lui sont reprochés, que le fonctionnaire peut présenter ses observations et demander un complément d’instruction, que le Conseil de discipline doit donner son avis pour l’application de peines plus graves que les peines mineures, que le Conseil de discipline peut, soit d’office, soit à la demande de l’inculpé, ordonner toutes mesures d’instruction complémentaires susceptibles d’éclairer les faits, que l’inculpé et son défenseur ont le droit de prendre connaissance du dossier dans les trois jours précédant chaque audience, que l’avis du Conseil de discipline est motivé, que la décision qui inflige une décision disciplinaire est motivée et arrêtée par écrit, et que le fonctionnaire en est informé suivant des règles de notification précises; […] », le tribunal n’entrevoit pas en quelle mesure ces enseignements ne seraient pas applicables à la procédure disciplinaire instaurée par la loi du 18 juillet 2018. En effet, il aurait appartenu au demandeur d’établir en quelle mesure la loi du 18 juillet 2018, notamment en prévoyant, à l’instar de la loi du 16 avril 1979 le rôle uniquement consultatif du Conseil disciplinaire, serait à tel point différente de la procédure sur ce point instaurée par l’ancienne loi du 16 avril 1979, que les conclusions tirées par la Cour constitutionnelle dans son arrêt précité ne seraient pas transposables en l’espèce, notamment en établissant en quelle mesure un policier visé par une procédure disciplinaire dans le cadre de la loi du 18 juillet 2018 ne bénéficierait pas des garanties procédurales lesquels justifiaient, aux yeux de la Cour Constitutionnelle, la différence de traitement avec les fonctionnaires relevant de la Fonction publique générale. A titre superfétatoire, il y a, tel que relevé à bon droit par la partie étatique, par ailleurs, lieu de constater qu’en vertu de l’article 20 de la loi du 18 juillet 2018, la sanction prononcée par le ministre sur avis du Conseil de discipline ne saurait, en tout état de cause, être plus sévère que celle proposée par ledit Conseil, de sorte que les développements du demandeur tenant au risque d’arbitraire dans la fixation de la sanctionpar le ministre, à défaut d’intervention contraignante de la part du Conseil de discipline, sont également à rejeter pour ne pas être fondés.
Il s’ensuit qu’en application de l’article 6, point c) de la loi du 27 juillet 1997, il n’y a pas lieu de poser la question préjudicielle afférente à la Cour Constitutionnelle et que le moyen afférent encourt le rejet.
Quant au moyen tenant à une violation des droits de la défense de Monsieur (A) résultant d’un défaut de notification des faits lui reprochés ainsi que du dossier administratif Aux termes de l’article 56, paragraphe (3) du statut général « Le commissaire du Gouvernement informe le fonctionnaire présumé fautif des faits qui lui sont reprochés avec indication qu’une instruction disciplinaire est ordonnée. […] ».
Aux termes de l’article 31, paragraphe (3) de la loi du 16 avril 1979, laquelle ne s’applique désormais plus aux policiers, « Le chef hiérarchique notifie au militaire de l’Armée et le personnel policier du corps de la Police et de l’Inspection générale de la Police présumé fautif les faits qui lui sont reprochés. […] », tandis que l’article 24 de la loi du 18 juillet 2018 prévoit que « Lorsque des faits, faisant présumer que le policier a manqué à ses devoirs, sont à sa connaissance, le directeur général de la Police saisit l’inspecteur général de la Police qui fait procéder à une instruction disciplinaire.
L’Inspection générale de la Police informe le policier des faits qui lui sont reprochés avec indication qu'une instruction disciplinaire est ouverte. Cette information est valablement faite par lettre recommandée avec accusé de réception à l'adresse sous laquelle le concerné est inscrit au registre national des personnes physiques ou à l’adresse qu’il a déclarée à l'administration comme sa résidence. ».
En l’espèce, il ressort du dossier administratif que lors de l’ouverture de l’instruction disciplinaire à l’encontre du demandeur sous l’égide de la loi du 16 avril 1979, ce dernier en a été informé par un courrier du directeur régional adjoint du 12 juin 2013 avec l’information que ladite instruction serait ouverte « sur base du dossier … renseignant sur [ses] problèmes d’ordre financier. ».
Il ressort par ailleurs du dossier administratif que Monsieur (A) a été informé, par courrier de l’IGP du 27 novembre 2018 de la reprise par l’IGP de l’instruction disciplinaire à son encontre, ledit courrier référençant également l’affaire disciplinaire « … ».
Il échet tout d’abord de constater que l’article 56, paragraphe (3) du statut général n’est, aux termes de l’article 2 de la loi du 18 juillet 2018 pas applicable en matière de discipline des policiers, de sorte que les développements relatifs à une violation dudit article sont d’ores et déjà à rejeter pour ne pas être fondés.
Le tribunal relève ensuite que si certes les articles 31, paragraphe (3) de la loi du 16 avril 1979, applicable au moment de l’ouverture de l’instruction disciplinaire à l’encontre du demandeur, ainsi que l’article 24 de la loi du 18 avril 2018, applicable au moment de la reprise de ladite instruction par l’IGP, prévoient une obligation d’informer le policier non seulement de l’ouverture d’une instruction disciplinaire à son encontre, mais également des faits lui reprochés, il échet néanmoins de constater que le respect de l’obligation prévue auxdits articles n’est pas une fin en soi, mais tend à garantir le respect des droits de la défense du policierpoursuivi, de sorte qu’il appartient à celui-ci d’établir un grief dans son chef résultant de la méconnaissance de ladite obligation.
Or, s’il ne ressort en l’espèce certes d’aucun élément du dossier que Monsieur (A) aurait été informé, au moment de l’ouverture de l’instruction disciplinaire diligentée à son encontre, ni même avant son audition, dans ce contexte, par l’enquêteur en charge de ladite instruction en date du 21 juillet 2021, de l’ensemble des faits lui reprochés, ni la référence à des « problèmes d’ordre financier », ni celle à un « dossier … » n’étant suffisantes à cet égard, le demandeur reste en défaut d’établir en quelle mesure ses droits de la défense auraient ainsi in concreto été violés.
En effet, s’il ressort certes du rapport d’instruction du 2 février 2022 que l’intéressé a, lors de son audition par l’enquêteur en date du 21 juillet 2021, indiqué qu’il n’avait pas connaissance d’une liste exhaustive des faits lui reprochés, il n’en a pas pour autant tiré une quelconque conséquence lors de ladite audition. Ainsi, il n’a, à aucun moment lors de ladite audition, indiqué à l’enquêteur qu’il n’était pas en mesure de se défendre par rapport à l’un des faits lui reprochés, le demandeur ayant, au contraire pris position par rapport à chaque fait dans le cadre de ladite audition. Il échet encore de relever que si l’ouverture de l’instruction disciplinaire à l’encontre du concerné a été ouverte en 2013, il n’a été entendu par l’enquêteur dans le cadre de l’instruction disciplinaire qu’en 2021, suite seulement au jugement prémentionné du tribunal d’arrondissement du … 2020 par lequel l’intéressé a été condamné pénalement pour les mêmes faits lui reprochés dans le cadre de la procédure disciplinaire à son encontre. Monsieur (A) ne saurait dès lors, en tout état de cause, arguer qu’il n’aurait, faute d’avoir eu connaissance d’une liste exhaustive des faits lui reprochés dans le cadre de la procédure disciplinaire, pas été en mesure de se défendre utilement par rapports à ces mêmes faits.
Même à admettre d’ailleurs que l’intéressé n’ait utilement pu organiser sa défense uniquement suite à l’information des faits lui reprochés lors de son audition en date du 21 juillet 2021, ce dernier a été informé de la clôture de l’instruction disciplinaire en date du 7 février 2022 ainsi que de son droit de prendre inspection du dossier, de présenter des observations et de demander un complément d’instruction. Il s’est ensuite vu remettre une copie du rapport d’instruction en date du 9 février 2022 avec l’information de son droit d’y prendre position, ce qu’il a fait à travers une prise de position de son mandataire par courrier du 14 février 2022.
Faute dès lors pour le demandeur d’avoir établi, de manière circonstanciée en quelle mesure ses droits de la défense auraient été violés, le moyen tendant à une violation de ses droits de défense à travers une violation des articles 31, paragraphe (3) de la loi du 16 avril 1979 et 24 de la loi du 18 juillet 2018 encourt le rejet. Il s’ensuit qu’il y a également lieu de rejeter la demande de l’intéressé, formulée au dispositif de son mémoire en réplique, d’ordonner l’audition de l’enquêteur, notamment pour ne pas être pertinente.
En ce qui concerne ensuite, dans ce même contexte, une violation de l’article 11 du règlement grand-ducal du 9 juin 1979 et du principe d’une bonne administration en ce que le demandeur n’aurait pas, préalablement à son audition le 21 juillet 2021, reçu communication de son dossier administratif, il échet d’abord de constater qu’indépendamment de la question de l’application dudit article en matière de discipline des policiers, l’obligation de communication du dossier administratif résultant de l’article 11 du règlement grand-ducal du 9 juin 1979 n’est également pas une fin en soi, mais l’administré ne saurait utilement eninvoquer une violation que si un défaut de communication du dossier a pour effet de porter une atteinte aux droits de la défense.12 En l’espèce, il ressort du dossier administratif que le demandeur a été informé de la clôture de l’instruction disciplinaire par courrier du 7 février 2022 avec l’information de son droit de prendre, conformément à l’article 27 de la loi du 18 juillet 2018, inspection du dossier disciplinaire et d’en obtenir une copie. Il en ressort encore qu’en date du 9 février 2022, le mandataire de l’intéressé a reçu une copie dudit dossier. Si certes, le demandeur argue dans le cadre de sa requête introductive d’instance ne pas avoir eu communication dudit dossier au cours de la procédure disciplinaire et plus particulièrement avant son audition le 21 juillet 2021, de sorte que ses droits de la défense auraient été violés, il reste toutefois en défaut d’expliquer de manière circonstanciée en quelle mesure le défaut de communication du dossier disciplinaire avant ladite audition l’aurait empêché d’utilement préparer sa défense, étant relevé notamment que l’ensemble des reproches à son égard se basent essentiellement sur des faits pour lesquels l’intéressé a été condamné par le jugement prémentionné du tribunal d’arrondissement du … 2020, le demandeur ne contestant pas avoir pris connaissance dudit jugement avant son audition devant l’enquêteur de l’IGP le 21 juillet 2021.
Il s’ensuit que lesdits moyens encourent le rejet pour ne pas être fondés.
Il y a, par ailleurs, lieu de constater, en ce qui concerne l’argumentation du demandeur tendant à une violation du principe de bonne administration et de différence de traitement avec les fonctionnaire relevant de la fonction publique générale, que ces développements restent à l’état de pure allégation, le demandeur restant plus particulièrement en défaut de développer ces moyens de manière circonstanciée, étant relevé, dans ce contexte, qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer la carence de parties dans le développement de leurs moyens, de sorte que ces moyens encourent également le rejet pour ne pas être fondés.
En ce qui concerne encore l’argumentation du demandeur que le délai lui accordé afin de prendre inspection du rapport d’instruction du 2 février 2022, dont une copie lui a été remise le 9 février 2022, à savoir dix jours, n’aurait pas été suffisant pour utilement y prendre position, il y a lieu de constater qu’il ressort du dossier administratif que par courrier du 14 février 2022, soit à l’issue de cinq jours après sa réception d’une copie dudit rapport, son mandataire ad litem a envoyé un courrier de prise de position à l’IGP en soulevant un certain nombre de points de critiques à l’égard dudit rapport. Il échet par ailleurs de constater que dans le cadre du recours sous analyse, le demandeur reste en défaut d’expliquer quelles critiques il aurait été dans l’impossibilité de faire valoir à l’encontre dudit rapport dans le délai lui imparti, de sorte qu’il n’est pas établi que le délai de dix jours lui accordé aurait été insuffisant pour utilement prendre position à celui-ci.
Il s’ensuit que le moyen d’une violation de ses droits de la défense tiré d’un délai insuffisant pour utilement prendre position au rapport d’instruction du 2 février 2022 encourt également le rejet pour ne pas être fondé.
Quant aux antécédents disciplinaires de l’intéressé mentionnés dans l’avis du Conseil de discipline 12 Trib. adm., 9 juillet 2009, n° 25142 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 161 et les autres références y citées. Quant à l’argumentation du demandeur tiré d’une irrégularité formelle de l’avis du Conseil de discipline du 10 mai 2023 en ce qu’il y serait fait mention d’antécédents disciplinaires dans son chef datant de 1993 et 2012, il échet, à l’instar de la partie étatique, de constater que si certes le rapport d’instruction du 2 février 2022 contient un historique de l’état de service de l’intéressé, ainsi qu’une liste des procédures disciplinaires dont il a fait l’objet au cours de ladite carrière, il ne ressort ni de l’avis du Conseil de discipline du 10 mai 2023, ni de la décision déférée que le demandeur aurait été poursuivi, dans le cadre de la présente procédure disciplinaire, pour lesdits faits, de sorte qu’aucune irrégularité formelle ne saurait être constatée à cet égard, étant relevé que la question d’une éventuelle prise en compte desdits antécédents dans le cadre de la fixation de la sanction infligée à Monsieur (A) relève de l’examen au fond de la décisions déférée, auquel le tribunal procèdera, le cas échéant ci-dessous.
Il s’ensuit que le moyen y afférent encourt le rejet pour ne pas être fondé.
3) Quant à la violation du principe non bis in idem Moyens et arguments des parties Ensuite et en se basant sur plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, le demandeur se prévaut d’une violation du principe non bis in idem dans la mesure où il aurait été sanctionné deux fois pour les mêmes faits, une première fois, par le tribunal correctionnel qui n’aurait néanmoins pas prononcé d’interdiction professionnelle à son encontre et, une deuxième fois, par l’autorité disciplinaire qui aurait, quant à elle, prononcé la sanction disciplinaire de la révocation, peine qui présenterait les caractéristiques d’une véritable sanction au même titre que la sanction pénale, étant donné qu’elle serait similaire dans ses effets. Il donne encore à considérer que si certes il existerait une possibilité de passer outre le principe non bis in idem en cas de poursuites pénale et disciplinaire si « la sanction imposée à l’issue de la procédure arrivée à son terme en premier a été prise en compte dans la procédure qui prend fin en dernier », tel ne pourrait pas être le cas en l’espèce, étant donné que l’autorité disciplinaire n’aurait pas pris en considération le fait que le juge pénal n’a pas prononcé d’interdiction professionnelle à son égard. Le demandeur se base finalement sur un arrêt de la Cour administrative du 15 janvier 2015, inscrit sous le numéro 35052C du rôle, selon lequel la Cour aurait annulé une sanction disciplinaire en raison de l’existence d’enquêtes administratives, respectivement de décisions judiciaires concernant les mêmes faits.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur entend réfuter les développements de la partie étatique tenant à l’autonomie du droit disciplinaire, notamment la référence du délégué du gouvernement à un jugement du tribunal administratif du 28 novembre 2018, inscrit sous le numéro 40255 du rôle, alors qu’en l’espèce, il aurait été jugé deux fois, tant au niveau pénal qu’au niveau disciplinaire pour exactement les mêmes faits, sans qu’un fait lui reproché n’aurait été de nature purement disciplinaire.
Le délégué du gouvernement estime qu’aucune violation du principe non bis in idem ne serait vérifiée en l’espèce.
Analyse du tribunal Il convient de relever que le principe non bis in idem ne s’oppose pas à ce qu’il soit infligé, à raison des mêmes faits, une sanction pénale et une sanction administrative, dès lors que la mise en place de chacun de ces types de sanctions repose sur un objet différent, de natureà assurer la sauvegarde de valeurs ou d’intérêts qui ne se confondent pas13. Ainsi, le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distincts14. Ainsi, le cumul d’une sanction administrative et d’une sanction pénale se justifie également lorsque les deux sanctions n’ont pas la même nature. Il échet partant de vérifier si les poursuites pénales et la sanction disciplinaire dont le demandeur a fait l’objet poursuivent le même objet.
A cet égard, il échet tout d’abord de constater que c’est le législateur lui-même qui a décidé d’établir un corps de règles spécifiques en matière disciplinaire applicables aux fonctionnaires de l’Etat, respectivement aux agents de la force publique et une législation pénale ayant pour objectif d’incriminer certains comportements jugés comme étant contraires aux intérêts de la société.
Au-delà de la distinction ainsi établie par le législateur lui-même, il échet de constater que les deux catégories de dispositions légales poursuivent des objectifs différents, en ce qu’en matière disciplinaire, il a été estimé nécessaire par le pouvoir législatif d’assurer un certain comportement de la part des fonctionnaires de l’Etat, afin d’assurer non seulement une bonne image de la fonction publique, mais également l’efficacité du travail de celle-ci, en incriminant certains comportements qui, même s’ils ne sont pas de nature à être contraires à une loi pénale, sont néanmoins susceptibles de nuire aux objectifs fixés par le législateur dans le cadre d’une bonne gestion du personnel de la fonction publique. Rien ne s’oppose partant à ce qu’en principe, un même comportement adopté par un fonctionnaire de l’Etat puisse être puni tant au niveau disciplinaire qu’au niveau pénal, ce qui n’enlève pas à l’administration le pouvoir de tenir compte de sanctions pénales prononcées antérieurement contre le même fonctionnaire pour les mêmes faits litigieux, et ceci dans le cadre de l’appréciation de la proportionnalité de la sanction administrative. Le droit pénal, quant à lui, a pour objectif d’incriminer des comportements susceptibles d’être commis par l’ensemble de la population résidant sur un territoire déterminé pour considérer ceux-ci comme étant contraires aux intérêts de la société, quelle que soit la qualité de la personne ayant été à l’initiative du comportement incriminé. Il y a partant lieu de conclure que le droit disciplinaire et le droit pénal poursuivent des objectifs différents, de sorte à ne pas s’opposer à ce qu’un même comportement puisse, sans violer le principe non bis in idem, faire l’objet tant d’une sanction administrative que d’une sanction pénale15.
Ainsi, et même si en l’espèce, le demandeur a fait l’objet d’une condamnation pénale pour les faits lui reprochés et ensuite d’une sanction disciplinaire, cette seule circonstance ne saurait, au vu de l’autonomie du droit disciplinaire et des caractères propres à la faute disciplinaire, laisser conclure à une violation du principe « non bis in idem ».
En ce qui concerne ensuite les développements du demandeur selon lesquels l’autorité disciplinaire n’aurait pas pris en considération le fait que le juge pénal n’a pas prononcé d’interdiction professionnelle à son égard, il convient de relever que l’appréciation souveraine du juge pénal, en relation avec la gravité des faits retenus, ne lie pas l’autorité administrative, ni a fortiori le juge administratif. L’autorité administrative, si elle ne peut remettre en cause la 13 Conseil d’Etat français, avis, section de l’intérieur, 29 avril 2004, n° 370.136.
14 Conseil constitutionnel français, 18 mars 2015, n°s 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC ; Conseil constitutionnel français, 24 juin 2016, n° 2016-546 QPC 15 Trib. adm., 11 juin 2001, n° 12473 du rôle, conf. Cour adm., 11 décembre 2001, n° 13705C du rôle, Pas. adm.
2024, V° Fonction publique, n° 248 et les autres références y citées. matérialité des faits établis par une décision judiciaire, reste libre de décider si ceux-ci appellent une sanction et le taux de celle-ci, la sanction disciplinaire, tel que relevant ci-avant, poursuivant un autre but que la sanction pénale16.
Finalement et quant à l’arrêt de la Cour administrative du 15 janvier 2015, inscrit sous le rôle n° 35052C, dont se prévaut le demandeur, il convient de relever que le cas soumis à l’appréciation de la Cour diffère considérablement du présent cas d’espèce en ce que malgré le fait que l’intéressé avait déjà été condamné pénalement et disciplinairement par deux décisions définitives par des juridictions saisies des mêmes faits que le ministre de la Santé, ce dernier a encore prononcé à son encontre une suspension du droit d’exercer sa profession pour une période de trois ans, de sorte que la Cour a conclu à une violation de l’article 4 du Protocole n° 7, paragraphe 1er, de la CEDH.
Il suit de l’ensemble des développements qui précèdent que le moyen tiré d’une violation du principe non bis in idem est également à rejeter pour ne pas être fondée.
4) Quant à la violation du principe du délai raisonnable Moyens et arguments des parties Toujours dans le cadre de la légalité externe de la décision déférée, le demandeur, en s’appuyant sur la jurisprudence européenne et nationale à cet égard, invoque un dépassement du délai raisonnable duquel serait résulté une violation de l’article 6 de la CEDH, alors que les faits lui reprochés dateraient de 2011 et 2013, que l’instruction disciplinaire aurait été ouverte à son encontre le 12 juin 2013, alors que le rapport d’instruction n’aurait été finalisé que le 2 février 2022 et qu’il n’aurait été sanctionné par la décision litigieuse qu’en date du 12 juin 2023. Il épingle, dans ce contexte, plus particulièrement que suite au jugement du tribunal d’arrondissement siégeant en matière correctionnelle du … 2020, il aurait dû attendre trois années avant d’être convoqué devant le Conseil de discipline, à savoir en date du 13 mars 2023 et que le Conseil de discipline aurait ensuite rendu son avis le 10 mai 2023, soit environ un an après avoir été saisi. Le demandeur réfute encore les développements à cet égard contenus dans l’avis du Conseil de discipline du 10 mai 2023, lequel aurait refusé toute prise en compte du dépassement du délai raisonnable dans le cadre de la procédure disciplinaire au motif que d’une part, ledit dépassement aurait déjà été pris en compte dans le cadre de la procédure pénale et, d’autre part, qu’il ne saurait faire valoir un préjudice résultant dudit dépassement, alors qu’il aurait, pendant le cours de la procédure disciplinaire, été suspendu de ses fonctions pendant neuf années, période durant laquelle il aurait continué à toucher sa rémunération, lesdits arguments ne constituant, selon le demandeur, pas des motifs valables pour justifier l’absence de prise en compte du dépassement du délai raisonnable dans le cadre de la procédure disciplinaire. Il précise dans ce contexte que le délai raisonnable n’aurait pas seulement été dépassé au niveau de la procédure pénale à son encontre, mais également au niveau de la procédure disciplinaire, élément que le Conseil de discipline admettrait dans son avis du 10 mai 2023 en y indiquant que le mandat de ses membres aurait tardé d’être renouvelé, causant ainsi des délais dans la procédure.
Monsieur (A) conclut de ce chef principalement à l’annulation de la décision déférée, sinon subsidiairement à une réduction de la sanction prononcée à son égard.
16 Cour adm., 4 janvier 2018, n°39383C du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.Dans son mémoire en réplique, l’intéressé souligne encore à cet égard qu’il n’y aurait aucune raison justifiant que le Conseil de discipline aurait pris trois ans avant de rendre son avis, alors que notamment la matérialité des faits lui reprochés aurait été déterminée par le juge pénal dans le cadre du jugement prémentionné du … 2020, de sorte qu’aucune instruction extensive n’aurait due être réalisée au niveau de la procédure disciplinaire laquelle se baserait exclusivement sur les mêmes faits.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce moyen pour ne pas être fondé.
Analyse du tribunal Il convient de souligner que même en l’absence de texte prévoyant un délai déterminé, toute autorité disciplinaire a, dès qu’elle a connaissance de faits susceptibles de donner lieu à sanction, l’obligation d’entamer et de poursuivre la procédure disciplinaire avec célérité, afin que sa décision intervienne dans un délai raisonnable. En effet, le respect du délai raisonnable s’impose notamment pour assurer la sécurité juridique et pour éviter une trop longue incertitude sur l’issue de la procédure disciplinaire. Le caractère raisonnable du délai s’apprécie dans chaque cas et aux divers stades de la procédure, en fonction des circonstances de la cause, de la nature de l’affaire, du comportement de l’agent et de celui de l’autorité17. Il échet dans ce contexte de rappeler, tel que relevé ci-avant, que l’article 6 de la CEDH invoqué par le demandeur ne saurait trouver application en l’espèce, du fait qu’il ne vise que les instances contentieuses se déroulant devant un tribunal, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, étant donné que c’est la durée de la procédure pré-contentieuse qui est critiquée en l’occurrence.
Dans la mesure où le demandeur conclut principalement à l’annulation de la décision déférée du fait d’un prétendu dépassement du délai raisonnable, il y a cependant lieu de relever qu’un tel dépassement n’est pas de nature à entraîner la nullité de la procédure, mais il permet au fonctionnaire qui en aurait souffert, de saisir éventuellement la juridiction compétente d’une demande de réparation et doit être pris en compte, le cas échéant, lors de l’appréciation de la sanction, de sorte à être susceptible d’aboutir à un allègement de la sanction à prononcer par le tribunal siégeant en tant que juge de la réformation18. Il s’ensuit que la demande principale tendant à l’annulation de la décision déférée est à rejeter pour ne pas être fondée, étant relevé que la demande subsidiaire de l’intéressé tendant à la réformation de la décision déférée et une réduction de la sanction disciplinaire prononcée à son égard, fera l’objet d’une analyse au fond ci-dessous.
II. Quant à la légalité interne de la décision déférée Moyens et arguments des parties Quant au fond, le demandeur remet en cause la proportionnalité de la sanction disciplinaire lui infligée par la décision déférée.
A cet égard, il donne à considérer qu’il aurait entrepris tous les efforts pour réparer le préjudice causé aux victimes, mêmes celles qui ne se seraient pas constituées parties civiles dans le cadre de la procédure pénale engagée à son encontre. Il conteste, dans ce contexte, les 17 Trib. adm., 28 mars 2008, n° 28730 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Fonction publique, n° 285, (2ème volet) et les autres références y citées.
18 En ce sens : Trib. adm., 22 janvier 2020, n° 41243 du rôle, accessible sur www.jurad.lu . conclusions contenues dans le rapport d’instruction qu’il n’aurait pas tenu son engagement de rembourser toutes ses dettes jusqu’en 2023, l’intéressé estimant que cette remarque viserait ses dettes envers Madame (C), laquelle aurait pourtant expressément donné son accord à un délai de remboursement plus long, Monsieur (A) soulignant que ses remboursements seraient pourtant réguliers.
Il souligne par ailleurs qu’il rembourserait mensuellement un montant de 3.500.- euros, soit un montant plus important que celui auquel il a été condamné par le tribunal correctionnel, à savoir un montant de 2.000.- euros mensuel. S’y ajouterait qu’il aurait lui-même fait les premières démarches « concernant l’affaire […], ainsi que les deux autres » et qu’en tout état de cause le jugement du tribunal d’arrondissement siégeant en matière correctionnelle n’aurait pas retenu à sa charge d’avoir usé de sa fonction de commissaire en chef dans le cadre des infractions retenues à son encontre.
Il fait encore remarquer que le rapport d’instruction ne citerait aucune base légale ni concernant ses activités accessoires à l’étranger, lesquelles ne nécessiteraient, suivant l’intéressé aucune autorisation préalable, ni concernant l’immatriculation de la voiture de Monsieur (D).
L’intéressé explique encore qu’il aurait volontairement demandé à effectuer des travaux d’intérêt public, travaux qu’il aurait effectués à hauteur de 160 heures au « … ».
Il met encore en exergue l’exemplarité de sa collaboration avec l’IGP et avec le Conseil de discipline, ainsi que la circonstance qu’à l’époque des faits lui reprochés il aurait souffert d’une addiction aux jeux de laquelle il serait entretemps entièrement guéri. Il conteste par ailleurs que son affaire aurait été largement commentée dans la presse, alors que la partie étatique se bornerait à verser un seul article de presse à cet égard.
L’intéressé s’offusque encore qu’une plainte de Madame (E) aurait été ajoutée à son dossier disciplinaire, alors que ni l’IGP, ni une quelconque juridiction n’auraient donné suite à celle-ci, le demandeur précisant encore qu’en tout état de cause cette plainte serait relative à la garde de leur enfant commun et relèverait de sa vie privée.
Le demandeur souligne finalement que son casier disciplinaire aurait été vierge au moment de la décision déférée et qu’il aurait, en outre être honoré à plusieurs occasions pour ses services au sein de la police grand-ducale et des missions accomplies par lui à l’étranger.
Dans son mémoire en réplique, Monsieur (A) conteste l’argumentation du délégué du gouvernement suivant laquelle ses efforts de remboursement des victimes seraient seulement basés sur la circonstance que la peine d’emprisonnement prononcée à son encontre aurait été assortie d’un sursis probatoire. Il conteste encore que le remboursement des victimes relèverait de l’unique volet pénal de son affaire, sans avoir une influence sur la procédure disciplinaire, alors que le Conseil de discipline lui aurait expressément demandé de verser les preuves de remboursement. Il entend encore réfuter les développements de la partie étatique suivant lesquels la sanction disciplinaire de 2 jours d’arrêt lui infligée en 1993 devrait être prise en compte dans le cadre de la fixation de la sanction disciplinaire. Finalement, Monsieur (A) s’interroge encore pour quelle raison la partie étatique et plus particulièrement la Direction générale de la police l’empêcheraient de prendre sa retraite, alors qu’il aurait atteint l’âge de ce faire en février 2021.
Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut à la proportionnalité de la sanction infligée au demandeur.
Analyse du tribunal Quant au fond, le tribunal constate tout d’abord qu’il ressort de la décision du ministre du 12 juin 2023, citée in extenso ci-avant, que la sanction de la révocation a été infligée au demandeur pour les même faits qui ont été retenus à sa charge par le jugement prémentionné du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du … 2020, le ministre citant (i) la corruption pour avoir accepté des sommes d’argent de plusieurs personnes en contrepartie de la promesse d’intervenir en leur faveur dans des procédures en cours, (ii) le trafic d’influence pour avoir accepté une somme d’argent d’une personne en contrepartie de la promesse d’intervenir en sa faveur auprès du ministère des affaires étrangères, (iii) l’abus de confiance pour avoir incité des personnes à lui remettre des sommes d’argent qu’il aurait fallacieusement promis de placer pour elles, (iv) l’escroquerie notamment pour avoir poussé des subordonnés à lui remettre sous des prétextes fallacieux des sommes d’argent qu’il aurait promis d’investir dans un projet immobilier en Géorgie et pour avoir emprunté des sommes d’argent à diverses personnes sous des prétextes fallacieux et que les sommes d’argent ainsi escroquées auraient, du moins partiellement, été perdues dans des paris sportifs à l’insu des victimes, (v) la tentative d’escroquerie pour avoir essayé de récupérer sur son compte personnel l’indemnisation que l’assurance devait à une tierce personne, ainsi que (vi) l’infraction de blanchiment-détention de versements opérés sur son compte justifiés par des pièces non conformes à la réalité, le ministre relevant que Monsieur (A) aurait, pour l’ensemble de ces faits été condamné par le jugement prémentionné à une peine d’emprisonnement de 18 mois, dont une durée de 12 mois assortie du sursis probatoire avec l’obligation de se soumettre à un traitement médical et d’indemniser les victimes moyennant des paiements mensuels minimum de 2.000.- euros, ainsi qu’à une amende de 1.000.- euros.
Le ministre en a tiré la conclusion que le demandeur aurait ainsi violé la discipline des policiers et plus particulièrement les devoirs prévus aux articles 4 et 7, paragraphes (1) et (2) de la loi du 18 juillet 2018.
Il échet tout d’abord de constater qu’à défaut d’un quelconque élément ressortant du dossier administratif que le demandeur aurait été sanctionné pour une activité accessoire non autorisée à l’étranger, sinon pour des faits en relation avec son droit de garde de son enfant, ses développements afférents sont d’ores et déjà à rejeter pour manquer de pertinence.
Le tribunal constate ensuite que le demandeur ne conteste ni la matérialité des faits lui reprochés, ni leur qualification en tant que manquement à ses devoirs statutaires, celui-ci mettant uniquement en cause la proportionnalité de la sanction lui infligée par la décision déférée, à savoir la révocation prévue à l’article 13, point 10 de la loi du 18 juillet 2018.
Il échet à cet égard de relever que l’article 13 de la loi du 18 juillet 2018 énumère, en les hiérarchisant, les sanctions susceptibles d’être prononcées à l’encontre des policiers. Cet article est à mettre en relation avec l’article 53, alinéa 1er du statut général, également applicable aux policiers, qui dispose que l’application des sanctions se règle notamment d’après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaireinculpé19, impliquant, d’après la jurisprudence en la matière, que les critères d’appréciation de l’adéquation de la sanction prévus légalement sont énoncés de manière non limitative, de sorte que le tribunal est susceptible de prendre en considération tous les éléments de fait lui soumis qui permettent de juger de la proportionnalité de la sanction à prononcer, à savoir, entre autres, l’attitude générale du fonctionnaire.20 Il a également été jugé que, dans le cadre du recours en réformation exercé contre une sanction disciplinaire, le tribunal est amené à apprécier les faits commis par le fonctionnaire en vue de déterminer si la sanction prononcée par l'autorité compétente a un caractère proportionné et juste, en prenant notamment en considération la situation personnelle et les antécédents éventuels du fonctionnaire.21 Il s’ensuit que le choix de la peine disciplinaire à prononcer dépend tant de la gravité de la faute commise, que des critères personnels à l’agent, comme son grade, la nature de son emploi et ses antécédents.
Il échet encore de souligner qu’une multitude d’infractions disciplinaires peut témoigner d’une attitude inadmissible d’un agent à l’égard de son travail et justifier une sanction plus grave, alors même que pris isolément certains des comportements ainsi adoptés par l’intéressé ne revêtent pas nécessairement un caractère de gravité caractérisé, dès lors que l’ensemble des comportements adoptés par celui-ci implique dans le chef de l’administration dont l’agent relève une perte de confiance définitive dans ses capacités professionnelles ou ses qualifications morales.
En l’espèce, et indépendamment des antécédents disciplinaires du demandeur, il résulte à suffisance du dossier administratif et notamment du jugement du tribunal d’arrondissement prémentionné du … 2020, que Monsieur (A) a été condamné pour une multitude d’infractions pénales, tels qu’énumérées ci-avant. Le tribunal constate, par ailleurs, qu’un certain nombre des victimes desdites infractions étaient des collègues de travail desquelles il était le supérieur hiérarchique et qu’une partie des faits lui reprochés se sont déroulés, contrairement aux développements du demandeur tenant à établir que le tribunal d’arrondissement ne lui aurait pas reproché d’avoir abusé de sa fonction de policier, dans un contexte professionnel, celui-ci ayant notamment été condamné pour corruption et trafic d’influence en infraction à l’article 246, point 2 du code pénal qui sanctionne le fait, par une personne, agent de la force publique, de solliciter et de recevoir, sans droit, directement, pour elle-même, des dons, pour abuser de son influence supposée en vue de faire obtenir d’une autorité une décision favorable.
Or, de tels faits, non contestés par le demandeur, suffisent, au vu de leur gravité, a priori à eux seuls, dans le chef d’un dépositaire de la force publique, censé représenter l’Etat dans sa mission d’enforcer le respect des lois et règlements du pays, pour justifier la sanction de la révocation, le ministre ayant à bon droit pu retenir que lesdits faits sont totalement incompatibles avec la fonction de policier, plus particulièrement lorsqu’il s’agit d’un commissaire en chef, et le statut du fonctionnaire et qu’il est inconcevable qu’un policier 19 Projet de loi N° 7040 relatif au statut disciplinaire du personnel du cadre policier de la Police grand-ducale, commentaire des articles, ad. Article 13.
20 trib. adm. 12 juillet 2019, nos 40837 et 41256 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Fonction Publique, n° 354 et les autres références y citées.
21 trib. adm. 1er juillet 1999, n° 10936 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Fonction Publique, n° 395 (1er volet) et les autres références y citées.coupable notamment de corruption, de trafic d’influence, d’abus de confiance et d’escroquerie puisse rester en fonction.
Ce constat n’est pas ébranlé par les développements du demandeur que son affaire n’aurait pas, tel que le fait valoir la partie étatique, été largement commenté par la presse, alors que même à admettre une absence d’une publicité desdits faits, il n’en reste pas moins que la confiance de l’Etat dans Monsieur (A) est à juste titre irrémédiablement ébranlée, justifiant une fin de toute relation de travail avec celui-ci.
Ce même constat vaut en ce qui concerne l’état de service et les mérites non négligeables de l’intéressé au cours de sa carrière professionnelle précédant les faits litigieux, que ce soit notamment pour des missions à l’étranger lorsqu’il était déjà commissaire en chef de police ou auparavant au sein de la gendarmerie, la confiance dans une relation de travail avec celui-ci étant, malgré lesdits mérites, irrémédiablement ébranlée depuis la commission par lui des infractions retenues à sa charge.
La circonstance que l’intéressé aurait remboursé les victimes, même au-delà du remboursement auquel il a été condamné par le jugement prémentionné du tribunal d’arrondissement du … 2020, de même que le fait qu’il aurait effectué des heures de travaux d’utilité publique, ne sont, par ailleurs, pas non plus de nature à justifier une réduction de la sanction lui-infligée, alors que ces éléments sont sans pertinence relative au fait qu’il a été déclaré coupable, notamment de corruption et de trafic d’influence dans l’exercice de sa fonction de commissaire en chef, étant relevé, par ailleurs, que le fait de rembourser les victimes de ces infractions ne relève d’aucun mérite particulier de la part de l’intéressé, mais constitue une simple conséquence de ses agissements.
En ce qui concerne encore les développements du demandeur tenant à une addiction aux jeux dans son chef à l’époque de la commission des faits lui reprochés, le tribunal constate qu’il résulte du jugement prémentionné du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du … 2020 que l’expert chargé d’une expertise psychiatrique de l’intéressé est venu à la conclusion que « […] On relève une tendance d’addiction au jeu. Cette tendance d’addiction au jeu n’a pas affecté ou annihilé la faculté de perception des normes élémentaires de Monsieur (A). Elle n’a pas affecté ou annihilé la liberté d’action de Monsieur (A). […] », de sorte qu’une telle addiction n’est pas de nature à diminuer la gravité des faits commis par lui en connaissance de cause.
En ce qui concerne finalement les développements du demandeur tenant au dépassement du délai raisonnable dans le cadre de la procédure disciplinaire diligentée à son encontre, il convient de souligner que le point de départ du délai à examiner n’est pas constitué par l’introduction du recours juridictionnel contre la décision disciplinaire administrative, mais par la notification du reproche qui déclenche la procédure disciplinaire susceptible d’aboutir à une sanction.
Pour l’appréciation du dépassement du délai raisonnable, il faut donc prendre en compte la durée qui s’est écoulée entre la date de notification des reproches qui a déclenché́ la procédure disciplinaire et la décision juridictionnelle définitive statuant sur le recours introduit contre la sanction disciplinaire prononcée22.
22 Cour adm., 22 février 2018, n°40093C du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.Il échet, par ailleurs, de relever que concernant précisément l’hypothèse d’une procédure pénale parallèle, il a été jugé qu’en présence de poursuites pénales pour les mêmes faits, l'autorité, si elle n'est pas tenue de surseoir à statuer jusqu'à ce que la juridiction répressive se soit définitivement prononcée, peut toutefois estimer prudent d'attendre qu'une décision judiciaire ait statué définitivement sur l'action publique en vue d’arrêter la matérialité des faits litigieux, sans que ce choix ne la dispense de l'obligation de statuer, par la suite, dans un délai raisonnable23.
En l’espèce, il ressort des pièces et éléments du dossier administratif que par courrier du 12 juin 2013 du directeur régional adjoint, le demandeur a été informé qu’une instruction disciplinaire a été ouverte à son encontre. Il en ressort encore que suite aux courriers des 3 juin 2013 et 11 août 2014 du Procureur d’Etat informant le directeur régional adjoint qu’une instruction judiciaire à l’encontre de Monsieur (A) serait en cours, aucun acte d’instruction disciplinaire n’a eu lieu jusqu’au 7 octobre 2020, le demandeur ayant, dans cet intervalle, uniquement été informé, par courrier du 27 novembre 2018 par l’inspecteur général, du transfert de ladite instruction à l’IGP en vertu de la loi du 18 juillet 2018. Suite au jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg prémentionné du … 2020, l’intéressé a été convoqué une première fois à se présenter dans les locaux de l’IGP afin d’être entendu dans le cadre de l’instruction disciplinaire à son encontre, ladite audition n’ayant toutefois eu lieu qu’en date du 21 juillet 2021, pour diverses raisons, entre autres des cas de maladie dans le chef du demandeur ainsi que de l’enquêteur en charge de ladite instruction. Il ressort ensuite du dossier administratif que l’instruction disciplinaire fut clôturée par l’émission d’un rapport d’instruction en date du 2 février 2022 et que, suite à une prise de position du litismandataire du demandeur audit rapport par courrier du 14 février 2022, ainsi qu’à un courrier de réponse audit courrier par l’enquêteur du 4 mars 2022, le dossier fut attribué au Conseil de discipline par un courrier du directeur général du 4 juillet 2022, l’affaire ayant été prise en délibéré à l’audience du Conseil de discipline du 15 mars 2023, lequel a rendu son avis en date du 10 mai 2023, sur base duquel le ministre a rendu la décision déférée le 12 juin 2023.
Il ressort encore du jugement prémentionné du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du … 2020, que le dépassement du délai raisonnable, en ce qui concerne la procédure pénale engagée à l’encontre du demandeur a été pris en compte dans la fixation de la sanction pénale retenue à son égard.
Le tribunal constate, à l’instar de la partie étatique que si en effet ils se sont écoulés pratiquement dix ans depuis l’ouverture de l’instruction à l’égard du demandeur et la décision déférée le sanctionnant pour les faits lui reprochés, il n’en reste pas moins que cette durée est majoritairement imputable à la longueur de la procédure pénale à l’égard du demandeur, l’instruction pénale à son égard ayant été ouverte le 3 juin 2013, tandis qu’il n’a été condamné que par jugement prémentionné du … 2020, soit sept années plus tard. Le tribunal constate encore que le demandeur ne remet pas en question la légitimité de la décision de la partie étatique d’avoir attendu l’issue de son affaire pénale, celle-ci se basant sur les mêmes faits que l’instruction pénale, le demandeur critiquant, au contraire, plus particulièrement que suite audit jugement, lequel aurait été basé sur exactement les mêmes faits lui reprochés dans le cadre de son affaire disciplinaire, le Conseil de discipline n’aurait rendu son avis qu’en date du 10 mai 2023, soit plus de trois ans après le jugement prémentionné du tribunal d’arrondissement, sinon environ un an après avoir été saisi par courrier du directeur général du 4 juillet 2022.
23 Cour adm. 11 novembre 2008, n° 24324C du rôle, Pas. adm 2024, V° Fonction publique, n° 286 et les autres références y citées.
Or, en ce qui concerne les actes d’instruction disciplinaires diligentés à l’égard du demandeur suite au jugement prémentionné du tribunal d’arrondissement du … 2020, il échet de constater qu’il ressort du rapport d’instruction que suite à une demande afférente par l’enquêteur en date du 1er juillet 2020, une copie intégrale du jugement prémentionné ne lui a été transmise qu’en date du 22 septembre 2020 par le tribunal d’arrondissement. Il ressort ensuite du dossier administratif que le demandeur a été convoqué à se présenter dans les locaux de l’IGP par courrier du 7 octobre 2020, soit moins d’un mois après la prise de connaissance par l’enquêteur en charge de son affaire disciplinaire du contenu du prédit jugement. Si certes l’audition de l’intéressé ne s’est finalement déroulée qu’en date du 21 juillet 2021, soit environ 9 mois après cette première convocation, il ressort néanmoins du dossier administratif que ce délai est en grande partie imputable à des cas de maladie, aussi bien du côté de l’enquêteur en charge de l’affaire disciplinaire que du côté du demandeur, étant relevé que cette période se situait au plein milieu d’une situation liée à l’état d’urgence sanitaire en raison de la pandémie du COVID-19. Il ressort ensuite du rapport d’instruction que suite à ladite audition ayant eu lieu le 21 juillet 2021, l’enquêteur a encore demandé une copie du dossier répressif du demandeur, laquelle lui a été transmise par le Parquet de Luxembourg en date du 12 octobre 2021. L’instruction disciplinaire a finalement été clôturée par l’émission d’un rapport d’instruction daté au 2 février 2022, soit environ quatre mois après la communication dudit dossier répressif. Au vu des délais exposés ci-avant et des diligences accomplies pendant ce délai, le tribunal ne saurait déceler un dépassement du délai raisonnable au niveau de l’instruction disciplinaire s’étant déroulée devant l’IGP.
En ce qui concerne ensuite le dépassement du délai raisonnable allégué de la part du Conseil de discipline, le tribunal constate que suite à la notification du prédit rapport d’instruction au demandeur en date du 9 février 2022, celui-ci y a pris position par courrier de son litismandataire du 14 février 2022, l’enquêteur ayant répondu audit courrier par un courrier du 4 mars 2022. Il ressort ensuite du dossier administratif que l’affaire disciplinaire a été transmise au Conseil de discipline par courrier du Directeur général du 4 juillet 2022, lequel a pris l’affaire en délibéré en date du 15 mars 2023, soit environ neuf mois plus tard, pour rendre un avis deux mois plus tard, à savoir en date du 10 mai 2023. Or, au vu de la multitude et la complexité des faits reprochés au demandeur, dont la matérialité a certes été retenue par le jugement prémentionné du … 2020, mais dont la qualification au niveau de l’instruction disciplinaire incombait à l’autorité administrative, le tribunal ne saurait déceler un quelconque dépassement du délai raisonnable de la part du Conseil de discipline.
Il échet, à titre superfétatoire, de constater que dans la mesure où, tel que relevé ci-avant le dépassement du délai raisonnable dans le cadre d’une procédure disciplinaire permet au fonctionnaire qui en aurait souffert, de saisir éventuellement la juridiction compétente d’une demande de réparation et doit être pris en compte, le cas échéant, lors de l’appréciation de la sanction, de sorte à être susceptible d’aboutir à un allègement de la sanction à prononcer par le tribunal siégeant en tant que juge de la réformation, l’allégement de la sanction disciplinaire se justifierait, contrairement aux allégations du demandeur, du fait que le fonctionnaire concerné établit qu’il en est résulté un préjudice dans son chef, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En effet, tel que relevé à bon droit par le délégué du gouvernement, Monsieur (A) s’est vu notifier une suspension de l’exercice de ses fonctions en date du 14 août 2014 laquelle a été maintenue pendant tout le cours de la procédure disciplinaire à son encontre, période pendant laquelle il a touché son traitement, de sorte que le tribunal ne saurait en tout état de cause entrevoir un préjudice dans le chef de ce dernier résultant de la longueur de la procédure disciplinaire diligentée à son encontre.
Au vu de ce qui précède, l’argumentation du demandeur tenant au dépassement du délai raisonnable de l’instruction disciplinaire à son égard est à rejeter pour ne pas être fondée.
A défaut d’autres éléments mis en avant par le demandeur dans le cadre de son moyen tenant à la proportionnalité de la sanction lui infligée par la décision déférée, son recours est, sous cet aspect, également à rejeter pour ne pas être fondé.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
S’agissant encore de la demande en communication du dossier administratif formulée par le demandeur au dispositif de sa requête introductive d’instance, le tribunal constate que l’Etat a déposé ensemble avec son mémoire en réponse, une farde de pièces correspondant a priori au dossier administratif. A défaut pour le demandeur de remettre en question le caractère complet du dossier ainsi mis à disposition, la demande en communication du dossier administratif est à rejeter comme étant sans objet.
Au regard de l’issue du litige, il y a encore a lieu de rejeter la demande en allocation d’une indemnité de procédure de 3.000.- euros formulée par le demandeur.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à titre principal ;
au fond, le dit non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par le demandeur ;
rejette la demande sollicitant la communication du dossier administratif ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 juin 2025 par :
Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Felix Hennico, attaché de justice délégué, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 31