Tribunal administratif N° 52811 et 52813 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52811+52813 3e chambre Inscrits le 7 mai 2025 Audience publique du 3 juin 2025 Recours formé par Madame (A) et consorts, …, contre des décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
I.
Vu la requête inscrite sous le numéro 52811 du rôle et déposée le 7 mai 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le … à … (Turquie), de nationalité turque, actuellement assignée à résidence la maison retour sise à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 23 avril 2025 de la transférer vers la Croatie comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 mai 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
II.
Vu la requête inscrite sous le numéro 52813 du rôle et déposée le 7 mai 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (B), née le … à … (Turquie), accompagnée de ses deux enfants mineurs (C), née le … à … (Turquie) et (D), né le … à … (Turquie),tous de nationalité turque et actuellement assignés à résidence à la maison retour sise à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 23 avril 2025 de les transférer vers la Croatie comme étant l’Etat responsable pour connaître de leurs demandes de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 mai 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
I.+ II.
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Céline SCHMITZ, en remplacement de Maître Nicky STOFFEL et Madame le délégué du gouvernement Pascale MILLIM en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 mai 2025.
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Le 16 septembre 2022, Monsieur (E) et son épouse Madame (B), accompagnés de leurs enfants mineurs, (F), (A), (C) et (D), désignés ci-après « la famille (ABCDEF) », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, des demandes de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par la « loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur (E) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Il s’avéra à cette occasion, suite à une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC que la famille (ABCDEF) avait franchi irrégulièrement la frontière croate le 4 septembre 2022 et introduit une demande de protection internationale en Croatie à la même date.
Le 20 septembre 2022, Monsieur (E) et son épouse (B) furent entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leur demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».
Le 27 septembre 2022, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues croates une demande de reprise en charge de Monsieur (E) ainsi qu’une demande de reprise en charge de son épouse, Madame (B), accompagnée de leurs enfants mineurs, toutes deux basées sur l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demandes qui furent acceptées par les autorités croates en date du 11 octobre 2022, sur base de l’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III.
Par décision du 23 février 2023, notifiée aux intéressés par lettre recommandée expédiée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile informa Monsieur (E) et Madame (B), accompagnés de leurs enfants mineurs, que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner leurs demandes de protection internationale et de les transférer dans les meilleurs délais vers la Croatie sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III. Le recours introduit par les consorts (ABCDEF) à l’encontre de ladite décision du 23 février 2023 fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 28 mars 2023, inscrit sous le numéro 48682 du rôle.
Par courrier du 23 mai 2023, les autorités luxembourgeoises prièrent les autorités croates de leur fournir des garanties individuelles que les consorts (ABCDEF) auront accès à des conditions d’accueil adaptées à l’âge des enfants, courrier auquel ces dernières répondirent en date du 13 juin 2023 par l’affirmative.
Une première tentative de transfert de la famille (ABCDEF) vers la Croatie fut organisée pour le 26 juillet 2023, laquelle échoua cependant en raison de la disparition de Madame (F) du foyer où elle était logée avec sa famille.
Par arrêté du 16 juillet 2024, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », ordonna le placement de Madame (F), entretemps majeure, dans l’attente de son transfert, au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de sa notification sur le fondement de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015.
Par arrêtés séparés du même jour, le ministre ordonna également, sur le même fondement, le placement de Monsieur (E), ainsi que de ses enfants mineurs (A), (C) et (D) et de Madame (B) au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de leurs notifications respectives.
Par arrêtés du 18 juillet 2024, le ministre ordonna la mainlevée du placement en rétention de la famille (ABCDEF) décidé en date du 16 juillet 2024.
Il ressort ensuite des éléments du dossier administratif qu’après l’échec d’une deuxième tentative de transfert des consorts (ABCDEF) en date du 19 juillet 2024, ces derniers furent transférés vers la Croatie le 13 septembre 2024, à l’exception de Madame (F), celle-ci ayant de nouveau disparu du foyer où elle était logée avec sa famille.
En date du 30 octobre 2024, Madame (B), accompagnée de ses enfants mineurs (A), (C), et (D), désignés ci-après par « les consorts (ABCD) », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministère », des demandes de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015.
Le même jour, Madame (B) fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Le 4 novembre 2024, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues croates une demande de reprise en charge de Madame (B) accompagnée de ses enfants mineurs, basée sur l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par les autorités croates en date du 15 novembre 2024, sur base de l’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III.
Le 21 novembre 2024, Madame (B) fut entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leur demande de protection internationale en vertu du règlement Dublin III.
Par décision du 23 avril 2025, notifiée à Madame (B) en mains propres le même jour, le ministre informa celle-ci, accompagnée de ses enfants mineurs (C) et (D), que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner leurs demandes de protection internationale et de les transférer dans les meilleurs délais vers la Croatie sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III, dans les termes suivants :
« […] Vous avez introduit une deuxième demande de protection internationale au Luxembourg en date du 30 octobre 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 20(5) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du 3 Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transférés vers la Croatie qui est l'Etat membre tenu de vous reprendre en charge.
Il convient de noter que votre fille (A) a également introduit une deuxième demande de protection internationale au Luxembourg le 30 octobre 2024. Cette demande fait l'objet d'une décision séparée.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains le rapport de police du 30 octobre 2024 établi dans le cadre de votre deuxième demande de protection internationale et le rapport d'entretien Dublin III sur votre deuxième demande de protection internationale du 21 novembre 2024. En mains également divers documents que vous avez remis aux autorités luxembourgeoises à l'appui de votre deuxième demande de protection internationale :
- des lettres manuscrites de vos trois enfants (A), (C) et (D) ;
- une lettre rédigée par les camarades de classe de (A) datant du 8 octobre 2024;
- divers documents médicaux établis au Luxembourg en juillet 2024 - quatre photographies qui auraient été prises dans le foyer en Croatie - deux photographies d'une cheville - un formulaire de signalement du 29 novembre 2024, destiné au Parquet Service Protection de la Jeunesse et des Affaires familiales, rempli par une assistante sociale du Service psycho-social et d'accompagnement scolaires, concernant votre fille (A) ;
- une lettre du Service psycho-social et d'accompagnement scolaires du 5 décembre 2024 1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 30 octobre 2024, vous avez introduit une deuxième demande de protection internationale au Luxembourg.
Madame, vous vous êtes présentée pour la première fois aux autorités luxembourgeoises compétentes en matière d'immigration et d'asile en date du 16 septembre 2022 avec votre époux et vos quatre enfants, tous mineurs à cette date. Vous avez introduit une demande de protection internationale et les recherches effectuées dans la base de données « EURODAC » ont révélé que vous aviez tous les six déjà introduit des demandes de protection internationale en Croatie le 4 septembre 2022.
En conséquence, une demande de reprise en charge a été adressée aux autorités croates le 27 septembre 2022, conformément à l'article 18 (1) b) du règlement « Dublin III ». Les autorités croates ont accepté cette reprise en charge le 11 octobre 2022, sur base de l'article 20, paragraphe (5) du même règlement.
Le 23 février 2023, une décision de transfert concernant l'ensemble de votre famille vers la Croatie a été prise. Vous avez été informés le 13 juillet 2023 dudit transfert prévu pour le 26 juillet 2023, mais celui-ci n'a pas pu avoir lieu car votre époux ainsi que trois de vos enfants n'étaient pas présents dans le foyer à cette date. Un deuxième transfert a alors été programmé pour le 19 juillet 2024, mais il a également dû être annulé en raison de problèmes médicaux. Un troisième transfert a ensuite été programmé pour le 13 septembre 2024, par vol charter 4 spécialement affrété pour votre famille. À cette date, vous-même, votre époux, ainsi que trois de vos enfants ont été transférés en Croatie, mais étant donné que votre fille majeure était de nouveau absente du foyer dès le 12 septembre 2024, et que les tentatives pour la retrouver ayant toutes échouées, elle n'a pas été transférée avec vous en Croatie.
Il convient de noter que par la force des circonstances, le Luxembourg est devenu responsable du traitement de la demande de protection internationale de votre fille majeure (F), demande qui fut refusée comme non fondée par décision ministérielle du 13 novembre 2024 et l'obligeant de quitter le territoire à destination de la Turquie ou de tout autre pays dans lequel elle est autorisée à séjourner.
Après l'introduction de votre deuxième demande de protection internationale au Luxembourg, une nouvelle demande de reprise en charge en vertu de l'article 18(1)b du règlement DIII a été adressée aux autorités croates en date du 4 novembre 2024. Cette demande fut acceptée par lesdites autorités croates en date du 15 novembre 2024, sur base de l'article 20(5).
Madame, vous avez été convoquée pour un entretien Dublin III en date du 21 novembre 2024 pour pouvoir exposer les raisons de votre retour au Luxembourg après le transfert vers l'Etat membre tenu de vous reprendre en charge.
2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est tenu d'achever le processus de détermination de l'Etat membre responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.
Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 20(5) du règlement DIII, l'Etat auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite pour la première fois est tenu - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29, et en vue d'achever le processus de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de la demande de protection internationale - de reprendre en charge le demandeur qui se trouve dans un autre Etat membre sans titre de séjour ou qui y introduit une demande de protection internationale après avoir retiré sa première demande présentée dans un autre Etat membre pendant le processus de détermination de l'Etat membre responsable.
Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits 5 de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).
3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert Madame, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre deuxième demande de protection internationale que vous avez introduit une demande de protection internationale en Croatie en date du 4 septembre 2022. Vous avez par la suite introduit une demande au Luxembourg en date du 16 septembre 2022 et une nouvelle demande en Croatie en date du 13 septembre 2024.
Selon vos déclarations, vous auriez quitté la Croatie environ deux mois après y avoir été transférés par les autorités luxembourgeoises en date du 13 septembre 2024. Alors que vous auriez été bien accueillis après l'atterrissage, vous expliquez que dès que les autorités luxembourgeoises auraient quitté l'aéroport de …, les autorités croates auraient changé de comportement. Vous auriez été amenés à un poste de police, où on vous aurait parlé de manière stricte et sans interprète et on vous aurait poussés lors de la prise d'empreintes (rapport de police du 30 octobre 2024). Vous auriez ensuite été placés dans un camp pour demandeurs de protection internationale, où vous seriez restés environ deux mois. Durant ce séjour, vous auriez, selon vos propres déclarations, été contraints de vivre dans des conditions que vous décrivez comme « déplorables », « rien ne nous a été fourni », et vos enfants auraient « dû nettoyer les sols et ramasser les ordures » (p.5 du rapport d'entretien Dublin III). Par ailleurs, vous déclarez également avoir été exposés à des comportements que vous considérez comme « inacceptables » (rapport de police du 30 octobre 2024) de la part du personnel présent dans le camp. Vous n'auriez ni eu droit à un avocat, ni accès à des soins médicaux. Vous n'auriez jamais été entendus par les autorités croates et vous n'auriez pas eu d'informations sur votre situation administrative.
D'après vos dires, vous auriez ensuite pris contact avec un passeur qui vous aurait assisté dans votre retour au Luxembourg. Selon vos dires, vous seriez montés dans le véhicule de ce passeur, voyageant de nuit avec votre famille. Par la suite, vous seriez descendus du véhicule dans une forêt et auriez continué votre route à pied. C'est dans cette même forêt que, selon vos affirmations, vous auriez vu votre mari pour la dernière fois. Vous auriez ensuite poursuivi votre trajet seule avec vos enfants.
Enfin, après plusieurs heures de marche et de déplacements en voiture, vous seriez arrivée au Luxembourg, accompagnée de vos trois enfants, en date du 28 octobre 2024.
Madame, lors de votre entretien Dublin III en date du 21 novembre 2024, vous avez mentionné que vous ne vous sentiriez pas bien mentalement. Vous avez remis des certificats médicaux datant de juillet 2024, donc antérieurs à votre transfert vers la Croatie en septembre 2024. Vous n'avez fourni depuis votre retour aucun élément concret sur votre état de santé actuel ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la Croatie qui est l'Etat tenu de vous reprendre en charge en vue d'achever le processus de détermination de l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Quand bien même vous auriez besoin d'une prise en charge médicale, il y a lieu de relever que la Croatie est présumée fournir des soins médicaux appropriés ainsi que l'accès aux soins urgents et nécessaires. Partant, les informations à notre disposition ne donnent actuellement aucune raison de croire que l'exécution du transfert-même vers la Croatie rendrait les autorités luxembourgeoises responsables d'une violation de l'article 3 CEDH, plus particulièrement les 6 informations sur votre état de santé n'impliquent pas que tout transfert dans les délais prévus par le règlement DIII serait d'ores et déjà voué à échec.
Dans ce même contexte, il y a lieu de relever qu'en avril 2023, chaque Etat membre, y compris la Croatie, a rédigé en collaboration avec la Commission européenne et l'Agence de l'Union européenne pour l'Asile, un document officiel intitulé « Information on procedural elements and rights of applicants subject to a Dublin transfer », dans lequel des informations reflétant à la fois les dispositions légales ainsi que leur mise en oeuvre, ont été mises à la disposition de tous les Etats membres. Ensemble avec tous les autres Etats membres, la Croatie s'est engagée à fournir des informations exactes et actualisées quant aux conditions d'accueil des demandeurs de protection internationale faisant l'objet d'un transfert vers la Croatie. Ce document retient que les personnes qui sont transférées vers la Croatie dans le cadre du règlement Dublin III ont droit à un logement ainsi qu'aux conditions matérielles d'accueil incluant une prise en charge médicale après avoir exprimé l'intention d'introduire une demande de protection internationale.
Madame, quant aux déclarations concernant les conditions d'accueil ainsi que le comportement des autorités croates après votre transfert en septembre 2024, il sied tout d'abord de constater que vous ne versez aucun document probant à l'appui de vos déclarations de sorte que vos accusations restent en l'état de pure allégation. Les photographies transmises ne présentent pas un élément de preuve tangible pour étayer vos déclarations, étant donné qu'il ne peut être établi que ces photographies aient effectivement été prises dans une structure d'hébergement en Croatie. En ce qui concerne le prétendu comportement « inacceptable » d'un agent de police et du personnel du foyer en Croatie, une telle prétendue maltraitance reprochée aux autorités croates est difficilement envisageable alors que la Croatie est liée à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « Charte UE »), et est partie à la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après « CEDH »), à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants (ci-après « Conv. torture »), et à la Convention de Genève. Ainsi, la Croatie bénéficie, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen.
Par ailleurs, le comportement déplacé de certains agents étatiques ne reflète pas nécessairement la volonté de tout un système, qui peut rester engagé envers l'intégrité et le respect des droits.
Par ailleurs, Madame, il convient ici de souligner que d'un côté, vous déclarez auprès de l'agent ministériel en charge de votre entretien Dublin III « En ce qui concerne notre situation en Croatie, nous n'avons jamais été entendus par les autorités. Personne ne nous a donné de rendez-vous ni fourni d'informations sur notre situation administrative » (p.6 du rapport d'entretien Dublin III), alors qu'auprès du Service de police judiciaire vous déclarez « Nous avons reçu un rendez-vous pour l'entretien concernant nos problèmes, mais nous avons quitté le foyer bien avant » (rapport de police du 30 octobre 2024). Ces contradictions dans vos déclarations laissent légitimement planer un doute quant à leur véracité.
Ce recours répété à des accusations sans fondement démontre clairement un mépris pour le cadre juridique, les décisions des autorités européennes et les règles régissant le système d'asile. Cette stratégie qui consiste à « réinventer » des faits, visant à semer le doute et à contourner les décisions légales, révèle une volonté manifeste de manipuler le système à des fins purement personnelles, sans jamais étayer les allégations avec des preuves tangibles.
Il y a dans ce contexte également lieu de soulever que la Croatie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures 7 communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Par conséquent, la Croatie est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.
Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de I'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la Croatie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires croates.
Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la Croatie ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.
Madame, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Croatie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv. torture.
Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l'exécution du transfert vers la Croatie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre 8 renvoi vers la Croatie, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau aptes à être transférés. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers la Croatie en informant les autorités croates conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités croates n'ont pas été constatées. […] ».
Par décision séparée du même jour, notifiée à l’intéressée en mains propres le même jour, le ministre informa Madame (A), que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de la transférer dans les meilleurs délais vers la Croatie sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III, dans les termes suivants :
« […] Vous avez introduit une deuxième demande de protection internationale au Luxembourg en date du 30 octobre 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 20(5) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transférés vers la Croatie qui est l'Etat membre tenu de vous reprendre en charge.
Il convient de noter que votre mère et votre fratrie ont également introduit une deuxième demande de protection internationale au Luxembourg le 30 octobre 2024. Cette demande fait l'objet d'une décision séparée.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains le rapport de police du 30 octobre 2024 établi dans le cadre de votre deuxième demande de protection internationale. En mains également divers documents que vous avez remis aux autorités luxembourgeoises à l'appui de votre deuxième demande de protection internationale :
-
une lettre manuscrite non datée;
-
une lettre rédigée par vos camarades de classe datant du 8 octobre 2024 ;
-
quatre photographies qui auraient été prises dans le foyer en Croatie -
un formulaire de signalement du 29 novembre 2024, destiné au Parquet Service Protection de la Jeunesse et des Affaires familiales, rempli par une assistante sociale du Service psycho-social et d'accompagnement scolaires ;
-
une lettre du Service psycho-social et d'accompagnement scolaires du 5 décembre 2024 1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 30 octobre 2024, vous avez introduit une deuxième demande de protection internationale au Luxembourg.
9 Madame, vous vous êtes présentée pour la première fois aux autorités luxembourgeoises compétentes en matière d'immigration et d'asile en date du 16 septembre 2022 avec vos parents, vos deux soeurs et votre frère. Etant mineure à cette date, vos parents ont introduit des demandes de protection internationale en votre nom, ainsi qu'au nom de vos soeurs et votre frère, également tous mineurs à cette date. Les recherches effectuées dans la base de données « EURODAC » ont révélé que vous aviez tous les six déjà introduit des demandes de protection internationale en Croatie le 4 septembre 2022.
En conséquence, une demande de reprise en charge a été adressée aux autorités croates le 27 septembre 2022, conformément à l'article 18 (1) b) du règlement « Dublin III ». Les autorités croates ont accepté cette reprise en charge le 11 octobre 2022, sur base de l'article 20, paragraphe (5) du même règlement.
Le 23 février 2023, une décision de transfert concernant l'ensemble de votre famille vers la Croatie a été prise. Vous avez été informés le 13 juillet 2023 dudit transfert prévu pour le 26 juillet 2023, mais celui-ci n'a pas pu avoir lieu car votre père ainsi que votre fratrie n'étaient pas présents dans le foyer à cette date. Un deuxième transfert a alors été programmé pour le 19 juillet 2024, mais il a également dû être annulé en raison de problèmes médicaux. Un troisième transfert a ensuite été programmé pour le 13 septembre 2024, par vol charter spécialement affrété pour votre famille. À cette date, vous-même, vos parents, ainsi que votre frère et une de vos soeurs ont été transférés en Croatie, mais étant donné que votre deuxième soeur était de nouveau absente du foyer dès le 12 septembre 2024, et que les tentatives pour la retrouver ayant toutes échouées, elle n'a pas été transférée avec vous en Croatie.
Il convient de noter que par la force des circonstances, le Luxembourg est devenu responsable du traitement de la demande de protection internationale de votre soeur (F), demande qui fut refusée comme non fondée par décision ministérielle du 13 novembre 2024 et l'obligeant de quitter le territoire à destination de la Turquie ou de tout autre pays dans lequel elle est autorisée à séjourner.
Après l'introduction de votre deuxième demande de protection internationale au Luxembourg, et sur base de toutes les informations à notre disposition, une nouvelle demande de reprise en charge en vertu de l'article 18(1)b du règlement DIII a été adressée aux autorités croates en date du 4 novembre 2024. Cette demande fut acceptée par lesdites autorités croates en date du 15 novembre 2024, sur base de l'article 20(5).
2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est tenu d'achever le processus de détermination de l'Etat membre responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette 10 responsabilité revient à un autre Etat.
Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 20(5) du règlement DIII, l'Etat auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite pour la première fois est tenu - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29, et en vue d'achever le processus de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de la demande de protection internationale - de reprendre en charge le demandeur qui se trouve dans un autre Etat membre sans titre de séjour ou qui y introduit une demande de protection internationale après avoir retiré sa première demande présentée dans un autre Etat membre pendant le processus de détermination de l'Etat membre responsable.
Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).
3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert Madame, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre deuxième demande de protection internationale que vous avez introduit une demande de protection internationale en Croatie en date du 4 septembre 2022. Vous avez par la suite également introduit une demande au Luxembourg en date du 16 septembre 2022.
Selon le rapport de police du 30 octobre 2024, vous auriez, ensemble avec votre famille, quitté la Croatie environ deux mois après y avoir été transférés par les autorités luxembourgeoises en date du 13 septembre 2024. Dès que les autorités luxembourgeoises auraient quitté l'aéroport de Zagreb, les autorités croates auraient changé de comportement.
Vous auriez été amenés à un poste de police, où on vous aurait parlé de manière stricte et sans interprète et on vous aurait poussés lors de la prise d'empreintes (rapport de police du 30 octobre 2024). Dans votre lettre manuscrite, vous formulez des allégations graves, notamment des attouchements subis de la part d'un agent de police. Vous auriez ensuite été placés dans un centre d'accueil où « la situation était invivable » (lettre manuscrite non datée). Les assistants sociaux et les agents de sécurité ne vous auraient pas aidé à porter vos bagages, votre chambre aurait été « infesté d'insectes et de cafards », les draps n'auraient pas été lavés et les portes des toilettes n'auraient pas été verrouillables.
Madame, vous expliquez que les conditions d'accueil ont fait en sorte que votre état de santé se serait détérioré. Vous n'auriez pas eu droit à un médecin, ni à un avocat ou un interprète.
Vous auriez dit à vos parents que vous préféreriez « mourir plutôt que de rester en Croatie » (lettre manuscrite non datée). Vos parents auraient alors décidé de tout faire pour vous ramener au Luxembourg, où vous aimeriez poursuivre vos études.
Madame, vous n'avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la Croatie qui est l'Etat tenu de vous reprendre en charge en vue d'achever le processus de détermination de l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Quand bien même vous auriez besoin d'une prise en charge médicale, il y a lieu de relever que la Croatie est présumée fournir des soins médicaux appropriés ainsi que l'accès aux soins 11 urgents et nécessaires. Partant, les informations à notre disposition ne donnent actuellement aucune raison de croire que l'exécution du transfert-même vers la Croatie rendrait les autorités luxembourgeoises responsables d'une violation de l'article 3 CEDH, plus particulièrement les informations sur votre état de santé n'impliquent pas que tout transfert dans les délais prévus par le règlement DIII serait d'ores et déjà voué à échec.
Dans ce même contexte, il y a lieu de relever qu'en avril 2023, chaque Etat membre, y compris la Croatie, a rédigé en collaboration avec la Commission européenne et l'Agence de l'Union européenne pour l'Asile, un document officiel intitulé « Information on procedural elements and rights of applicants subject to a Dublin transfer », dans lequel des informations reflétant à la fois les dispositions légales ainsi que leur mise en oeuvre, ont été mises à la disposition de tous les Etats membres. Ensemble avec tous les autres Etats membres, la Croatie s'est engagée à fournir des informations exactes et actualisées quant aux conditions d'accueil des demandeurs de protection internationale faisant l'objet d'un transfert vers la Croatie. Ce document retient que les personnes qui sont transférées vers la Croatie dans le cadre du règlement Dublin III ont droit à un logement ainsi qu'aux conditions matérielles d'accueil incluant une prise en charge médicale après avoir exprimé l'intention d'introduire une demande de protection internationale.
Madame, quant aux déclarations concernant les conditions d'accueil ainsi que le comportement des autorités croates après votre transfert en septembre 2024, il sied tout d'abord de constater que vous ne versez aucun document probant à l'appui de vos déclarations de sorte que vos accusations restent en l'état de pure allégation. Les photographies transmises ne présentent pas un élément de preuve tangible pour étayer vos déclarations, étant donné qu'il ne peut être établi que ces photographies aient effectivement été prises dans une structure d'hébergement en Croatie.
En ce qui concerne les allégations graves que vous avez formulées, mais non prouvées, à savoir des attouchements subis en Croatie de la part d'un agent de police, il convient de souligner que si vous aviez effectivement été victime d'attouchements sexuels, la Direction générale de l'immigration est avec discernement en droit de s'attendre à ce que vous ayez déposé une plainte en Croatie, sinon que vous entamez des démarches depuis le Luxembourg. Or, force est de constater qu'à ce jour, la seule information à notre disposition est un formulaire pour un signalement de mineurs en danger qui aurait été déposé au service protection de la jeunesse du parquet un mois avant que vous ayez atteint l'âge de la majorité.
Il sied de relever dans ce même contexte qu'une telle prétendue maltraitance imputée aux autorités croates est difficilement envisageable alors que la Croatie est liée à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « Charte UE »), et est partie à la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après « CEDH »), à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants (ci-après « Conv. torture »), et à la Convention de Genève. Ainsi, la Croatie bénéficie, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen.
Par ailleurs, le comportement déplacé de certains agents étatiques ne reflète pas nécessairement la volonté de tout un système, qui peut rester engagé envers l'intégrité et le respect des droits.
Ce recours répété à des accusations sans fondement démontre clairement un mépris pour le cadre juridique, les décisions des autorités européennes et les règles régissant le système d'asile. Cette stratégie qui consiste à « réinventer » des faits, visant à semer le doute et à contourner les décisions légales, révèle une volonté manifeste de manipuler le système à des fins 12 purement personnelles, sans jamais étayer les allégations avec des preuves tangibles.
Il y a ensuite également lieu de soulever que la Croatie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Par conséquent, la Croatie est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.
Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de I'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la Croatie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires croates.
Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la Croatie ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.
Madame, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Croatie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv. torture.
Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l'exécution du transfert vers la Croatie, seule votre capacité de voyager est 13 déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers la Croatie, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau aptes à être transférés. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers la Croatie en informant les autorités croates conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités croates n'ont pas été constatées. […].
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 mai 2025, inscrite sous le numéro 52811 du rôle, Madame (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 23 avril 2025 ordonnant son transfert vers la Croatie.
Par requête séparée déposée au greffe du tribunal administratif le même jour, inscrite sous le numéro 52813 du rôle, Madame (B) accompagnée de ses enfants mineurs (C) et (D), a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 23 avril 2025 ordonnant leur transfert vers la Croatie.
Il y a tout d’abord lieu de prononcer la jonction des deux recours, inscrits sous les numéros 52811 et 52813 du rôle. Il est en effet dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice de prononcer ces deux affaires par un seul et même jugement, dans la mesure où, nonobstant le fait que le ministre a pris deux décisions séparées à l’égard de Madame (A), d’une part, et à l’égard de sa mère (B), accompagnée de ses enfants mineurs (C) et (D), fratrie de Madame (A), d’autre part, lesdites affaires sont intimement liées alors que les décisions visées par les deux recours sous examen ont comme toile de fond la question de la détermination de l’Etat membre responsable en vertu du règlement Dublin III pour connaître des demandes de protection internationale déposées par Madame (B) au Luxembourg le 30 octobre 2024 pour son propre compte, ainsi que pour le compte de ses enfants alors tous encore mineurs, la question du maintien de l’unité familiale se posant, par ailleurs, dans le cadre desdites affaires.
En ce qui concerne ensuite la compétence du tribunal pour connaître desdits recours, ainsi que la recevabilité de ceux-ci, étant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître des recours en réformation introduits à titre principal, lesquels sont encore recevables pour avoir été introduits dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur les recours subsidiaires en annulation.
Prétentions des parties A l’appui de leurs recours et en fait, les demandeurs exposent les faits et rétroactes gisant à la base des décisions déférées, en précisant que Madame (B) serait, faute d’avoir reçu une éducation scolaire, analphabète, de sorte qu’elle aurait constamment besoin d’assistance d’autres personnes pour des actes courants de la vie. Elle aurait d’ailleurs suivi des cours d’alphabétisation au Luxembourg en 2022 et aurait signé une convention de bénévolat avec le« … » dans l’optique d’aider d’autres personnes dans le besoin en date du 25 avril 2025. En ce qui concerne plus particulièrement Madame (A), ils précisent qu’elle serait d’ethnie kurde et qu’elle aurait vécu toute sa vie en Turquie où elle n’aurait toutefois pas été en sécurité, les intéressés relevant dans ce contexte que les personnes d’ethnie kurde y seraient malmenées et que les autorités de leur pays d’origine auraient procédé à de nombreuses interventions à leur logement familial en raison de leur ethnie kurde. Ils expliquent ensuite que l’ensemble de la famille aurait décidé de se rendre en Europe, et plus particulièrement au Luxembourg en raison du fait que d’autres membres de famille y résideraient depuis de nombreuses années. Suite à leur départ de la Turquie au milieu de l’année 2022, ils auraient voyagé à pied et par bus et seraient passés par la Croatie en septembre 2022 où ils auraient été arrêtés par la police croate et y auraient été mis en détention sans pouvoir communiquer faute de traducteur présent. Lesdites forces de l’ordre, qui auraient été aussi violentes tant physiquement que verbalement que la police turque, auraient alors pris leurs empreintes sans leur fournir d’explications compréhensibles. Ils auraient, par ailleurs, été enfermés dans une pièce, sans accès à des sanitaires durant 24 heures et sans opportunité de boire ou de manger. Ils auraient ensuite été relâchés sans document ou information relative à leur situation administrative et se seraient rendus au Luxembourg le 16 septembre 2022 pour y déposer une demande de protection internationale. Tout en expliquant que l’intention de la famille n’aurait jamais été d’introduire une demande de protection internationale en Croatie, alors que leur but aurait toujours été de rejoindre d’autres membres de famille établis au Luxembourg, les demandeurs expliquent ensuite que la famille aurait néanmoins été transférée en Croatie par les autorités luxembourgeoises et ce malgré le fait que les enfants auraient été scolarisés au Luxembourg, Madame (A) ayant, d’après les intéressés, fréquenté, avec succès, une classe d’accueil dans un lycée au Luxembourg, et que celle-ci aurait également entrepris, de nouveau avec succès, un stage dans le milieu médical. Ils expliquent encore que la décision de les transférer en Croatie aurait créer un désarroi profond dans le chef de Madame (B), ce au point qu’elle aurait commis une tentative de suicide en date du 15 juillet 2024, suite à laquelle elle aurait été prise en charge au service de psychiatrie au ….
Suite à leur transfert en Croatie, Madame (A), alors âgée de 17 ans, aurait fait l’objet d’une agression sexuelle de la part d’un membre des forces de l’ordre croates, alors que celui-ci l’aurait, sous prétexte de reprendre ses empreintes digitales, emmenée seule dans une pièce isolée où il aurait tenu des propos dégradants, l’aurait touchée et finalement violée. Ils expliquent ensuite qu’elle n’en aurait pas parlé avant de se confier, une fois de retour au Luxembourg, à son mandataire, lequel en aurait également informé le ministère tout en formulant devant le ministre, sur cette base, une demande d’application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III dans son chef, les intéressés expliquant encore que le ministre n’aurait pas répondu audit courrier et que celui-ci semblerait, en méconnaissance de l’article 6 du règlement Dublin III, ne pas avoir tenu compte de cet élément. Ils précisent ensuite avoir déposé une plainte pénale au Parquet au Luxembourg.
Les demandeurs font, dans ce contexte, plaider que la situation relative à l’émancipation en Croatie serait marquée par de nombreux obstacles structurels, ce surtout en ce qui concerne les problèmes de violences domestiques et sexuelles dans le cadre desquels les victimes se verraient confrontées à une police mal formée, des procédures judiciaires lentes et parfois sexistes, ainsi qu’à un manque de structures d’accueil et ce malgré le fait que la Croatie aurait ratifié la Convention d’Istanbul en 2018. Ils font ensuite valoir que les migrants seraient d’autant plus exposés à des risques accrus de violences sexuelles, de trafic humain, d’exploitation et de discrimination, tel que cela aurait été le cas de Madame (A), les intéressés ajoutant que par son vécu en Turquie l’état de vulnérabilité de celle-ci se trouverait d’autant plus prononcé suite à l’agression sexuelle subie par elle en Croatie.
En ce qui concerne plus particulièrement Madame (B), les demandeurs reprochent au ministre de ne pas avoir tenu compte de la présence de ses membres de famille au Luxembourg avec lesquels elle entretiendrait des liens familiaux très proches et d’avoir refusé d’appliquer l’article 16 du règlement Dublin III pour se déclarer compétent pour l’examen de leurs demandes de protection internationale.
Concernant plus particulièrement la situation des enfants mineurs (C) et (D), les concernés estiment que leur transfert en Croatie serait contraire à leur intérêt supérieur d’enfant, alors qu’ils seraient, par conséquent arrachés au peu de normalité qu’ils connaîtraient au sein du lycée dans lequel ils seraient inscrits à l’heure actuelle, les demandeurs mettant encore en exergue dans ce contexte qu’ils n’auraient pas accès en Croatie à l’éducation.
Les concernés précisent encore qu’ils auraient, en partant de la Croatie en octobre 2024, perdu toute trace de Monsieur (E), père de famille, duquel ils n’auraient plus de nouvelles depuis, élément qui contribuerait à l’angoisse ressentie par Madame (B) qui se retrouverait, en cas de transfert en Croatie, seule en tant que femme accompagnée de ses enfants face aux violences physiques et psychiques des forces de l’ordre croates.
Les intéressés font ensuite valoir que les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Croatie seraient insuffisantes, notamment pour les femmes seules avec des enfants, alors qu’il y aurait un manque d’intimité, peu de soutien psychologique et peu de services adaptés aux besoins spécifiques des femmes, concernant notamment l’hygiène menstruelle, les soins prénataux et la protection contre les violences sexuelles dans les centres d’accueil. Ils précisent encore qu’ils auraient, suite à leur transfert en Croatie en septembre 2024, pris des photos des conditions dans lesquelles ils y auraient été obligés de vivre. Il en irait, de manière générale, de même en ce qui y concerne l’accès aux soins, à l’éducation, à la formation professionnelle et au logement, les intéressés estimant qu’ils n’auraient, en cas de transfert en Croatie, pas accès à une quelconque éducation, en raison de la barrière linguistique.
Les consorts (ABCD) mettent, dans ce contexte, en exergue que le ministre se serait lui-
même douté des conditions d’accueil de leur famille en Croatie, alors qu’il se serait, par courrier adressé aux autorités croates le 23 mai 2023, enquis auprès de ces dernières de l’adéquation des structures d’accueil dans ledit pays, les concernés soulignant encore que malgré l’absence de réponse audit courrier par lesdites autorités, ils y auraient néanmoins été transférés.
En droit, les demandeurs font d’abord valoir que les décisions déférées seraient basées sur une mauvaise base légale, alors que l’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III ne serait pas applicable en l’espèce, dans la mesure où ils n’auraient jamais introduit des demandes de protection internationale en Croatie et qu’ils n’y auraient dès lors pas non plus, tel que prévu par ledit article, retiré une telle demande, de sorte que les décisions déférées encourraient la réformation pour violation de la loi.
Ils ajoutent que lesdites décisions seraient contraires aux informations résultant de leur dossier administratif, alors qu’il ressortirait de celui-ci qu’ils auraient déposé une demande de protection internationale en Croatie en date du 13 septembre 2024 et non pas, tel que retenu par le ministre dans les décisions déférées, le 4 septembre 2022.
Ils font ensuite plaider qu’en tout état de cause aucune preuve établissant qu’ils auraient en connaissance de cause introduit une demande de protection internationale en Croatie ne serait contenue dans le dossier administratif ou qu’ils auraient été informés des conséquences de la prise de leurs empreintes en Croatie. Après avoir cité l’article 2, point h) de la directive2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (refonte), désignée ci-après par « la directive 2011/95/UE », et en se référant à l’article 20, paragraphe (2) du règlement Dublin III, ils relèvent plus particulièrement que leur dossier administratif ne contiendrait aucun document valant introduction formelle de leur part d’une demande de protection internationale en Croatie, tout en précisant que le document intitulé « EURODAC SEARCH RESULT » n’en serait pas un équivalent et établirait uniquement qu’ils auraient laissé leurs empreintes dans ledit pays, tel que cela ressortirait encore du considérant numéro (5) du règlement Dublin III. Toujours dans ce contexte, les intéressés mettent encore en exergue qu’ils n’auraient, contrairement aux exigences résultant du considérant numéro (44) du règlement Dublin III, au moment de la prise de leurs empreintes dactyloscopiques en Croatie, jamais été informés de la finalité de cette démarche, ni de l’application et du contenu du règlement Dublin III.
Les demandeurs font, ensuite, valoir l’existence en Croatie de défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III. Ils estiment à cet égard qu’au vu de la circonstance que la Croatie ne serait pas épargnée par un afflux de migrants, la gestion des personnes concernées serait très expéditive et non adaptée, concernant tant les démarches administratives, telles que le refus de faire venir un traducteur, que les lieux où lesdites personnes seraient amenées à résider. Il s’y ajouterait que les forces de l’ordre se permettraient des gestes et traitements inhumains et dégradants, voire violents, sans qu’il n’existerait, par ailleurs, une cellule indépendante à laquelle les victimes de tels actes pourraient se confier.
Les demandeurs estiment que l’existence de défaillances systémiques dans la procédure de protection internationale en Croatie aurait été retenue par un jugement numéro 2403361 du tribunal administratif de Strasbourg du 13 juin 2024 aux termes duquel le transfert de la personne concernée vers ledit pays aurait de ce fait été annulé par cette juridiction. Celle-ci aurait, dans ledit jugement, constaté des défaillances sur base de sept différents constats, à savoir sur base (i) des conditions matérielles d’accueil y régnant, alors qu’il ressortirait d’un rapport de « Solidarité sans frontières » du 28 juin 2023 que les centres d’accueil y seraient infectés par des cafards, que pour boire, il faudrait y puiser l’eau dans les toilettes, que les matelas seraient installés dans les couloirs et que les demandeurs de protection internationale ne se verraient allouer que 13,27 euros par mois, sans possibilité de travailler du fait d’une barrière linguistique, (ii) du constat que les organisations non gouvernementales n’y auraient plus accès aux centres de rétention depuis les restrictions liées au Covid-19, pourtant levées, (iii) du constat qu’il n’y aurait pas de contrôle médical pour évaluer les besoins médicaux des demandeurs de protection internationale, dont un centre d’accueil en particulier où il y aurait un seul médecin présent de 13.00 heures à 15.00 heures pour couvrir les besoins de 600 personnes y logées, et qu’il n’y aurait pas de soins psychiatriques, (iv) du constat que l’enregistrement des demandes de protection internationale n’y aurait lieu que trois semaines après la présentation d’une demande afférente, au lieu de seulement trois jours, (v) du constat que la Croatie procéderait à la pratique des « pushbacks » des demandeurs de protection internationale vers la frontière avec la Bosnie-Herzégovine dont le système d’asile serait ineffectif avec seulement 5 personnes qui auraient obtenu le statut de réfugié en 2021, une seule en 2020 et trois en 2019, (vi) du constat que l’assistance juridique des demandeurs de protection internationale ne serait pas autorisée, même aux frais du demandeur concerné, durant la phase d’examen de la demande de protection internationale et (vii) du constat qu’il semblerait impossible pour un demandeur de protection internationale de faire documenter médicalement des faits de torture, de viol ou d’autres mauvais traitements.
Les intéressés se réfèrent encore à un article de l’organisation non gouvernementale « Human Rights Watch », intitulé « LIKE WE WERE JUST ANIMALS », publié en 2023 et font valoir que la Croatie resterait toujours en défaut d’établir qu’elle n’aurait plus recours aux pratiques dénoncées, alors qu’il ressortirait dudit rapport que pour « se délester du problème » la Croatie pratiquerait toujours des refoulements vers la Bosnie-Herzégovine sans prévenir les autorités dudit pays, pratique qui serait pourtant contraire à l’article 33 de la Convention du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, désignée ci-après par « la Convention de Genève ». Les personnes refoulées ne seraient ensuite pas entendues par les autorités bosniennes et seraient empêchées de déposer une demande de protection internationale, les demandeurs précisant à cet égard qu’ils attesteraient personnellement que ces pratiques seraient toujours en cours. De même, la réalité de cette pratique résulterait d’un rapport de l’ « Asylum Information Database », désignée ci-après par « l’AIDA » de l’année 2023, duquel il ressortirait qu’en 2023, 3.323 refoulements y auraient été pratiqués, dont 825 personnes auraient été explicitement privées d’accès à une procédure d’asile.
Concernant plus particulièrement les conditions matérielles d’accueil, les demandeurs réitèrent leurs développements quant au manque d’hygiène dans les centres d’accueil.
Dans ce contexte, ils se réfèrent à un jugement du tribunal de La Haye du 13 avril 2022 qui aurait annulé une décision de transfert des autorités néerlandaises vers la Croatie alors que lesdites autorités auraient manqué de suffisamment enquêter sur le risque de refoulements de la personne concernée, pratique qui constituerait une violation des articles 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après par « la CEDH », et l’article 4 de la Charte des droit fondamentaux de l’Union européenne, désignée ci-
après par « la Charte ». Dans un même ordre d’idées, le transfert d’une personne vers la Croatie aurait été annulé par un jugement du tribunal administratif régional de Stuttgart du 2 septembre 2022, retenant l’existence de défaillances systémiques en Croatie sur base du constat que les demandeurs de protection internationale n’y auraient pas accès à la procédure d’asile. La Croatie aurait, par ailleurs, été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme, désignée ci-
après par « la CourEDH », dans un arrêt du 18 novembre 2021, M.H. et autres c. Croatie, sur base des articles 2, 4, 5 et 34 de la CEDH.
Les demandeurs s’offusquent ensuite du fait que les autorités des divers Etats membres de l’Union européenne sembleraient en majeure partie fermer leurs yeux sur les pratiques des autorités croates, critique qu’aurait, par ailleurs, également adressée l’organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) aux autorités suisses dans son rapport publié le 21 février 2023 et intitulé « Jurisprudence concernant la Croatie, pays Dublin, 2022 – Analyse juridique et recommandations de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés ». Les intéressés réitèrent, dans ce contexte leurs développements relatifs au courrier envoyé aux autorités croates par les autorités luxembourgeoises en date du 23 mai 2023 s’enquérant des conditions d’accueil de la famille dans le cadre de leur premier transfert vers la Croatie, élément qui renforcerait le constat que le ministre serait conscient des défaillances systémiques dans les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans ledit pays.
Les consorts (ABCD) mettent, dans ce contexte, encore en exergue l’état de santé mental de Madame (B), lequel serait, après la tentative de suicide prémentionnée toujours préoccupant.
Ils renvoient à cet égard à un certificat médical du docteur … du 26 juillet 2024 duquel il ressortirait une contre-indication médicale de procéder au transfert de celle-ci en Croatie, alors que celle-ci n’y serait pas prise en charge de manière adéquate et précisent que suite à leur transfert en Croatie en 2024 il n’y aurait eu aucun suivi médical.
Sur base de l’ensemble de ces développements, les demandeurs concluent à la réformation des décisions déférées sur base de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III.
Les consorts (ABCD) font finalement encore valoir une violation de l’article 17, paragraphes (1) et (2) du règlement Dublin III, alors que le ministre aurait dû, d’une part, au vu de leur vécu et des sévices subies par eux en Croatie, et, d’autre part, en raison de la présence de membres de famille sur le territoire luxembourgeois, leur appliquer ledit article pour se déclarer compétent pour connaître de l’examen de leurs demandes de protection internationale. Ils précisent à cet égard, qu’en cas de transfert, Madame (A) en particulier, âgée de 18 ans, serait contrainte de quitter le Luxembourg où elle aurait enfin trouvé une vie stable et loin de toute répression étatique, pour se retrouver en Croatie où elle risquerait de se faire refouler vers la frontière bosnienne ou serbe et de subir des traitements inhumains et dégradants de la part des autorités desdits pays.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours sous analyse pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
En ce qui concerne tout d’abord les contestations des demandeurs relatives à la compétence de principe de la Croatie, en ce qu’ils n’y auraient pas déposé une demande de protection internationale, le délégué du gouvernement renvoie aux affirmations de Madame (B), laquelle aurait expressément indiqué, lors de son entretien au ministère le 20 septembre 2022 qu’elle aurait introduit une demande de protection internationale en Croatie en date du 4 septembre 2022 et que l’examen de celle-ci serait toujours en cours. Celle-ci aurait, par ailleurs, affirmé, lors de son entretien auprès du service de police judiciaire le 30 octobre 2024, y avoir introduit une telle demande suite à son transfert vers la Croatie en date du 13 septembre 2024, élément qui ressortirait également de la base de données EURODAC. Dans la mesure où la Croatie aurait encore expressément accepté de reprendre en charge les demandeurs sur base de l’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III, ce serait à bon droit que le ministre aurait basé ses décisions sur ledit article.
Concernant ensuite les développements des consorts (ABCD) relatifs à l’existence de défaillances systémiques en Croatie, le délégué du gouvernement, tout en rappelant que ledit pays serait un Etat membre de l’Union européenne et dès lors présumée de respecter les instruments internationaux et européens en matière de protection internationale, estime que les demandeurs resteraient en défaut d’établir l’existence de telles défaillances atteignant le seuil de gravité suffisant de sorte à les placer dans une situation de dénuement matériel extrême. A cet égard, il fait valoir que s’il ressortirait certes des rapports cités par les demandeurs que le système d’accueil croate serait affecté par des problèmes ponctuels, il n’en ressortirait pas pour autant que les conditions matérielles d’accueil en Croatie soient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée et quelles que soient les circonstances d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour tout demandeur de protection internationale, d’y être systématiquement exposé à une situation de précarité et de dénuement matériel et psychologique extrême au point qu’un transfert dans ledit pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte. Il ajoute, dans ce contexte, que les problèmes qu’aurait rencontrés la Croatie constitueraient des problèmes ponctuels et temporaires de capacité et de respect des règles d’hygiène causés par un grand afflux de demandeurs de protection internationale en 2023, tel que cela ressortirait du rapport actualisé de l’AIDA. Force serait par contre de constater que les autorités croates auraient essayé de résoudre ces problèmes en installant, par exemple, desconteneurs sur des terrains de football et en effectuant des rénovations en 2019 dans le centre d’accueil de … et en 2022 dans le centre d’accueil à …. Les conditions d’accueil s’y seraient d’ailleurs, d’après ledit rapport de l’AIDA, améliorées au cours des dernières années.
Concernant les développements des demandeurs relatifs à l’absence d’accès aux soins médicaux en Croatie, la partie étatique fait valoir que les intéressés se contenteraient de citer un rapport de « Solidarité sans frontières » du 28 juin 2023 et de mentionner que l’association « Médecins du Monde Belgique » aurait cessé ses activités en Croatie, alors qu’il ressortirait du rapport prémentionné de l’AIDA que l’assistance médicale serait disponible dans les centres d’accueil de … et …, qu’une ambulance spécialisée pour des groupes vulnérables aurait été créée et que les demandeurs de protection internationale pourraient être admis dans des hôpitaux locaux, de sorte qu’il ne saurait être retenu que tous les demandeurs de protection internationale n’auraient pas accès à un traitement médical adéquat en Croatie.
Quant aux décisions de juridictions étrangères citées par les demandeurs et qui auraient annulé des transferts vers la Croatie, le délégué du gouvernement fait plaider, outre le fait que le tribunal ne serait pas lié par lesdites décisions et que les demandeurs resteraient en défaut de mettre en relation leurs situations personnelles avec lesdites décisions, qu’ils citeraient seulement des décisions de justice en faveur de leur cause, tandis qu’il existerait également des décisions en sens contraire, tel que par exemple une décision du tribunal administratif de Basse-Saxe du 4 décembre 2023. Il s’ajouterait que les concernés n’invoqueraient pas de jurisprudence de la CourEDH ou de la Cour de justice de l’Union européenne, désignée ci-après par « la CJUE », relative à une suspension générale des transferts vers la Croatie, voire une demande en ce sens de la part de l’agence des Nations unies pour les réfugiés, ci-après dénommée « l’UNHCR », sinon de rapports de cet organe ou d’autres organisations internationales recommandant l’arrêt des transferts en Croatie dans le cadre du règlement Dublin III. La partie étatique souligne encore que la Croatie aurait rejoint l’espace Schengen en date du 1er janvier 2023, ce qui corroborerait la conclusion qu’elle respecte les droits fondamentaux.
Le délégué du gouvernement conclut dès lors au rejet du moyen tendant à la réformation de la décision déférée sur base de l’existence de défaillances systémiques en Croatie.
En ce qui concerne ensuite les développements de Madame (A) relatifs au risque pour elle de subir des traitements inhumains et dégradants en cas de transfert en Croatie, respectivement qu’elle aurait subi de tels traitements après son transfert vers ledit pays en septembre 2024, le délégué du gouvernement, tout en relevant que celle-ci verserait notamment la copie d’un signalement du 29 novembre 2024 rempli par une assistance sociale du service psycho-social et d’accompagnement scolaire, destiné au Parquet – Service Protection de la Jeunesse et des Affaires familiales, souligne que la concernée resterait en défaut de produire le moindre élément de preuve pertinent à l’appui de son affirmation relative aux attouchements qu’elle aurait subis en Croatie, alors que celle-ci resterait notamment en défaut d’établir qu’elle aurait déposé une plainte en Croatie dans ce contexte ou qu’elle aurait entamé des démarches en ce sens au Luxembourg.
Tout en concluant encore à l’absence de pertinence dans ce contexte des photos versées en cause par les demandeurs, alors qu’il ne serait pas établi qu’ils auraient personnellement pris lesdites photos dans un centre d’accueil en Croatie, le délégué du gouvernement ajoute qu’il ne ressortirait, par ailleurs, d’aucun élément du dossier que les consorts (ABCD) seraient, en cas de transfert, personnellement exposés au risque que leurs besoins existentiels minimaux ne seraient pas satisfaits.
Le délégué du gouvernement réfute encore l’argumentation des demandeurs suivant laquelle les autorités croates n’auraient jamais répondu au courrier du ministre du 23 mai 2023 par lequel celui-ci s’est enquis des conditions d’accueil des consorts (ABCD) en Croatie, alors que celles-ci auraient répondu par courriel du 13 juin 2023 que la Croatie respecterait les mêmes standards d’asile que les autres Etats membres et serait en mesure d’accueillir la famille.
Concernant la crainte des intéressés de faire, en cas de retour en Croatie, l’objet d’un refoulement, soit vers la Bosnie-Herzégovine, soit vers la Turquie, la partie étatique souligne tout d’abord que la pratique de « pushback » des autorités croates à la frontière bosnienne relevée par les demandeurs ne saurait être mise en relation avec leur situation personnelle, alors que la Croatie aurait expressément accepté de les reprendre en charge et qu’il ressortirait, par ailleurs, du rapport prémentionné de l’AIDA que les demandeurs de protection internationale repris en charge par les autorités croates sur base du règlement Dublin III auraient un accès à la procédure de protection internationale en Croatie. Le délégué du gouvernement met encore, dans ce contexte, en exergue qu’il serait manifeste que les demandeurs n’auraient pas fait l’objet d’une telle pratique lors de leur premier transfert en Croatie, mais qu’ils auraient eu l’occasion d’y introduire une demande de protection internationale en date du 13 septembre 2024 et qu’ils auraient quitté ledit pays de leur propre choix, de sorte qu’un nouveau transfert vers ledit pays ne semblerait pas les exposer à un refoulement en cascade.
La partie étatique ajoute qu’en tout état de cause si les autorités croates décidaient de les rapatrier en Turquie, alors même qu’ils y seraient exposés à un risque concret et grave pour leur vie, ils n’auraient pas démontré une impossibilité de faire valoir leurs droits directement auprès des autorités croates, sinon auprès de la CourEDH sur base de l’article 39 du règlement intérieur de celle-ci.
En ce qui concerne plus particulièrement l’état de santé de Madame (B), le délégué du gouvernement souligne que le règlement Dublin III prévoirait en son article 32, paragraphe (1) l’hypothèse du transfert de personnes vulnérables et cite à cet égard la jurisprudence de la CJUE afférente. En l’espèce, les demandeurs resteraient toutefois en défaut d’établir que Madame (B) n’aurait pas accès à un traitement médical en cas de transfert en Croatie, le délégué du gouvernement réitérant à cet égard ses développements relatifs à l’accès des demandeurs de protection internationale aux soins médicaux en Croatie.
Il s’en suivrait que le moyen tendant à une violation de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte serait à rejeter pour ne pas être fondé.
En ce qui concerne l’invocation par les intéressés de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, le délégué du gouvernement rétorque que le fait que la soeur de Madame (B) habiterait au Luxembourg ne constituerait pas un élément humanitaire ou exceptionnel justifiant l’application de la clause de souveraineté et que les demandeurs resteraient, par ailleurs, en défaut d’apporter la moindre précision quant à la relation avec un quelconque autre membre de famille vivant au Luxembourg, de sorte que le moyen afférent encourrait également le rejet.
En ce qui concerne finalement l’intérêt supérieur des enfants invoqué par les demandeurs, le délégué du gouvernement, tout en citant un jugement du tribunal administratif du 19 février 2024, inscrit sous le numéro 49310a du rôle, fait valoir que le seul fait qu’un transfert en Croatie signifierait que les enfants devraient interrompre leur scolarité au Luxembourg ne serait pas une atteinte disproportionnée à leurs intérêts, et qu’il serait au contraire dans l’intérêt des enfants de la famille (ABCDEF) de rester auprès de leurs parents et de préserver l’unité familiale, de sorte que le moyen afférent des demandeurs encourrait le rejet pour ne pas être fondé.
Analyse du tribunal Concernant le moyen tendant à une violation de l’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III L’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que : « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est tenu d’achever le processus de détermination de l’Etat membre responsable du traitement de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers cet Etat membre et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
L’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités croates en l’espèce, prévoit que « l'Etat membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite pour la première fois est tenu, dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29, et en vue d'achever le processus de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de la demande de protection internationale, de reprendre en charge le demandeur qui se trouve dans un autre Etat membre sans titre de séjour ou qui y introduit une demande de protection internationale après avoir retiré sa première demande présentée dans un autre Etat membre pendant le processus de détermination de l'Etat membre responsable ».
Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer les consorts (ABCD) vers la Croatie et de ne pas examiner leur demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat tenu d’achever le processus de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale des consorts (ABCD) serait la Croatie, en ce qu’ils avaient, d’une part, franchi irrégulièrement la frontière croate en date du 4 septembre 2022, qu’ils y ont introduit une demande de protection internationale à la même date et que les autorités croates ont accepté de les reprendre en charge le 11 octobre 2022, et d’autre part, que suite à leur transfert par les autorités luxembourgeoises en Croatie en date du 13 septembre 2024, ils y ont introduit une nouvelle demande de protection internationale à la même date et que les autorités croates ont accepté de les reprendre en charge le 15 novembre 2024, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de transférer les intéressés vers ledit Etat et de ne pas examiner leurs demandes de protection internationale introduites au Luxembourg.
Si les demandeurs affirment certes ne pas avoir introduit de demandes de protection internationale en Croatie ni en date du 4 septembre 2022, ni en date du 13 septembre 2024, il échet néanmoins de constater qu’il ressort du dossier administratif et plus particulièrement d’un document intitulé « EURODAC SEARCH RESULT » qu’ils ont introduit des demandes de protection internationale à … en Croatie le 4 septembre 2022 et à … en Croatie le 13 septembre2024.
Ce constat n’est pas énervé par l’affirmation des demandeurs suivant laquelle la base de données EURODAC renseignerait uniquement de la prise de leurs empreintes dactyloscopiques par les autorités croates auxdites dates, alors que, d’une part, suivant l’article 11, point b) du Règlement (UE) n ° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n ° 603/2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride et relatif aux demandes de comparaison avec les données d'Eurodac présentées par les autorités répressives des États membres et Europol à des fins répressives, et modifiant le règlement (UE) n ° 1077/2011 portant création d'une agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice (refonte), désigné ci-après par « le règlement 603/2013 », les données suivantes sont enregistrées dans ledit système « […] lieu et date de la demande de protection internationale […] », de sorte que ladite base de données englobe, contrairement aux développements des demandeurs, des informations quant à l’introduction d’une demande de protection internationale d’un demandeur d’asile et que, d’autre part, et en l’espèce, le document prémentionné différencie entre « Date of application » et « Date fingerprinted », de sorte que ledit document établit la réalité de l’introduction d’une demande de protection internationale des demandeurs en Croatie tant le 4 septembre 2022 que le 13 septembre 2024.
Ce constat n’est pas non plus énervé par les développements des demandeurs tendant à établir qu’ils n’auraient pas introduit lesdites demandes en connaissance de cause, faute d’avoir été éclairés par les autorités croates dans une langue qu’ils comprennent de la portée de leurs agissements, alors que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, de même que le règlement 603/2013, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard1. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants2. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient aux demandeurs de rapporter la preuve matérielle3, d’une méconnaissance par un Etat membre desdits instruments européens et internationaux.
1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.
2 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 79 ; Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, Trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que Trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur le site www.jurad.etat.lu.
3 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.Or, les demandeurs restent en l’espèce en défaut d’établir que les autorités croates auraient manqué à leurs obligations en matière de protection internationale, notamment à celle de les informer, dans une langue qu’ils comprennent, de l’application du règlement Dublin III, les demandeurs restant en effet en défaut de verser à l’appui de leurs recours un quelconque document duquel une telle pratique de la part des autorités croates découlerait.
Il s’ensuit que le moyen tendant à la réformation des décisions déférées en ce que celles-
ci seraient basées sur une mauvaise base légale est à rejeter.
Force est ensuite au tribunal de constater que les demandeurs concluent à la réformation des décisions déférées alors que leur transfert en Croatie serait contraire aux articles 3, paragraphe (2), alinéa 2, 6, 16 et 17, paragraphes (1) et (2) du règlement Dublin III, l’article 3 de la CEDH, l’article 4 de la Charte, l’intérieur supérieur de l’enfant, ainsi que l’article 33 de la Convention de Genève.
Le tribunal relève à cet égard que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande, sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.
Concernant le moyen tendant à une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III Concernant l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, celui-ci dispose que : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».
Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH, respectivement de l’article 4 de la Charte. Dans ce cas, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale devient l’Etat membre responsable au sens du règlement Dublin III.
Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard4. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants5. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient aux demandeurs de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées6.
Le tribunal est encore amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise ou de reprise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il y existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de la Charte7.
Dans ce contexte, la CJUE a retenu, dans un arrêt du 19 mars 2019, portant le numéro C-163/17 du rôle, que des défaillances ne sont contraires à l’interdiction de traitements inhumains ou dégradants que lorsqu’elles atteignent un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause, ce seuil étant atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine8, une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie n’atteignant toutefois pas ce seuil lorsqu’elles n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant9.
4 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.
5 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 79 ; Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, Trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que Trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur le site www.jurad.etat.lu.
6 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.
7 CJUE, 10 décembre 2013, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, C-394/12, point 62.
8 CJUE, 19 mars 2019, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland., C-163/17, point 92.
9 Ibidem, point 93.Etant donné que les demandeurs remettent en question cette présomption du respect des droits fondamentaux par la Croatie, en affirmant risquer des traitements inhumains et dégradants en cas de transfert vers ledit pays, en invoquant des défaillances systémiques en Croatie relatives (i) aux conditions d’hébergement, notamment en ce qui concerne les conditions d’hygiène au sein des centres d’accueil, (ii) aux conditions d’accès à la procédure de protection internationale, (iii) au traitement réservé aux demandeurs de protection internationale, et plus particulièrement aux femmes, par les autorités croates, notamment les forces de l’ordre, (iv) aux conditions d’accès à des soins médicaux, (v) aux conditions d’accès à l’éducation et au marché de travail et (vi) au respect par les autorités croates du principe de non refoulement, il leur appartient de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.
Il échet à cet égard de constater que si certes les demandeurs se prévalent, dans ce contexte, de leur vécu personnel lors de leurs séjours respectifs en Croatie en septembre 2022 et en septembre 2024, en invoquant notamment (i) le manque d’hygiène aux centres d’accueil dans lesquels ils ont séjourné, (ii) le manque de respect des autorités policières à leur égard, (iii) les attouchements, respectivement le viol qu’aurait subis (A) de la part d’agents de police au sein du centre d’accueil, et (iv) l’absence d’accès aux soins médicaux, ils restent néanmoins en défaut d’apporter la preuve permettant de retenir, de manière générale, l’existence de défaillances systémiques en Croatie, à savoir que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale y seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 4 de la Charte.
En effet, si les demandeurs se réfèrent certes à un certain nombre de rapports internationaux ainsi qu’à des décisions de juridictions de certains Etats membres qui auraient annulé des décisions de transfert vers la Croatie sur base du règlement Dublin III, notamment en raison de l’existence de défaillances systémiques dans ledit pays, le tribunal relève, mis à part le constat qu’il n’est pas lié par des décisions de juridictions étrangères, que les consorts (ABCD) restent toutefois en défaut de verser une copie desdits rapports et décisions, mettant dès lors le tribunal dans l’impossibilité de vérifier leur contenu et d’apprécier les développements des intéressés y afférents, étant rappelé qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer la carence des parties, notamment dans la recherche des éléments de preuve à l’appui de leurs moyens.
Par ailleurs, le tribunal relève que les demandeurs n’invoquent aucune jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers la Croatie, voire une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. Les demandeurs ne font pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers la Croatie de ressortissants turcs dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile croate qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte, étant rappelé que la Croatie est signataire de la Charte, de la CEDH, de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, est censée en appliquer les dispositions.
Ce constat n’est pas énervé par la référence faite par les demandeurs à l’arrêt prémentionné de la CourEDH du 18 novembre 2021, alors que ledit arrêt a été rendu sur base d’un cas d’espèce particulier, sans que l’existence de défaillances systémiques touchant l’ensemble des demandeurs de protection internationale en Croatie ne peut en être déduit.
Ce constat n’est pas non plus ébranlé par le fait, non contesté, que dans le cadre du premier transfert des demandeurs sur base d’une décision ministérielle afférente du 23 février 2023, le ministre s’est, par courrier du 23 mai 2023, enquis auprès des autorités croates des conditions d’accueil de la famille (ABCDEF) en Croatie, alors qu’indépendamment du constat que lesdites autorités ont, contrairement aux affirmations des demandeurs, répondu audit courrier par courriel du 13 juin 2023, l’existence de défaillances systémiques en Croatie ne saurait être déduite du seul envoi par le ministre dudit courrier aux autorités croates.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que les demandeurs n’ont pas rapporté la preuve de l’existence, en Croatie, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays.
Il s’ensuit que le moyen tendant à une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III encourt le rejet pour ne pas être fondé.
Concernant le moyen tendant à une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, pris isolément Cependant, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable10.
Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte11, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant12.
En l’espèce, si, au cours de leurs entretiens Dublin III, les demandeurs ont expliqué avoir été en septembre 2022, enfermés pendant une nuit par les autorités croates, sans eau, ni nourriture, avoir été forcés de donner leurs empreintes sans la présence d’un interprète et sans 10 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.
11 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 65 et 96.
12 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, point 88.autres explications quant à la finalité de cette prise d’empreintes, avoir été fortement incités à signer des documents, faute de quoi ils seraient expulsés vers la Turquie, et avoir été incités à quitter le territoire croate endéans une semaine, force est néanmoins de constater qu’il a été jugé par le jugement précité du tribunal administratif du 28 mars 2023 relatif à la première décision ministérielle du 23 février 2023 ordonnant le transfert des consorts (ABCD) en Croatie, que ces actes ne revêtent cependant pas un degré de gravité tel qu’ils seraient à qualifier de traitements inhumains ou dégradants, au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, conclusion dont le tribunal ne saurait se départir actuellement à défaut d’éléments nouveaux à cet égard.
En ce qui concerne l’affirmation des demandeurs suivant laquelle suite à leur transfert vers la Croatie en septembre 2024, Madame (A) aurait, en tant que mineure, été victime d’attouchements sexuels et d’un viol de la part d’un agent des forces de l’ordre croates, il échet tout d’abord de constater que le tribunal ne saurait rejoindre la partie étatique dans son constat que les intéressés n’apporteraient aucun élément à l’appui de cette affirmation.
En effet, s’il ne ressort effectivement d’aucun élément du dossier administratif que Madame (A) aurait été victime d’un viol en Croatie en septembre 2024, il en ressort néanmoins et plus particulièrement d’un document intitulé « Signalement » établi en date du 29 novembre 2024, qu’après avoir été avertie par Madame (A) du fait d’avoir été, suite à son transfert en Croatie en septembre 2024, victime d’attouchements sexuels de la part d’un agent des forces de l’ordre croates, une assistante sociale au sein du lycée fréquenté par la concernée, a procédé à un signalement de cet incident à l’unité de Protection de la Jeunesse du Service de Police Judiciaire en coopération avec le Parquet Service Protection de la Jeunesse et Affaires familiales, la partie étatique restant, par ailleurs, en défaut d’invoquer un quelconque élément susceptible de jeter le discrédit sur les affirmations de la victime concernée.
Ce constat n’est, en ce qui concerne la réalité de cet acte d’agression sur la personne de Madame (A), pas énervé par les développements de la partie étatique suivant lesquels l’intéressée aurait omis de déposer une plainte à cet égard devant les autorités croates, le jeune âge de la concernée, le type de l’infraction en cause et le fait que l’auteur présumé de cette infraction est membre des forces de l’ordre croates, étant de nature à expliquer cette omission de la part de la victime, laquelle a, par ailleurs, au bout d’un mois et demi quitté la Croatie ensemble avec sa famille.
Or, si les actes subis par Madame (A) prémentionnés sont certes condamnables, il ne se dégage d’aucun élément tangible soumis à l’appréciation du tribunal que, de manière générale, les demandeurs de protection internationale en Croatie risqueraient de faire l’objet d’agressions physiques, voire sexuelles, de la part des agents policiers croates, les intéressés restant, par ailleurs, en défaut d’établir qu’en cas de transfert en Croatie, ils, et plus particulièrement, Madame (A), risqueraient de faire l’objet de telles agressions.
Ce même constat vaut en ce qui concerne leurs affirmations faites tant dans le cadre de l’entretien Dublin III de Madame (B) du 21 novembre 2024, que dans le cadre de leurs requêtes introductives d’instance sous analyse, suivant lesquelles suite à leur transfert en Croatie en date du 13 septembre 2024, ils auraient été logés dans un centre d’accueil dans des conditions d’hygiène déplorables, sans accès à un médecin.
En effet, c’est tout d’abord à bon droit que la partie étatique conclut à l’absence de pertinence des photos versées en cause de la part des demandeurs et censées démontrer les conditions dans lesquelles ils ont dû vivre en Croatie suite à leur transfert dans ledit pays en septembre 2024, alors que celles-ci ne permettent pas de conclure qu’ils auraientpersonnellement pris ces photos ou qu’ils auraient été logés dans l’endroit y montré.
Le tribunal constate, en revanche, que la partie étatique ne conteste pas les développements des demandeurs quant aux conditions dans lesquelles ils ont dû vivre en Croatie suite à leur transfert en septembre 2024, mais se borne à contester l’envergure et l’actualité des problèmes d’hygiène dans certains centres d’accueil croates en faisant notamment valoir que lesdits problèmes auraient été dus à un afflux massif de demandeurs de protection internationale en 2023 en Croatie et que les autorités croates œuvraient activement pour une amélioration desdites conditions. Il s’ensuit que la réalité des conditions d’accueil en Croatie que les intéressés auraient vécues personnellement suite à leur transfert en Croatie le 13 septembre 2024, telles que décrites dans le cadre de leurs requêtes introductives d’instance respectives, ainsi que par Madame (B) lors de son entretien Dublin III en date du 21 novembre 2024, n’a pas été utilement remise en cause par la partie étatique.
A défaut toutefois d’un élément tangible quelconque soumis à l’appréciation du tribunal que, de manière générale, les demandeurs de protection internationale en Croatie seraient logés dans des centres d’accueil ne respectant pas les règles d’hygiène minimales, les demandeurs restant en défaut d’établir qu’en cas de transfert en Croatie ils seraient de nouveau logés dans le même centre d’accueil, et qu’ils risqueraient, pour des raisons tenant à des circonstances personnelles, de se retrouver, en cas de transfert, dans des mêmes conditions d’hébergement déplorables.
Ils n’ont, par ailleurs, et même à supposer que tel était le cas, pas non plus prouvé que, de manière générale, les droits des demandeurs ou des bénéficiaires d’une protection internationale en Croatie ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que ceux-ci n’auraient en Croatie aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités croates en usant des voies de droit adéquates13, Madame (A) affirmant notamment ne pas avoir entrepris des démarches devant les autorités croates en relation avec les attouchements subies par elle de la part d’un agent au sein du centre d’accueil dans lequel elle a été logée.
En ce qui concerne plus particulièrement l’état de santé de Madame (B), il y a lieu de relever qu’il ne se dégage pas de l’arrêt de la CJUE du 16 février 2017 que l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable pour l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur de protection internationale doit, en tout état de cause et préalablement à la prise d’une décision de transfert et par avis médical, s’assurer automatiquement que le transfert n’entraîne pas une détérioration significative et irrémédiable de l’état de santé de l’intéressé pour toute personne déclarant avoir un quelconque problème de santé.
En effet, dans l’arrêt en question, la CJUE a d’abord mis en évidence le fait, en ce qui concerne les conditions d’accueil et les soins disponibles dans l’Etat membre responsable du traitement de la demande de protection internationale, que les Etats membres liés par la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, ci-après désignée par la « directive Accueil », sont tenus, y compris dans le cadre de la procédure au titre du règlement Dublin III, conformément aux articles 17 à 19 de cette directive, de fournir aux demandeurs d’asile les soins médicaux et l’assistance médicale nécessaires comportant, au minimum, les 13 Voir, pour les demandeurs de protection internationale : article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves : « Dans ces conditions, et conformément à la confiance mutuelle que s’accordent les États membres, il existe une forte présomption que les traitements médicaux offerts aux demandeurs d’asile dans les États membres seront adéquats […] ». Elle a retenu ensuite que « […] dans des circonstances dans lesquelles le transfert d’un demandeur d’asile, présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave, entraînerait le risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens [de l’article 4 de la Charte]. En conséquence, dès lors qu’un demandeur d’asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l’article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l’État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments. Elles sont, au contraire, tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de la légalité d’une décision de transfert, dès lors que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-ci. […] »14.
Dans une telle situation, il appartiendra aux autorités concernées « […] d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur l’état de santé de l’intéressé, en prenant les précautions nécessaires pour que son transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de cette personne. Dans l’hypothèse où, compte tenu de la particulière gravité de l’affection du demandeur d’asile concerné, la prise desdites précautions ne suffirait pas à assurer que son transfert n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, il incombe aux autorités de l’État membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de l’intéressé, et ce aussi longtemps que son état ne le rend pas apte à un tel transfert […] » 15.
Cette jurisprudence vise dès lors l’hypothèse particulière suivant laquelle un demandeur de protection internationale produit des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-
ci, hypothèse dans laquelle les autorités de l’Etat membre procédant au transfert doivent prendre les précautions spécifiques afin de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de la personne concernée, telles que, par exemple, l’obtention, de la part de l’Etat membre responsable, de la confirmation que les soins indispensables seront disponibles à l’arrivée16.
La CJUE a encore relevé la coopération entre l’Etat membre devant procéder au transfert et l’Etat membre responsable afin d’assurer que le demandeur d’asile concerné reçoive des soins de santé pendant et à l’issue du transfert, l’Etat membre procédant au transfert devant s’assurer que le demandeur d’asile concerné bénéficie de soins dès son arrivée dans l’Etat membre responsable, les articles 31 et 32 du règlement Dublin III imposant, en effet, à l’Etat membre procédant au transfert de communiquer à l’Etat membre responsable les informations concernant l’état de santé du demandeur d’asile qui sont de nature à permettre à cet Etat membre de lui apporter les soins de santé urgents indispensables à la sauvegarde de ses intérêts essentiels.
Ainsi, ce n’est que dans l’hypothèse où la prise de précautions de la part de l’Etat membre procédant au transfert ne suffirait pas, compte tenu de la gravité particulière de l’affection du 14 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, points 74 et 75.
15 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, point 96.
16 Ibidem, point 83.demandeur d’asile concerné, à assurer que le transfert de celui-ci n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, qu’il incomberait aux autorités de l’Etat membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de cette personne, et ce aussi longtemps que son état de santé ne la rend pas apte à un tel transfert.
Il appartient dès lors au tribunal, compte tenu des développements des demandeurs à cet égard, de vérifier si l’état de santé de Madame (B) présente une gravité telle qu’il ne peut sérieusement être exclu que son transfert entraînerait pour elle un risque réel de traitements inhumains et dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte et de l’article 3 de la CEDH17.
En l’espèce, force est de constater qu’il ressort des pièces médicales versées en cause, et notamment d’un rapport de sortie du … daté au 8 août 2024 que Madame (B) y a été hospitalisée du 15 juillet au 8 août 2024 et d’un certificat médical du psychiatre …. du 18 juillet 2024 que l’intéressée souffrait d’une « détresse psychique aiguë avec mise en danger de soi », de même qu’elle a été admise « en soins psychiatriques intensifs en secteur psychiatrique fermé » du …. Il résulte ensuite d’un rapport médical du même médecin du 26 juillet 2024 que « […] D’un point de vue psychiatrique, toute confrontation de la patiente à une éventuelle expulsion en Croatie ou en Turquie peut déclencher une accentuation aiguë de l’état de stress post-traumatique dont elle souffre avec détresse psychique intense, des symptômes d’angoisse et des idées suicidaires concrètes. D’autre part, d’après les rapports d’organisations non-gouvernementales relatés par Maître […] les soins psychiatriques adéquats dont Madame (B) a besoin ne peuvent pas être assurés en Croatie, ce qui pourrait représenter un danger pour soi, plus précisément en cas de récidive de crise suicidaire. […] ». Il ressort encore d’un certificat médical du docteur … du 10 janvier 2025 que Madame (B) souffrait de « trouble dépressif » et de « PTSD », de même qu’elle présentait « une symptomatologie anxio-dépressive avec humeur dépressive, retrait social, ruminations, angoisses et crises de panique ». Si certes, Madame (B) établit qu’elle souffre de problèmes de santé mentale, le tribunal constate toutefois que celle-ci reste en défaut d’établir qu’elle ne saurait avoir accès à des soins médicaux en cas de transfert en Croatie, respectivement que ce même pays ne respecterait pas les obligations lui imposées à travers la CEDH, la Charte ou encore le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966 et entré en vigueur le 3 janvier 1976, étant rappelé que les demandeurs restent en défaut de verser un quelconque rapport international à l’appui de leur recours.
Ce constat n’est pas énervé par la référence faite par le docteur … dans son rapport médical prémentionné du 26 juillet 2024 à des rapports internationaux desquels il ressortirait que Madame (B) n’aurait pas accès en Croatie à des soins adéquats, alors qu’il n’y est pas précisé de quels rapports il est question.
A défaut d’autres éléments soumis à l’appréciation du tribunal, les demandeurs sont restés en défaut d’établir que l’état de santé de Madame (B) présenterait une gravité telle qu’il ne peut sérieusement être exclu que son transfert entraînerait pour elle un risque réel de traitements inhumains et dégradants, respectivement que son état de santé s’opposerait à son transfert vers la Croatie.
Enfin, et même à admettre que la concernée ne puisse pas accéder, en tant que demandeur de protection internationale, au système de santé croate, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités croates en usant des voies de droit internes, voire devant 17 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.les instances européennes adéquates.
A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1), premier alinéa une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin, il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers la Croatie par le biais de la communication aux autorités croates des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard.
Il convient, par ailleurs, de souligner que si les demandeurs devaient estimer que le système d’aide croate est à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il leur appartiendrait de faire valoir leurs droits directement auprès des autorités croates en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates. Il en va de même si les demandeurs devaient estimer que le système d’accueil croate ne serait pas conforme aux normes européennes, de sorte qu’il ne saurait être reproché à l’autorité ministérielle de ne pas avoir sollicité des autorités croates des garanties individuelles.
Au vu des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que compte tenu de leur situation personnelle, les demandeurs seraient exposés à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, en cas de transfert en Croatie, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, dans ce pays, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.
Concernant le moyen tendant à une violation de l’article 33 de la Convention de Genève En ce qui concerne encore la crainte des demandeurs de faire, en cas de transfert vers la Croatie, l’objet d’un refoulement vers la Bosnie-Herzégovine, sinon vers leur pays d’origine, en violation de l’article 33 de la Convention de Genève, le tribunal relève tout d’abord que les décisions déférées n’impliquent pas un retour vers le pays d’origine des demandeurs, ni en Bosnie-Herzégovine, mais désignent uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de leurs demandes de protection internationale, étant souligné que ledit Etat membre, en l’occurrence la Croatie, a reconnu, en date du 15 novembre 2024, être compétent pour reprendre les demandeurs en charge.
Le tribunal relève ensuite que les demandeurs restent en défaut d’étayer concrètement l’existence, dans leur chef, d’un risque concret et personnel d’être renvoyés dans leur pays d’origine alors même qu’ils y encourraient un risque sérieux de subir des traitements inhumains et dégradants, ceux-ci restant en effet en défaut de fournir des éléments probants - tels que des rapports internationaux relatifs à la situation particulière des demandeurs de protection internationale en Croatie - susceptibles de démontrer qu’en cas de rejet définitif de leurs demandes de protection internationale par les autorités croates, la Croatie ne respecterait pas leprincipe du non-refoulement prévu par l’article 33 de la Convention de Genève et faillirait dès lors à ses obligations internationales en les renvoyant dans un pays où leur vie, leur intégrité physique ou leur liberté seraient sérieusement en danger ou encore qu’ils risqueraient d’être forcés de se rendre dans un tel pays sans avoir pu faire valoir leurs droits, étant relevé qu’il est constant en cause que les autorités croates ont expressément accepté de les reprendre en charge sur base de l’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III et que leurs demandes de protection internationale n’ont dès lors, à l’heure actuelle, pas été rejetées par lesdites autorités.
Le même constat vaut en ce qui concerne la crainte des demandeurs de faire l’objet d’un refoulement vers la Bosnie-Herzégovine, alors qu’il ressort de leurs propres explications que les « pushback » que les demandeurs reprochent aux autorités croates de pratiquer sont limitées aux migrants franchissant illégalement la frontière croate à partir notamment de la Bosnie-
Herzégovine, situation dans laquelle les demandeurs ne risquent pas de se retrouver en cas de transfert vers la Croatie, alors que non seulement les autorités croates ont, tel que relevé ci-avant, expressément accepté de les reprendre en charge, mais qu’il ressort encore des propres affirmations des concernés qu’ils ont, lors de leur premier transfert vers la Croatie, été logés dans un centre d’accueil sans avoir fait l’objet d’une reconduite forcée à une quelconque frontière en Croatie.
Par ailleurs, il ne se dégage pas des éléments produits par les demandeurs que si les autorités croates devaient néanmoins décider de les rapatrier en violation des articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte et 33 de la Convention de Genève, alors même qu’ils seraient exposés dans leur pays d’origine à un risque concret et grave pour leur vie, il ne leur serait pas possible de faire valoir leurs droits directement auprès des autorités croates en usant des voies de droit adéquates.
L’argumentation ayant trait à une violation du principe de non-refoulement est, au vu des développements faits ci-avant, à rejeter pour ne pas être fondée.
Quant au moyen tendant à une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, le tribunal relève que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ».
A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres18, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la CJUE du 16 février 201719.
Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des 18 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.
19 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 88 et 97.intérêts publics dont elles ont la charge20, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée21, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu de réformer la décision en question en vérifiant si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration22, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal.
Il appartient dès lors aux demandeurs de démontrer qu’il existe une disproportion dans la décision du ministre de ne pas faire application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III et de les transférer vers la Croatie sans examiner leurs demandes de protection internationale au Luxembourg.
En l’espèce, les demandeurs invoquent (i) leur vulnérabilité en tant que demandeurs de protection internationale, (ii) la vulnérabilité de Madame (B) en raison de son état de santé, (iii) la vulnérabilité de celle-ci en sa qualité de femme seule avec ses trois enfants dont deux mineurs, (iv) la vulnérabilité de Madame (A) en raison de son vécu en relation avec des attouchements subis en tant que mineure lors de son séjour en Croatie en septembre 2024 de la part d’un agent de police croate, (v) la vulnérabilité des enfants (C) et (D) en raison de leur minorité et leur intérêt supérieur en cette qualité, (vi) la présence d’un certain nombre de membres de famille au Luxembourg, (vii) leur vécu personnel lors de leurs séjours respectifs en Croatie en 2022 et 2024, ainsi que (viii) la scolarisation au Luxembourg de (A), (C) et (D), pour soutenir que le ministre aurait dû faire application de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.
Concernant tout d’abord l’état de vulnérabilité de Madame (A), le tribunal constate qu’il ressort, tel que relevé ci-avant, à suffisance du dossier administratif, que cette dernière a été, en tant que mineure, victime d’attouchements sexuels de la part d’un agent de police au sein du centre d’accueil en Croatie en septembre 2024 après son premier transfert, la survenance dudit événement ayant, par ailleurs, été relatée par Madame (B) dans le cadre de son entretien Dublin III du 21 novembre 2024, ainsi que par Madame (A) elle-même, tel que cela ressort d’un courrier du mandataire de l’époque des demandeurs adressé au ministre en date du 5 novembre 2024, ainsi que du signalement prémentionné du 29 novembre 2024. Il échet à cet égard de préciser que si la partie étatique relève que les demandeurs n’établiraient pas ne pas avoir pu demander aux autorités croates une protection contre de tels actes, notamment en y déposant une plainte à l’encontre de l’agent en question, elle ne conteste pas qu’un tel acte a nécessairement dû créer un sentiment d’angoisse dans le chef de Madame (A), ce d’autant plus que les faits en question se sont déroulés à l’intérieur du centre d’accueil au sein duquel elle était logée avec sa famille et ont été commis par un agent de police en charge de la sécurité des personnes logées dans ledit centre.
Concernant ensuite l’état de santé de Madame (B), il n’est, tel que relevé ci-avant pas contesté que celle-ci a, face à l’imminence de son transfert, ensemble avec son mari et ses enfants, en Croatie, commis une tentative de suicide en juillet 2024, de même qu’elle a été hospitalisée au … dans ce contexte et qu’elle souffre toujours à l’heure actuelle de « trouble 20 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 64 (3e volet) et les autres références y citées.
21 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.
22 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en réformation, n°12 (2e volet) et les autres références y citées.dépressif », de « PTSD » et qu’elle présente « une symptomatologie anxio-dépressive avec humeur dépressive, retrait social, ruminations, angoisses et crises de panique », lesdits éléments ressortant, tel que relevé ci-avant, par ailleurs du dossier administratif et des pièces versées en cause par les demandeurs. Si c’est certes à bon droit que la partie étatique argue dans ce contexte que les demandeurs n’ont pas établi un défaut d’accès à des soins médicaux nécessaires en Croatie, le tribunal constate néanmoins qu’il n’est pas contesté par le délégué du gouvernement que l’état de santé mentale de Madame (B) est intrinsèquement lié aux conditions d’accueil vécues par elle et sa famille lors de leurs séjours respectifs en Croatie en septembre 2022 et en septembre 2024, conditions lesquelles n’ont, à leur tour, pas été contestées par le délégué du gouvernement, même si, tel que relevé ci-avant les demandeurs restent en défaut d’établir, sur cette base, l’existence de défaillances systémiques en Croatie ou encore que lesdites conditions seraient à qualifier de traitement inhumain et dégradant.
Il est, par ailleurs, constant en cause, pour ne pas être contesté par la partie étatique et pour ressortir du dossier administratif, que d’autres membres de famille, notamment (F), la fille aînée de Madame (B) et sœur de (A), (C) et (D) réside actuellement au Luxembourg, l’Etat luxembourgeois étant devenu compétent pour l’examen de sa demande de protection internationale, laquelle elle avait d’ailleurs, ensemble avec ses parents et frère et sœurs, et en tant que mineure, déposée au Luxembourg en septembre 2022, de sorte que le maintien de l’unité familiale, telle qu’invoquée par les demandeurs dans le cadre de leurs requêtes introductives d’instance, est également à prendre en compte dans le cadre de l’examen du refus du ministre d’appliquer l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.
Or, face aux critiques des demandeurs, la partie étatique se borne à conclure, en substance, qu’à défaut pour les demandeurs d’avoir établi l’existence de défaillances systémiques en Croatie, sinon d’un risque sérieux pour eux de faire l’objet de traitements inhumains et dégradants, que ce serait dès lors ipso facto également à bon droit que le ministre aurait refusé de leur appliquer l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, sans pour autant prendre en compte, tel que relevé ci-avant (i) le vécu des demandeurs lors de leurs séjours respectifs en Croatie en septembre 2022 et en septembre 2024, ainsi que le caractère traumatisant dudit vécu pour les intéressés, notamment pour (A), (C) et (D), tous mineurs à cette époque, (ii) l’agression sexuelle subie par Madame (A) en Croatie en septembre 2024, mineure à cette époque, (iii) l’impact de ce vécu sur l’état de santé de Madame (B) et les conséquences d’un nouveau transfert vers ledit pays de sa famille sur son état de santé et (iv) la présence de Madame (F) au Luxembourg, ainsi que la compétence de l’Etat luxembourgeois de connaître de la demande de protection internationale déposée par cette dernière au Luxembourg ensemble avec les consorts (ABCD) en septembre 2022.
Sur base des considérations ci-avant et au vu de la particularité des faits de l’espèce, le tribunal vient à la conclusion que les demandeurs ont, contrairement aux développements de la partie étatique, nonobstant le défaut dans leur chef d’avoir établi des défaillances systémiques en Croatie, sinon d’un risque sérieux dans leur chef d’y faire l’objet de traitements à qualifier de traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 3 de la CEDH et 4 de la Charte, établi un état de vulnérabilité particulière dans leur chef, constituant des raisons humanitaires ou exceptionnelles justifiant le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, de sorte que ledit moyen est à déclarer fondé et que les décisions déférées encourent la réformation en ce sens, étant relevé qu’il devient dès lors surabondant de statuer sur les autres moyens présentés par les demandeurs à l’appui de leurs recours respectifs, notamment relatifs à l’intérêt supérieur de l’enfant ou encore aux articles 16 et 17, paragraphe (2) du règlement Dublin III.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
ordonne la jonction des deux affaires inscrites sous les numéros de rôle 52811 et 52813 pour y être statué par un seul et même jugement ;
reçoit les recours en réformation introduits à titre principal en la forme ;
au fond, les déclare justifiés ;
partant, par réformation des décisions du ministre des Affaires intérieures du 23 avril 2025 déférées, déclare l’Etat du Grand-duché de Luxembourg compétent pour connaitre de l’examen des demandes de protection internationale de Madame (A) et de Madame (B), accompagnée de ses enfants mineurs (C) et (D) introduites en date du 30 octobre 2024, et annule, dans le cadre des recours en réformation, les décisions déférées ordonnant leur transfert vers la Croatie ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les recours en annulation introduits à titre subsidiaire ;
condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 juin 2025 par :
Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, premier juge, Felix Hennico, attaché de justice délégué, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s.Laura Urbany Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 3 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 36