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28/05/2025 | LUXEMBOURG | N°52881

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 mai 2025, 52881


Tribunal administratif N° 52881 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52881 5e chambre Inscrit le 20 mai 2025 Audience publique du 28 mai 2025 Recours formé par Madame (A1), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures, en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52881 du rôle et déposée le 20 mai 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Nour E. HELLAL, avocat à la Co

ur, assisté de Maître Daniel SCHEERER, avocat, tous deux inscrits au tableau de l’Ord...

Tribunal administratif N° 52881 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52881 5e chambre Inscrit le 20 mai 2025 Audience publique du 28 mai 2025 Recours formé par Madame (A1), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures, en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52881 du rôle et déposée le 20 mai 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Nour E. HELLAL, avocat à la Cour, assisté de Maître Daniel SCHEERER, avocat, tous deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A1), née le … à … (République Populaire de Chine), de nationalité chinoise, actuellement retenue au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 15 mai 2025, ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois avec effet au 17 mai 2025 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 mai 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER en sa plaidoiries à l’audience publique de ce jour.

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Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, Région Nord, service régional de police spéciale Nord, du 17 mars 2025, référencé sous le numéro …, qu’à l’occasion d’un contrôle effectué à cette même date dans un restaurant à Diekirch, Madame (A1) n’était pas en mesure de présenter des documents d’identité et de séjour en cours de validité.

Par arrêté du 17 mars 2025, notifié à l’intéressée en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », déclara irrégulier le séjour de Madame (A1) sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter ledit territoire sans délai à destination du pays dont elle a la nationalité, ou à destination de tout autre pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité ou de tout autre pays dans lequel elle est autorisée à séjourner et prononça une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de 5 ans à son encontre.

Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressée en mains propres également le 17 mars 2025, le ministre décida de placer Madame (A1) au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question. Cette décision repose sur les motifs et considérations suivants :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport no … du 17 mars 2025 établi par la Police grand-ducale, unité Police spécial Nord ;

Vu la décision de retour du 17 mars 2025, lui notifiée le même jour, assortie d’une interdiction d’entrée de 5 ans ;

Considérant que l’intéressée est démunie de tout document d’identité et de voyage valable ;

Considérant que l’intéressée n’a jusqu’à présent pas fait des démarches pour un retour volontaire dans son pays d’origine ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressée, alors qu’elle ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant que l’intéressée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’identification et de l’éloignement de l’intéressée seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches […] ».

Par arrêté du 11 avril 2025, notifié à l’intéressé le 17 avril 2025, le ministre prorogea le placement en rétention de Madame (A1) pour une durée d’un mois à compter de la notification de l’arrêté en question.

Par arrêté du 15 mai 2025, notifié à l’intéressé le 16 mai 2025, le ministre prorogea une nouvelle fois le placement en rétention de Madame (A1) pour une durée d’un mois avec effet au 17 mai 2025. Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :

« […] Vu les articles 100, 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mes arrêtés des 17 mars 2025 et 11 avril 2025, notifiés en dates des 17 mars 2025 et 17 avril 2025, décidant de soumettre l’intéressée à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 17 mars 2025 subsistent dans le chef de l’intéressée ;

Considérant que les démarches en vue de l’éloignement ont été engagées ;

Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressée afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 mai 2025, Madame (A1) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel susmentionné du 15 mai 2025.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, la demanderesse expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, tels que retranscrits ci-avant, tout en précisant qu’elle serait entrée dans l’espace Schengen via l’Espagne en date du 18 décembre 2016 et qu’elle aurait été, à l’époque, en possession d’un visa.

En droit, la demanderesse reproche en premier lieu au ministre d’avoir motivé la décision déférée de manière stéréotypée, dans la mesure où elle ne laisserait pas « transparaître […] [sa] situation réelle […], ou du moins la genèse et l’historique de son cas ».

En second lieu, la demanderesse reproche à l’arrêté ministériel litigieux d’être « contraire à la légalité », tout en relevant qu’une décision de placement en rétention d’un étranger ne pourrait être prononcée qu’à condition qu’il existe dans le chef de celui-ci un risque de fuite ou qu’il évite ou empêche la préparation de son retour ou la procédure d’éloignement.

Elle explique qu’elle serait « sans doute » victime d’infractions pénales, liées à l’absence de couverture sociale et au travail dissimulé, situation qui ne serait pas « de son fait personnel ».

Elle aurait, en effet, travaillé en tant que garde d’enfant et n’aurait pas été rémunérée. Ainsi, si elle s’oppose à la mesure d’éloignement, ce serait « pour défendre ses droits, en présentiel ».

La demanderesse conteste, dans ce contexte, l’existence dans son chef d’un risque de fuite ayant pu justifier son placement en rétention et ajoute qu’elle désirerait régulariser son séjour au Luxembourg après y avoir vécu et travaillé depuis l’année 2016.

En soulignant qu’une mesure moins coercitive au sens de l’article 125 de la loi du 29 août 2008 s’imposerait dans son chef, elle fait valoir qu’elle éprouverait son placement en rétention comme une punition, sinon un traitement dégradant, constitutif d’une atteinte intolérable à sa liberté et contraire aux articles 3 et 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ».

Tout en donnant à considérer qu’une mesure privative de liberté devrait être une mesure d’exception qui ne devrait trouver application qu’en cas d’« absolue nécessité », elle fait valoir qu’elle aurait une amie au Luxembourg, à savoir Madame (B1), disposée à l’héberger « le temps de l’instruction de ses dossiers en cours ». Celle-ci et son mari, Monsieur (B2), géreraient, avec leur fils, trois restaurants au … et pourraient fournir une caution d’un montant de 5.000 euros « afin d’écarter le danger de fuite ».

Après avoir relevé qu’une mesure de rétention serait indissociable de l’attente de l’exécution de l’éloignement d’un étranger non autorisé à séjourner légalement sur le territoire luxembourgeois, la demanderesse conclut qu’il y aurait lieu de réformer l’arrêté ministériel litigieux.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Quant au moyen de légalité externe tenant à un défaut de motivation tiré du caractère prétendument stéréotypé de la décision déférée, force est de relever qu’il n’existe aucun texte légal ou réglementaire exigeant l’indication des motifs se trouvant à la base d’une mesure de placement en rétention, sans demande expresse de l’intéressée, de sorte que le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision déférée. Le moyen fondé sur un défaut de motivation suffisant doit dès lors être rejeté pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne ensuite la légalité interne, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de la rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment l’identification de la personne concernée et la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est, partant, en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

En l’espèce, le tribunal constate qu’il est constant que la demanderesse, qui a fait l’objet d’une décision de retour en date du 17 mars 2025, se trouve en situation de séjour irrégulier au Luxembourg. Ce constat n’est pas énervé par les affirmations de la demanderesse selon lesquelles elle serait entrée légalement sur le territoire de l’Union européenne en 2016 grâce à un visa, dans la mesure où celle-ci ne verse aucun document en ce sens et qu’elle ne dispose au jour où le tribunal statue d’aucune autorisation de séjour sur une telle base.

Etant donné qu’en date du 17 mars 2025, elle a encore fait l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de 5 ans, il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3) c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

A ce propos, il échet de constater que le fait même qu’elle indique (i) vouloir rester sur le territoire luxembourgeois pour se défendre de prétendues infractions pénales dont elle estime être « sans doute » victime, et (ii) avoir l’intention de s’opposer à sa mesure d’éloignement pour pouvoir régulariser sa situation administrative au Luxembourg, sur le territoire duquel elle se trouve, selon ses propres déclarations, en situation irrégulière depuis 2016, est de nature à renforcer le risque de fuite retenu dans son chef. Au vu de ces considérations, les contestations quant à l’existence d’un risque de fuite sont partant rejetées.

A cela s’ajoute qu’il ressort des éléments du dossier administratif que la demanderesse a, dans un premier temps, indiqué vouloir rentrer volontairement et rapidement dans son pays d’origine1, qu’elle a ensuite informé son ambassade qu’un ami allait déposer son passeport2, qui n’a, à ce jour pas encore été remis, pour finalement se raviser et affirmer qu’elle n’était pas sûre de vouloir coopérer3, état d’esprit qu’elle confirme dans sa requête introductive d’instance en indiquant vouloir rester sur le territoire luxembourgeois pour défendre ses intérêts et régulariser sa situation administrative. Il en résulte que Madame (A1) évite ou empêche la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement, ce qui justifie également son maintien au Centre de rétention en vertu de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008.

1 Courrier électronique des services consulaires de l’ambassade de Chine du 19 mars 2025.

2 Note au dossier du 25 avril 2025.

3 Courrier électronique de l’agent du Centre de rétention du 8 mai 2025.Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1) précité de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir l’intéressée en rétention afin d’organiser son éloignement.

En ce qui concerne la condition ayant trait aux démarches entreprises par le ministre en vue de permettre l’éloignement de la demanderesse dans les meilleurs délais et des chances raisonnables que cet éloignement soit mené à bien, force est de constater que la demanderesse n’invoque aucun moyen à cet égard.

En tout état de cause, le tribunal relève, à ce sujet, qu’en date du 19 mars 2025, un agent ministériel a contacté les services consulaires de l’ambassade de Chine au Luxembourg pour les informer de la présence de Madame (A1) au Centre de rétention. Le même jour, un employé des services consulaires de l’ambassade de Chine a répondu à l’agent ministériel qu’il s’était entretenu avec Madame (A1), laquelle avait affirmé vouloir retourner le plus rapidement possible en Chine, tout en précisant qu’il était encore nécessaire de confirmer l’identité de cette dernière auprès de la police chinoise et qu’une fois confirmée, l’ambassade lui délivrerait un document pour son retour vers son pays d’origine. Le 20 mars 2025, l’agent ministériel en charge du dossier a transmis aux services consulaires de l’ambassade de Chine une demande officielle d’identification de Madame (A1) et une demande de délivrance d’un document de voyage pour son rapatriement. Une note au dossier du 25 avril 2025 renseigne que l’agent ministériel s’est rendu auprès de l’ambassade de Chine en date du 24 avril 2025 et qu’un employé des services consulaires de ladite ambassade l’a informé qu’un ami de Madame (A1) devait déposer le passeport de cette dernière, mais qu’il ne l’avait pas encore fait. Le 8 mai 2025, l’agent ministériel en charge du dossier a contacté un employé du Centre de rétention pour savoir si le passeport de Madame (A1) y avait entretemps été déposé, lequel a répondu que ledit document n’était toujours pas en sa possession et que celle-ci avait changé d’avis et n’était plus sûre de vouloir coopérer pour l’exécution de son retour. Toujours le 8 mai 2025, l’agent ministériel en charge du dossier a contacté les services consulaires de l’ambassade de Chine pour les informer que Madame (A1) voulait contacter un ami pour qu’il dépose son passeport, mais qu’en l’absence dudit document et afin d’éviter une attente trop longue, il serait préférable de délivrer un laissez-passer. Le 12 mai 2025, un employé des services consulaires de l’ambassade de Chine a sollicité, de l’agent ministériel en charge du dossier, de contacter Madame (A1) afin d’obtenir le numéro de téléphone de l’ami en charge de déposer son passeport, sinon d’inviter celle-ci à le contacter dans la mesure où le nouveau document de voyage devait être délivré conformément à son passeport. Le 15 mai 2025, l’agent ministériel en charge du dossier a informé l’employé des services consulaires de l’ambassade de Chine que sa demande avait été transmise à l’intéressée et qu’une identification de Madame (A1) avait été de nouveau ordonnée. Le 23 mai 2025, l’agent ministériel en charge du dossier a informé les services consulaires de l’ambassade de Chine qu’il semblerait que Madame (A1) n’était plus disposée à remettre son passeport et a sollicité l’envoi d’un questionnaire à remettre à cette dernière afin de voir délivrer un laissez-passer en sa faveur.

Au regard des diligences accomplies à ce jour par le ministre, il échet de conclure qu’à l’heure actuelle le dispositif d’éloignement est toujours en cours et poursuivi avec la diligence légalement requise. En outre, il ne se dégage d’aucun élément de la cause que les démarches ainsi accomplies par l’autorité ministérielle seraient vouées à l’échec, de sorte qu’il n’est pas établi qu’il n’existerait, en l’espèce, pas de chances raisonnables de croire que l’éloignement puisse être mené à bien.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (3) précité de la loi du 29 août 2008, proroger la mesure de placement en rétention de l’intéressée afin d’organiser son éloignement.

Concernant l’existence de mesures moins coercitives qu’un placement en rétention, il y a lieu de rappeler que l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 dispose que :

« Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme mesures proportionnées bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention pourautant qu’il soit satisfait aux deux exigences posées par ledit article 125, paragraphe (1) pour considérer ces autres mesures moins coercitives comme suffisantes et que la rétention ne répond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité que si aucune des autres mesures moins coercitives n’entre en compte au vu des circonstances du cas particulier.

L’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, prévoit plus particulièrement que le ministre peut prendre la décision d’appliquer, soit conjointement, soit séparément, les trois mesures moins coercitives y énumérées à l’égard d’un étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, est reportée pour des motifs techniques, à condition que l’intéressé présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale d’un risque de fuite dans le chef de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes4.

En l’espèce, tel que relevé ci-avant, il existe une présomption légale d’un risque de fuite dans le chef de la demanderesse. Or, celle-ci reste en défaut de soumettre au tribunal des éléments de nature à renverser cette présomption, dans la mesure où elle n’a présenté aucun élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes, au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes y visées s’impose.

En effet, l’attestation de Madame (B1), versée dans ce contexte, selon laquelle elle pourrait héberger la demanderesse et qu’elle serait « prête à fournir une caution de 5,000.00€, pour garantir [le fait que la demanderesse ne s’enfuira pas] », des statuts d’une société dans lesquels ni le nom de Madame (B1) ni celui de son époux n’apparaissent, et le bilan abrégé pour l’exercice 2023 de cette même société qui renseigne, en outre, que le gérant n’est aucun de ceux-ci, ne sont, en tout état de cause, pas suffisants pour retenir que le ministre aurait dû prendre à l’encontre de la demanderesse une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention, lesdits documents ne démontrant, par ailleurs, pas que la somme de 5.000 euros serait disponible et pourrait servir de caution.

Les contestations de Madame (A1) selon lesquelles elle aurait dû bénéficier de l’une des mesures visées à l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 sont dès lors à rejeter.

S’agissant de l’argumentation de la demanderesse selon laquelle sa privation de liberté serait contraire aux articles 3 et 5 de la CEDH, force est de constater que Madame (A1) n’indique pas en quoi ses conditions de placement au Centre de rétention seraient contraires à l’article 3 de la CEDH qui dispose que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants », la seule affirmation de sa part qu’elle ressentirait son placement en rétention comme étant constitutif d’un tel traitement étant insuffisante à cet égard.

Quant à l’invocation par la demanderesse d’une violation de l’article 5 de la CEDH, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de cet article : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: […] f) S’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour 4 Trib. adm. 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 972 et les autres références y citées.l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] ».

Il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe (1), point f) précité de la CEDH que celui-ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acception la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays5.

Etant donné (i) que la demanderesse a fait l’objet d’une décision de retour, ainsi que d’une interdiction d’entrée sur le territoire de cinq ans en date du 17 mars 2025, et (ii) qu’une procédure d’éloignement à son encontre est en cours d’exécution, le ministre a valablement pu placer Madame (A1) au Centre de rétention et maintenir cette mesure de placement sans violer l’article 5 de la CEDH.

Il s’ensuit que l’argumentation de la demanderesse relative à une prétendue violation des articles 3 et 5 de la CEDH est également à rejeter pour ne pas être fondée.

Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal conclut qu’en l’état actuel du dossier et en l’absence d’autres moyens, en ce que compris les moyens à soulever d’office, la légalité et le bien-fondé de la décision déférée ne portent pas à critique.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 mai 2025 par :

Emilie Da Cruz Da Sousa, premier juge, Georges Gedgen , attaché de justice délégué, Melvin Roth, attaché de justice délégué, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Emilie Da Cruz Da Sousa 5 Trib. adm., 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 826 et les autres références y citées.Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 mai 2025 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 52881
Date de la décision : 28/05/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-05-28;52881 ?

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