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22/05/2025 | LUXEMBOURG | N°48409

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 mai 2025, 48409


Tribunal administratif N° 48409 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48409 2e chambre Inscrit le 19 janvier 2023 Audience publique du 22 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du conseil communal d’Esch-sur-Sûre et une décision du ministre de l’Intérieur, en matière de plan d’aménagement général

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48409 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 janvier 2023 par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES SA, inscrite sur la liste V du Tableau de l’Ordr

e des avocats à Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2146 Luxembourg, 63 - ...

Tribunal administratif N° 48409 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48409 2e chambre Inscrit le 19 janvier 2023 Audience publique du 22 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du conseil communal d’Esch-sur-Sûre et une décision du ministre de l’Intérieur, en matière de plan d’aménagement général

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48409 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 janvier 2023 par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES SA, inscrite sur la liste V du Tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2146 Luxembourg, 63 - 65, rue de Merl, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B240929, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-…, tendant à l’annulation 1) de la délibération du conseil communal d’Esch-sur-Sûre du 11 février 2022 portant adoption du projet de refonte du plan d’aménagement général de la commune d’Esch-sur-Sûre et 2) de la décision du ministre de l’Intérieur du 5 octobre 2022 approuvant la délibération du conseil communal d’Esch-sur-Sûre du 11 février 2022 portant adoption du projet de refonte du plan d’aménagement général de la commune d’Esch-sur-Sûre ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Patrick MULLER, demeurant à Diekirch, du 20 janvier 2023, portant signification de ce recours à l’administration communale d’Esch-sur-

Sûre, ayant sa maison communale à L-9150 Eschdorf, 1, an der Gaass, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif le 6 février 2023 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif le 8 février 2023 par Maître Steve HELMINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale d’Esch-sur-Sûre, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réponse de Maître François MOYSE déposé au greffe du tribunal administratif le 24 mars 2023 au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse de Maître Steve HELMINGER déposé au greffe du tribunal administratif le 20 avril 2023, au nom de l’administration communale d’Esch-sur-Sûre, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réplique de la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES SA déposé au greffe du tribunal administratif le 22 mai 2023, au nom de Monsieur (A), préqualifié ;

Vu le mémoire en duplique de Maître Steve HELMINGER déposé au greffe du tribunal administratif le 14 juin 2023, au nom de l’administration communale d’Esch-sur-Sûre, préqualifiée ;

Vu le mémoire en duplique de Maître François MOYSE déposé au greffe du tribunal administratif le 21 juin 2023 au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu les pièces versées en cause ainsi que les décisions attaquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sébastien COUVREUR, Maître Steve HELMINGER et Maître François MOYSE en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 janvier 2025.

___________________________________________________________________________

Lors de sa séance publique du 3 juillet 2020, le conseil communal d’Esch-sur-Sûre, ci-

après dénommé « le conseil communal », fut saisi par le collège des bourgmestre et échevins de la même commune, ci-après dénommé « le collège échevinal », en vertu de l’article 10 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, ci-après désignée par la « loi du 19 juillet 2004 », d’un projet d’aménagement général pour la commune d’Esch-sur-Sûre qu’il mit sur orbite en conséquence à travers un vote positif, de sorte que le collège échevinal put procéder aux consultations prévues aux articles 11 et 12 de la loi du 19 juillet 2004.

Par courrier de son litismandataire de l’époque du 21 juillet 2020, adressé au collège échevinal, Monsieur (A), propriétaire de la parcelle inscrite au cadastre de la commune d’Esch-

sur-Sûre, section …, sous le numéro P(1), ci-après désignée par « la parcelle P(1) », fit soumettre ses observations et objections à l’encontre du projet d’aménagement général, en contestant, en substance, le classement projeté de sa parcelle, antérieurement classée en zone constructible, en zone agricole [AGR], ci-après désignée par la « zone [AGR] ».

Lors de sa séance publique du 11 février 2022, le conseil communal décida « d’approuver le projet d’aménagement général, parties écrite et graphique, complété par l’étude préparatoire, la fiche de présentation et le rapport sur les incidences environnementales, en tenant compte des modifications y apportées conformément aux propositions formulées par le collège des bourgmestre et échevins par rapport aux réclamations et avis ministériels reçus », tout en ne réservant pas de suite favorable aux objections de Monsieur (A).

Par courrier de son litismandataire actuel du 24 février 2022, Monsieur (A) fit introduire auprès du ministre de l’Intérieur une réclamation à l’encontre de la délibération du conseil communal du 11 février 2022 portant adoption du projet de refonte du plan d’aménagement général (« PAG »).

Par décision du 5 octobre 2022, le ministre de l’Intérieur approuva la délibération du conseil communal du 11 février 2022 portant adoption du projet de refonte du PAG et déclara non fondée la réclamation de Monsieur (A). Les passages de la décision ministérielle précitée se rapportant à cette réclamation sont libellés comme suit :

« […] Ad réclamation (A) (rec 20) Le réclamant sollicite l’intégration de la parcelle cadastrale n° P(1), sise à …, en zone destinée à être urbanisée.

Il convient de souligner que la parcelle en question est située le long d’une route nationale présentant une circulation automobile à grande vitesse. A l’endroit de la parcelle la route est bordée d’éléments de verdure et présente un virage qui obstrue considérablement la visibilité.

Au vu de ce qui précède, l’accès à la parcelle présente un sérieux danger routier, alors que la survenance de graves accidents routiers ne peut être exclue. Une urbanisation de cette parcelle est dès lors à éviter pour des raisons impérieuses de sécurité publique et routière.

La réclamation est encore non fondée, alors que la parcelle est déconnectée du tissu urbain existant et que son développement créerait une excroissance tentaculaire ne correspondant pas à un urbanisme rationnel et soucieux de la protection de l’environnement, tel que prôné par l’article 2 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain.

La réclamation est partant non fondée. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 janvier 2023, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à l’annulation 1) de la délibération du conseil communal d’Esch-sur-Sûre du 11 février 2022 portant adoption du projet de refonte du plan d’aménagement général de la commune d’Esch-sur-Sûre et 2) de la décision du ministre de l’Intérieur du 5 octobre 2022 approuvant la délibération du conseil communal d’Esch-sur-Sûre du 11 février 2022 portant adoption du projet de refonte du plan d’aménagement général de la commune d’Esch-sur-Sûre.

I. Quant à la compétence du tribunal Le tribunal relève que les décisions sur les projets d’aménagement, lesquels ont pour effet de régler par des dispositions générales et permanentes l’aménagement des terrains qu’ils concernent et le régime des constructions à ériger, ont un caractère réglementaire. La décision d’approbation du ministre de l’Intérieur participe au caractère réglementaire de l’acte approuvé1, étant précisé qu’en ce qui concerne la procédure d’adoption du PAG, le caractère réglementaire ainsi retenu s’étend également au volet de la décision ministérielle du 5 octobre 2022 ayant statué sur la réclamation introduite par Monsieur (A), intervenue dans le processus général de l’élaboration de l’acte approuvé.

Conformément à l’article 7 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », seul un recours en annulation est susceptible d’être introduit contre un acte administratif à caractère réglementaire.

1 Cour adm., 10 juillet 1997, n° 9804C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Actes réglementaires, n° 65 et les autres références y citées.

Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en annulation introduit en l’espèce.

II. Quant à la recevabilité du recours Dans son mémoire en réponse, la partie étatique soulève l’irrecevabilité du moins partielle du recours au motif que Monsieur (A) invoquerait à l’appui de celui-ci des moyens qui ne seraient rattachés à aucun texte constitutionnel, légal ou réglementaire de sorte à ne relever ni de la violation de la loi, ni même de l’excès ou du détournement de pouvoir, au sens de l’article 7 de la loi du 7 novembre 1996.

Monsieur (A) n’a pas pris position dans son mémoire en réplique par rapport à ce moyen d’irrecevabilité.

Aux termes de l’article 7 (1) de la loi du 7 novembre 1996 : « Le tribunal administratif statue encore sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre les actes administratifs à caractère réglementaire, quelle que soit l’autorité dont ils émanent. ».

Le tribunal se doit de relever que s’il est vrai que dans le cadre d’un recours en annulation il statue sur la légalité de l’acte administratif à caractère réglementaire lui déféré sur la base des moyens invoqués par la partie demanderesse tirés d’un ou de plusieurs des cinq cas d’annulation énumérés à l’article 7 (1) de la loi du 7 novembre 1996, il n’en reste pas moins qu’il est de jurisprudence que l’exigence de l’indication formelle de l’un ou l’autre des cinq cas d’ouverture du recours en annulation ainsi légalement prévus n’est pas requise par la loi.

En l’espèce, il se dégage de manière non équivoque de la requête introductive d’instance que Monsieur (A) développe de manière exhaustive les raisons pour lesquelles il conteste le classement en zone non aedificandi de la parcelle lui appartenant, tel qu’issu de la refonte du PAG en cause, et sollicite l’annulation des actes déférés au tribunal à travers le recours sous analyse.

Devant le fait avéré que la partie étatique a pu assurer sa défense de façon valable et complète en déposant des mémoires en réponse et en duplique comportant des développements sur plusieurs pages pour prendre position sur les moyens proposés par Monsieur (A) dans le cadre de sa requête introductive d’instance, aucune violation des droits de la défense au sens de l’article 292 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », ne peut, par ailleurs, être retenue en l’espèce.

Il s’ensuit que le moyen d’irrecevabilité afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

A défaut d’autre moyen d’irrecevabilité circonstancié, le recours en annulation tel que dirigé contre les deux actes déférés est à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

2 Article 29 de la loi du 21 juin 1999 : « L’inobservation des règles de procédure n’entraîne l’irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense. ».

III. Quant à la loi applicable Le tribunal précise que la procédure d’adoption d’un PAG est prévue par la loi du 19 juillet 2004. Or, celle-ci a été modifiée à plusieurs reprises et dernièrement (i) par une loi du 28 juillet 2011 entrée en vigueur, en application de son article 45, en date du 1er août 2011, (ii) par la loi du 30 juillet 2013 concernant l’aménagement du territoire, publiée au Mémorial A, n° 160 du 6 septembre 2013, (iii) par la loi du 14 juin 2015 portant modification de l’article 108 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, publiée au Mémorial A, n° 113 du 17 juin 2015, (iv) par la loi du 3 mars 2017 dite « Omnibus », entrée en vigueur, en application de son article 76, le 1er avril 2017, (v) par la loi du 17 avril 2018 concernant l’aménagement du territoire, (vi) par la loi du 18 juillet 2018 portant modification de l’article 108 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, (vii) par la loi du 30 juillet 2021 relative au Pacte logement 2.0, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, en application de son article 16, (viii) par la loi du 7 août 2023 relative au logement abordable et (ix) par la loi du 4 novembre 2024 portant modification de la loi modifiée du 19 juillet 2004.

Etant donné, d’une part, que le tribunal vient de retenir que seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre des actes déférés et, d’autre part, que dans le cadre d’un tel recours, le juge administratif est amené à en apprécier la légalité en considération de la situation de droit et de fait ayant prévalu au jour où ils ont été pris3, les modifications apportées à la loi du 19 juillet 2004 par les loi précitées du 7 août 2023 et du 4 novembre 2024, entrées en vigueur postérieurement à la délibération du conseil communal du 11 février 2022 portant adoption du projet d’aménagement général ne sont pas à prendre en considération en l’espèce, étant plus particulièrement précisé à cet égard que les actes de tutelle administrative, tels que la décision ministérielle litigieuse, rétroagissent à la date de la décision approuvée et tombent dès lors sous le champ d’application des lois en vigueur à la date de la prise de décision de l’acte initial.

Il s’ensuit que la version de la loi du 19 juillet 2004 applicable au présent litige est celle résultant des modifications opérées par les lois des 28 juillet 2011, 30 juillet 2013, 14 juin 2015, 3 mars 2017, 17 avril 2018, 18 juillet 2018 et 30 juillet 2021.

IV. Quant au fond Prétentions des parties A l’appui de son recours, le demandeur, tout en rappelant les faits et rétroactes à la base des décisions prémentionnées, explique être le propriétaire de la parcelle P(1) et que sous l’ancien PAG, l’intégralité de celle-ci, de même que toute la bande essentiellement non urbanisée longeant la route de … du côté est, se serait trouvée en zone constructible. Il ajoute qu’à la suite de la refonte du PAG son terrain avait été classé en zone non constructible, grevé d’une zone de servitude « urbanisation - entrée de localité », ci-après désignée par la « zone de servitude « urbanisation - EL », et qu’il avait été décidé d’indiquer dans la partie graphique du PAG qu’en bordure de son terrain se trouveraient des biotopes.

3 Trib. adm., 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 23 et les autres références y citées.

En droit, le demandeur se prévaut, en premier lieu, d’une violation de l’article 10bis de la Constitution en vigueur jusqu’au 1er juillet 2023, tout en relevant qu’alors que sous l’ancien PAG une bande d’approximativement 425 mètres de long et essentiellement non construite se serait trouvée en zone constructible le long de la route de …, ce serait de manière incompréhensible et discriminatoire qu’à la suite de la refonte du PAG, seule une partie de cette bande avait été maintenue dans la zone urbanisable sans qu’une telle différence de traitement entre les propriétaires des parcelles « approuvées en zone verte et celles maintenues sur cette bande » ne serait légalement justifiée. Selon lui, il aurait, en effet, incombé aux autorités compétentes ou bien de « déclasser » toute la bande, ou bien de la maintenir intégralement en zone constructible.

Au vu de ces considérations, il devrait être admis qu’il y aurait une différence de traitement injustifiée devant entraîner l’annulation des décisions déférées.

En deuxième lieu, le demandeur invoque une violation du « principe de cohérence » qui imposerait à tous les décideurs, en toutes matières, d’être guidés par les « exigences systématiques de logique et de cohérence ». Il fait plus particulièrement valoir que comme la zone de servitude « urbanisation – EL », qui a été mise en place sur une partie de son terrain, ne ferait de sens qu’à l’entrée de la localité, donc en zone urbanisable, et non en dehors de celle-ci, son terrain aurait dû être maintenu dans la zone constructible.

En troisième lieu, le demandeur reproche aux autorités compétentes d’avoir violé le « principe de motivation », respectivement de ne pas avoir respecté « la poursuite de l’intérêt général », ainsi que d’avoir commis une erreur d’appréciation.

Pour ce qui est tout d’abord de l’argument tenant à la sécurité routière mis en avant par le ministre de l’Intérieur dans sa décision pour justifier le « retrait » de la parcelle litigieuse de la zone constructible, le demandeur s’empare de l’article 18 de la loi du 19 juillet 2004 et des pouvoirs de tutelle y définis, pour soutenir que comme la sécurité routière ne ferait aucunement partie des objectifs exposés à l’article 2 de la même loi et qu’elle serait d’ailleurs totalement étrangère au droit de l’urbanisme en tant que tel, elle ne pourrait servir de motif à la base du « retrait » d’un terrain de la zone constructible.

A cela s’ajouterait que même à supposer qu’il s’agirait d’un motif valable, il n’en resterait pas moins qu’une telle argumentation sécuritaire manquerait en l’espèce de fondement, le demandeur contestant l’existence d’un virage dangereux à l’endroit de sa parcelle, tel que le soutient le ministre de l’Intérieur. En effet, selon le demandeur, outre le fait que la route serait pratiquement droite, il serait, par ailleurs, possible d’y réaliser divers aménagements afin d’obliger les conducteurs « au pied lourd » de décélérer. Il ne faudrait pas non plus perdre de vue que la situation en question ne serait pas nouvelle et qu’aucun argument tenant à la dangerosité de la route n’aurait été « suffisant lors de l’intégration » du terrain en cause dans la zone constructible, pas plus qu’un tel argument n’aurait empêché le maintien d’une partie de la bande dont fait partie sa parcelle en zone constructible.

Le demandeur insiste, dans ce contexte, sur le fait que, lors de son approbation, l’autorité de tutelle devrait vérifier que le projet de PAG respecte bien l’intérêt général, ce qui ne serait manifestement pas le cas en l’espèce puisque des terrains autrefois constructibles seraient retirés du potentiel urbanisable et ce, dans un contexte de crise du logement qui risquerait d’empirer au vu de la situation actuelle. Il affirme, à cet égard, ne pas manquer de demander une indemnisation pour la moins-value de son terrain si le déclassement opéré devait se confirmer, tout en s’insurgeant du fait que comme l’indemnisation en question, prévue expressément par la loi du 19 juillet 2004, serait à charge de la commune, elle incomberait in fine aux contribuables.

Enfin, le demandeur invoque une violation du principe de proportionnalité en faisant valoir que même si les justifications avancées par les autorités compétentes à la base du classement litigieux étaient déclarées fondées, il n’en resterait pas moins que le « déclassement » de son terrain serait disproportionné au regard des objectifs prétendument poursuivis et consistant à lutter contre le développement tentaculaire et à éviter des dangers routiers, ce d’autant plus dans un contexte de crise du logement.

Au vu de toutes ces considérations, les décisions litigieuses seraient à annuler.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur maintient son moyen tenant à une violation de l’article 10bis de la Constitution, en critiquant plus particulièrement le fait que sa parcelle n’ait pas été, à l’instar de ce qui serait le cas de la parcelle référencée sous le numéro cadastral P(2), ci-après désignée par la « parcelle P(2) », maintenue en zone constructible et superposée d’une zone d’aménagement différé, ci-après désignée par la « ZAD », ce qui aurait permis de conserver son potentiel constructible.

Il réfute ensuite qu’il puisse être affirmé que le classement de sa parcelle en zone verte permettrait d’éviter un « phénomène d’urbanisation excentrique » au sud du lieu-dit « … ». En effet, il est d’avis que le fait de classer en zone verte seulement quelques parcelles de « cette tentacule », tout en laissant la possibilité aux propriétaires des autres parcelles de construire à quelques mètres d’elles serait à lui seul constitutif d’une rupture de l’égalité devant les charges publiques. Ce constat s’imposerait d’autant plus que l’extension tentaculaire dont il est question n’en serait en réalité pas une puisqu’il se dégagerait des photographies reproduites dans le mémoire en réplique que la parcelle du demandeur ne se situerait qu’à 55 mètres d’une première maison d’habitation et ensuite à moins de 400 mètres de plusieurs maisons d’habitation réunies. Il s’ensuivrait que le maintien de sa parcelle en zone constructible, voire dans une zone « mixte », ne contribuerait pas à un développement tentaculaire déconnecté du tissu urbain, du moins, pas plus que le maintien des autres terrains en zone constructible.

Le demandeur réitère ensuite son moyen tenant à une violation du « principe de cohérence », tout en ajoutant que la mise en œuvre d’une servitude à l’entrée de la localité ne pourrait se réaliser que dans le cadre d’un projet immobilier en exécution d’un plan d’aménagement particulier - quartier existant (« PAP-QE ») ou d’un plan d’aménagement particulier - nouveau quartier (« PAP-NQ »), étant donné que la commune ne disposerait d’aucun moyen pour imposer un aménagement à l’entrée de la localité. Il estime dès lors que la seule solution cohérente aurait consisté à classer « lesdits terrains » en zone constructible, tout en imposant lors de la délivrance d’une autorisation de construire des mesures urbanistiques en exécution de la servitude en question.

Pour ce qui est du moyen tenant à une violation « du principe de motivation », au non-

respect de la poursuite de l’intérêt général et à une erreur d’appréciation dans le chef des autorités compétentes, le demandeur fait tout d’abord valoir que contrairement à ce que soutient la commune, la dangerosité du site ne serait pas « factuellement établie ». En ce qui concerne le manque de visibilité évoqué par la partie communale, il se dégagerait des photographies reproduites dans le mémoire en réplique que la visibilité ne serait que légèrement obstruée par la végétation qui pourrait facilement être plus largement élaguée. Il ajoute que si la route - qui serait pratiquement droite et dont le virage ne présenterait aucun risque accru d’accident de la route - avait effectivement été jugée comme étant hautement dangereuse, se poserait alors la question de savoir pour quelle raison la commune ne serait jamais intervenue auparavant pour la sécuriser davantage alors même que sous l’ancien PAG, sa parcelle, longeant ladite route, était classée en zone constructible. Il reproche, dans ce contexte, à la commune de ne pas avoir essayé de prévoir la mise en place d’installations permettant de sécuriser les automobilistes plutôt que de classer son terrain en zone non constructible.

Tout en insistant sur le fait qu’il apparaîtrait que le classement de son terrain en zone verte serait en réalité basé sur de simples suppositions, le demandeur relève que le critère de « sécurité » invoqué par les autorités compétentes ne serait de toute façon défini ni dans la loi, ni dans la jurisprudence, de sorte qu’il faudrait s’interroger sur ce que le législateur avait entendu en liant le terme de « sécurité » à des objectifs attraits à l’urbanisme.

Le demandeur s’appuie, dans ce contexte, sur les enseignements découlant d’un arrêt de la Cour administrative du 3 mai 2018, inscrit sous le numéro 40619C du rôle, dans lequel ladite juridiction aurait été amenée à statuer sur la question de la compatibilité d’une crèche avec la sécurité du quartier et dont il se dégagerait que, pour la Cour administrative, une commune ne pourrait, dans le cadre de décisions d’urbanisme, invoquer la sécurité routière comme motif pour justifier le refus de délivrer un permis. Il estime qu’a fortiori un tel argument ne pourrait pas non plus justifier un reclassement en zone verte d’une parcelle antérieurement classée en zone constructible, ce d’autant plus que, dans son arrêt précité, la Cour administrative aurait, par ailleurs, exposé qu’il appartiendrait à la commune, le cas échéant, de mettre en œuvre les mesures nécessaires au niveau de la réglementation de la circulation afin de veiller à la sécurité des utilisateurs de la route. Cette approche serait d’ailleurs également celle suivie en Belgique.

Au vu de ces considérations, le demandeur est d’avis qu’il apparaîtrait que le terme de « sécurité », repris au dernier alinéa de l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004, ne ferait pas référence à la sécurité routière ni a fortiori, par analogie, à la survenance d’un accident de la route. Il s’ensuivrait encore que la commune ne pourrait se prévaloir d’un tel argument pour changer le classement d’une parcelle, ce d’autant plus lorsque le changement en question la rendrait inconstructible.

A cela s’ajouterait que de toute façon la question de la sécurité de l’accès à la parcelle en cause respectivement celle de la sécurité de la circulation à cet endroit en cas de réalisation d’une construction sur ladite parcelle relèverait de la compétence de l’administration des Ponts et Chaussées.

Enfin, le demandeur réitère son moyen tenant à une violation du principe de proportionnalité, tout en insistant sur le fait que la Cour administrative aurait constaté, sur base d’un arrêt de la Cour constitutionnelle, que ledit principe était à considérer comme étant d’ordre constitutionnel et donc hiérarchiquement supérieur à la loi. Il donne plus particulièrement à considérer que le moyen sous analyse serait à entendre en ce sens qu’il avait entendu faire référence au caractère disproportionné de l’ingérence des autorités compétentes apportée à ses droits de propriétaire qui a vu son terrain, auparavant constructible, reclassé en zone non constructible alors même qu’il apparaîtrait que les objectifs de la loi auraient pu être respectés par rapport à son terrain sans qu’il n’ait fallu procéder à un changement de classement aussi radical de celui-ci, ce d’autant plus que les raisons invoquées à l’appui de ce changement manqueraient de fondement.

Les parties communale et étatique concluent, quant à elles, au rejet de ces moyens pour ne pas être fondés.

Analyse du tribunal Le tribunal rappelle à titre liminaire qu’en présence de plusieurs moyens invoqués, il n’est pas lié par l’ordre dans lequel les moyens ont été présentés par les parties à l’instance, mais qu’il lui appartient de déterminer la suite du traitement des moyens et arguments des parties compte tenu de la logique juridique dans laquelle ils s’insèrent.

Il y a ensuite lieu de relever que saisi d’un recours en annulation, le juge administratif est appelé à vérifier, d’un côté, si, au niveau de la décision administrative querellée, les éléments de droit pertinents ont été appliqués et, d’un autre côté, si la matérialité des faits sur lesquels l’autorité de décision s’est basée est établie. Au niveau de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation vérifie encore s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée. Le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de proportionnalité4.

S’il est certes vrai que le choix d’entériner ou de ne pas entériner la modification d’un plan d’aménagement relève d’une dimension politique et échappe comme tel au contrôle des juridictions de l’ordre administratif saisies d’un recours en annulation5, il n’en demeure pas moins que tout acte administratif doit reposer sur un motif dont le juge administratif vérifie tant l’existence que la légalité. Cette exigence découle du fait que le juge administratif a l’obligation de vérifier si les autorités administratives compétentes n’ont pas violé la loi, commis un excès de pouvoir ou un détournement de pouvoir et cette obligation de motivation existe également pour les actes à caractère réglementaire qui, quoique discrétionnaires, doivent être pris dans l’intérêt général, de sorte qu’il importe que les autorités administratives compétentes fassent connaître le ou les motifs qui les ont guidées dans leur décision, le contrôle exercé par le juge de l’annulation ne portant dès lors pas sur l’opportunité, mais sur la réalité et la légalité des motifs avancés.

Quant aux objectifs devant guider les autorités communales lorsqu’elles initient des modifications de leurs plans d’aménagement, ainsi que l’autorité ministérielle, dans le cadre de l’exercice de son contrôle tutélaire, il y a lieu de se référer à l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004, aux termes duquel « Les communes ont pour mission de garantir le respect de l’intérêt général en assurant à la population de la commune des conditions de vie optimales par une mise en valeur harmonieuse et un développement durable de toutes les parties du territoire communal par:

(a) une utilisation rationnelle du sol et de l’espace tant urbain que rural en garantissant la complémentarité entre les objectifs économiques, écologiques et 4 Cour adm., 9 novembre 2010, n° 26886C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 42 et les autres références y citées.

5 Trib. adm., 26 avril 2004, n° 17315 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Urbanisme, n° 876 et les autres références y citées.

sociaux;

(b) un développement harmonieux des structures urbaines et rurales, y compris les réseaux de communication et d’approvisionnement compte tenu des spécificités respectives de ces structures, et en exécution des objectifs de l’aménagement général du territoire;

(c) une utilisation rationnelle de l’énergie, des économies d’énergie et une utilisation des énergies renouvelables;

(d) le développement, dans le cadre des structures urbaines et rurales, d’une mixité et d’une densification permettant d’améliorer à la fois la qualité de vie de la population et la qualité urbanistique des localités;

(e) le respect du patrimoine culturel et un niveau élevé de protection de l’environnement naturel et du paysage lors de la poursuite des objectifs définis ci-

dessus;

(f) la garantie de la sécurité, la salubrité et l’hygiène publiques. ».

L’article 6 de la loi du 19 juillet 2004 prévoit, quant à lui, que « Le plan d’aménagement général a pour objectif la répartition et l’implantation judicieuse des activités humaines dans les diverses zones qu’il arrête aux fins de garantir le développement durable de la commune sur base des objectifs définis par l’article 2 de la loi. ».

Il s’ensuit que les autorités communales, lorsqu’elles initient des modifications de leurs PAG, doivent être mues par des considérations légales d’ordre urbanistique ayant trait à l’aménagement des agglomérations et d’ordre politique tirées de l’organisation de la vie en commun sur le territoire donné, tendant les unes et les autres à une finalité d’intérêt général et dans ce contexte, lesdites autorités doivent veiller tant à la conservation de l’esthétique urbaine qu’au développement rationnel des agglomérations.

Par ailleurs, en ce qui concerne la finalité d’intérêt général à laquelle les plans d’aménagement doivent tendre, il convient de constater que les décisions portant adoption, voire modification d’un plan d’aménagement sont, dans leur essence même, prises dans l’intérêt général, cette caractéristique étant présumée jusqu’à preuve du contraire6, étant entendu que la charge de la preuve afférente incombe au demandeur invoquant les faits incriminés. Dans le même contexte, il échet encore de préciser qu’il n’y a pas lieu de démontrer que la décision ait été prise exclusivement dans l’intérêt général, mais, en revanche, que la décision ne soit pas contraire à l’intérêt général7.

Il convient ensuite de rappeler que la mutabilité des plans d’aménagement général relève de leur essence même, consistant à répondre à des contraintes variables à travers le temps concernant à la fois les aspects urbanistiques de l’aménagement des agglomérations et le volet politique de la vie en commun sur le territoire donné8. Il s’ensuit qu’en se fondant sur des considérations d’ordre urbanistique correspondant à une finalité d’intérêt général, les autorités 6 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 11 et les autres références y citées.

7 V. en ce sens : Trib. adm. 26 février 2004, n° 16974 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

8 Trib. adm., 7 mars 2001, n° 12233 du rôle, confirmé par Cour adm., 20 décembre 2001, n° 13291C du rôle, Pas.

adm. 2024, V° Urbanisme, n° 234 (1er volet) et les autres références y citées.

communales peuvent procéder à des modifications de leur règlementation urbanistique, pourvu toutefois que la décision soit proportionnelle à son objectif et qu’elle soit dépourvue d’un dépassement dans le chef des autorités compétentes de leur marge d’appréciation, analyse qui sera effectuée ci-après.

En l’espèce, il est constant en cause que sous l’ancien PAG la parcelle litigieuse se trouvait classée en zone constructible et que, dans le nouveau PAG, la parcelle a été classée en zone [AGR], superposée d’une zone de servitude « urbanisation - EL », ainsi qu’à titre indicatif d’une zone « Biotope protégé (relevé non exhaustif) ».

L’article 13 de la partie écrite du PAG, figurant dans le chapitre 2, intitulé « Zone verte », définit la zone [AGR] comme suit : « Dans les parties du territoire de la commune définies en zone agricole, seuls peuvent être érigés des constructions et aménagement servant à l’exploitation agricole, jardinière, maraîchère, sylvicole, piscicole, apicole ou cynégétique ou à un but d’utilité publique, sans préjudice aux disposions de la loi concernant la protection de la nature et des ressources naturelles.

La commune ne peut être obligée à réaliser à se frais l’extension des réseaux d’égout ou de distribution d’eau potable.

Les constructions, aménagement et affectations d’immeubles dûment autorisés et non conformes au moment de l’entrée en vigueur du présent règlement bénéficient d’un droit acquis. Des travaux de transformations mineurs, de conservation et d’entretien sont autorisés. ».

Il convient ensuite de relever que le demandeur conteste, en substance, la justification à la base du classement de sa parcelle en zone non aedificandi, au motif que ledit classement ne permettrait pas d’atteindre l’objectif poursuivi par les autorités communale et ministérielle, à savoir la volonté de ne pas accentuer le développement tentaculaire existant déjà dans cette zone et d’éviter des dangers au niveau de la sécurité routière. En effet, il est d’avis que dans la mesure où sous l’empire de l’ancien PAG, toute une bande d’approximativement 425 mètres de long longeant la route de … se serait trouvée en zone constructible, ou bien toute cette bande aurait dû être considérée comme constituant un développement tentaculaire et être sortie de la zone constructible, ou bien aucune partie de cette bande n’aurait dû être classée en zone non aedificandi. Il réfute plus particulièrement que des considérations tenant à la sécurité routière seraient susceptibles de justifier le classement de sa parcelle en zone non aedificandi.

L’argumentation du demandeur vise donc à contester la motivation à la base du classement de sa parcelle en zone [AGR], en dénonçant notamment l’absence de considérations d’intérêt général dans la démarche des autorités compétentes. Il estime, par ailleurs, que ledit classement serait contraire, non seulement au principe d’égalité de traitement, au « principe de cohérence », mais également au principe de proportionnalité.

Dans la mesure où le demandeur n’a soulevé aucun moyen par rapport à la mise en place, en tant que telle, d’une zone de servitude « urbanisation - EL », respectivement par rapport à la superposition de sa parcelle, à titre indicatif, d’un « Biotope protégé (relevé non exhaustif) », le caractère justifié de ces classements n’a pas à être examiné par le tribunal.

(i) Quant aux contestations ayant trait à la justification invoquée à la base du classement de la parcelle P(1) en zone non aedificandi De l’entendement du tribunal, à travers son moyen consistant à reprocher aux autorités compétentes d’avoir violé le « principe de motivation », respectivement de ne pas avoir respecté « la poursuite de l’intérêt général », ainsi que d’avoir commis une erreur d’appréciation, le demandeur conteste la justification invoquée à la base du classement de sa parcelle en zone non aedificandi. Face aux contestations mises en avant par le demandeur à l’encontre des motifs avancés par l’autorité communale à la base du classement de sa parcelle en zone non aedificandi, il convient tout d’abord de relever qu’en matière d’urbanisme, une commune bénéficie d’un droit d’appréciation très étendu en vertu du principe de l’autonomie communale inscrit à l’article 107 de la Constitution9 en vigueur jusqu’au 1er juillet 2023, l’analyse de la légalité des décisions étant à opérer par les juridictions administratives selon les préceptes ci-avant détaillés.

Appliquées au recours sous examen, les considérations qui précèdent impliquent que même dans l’hypothèse où le demandeur argumenterait à raison que sa parcelle se prêterait à un classement en zone constructible, le droit d’appréciation très étendu dont bénéficient les autorités communales n’en pâtirait pas et celles-ci resteraient libres de décider de l’affectation du site concerné, sans être liées par l’appréciation du demandeur, d’autant plus que le seul fait que le site se prêterait à un classement en zone constructible ne signifie aucunement que tout autre classement serait automatiquement exclu, sous condition que le classement retenu réponde à une finalité d’intérêt général.

Il y a, par ailleurs, lieu de rappeler que la mission du juge administratif saisi d’un recours en annulation en matière réglementaire et plus particulièrement en matière de PAG exclut le contrôle des considérations d’opportunité et notamment d’ordre politique, à la base de l’acte administratif attaqué et inclut la vérification, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, de ce que les faits et considérations sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute.

Si les autorités communales bénéficient d’une large liberté d’appréciation en matière d’actes réglementaires et plus particulièrement en matière de PAG, en vertu du principe de l’autonomie communale, il n’en reste pas moins que, tel que relevé ci-avant, tout acte administratif doit reposer sur un motif dont le juge administratif vérifie tant l’existence que la légalité et que cette exigence de motivation existe également pour les actes à caractère réglementaire qui, quoique discrétionnaires, doivent être pris dans l’intérêt général.

En l’espèce, il se dégage de l’extrait du registre aux délibérations du 10 juin 2022 que lors de sa séance publique du même jour, le conseil communal a avisé défavorablement la réclamation adressée par le demandeur au ministre de l’Intérieur ayant visé à voir « réintroduire la parcelle P(1) dans la zone d’urbanisation, en zone MIX-r ou HAB-1 QE dans la logique d’un rétablissement du classement du PAG en vigueur ou en PAP NQ voir en ZAD », en se ralliant à la position du collège échevinal suivant laquelle il y aurait lieu de la « [m]aintenir en zone agricole (zone verte), afin d’éviter tout développement tentaculaire, pas de développement supplémentaire à l’abord d’une rue chargé de trafic, à caractère de transit et ne garantissant aucune qualité résidentielle ; pas d’augmentation du potentiel de développement souhaitée et […] aucune demande de construire n’a été introduite pendant les derniers 20/30 ans ». La commune a, dans ce contexte, précisé dans le cadre de la procédure contentieuse que si certes seules trois parcelles faisant partie de la bande évoquée par le 9 Trib. adm. 30 septembre 2013, n° 30838 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Tutelle administrative, n°38 et l’autre référence y citée, de même que : trib adm 9 juillet 2007, n° 22242 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Tutelle administrative, n° 41 et les autres références y citées.

demandeur, dont celle appartenant à celui-ci, avaient été classées en zone non constructible dans le nouveau PAG, le choix ainsi opéré était motivé par la volonté de limiter le périmètre constructible à hauteur de la dernière parcelle construite, tout en relevant que les trois parcelles « sorties » de la zone constructible se trouveraient non seulement en aval de la dernière parcelle construite mais, qui plus est, à l’endroit où la route de … formerait un virage très prononcé impliquant une obstruction de la visibilité et donc des dangers pour les usagers de la route.

Le ministre de l’Intérieur, dans sa décision litigieuse, après avoir relevé que la parcelle litigieuse serait située le long d’une route nationale présentant une circulation automobile à grande vitesse et qu’à l’endroit de ladite parcelle, la route serait bordée d’éléments de verdure et présenterait un virage obstruant considérablement la visibilité de sorte que son urbanisation serait à éviter pour des raisons impérieuses de sécurité publique et routière, a encore précisé que la parcelle en cause serait déconnectée du tissu urbain existant et que son développement créerait une excroissance tentaculaire ne correspondant pas à un urbanisme rationnel et soucieux de la protection de l’environnement tel que prôné par l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004. La partie étatique a insisté dans le cadre de la procédure contentieuse sur le fait que le maintien en zone constructible des trois parcelles ayant fait partie de la bande évoquée par le demandeur, dont celle de celui-ci, n’aurait pas contribué à une urbanisation concentrique, mais aurait, au contraire, généré un nouveau noyau urbanistique excentrique au sud du lieu-dit « … », tout en relevant qu’à ces considérations d’ordre urbanistique viendrait s’ajouter un autre aspect lié à la sécurité de la population qui serait exposée à un danger du fait que la parcelle litigieuse se situerait au niveau d’un virage dangereux ce qui impliquerait que la partie de la parcelle longeant la route ne serait pas entièrement visible pour les automobilistes se dirigeant vers le lieu-dit « … ».

Ces motifs étant indépendants les uns des autres, il y a lieu de conclure que si l’un d’eux justifie à suffisance le classement en zone non aedificandi de la parcelle du demandeur, l’analyse des autres motifs devient surabondante.

Le tribunal relève tout d’abord qu’il se dégage de la partie graphique du PAG que la parcelle litigieuse fait partie d’une bande de cinq terrains longeant du côté est la route de … et formant de manière incontestable un tentacule qui s’est créé au lieu-dit « … » à l’extrémité sud d’une zone constructible accueillant, suivant l’étude préparatoire10, une douzaine de maisons d’habitation et une station d’essence, et est, elle-même, déjà déconnectée du reste du tissu urbain de la localité d’…. Il est encore constant en cause que sous l’empire de l’ancien PAG toutes les parcelles de ce tentacule étaient classées en zone constructible.

Or, le choix communal, tel qu’entériné par le ministre de l’Intérieur, de classer les trois parcelles non construites situées à l’extrémité de ce tentacule, dont celle du demandeur, en zone non constructible et de maintenir uniquement le classement des deux autres parcelles faisant partie dudit tentacule en zone constructible, le tout dans le but de freiner le développement tentaculaire d’ores et déjà existant à cet endroit et de favoriser à l’avenir un développement plus concentrique et cohérent à l’intérieur des structures urbaines déjà existantes dans les localités composant la commune d’Esch-sur-Sûre, doit s’analyser comme répondant, en l’espèce, à suffisance à des considérations légales d’ordre urbanistique ayant trait à l’aménagement des agglomérations de nature à tendre à confluer de manière utile avec l’organisation de la vie en commun sur le territoire donné de sorte à poursuivre une finalité d’intérêt général.

10 Etude préparatoire, « Teil 1 : Umfassende Analyse der bestehenden Situation » page 54.

En effet, il apparaît que c’est face à une situation urbanistique d’ores et déjà insatisfaisante, caractérisée par un tentacule s’étant créé à l’extrémité sud de la zone constructible sise au lieu-dit « … », en aval de la dernière parcelle construite référencée sous le numéro cadastral P(3), ci-après désignée par la « parcelle P(3) », et afin de tenir compte de la situation factuelle existante, - caractérisée par le fait que sur toute la bande de parcelles composant le tentacule existant, une seule parcelle référencée sous le numéro cadastral P(4), ci-après désignée par la « parcelle P(4) », était d’ores et déjà construite -, que l’autorité communale a décidé de fixer la limite du périmètre constructible à la hauteur de ladite parcelle et donc de maintenir par la force des choses le classement en zone constructible de la parcelle non construite P(2), située entre la parcelle construite P(3) et la parcelle construite P(4), prévisées. Or, il doit être admis que ce choix fait, au vu des circonstances de l’espèce, tout son sens d’un point de vue urbanistique pour être compatible avec la volonté communale de prioriser à l’avenir un développement concentrique de ses localités, tout en tenant néanmoins compte de la situation factuelle de la parcelle P(4), telle que décrite ci-avant, laquelle accueille une construction qui a, qui plus est, été classée en tant que « construction à conserver » dans le nouveau PAG. En effet, une limitation du périmètre constructible plus en amont et plus particulièrement à hauteur de la parcelle P(3), en aval de laquelle s’est formé le tentacule en cause, aurait impliqué la création, au niveau de la parcelle construite P(4), d’un nouvel îlot construit isolé en zone verte, lequel se serait retrouvé en marge de la zone constructible sise au lieu-dit « … », situation urbanistique dont la commune entend justement éviter la prolifération au profit d’un développement plus concentrique de ses localités.

Dans ces circonstances, le tribunal retient que le classement de la parcelle litigieuse en zone aedificandi, tel que revendiqué par le demandeur, serait de nature à renforcer un développement tentaculaire préexistant et à aggraver une situation d’ores et déjà insatisfaisante d’un point de vue urbanistique, contraire aux objectifs d’une utilisation rationnelle du sol et d’un développement harmonieux des structures urbaines et rurales, tels que prévus par les points a) et b) de l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004. Ce constat s’impose d’autant plus que la situation de la parcelle litigieuse ne peut pas être analysée de manière isolée mais doit l’être en tenant compte des deux parcelles non construites situées en amont et en aval de celle-ci qui ont également été classées en zone non aedificandi sans que lesdits classements n’aient été contestés par les propriétaires concernés, de sorte que le classement de la seule parcelle litigieuse en zone aedificandi ne ferait aucun sens d’un point de vue urbanistique.

Etant donné que ces seuls constats suffisent pour permettre au tribunal de retenir que le classement de la parcelle du demandeur en zone non aedificandi est légalement justifié, il devient surabondant de prendre position par rapport aux contestations du demandeur ayant trait à l’argumentaire supplémentaire des autorités communale et étatique se rapportant aux considérations tenant à la sécurité des usagers de la route.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal ne saurait déceler dans le chef des autorités communale et de tutelle un dépassement de leur marge d’appréciation en prenant les décisions litigieuses.

La conclusion du tribunal suivant laquelle le choix des autorités compétentes de ne pas maintenir le classement antérieur de la parcelle litigieuse en zone constructible n’encourt pas de critique n’est pas énervée par l’affirmation tout à fait générale du demandeur relative à l’existence d’une crise du logement au niveau national qui impliquerait que le retrait du potentiel urbanisable de terrains autrefois constructibles violerait nécessairement l’intérêt général dont le respect par le PAG devrait être vérifié par le ministre de l’Intérieur lors de son approbation tutélaire. En effet, le développement de l’urbanisation doit se faire dans le respect des objectifs de l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004 et ne saurait aboutir à un développement désordonné et incohérent des localités même devant une situation avérée de pénurie nationale de logements. Or, en l’espèce, le tribunal vient précisément de retenir que les décisions déférées de classer la parcelle litigieuse en zone non aedificandi répondent aux exigences de l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004 en ce qu’elles visent à freiner le développement tentaculaire d’ores et déjà existant et à donner à l’avenir la priorité à un développement plus concentrique des localités composant la commune.

Au vu des considérations qui précèdent, le moyen sous analyse est à rejeter.

(ii) Quant au reproche tenant à une violation du « principe de cohérence » Le demandeur fait, en substance, valoir que, de manière générale, la mise en place d’une zone de servitude « urbanisation - EL » ne ferait de sens qu’à l’entrée d’une localité et donc dans une zone constructible. Il en déduit qu’au vu de la mise en place d’une telle zone de servitude sur une partie de sa parcelle, il aurait a fortiori fallu maintenir celle-ci dans la zone constructible.

Il y a tout d’abord lieu de relever que la zone de servitude « urbanisation – EL » est définie à l’article 20 de la partie écrite du PAG comme suit : « La zone de servitude « urbanisation - entrée de localité » vise à réserver les surfaces nécessaires à la réalisation d’aménagements destinés à l’apaisement du trafic. ».

Aux termes de l’article 30 du règlement grand-ducal modifié du 8 mars 2017 concernant le contenu du PAG, « [l]es zones de servitude « urbanisation » comprennent des terrains situés dans les zones urbanisées, les zones destinées à être urbanisées ou dans les zones destinées à être libres. […]. ».

Outre le fait que ladite disposition réglementaire prévoit expressément la possibilité de mettre en place une zone de servitude de « urbanisation » dans les zones destinées à être libres, donc en zone [AGR], rien ne s’oppose plus particulièrement à ce que l’aménagement de l’entrée d’une localité se fasse non pas au niveau des premières parcelles classées en zone constructible mais plus en amont de celles-ci. Au contraire, le tribunal se doit de rejoindre la partie communale dans son constat que la mise en place d’aménagements en vue de rendre les automobilistes attentifs au fait qu’ils sont sur le point d’entrer dans une zone habitée ne fait de réel sens que s’ils sont réalisés avant l’« entrée en localité ».

Il s’ensuit que le reproche du demandeur suivant lequel le classement de sa parcelle en zone non aedificandi serait incompatible avec la mise en place sur une petite partie de celle-ci d’une zone de servitude « urbanisation –EL » est à rejeter pour manquer de fondement.

(iii) Quant au moyen tenant à une violation de l’article 10bis de la Constitution Le demandeur critique, en substance, le fait que seule une partie d’une bande d’approximativement 425 mètres de long, essentiellement non construite - ayant été classée en zone constructible sous l’empire de l’ancien PAG -, a été maintenue dans le PAG sous analyse en zone constructible, partie de la bande à laquelle appartient la parcelle P(2) qui conserverait son potentiel constructible, contrairement à sa propre parcelle laquelle a été classée avec deux autres parcelles en zone non aedificandi, sans qu’une telle différence de traitement ne soit objectivement justifiée.

Le tribunal relève que le principe constitutionnel d’égalité devant la loi, tel qu’inscrit à l’article 10bis de la Constitution en vigueur jusqu’au 1er juillet 2023, suivant lequel tous les Luxembourgeois sont égaux devant la loi ne s’entend pas dans un sens absolu mais requiert que tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit soient traités de la même façon.

Le principe d’égalité de traitement est compris comme interdisant le traitement de manière différente de situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée. Il appartient par conséquent au pouvoirs publics tant au niveau national qu’au niveau communal, de traiter de la même façon tous ceux qui se trouvent la même situation de droit et de fait. Par ailleurs, lesdits pouvoirs publics peuvent, sans violer le principe d’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que les différences instituées procèdent de disparités objectives, qu’elles soient rationnellement justifiées, adéquates et proportionnées au but11. Pour que le principe d’égalité devant la loi puisse être valablement mis en œuvre, il convient dès lors de pouvoir dégager deux situations comparables par rapport auxquelles une inégalité de traitement puisse être utilement invoquée.

En l’espèce, il y a toutefois lieu de constater, à l’instar des parties étatique et communale que la situation des deux parcelles maintenues en zone constructible, dont plus particulièrement celle de la parcelle P(2), et celle des trois parcelles, dont celle du demandeur, classées en zone non aedificandi, ne sont pas comparables.

En effet, il se dégage de la partie graphique du PAG que les trois parcelles classées en zone non aedificandi sont situées en aval de la dernière parcelle construite du tentacule qui s’est formé à l’extrémité sud de la zone constructible sise au lieu-dit « … », à savoir la parcelle P(4), tandis que la parcelle P(2) se situe entre deux parcelles construites, à savoir, d’un côté, la parcelle P(4), prévisée, et, de l’autre côté, la parcelle P(3) en aval de laquelle s’est formé le tentacule en question, étant encore relevé que le tribunal vient de retenir plus en avant qu’eu égard à la situation urbanistique de l’espèce, le choix communal de fixer désormais la limite du périmètre constructible à la hauteur de la dernière parcelle construite du tentacule dont question, à savoir la parcelle P(4), choix impliquant le maintien en zone constructible de la parcelle non construite P(2), s’inscrivait dans les objectifs de la loi du 19 juillet 2004.

Au vu des considérations qui précèdent, le moyen tenant à une violation du principe d’égalité de traitement est également à rejeter pour ne pas être fondé.

iv) Quant au moyen tenant à une violation du principe de proportionnalité Suivant son dernier état de conclusions, le demandeur semble, de l’entendement du tribunal, invoquer une violation du principe de proportionnalité à la lumière de son droit de propriété dont il estime qu’il serait bafoué pour des raisons manquant de fondement, respectivement sur base d’arguments insuffisamment forts pour justifier le classement de sa parcelle en zone non aedificandi.

11 Trib. adm., 6 décembre 2000, n° 10019 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Lois et règlements, n° 9 (2e volet) et les autres références y citées.

Il y a tout d’abord lieu de relever que le droit de propriété est plus particulièrement garanti à travers l’article 16 de la Constitution en vigueur jusqu’au 1er juillet 2023.

L’article 16 de la Constitution qui dispose que « Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et moyennant juste indemnité, dans les cas et de manière établis par la loi. », concerne l’expropriation.

Il convient, en l’espèce, en premier lieu, de constater qu’aucun transfert de propriété de la parcelle litigieuse n’a été décidé ou ne s’est opéré, de sorte qu’en principe, aucune expropriation au sens de l’article 16 de la Constitution ne peut être constatée.

Ensuite et en ce qui concerne la prétendue violation du droit de propriété tel que consacré à travers l’article 16 de la Constitution, il y a lieu de se référer à l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle en date du 4 octobre 201312, par lequel celle-ci, tout en consacrant le principe de la mutabilité des PAG et en soulignant que le juge administratif n’était pas autorisé à sanctionner un reclassement d’un terrain précédemment classé en zone constructible en zone non constructible, mais que les propriétaires concernés pouvaient se pourvoir, le cas échéant, devant le juge judiciaire en vue de l’allocation d’une indemnité éventuelle, a déclaré contraires à l’article 16 de la Constitution les dispositions de la loi du 19 juillet 2004 posant en principe que les servitudes résultant d’un PAG n’ouvrent droit à aucune indemnité et prévoyant des exceptions à ce principe qui ne couvrent pas toutes les hypothèses dans lesquelles la privation de la jouissance du terrain frappé par une telle servitude est hors de proportion avec l’utilité publique. Dans le même arrêt, la Cour constitutionnelle a réaffirmé la considération qu’elle avait retenue dans son arrêt du 26 septembre 200813, selon laquelle un changement dans les attributs de la propriété, qui est à tel point substantiel qu’il prive celle-ci d’un de ses aspects essentiels, peut constituer une expropriation.

Deux conclusions s’imposent donc. D’une part, l’article 16 de la Constitution, tel qu’applicable en l’espèce, n’érige pas de manière générale le droit de propriété en matière réservée à la loi, mais se limite à interdire l’expropriation autrement que pour cause d’utilité publique, moyennant juste indemnité et dans les cas et de la manière établis par la loi, de sorte que seule l’expropriation constitue une matière réservée à la loi, étant précisé, dans ce contexte, qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle qu’un changement dans les attributs de la propriété qui est à tel point essentiel qu’il prive le propriétaire de ses aspects essentiels peut constituer une expropriation. Cependant, étant donné que les dispositions de la loi du 19 juillet 2004 n’autorisent pas les autorités communales à prendre des règlements en matière d’expropriation, mais seulement à réglementer l’usage des biens, notamment par le biais de mesures destinées à protéger les sites et monuments, respectivement le caractère harmonieux d’un quartier ou d’une partie de quartier, et que la réglementation de l’usage des biens n’est pas une matière réservée à la loi par la Constitution, ces dispositions légales ne se heurtent manifestement pas à l’article 16 de la Constitution, ni d’ailleurs à l’article 32 (3) de la Constitution en vigueur jusqu’au 1er juillet 2023.

D’autre part, la Cour constitutionnelle n’a pas retenu que, de manière générale, toute servitude d’urbanisme constituait une expropriation, mais elle a, en revanche, retenu de manière nuancée que seul un changement dans les attributs de la propriété à tel point substantiel qu’il prive celle-ci d’un de ses aspects essentiels peut constituer une expropriation.

12 Cour constitutionnelle, arrêt du 4 octobre 2013, inscrit sous le numéro 00101 du registre.

13 Cour constitutionnelle, arrêt du 26 septembre 2008, inscrit sous le numéro 00046 du registre.

Au vu de la solution ainsi dégagée par la Cour constitutionnelle, il convient de vérifier si le classement de la parcelle du demandeur en zone non aedificandi a entraîné un changement substantiel dans les attributs de sa propriété.

En l’espèce, s’il est vrai que le classement finalement retenu en zone non aedificandi limite d’une certaine manière l’usage de la propriété du demandeur, celui-ci reste toutefois en défaut de démontrer que ledit classement entrave dans son cas les attributs du droit de propriété d’une manière telle que la limitation opérée puisse être qualifiée d’équivalente à une expropriation. Ce constat s’impose d’autant plus qu’alors même que la parcelle litigieuse était classée pendant de nombreuses années en zone constructible elle n’a jamais été urbanisée.

En tout état de cause et au vu de la solution dégagée par la Cour constitutionnelle, le tribunal est amené à retenir qu’il n’appartient pas au juge administratif de sanctionner le reclassement d’un terrain d’une zone constructible en zone non constructible, pour autant, évidemment, que le classement ait été effectué dans un but d’intérêt général. Or, en l’espèce, le tribunal vient de retenir que le classement de la parcelle litigieuse s’est opéré selon des considérations urbanistiques poursuivant un but d’intérêt général.

Au vu des considérations qui précèdent, le moyen tenant à une violation du principe de proportionnalité à la lumière du droit de propriété du demandeur est à rejeter pour manquer de fondement.

En l’absence d’autres moyens, le recours est à rejeter.

Au vu de l’issue du litige, la demande du demandeur à voir condamner l’Etat du Grand-

Duché de Luxembourg et l’administration communale d’Esch-sur-Sûre à lui payer une indemnité de procédure d’un montant de 5.000 euros sur le fondement de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

rejette la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure, telle que formulée par le demandeur ;

met les frais et dépens à charge du demandeur.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, vice-président, Caroline Weyland, premier juge, et lu à l’audience publique du 22 mai 2025 par le vice-président Alexandra Castegnaro, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 19


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 48409
Date de la décision : 22/05/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 24/05/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-05-22;48409 ?

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