Tribunal administratif N° 52779 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52779 1re chambre Inscrit le 30 avril 2025 Audience publique du 21 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L. 18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52779 du rôle et déposée le 30 avril 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Lukman ANDIC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Iran), de nationalité iranienne, actuellement assigné à résidence à la maison retour sise à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 16 avril 2025 de le transférer vers l’Allemagne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Mathieu WERNOTH, en remplacement de Maître Lukman ANDIC et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 mai 2025.
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Le 7 janvier 2025, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par la « loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, la recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC ayant révélé un « No hit », tandis que celle effectuée dans la base de données du système d’information sur les visas (VIS) indiqua que l’Allemagne avait délivré à l’intéressé un visa valable du 2 octobre 2024 au 14 janvier 2025.
Le 7 février 2025, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de 1 l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin IIIl».
Le 17 février 2025, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues allemands une demande de prise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 12 (2) ou (3) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée sur base de l’article 12 (2) du règlement Dublin III par lesdites autorités le lendemain.
Par arrêté du 14 avril 2025, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, désigné ci-après par le « ministre », assigna Monsieur (A) à résidence à la maison retour sise à L-… pour une durée de trois mois.
Par décision du 16 avril 2025, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le lendemain, le ministre informa Monsieur (A) que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne sur base de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 12 (2) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 7 janvier 2025 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 12(2) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Allemagne qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains le rapport de Police Judicaire du 7 janvier 2025 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 7 février 2025.
1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 7 janvier 2025, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.
La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac n’a révélé aucun résultat.
Il résulte cependant des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale, que l’Allemagne vous a délivré un visa valable du 2 octobre 2024 au 14 janvier 2025 qui vous a permis d’entrer sur le territoire des Etats membres en Allemagne.
Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 7 février 2025.
2 Sur cette base, une demande de prise en charge en vertu de l’article 12(2) du règlement DIII a été adressée aux autorités allemandes en date du 17 février 2025, demande qui fut acceptée par lesdites autorités allemandes en date du 18 février 2025.
2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.
La responsabilité de l’Allemagne est acquise suivant l’article 12(2) du règlement DIII en ce que le demandeur est titulaire d’un visa en cours de validité au moment de l’introduction de la demande de protection internationale au Luxembourg et que l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.
Un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).
3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale, notamment de la base de données VIS, que l’Allemagne vous a délivré un visa valable du 2 octobre 2024 au 14 janvier 2025 qui vous a permis d’entrer sur le territoire des Etats membres en Allemagne.
Selon vos déclarations, vous auriez quitté l’Iran à pied, le 3 octobre 2024, en direction de la Turquie. Arrivé en Turquie, vous auriez pris un vol de Van à Antalya, puis un autre vol pour Cologne, en Allemagne, afin de rejoindre votre frère qui serait résident en Allemagne. En date du 4 octobre 2024, vous seriez arrivé chez votre frère en Allemagne, où vous auriez vécu environ 2 mois. Après une altercation avec votre frère, vous auriez pris un taxi de Cologne jusqu’à Lille en France en date du 3 décembre 2024. Arrivé à Lille, vous auriez continué votre périple en direction de Dunkerque en France, dans l’espoir de traverser la Manche pour rejoindre l’Angleterre. Après plusieurs essais sans succès, vous auriez rencontré un homme qui vous aurait conduit jusqu’au Luxembourg pour 150 euros. Selon vos déclarations vous seriez arrivé au Luxembourg en date du 6 janvier 2025.
3 Monsieur, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Allemagne qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Rappelons à cet égard que l’Allemagne est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).
Il y a également lieu de soulever que l’Allemagne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Soulignons en outre que l’Allemagne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.
Par conséquent, l’Allemagne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.
Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Allemagne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Allemagne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.
Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Allemagne, d’introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités allemandes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités allemandes compétentes, notamment judiciaires.
Les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l’application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.
Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même 4 si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l’exécution du transfert vers l’Allemagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers l’Allemagne, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction générale de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers l’Allemagne en informant les autorités allemandes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités allemandes n’ont pas été constatées. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 avril 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle, précitée, du 16 avril 2025.
Etant donné que l’article 35 (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28 (1) de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation sous analyse, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Prétentions des parties A l’appui de son recours et en fait, le demandeur réitère, en substance, les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, tels que repris ci-avant.
En droit, après avoir cité l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III et les arrêts C-411/10, C-493/10 du 21 décembre 2011 et C-163/17 du 19 mars 2019 de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par la « CJUE », le demandeur reproche au ministre d’avoir, à tort, qualifié l’Allemagne de pays sûr et soutient que dans ce pays, il existerait des défaillances systémiques dans les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale. Il se base à cet égard sur des articles de presse pour conclure qu’en Allemagne, les conditions d’hébergement et de traitement des demandes de protection internationale seraient « complexes » et que les droits des demandeurs de protection internationale seraient de moins en moins respectés. Il explique à cet égard que son risque encouru en cas de retour en 5 Allemagne résiderait dans le fait qu’il aurait été « chassé » de l’Allemagne par son frère qui l’aurait hébergé à Cologne, ainsi que dans les difficultés d’accès au logement et aux soins auxquelles il y serait confronté.
Le demandeur conclut encore à la réformation de la décision déférée pour violation de l’article 17 (1) du règlement Dublin III, dans la mesure où son frère, résidant en Allemagne, souhaiterait le renvoyer en Iran, ce qui compromettrait sa sécurité en Allemagne. Il critique encore la décision du ministre en ce que ce dernier n’aurait pris en compte ni les raisons de son départ de l’Allemagne, ni la situation des ressortissants iraniens en conflit avec les membres de leur famille, ni les difficultés d’accès au logement et aux soins auxquelles les demandeurs de protection internationale devraient faire face en Allemagne, Monsieur (A) se prévalant, dans ce contexte, de l’article 10 (3) a) et b) de la loi du 18 décembre 2015.
Finalement, le demandeur conclut à une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par la « CEDH » et du principe de non-refoulement, tout en précisant qu’aux termes de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par la « CourEDH », des violences intra-familiales pourraient entrer dans le champ d’application de l’article 3, précité, de la CEDH, le demandeur concluant qu’il risquerait de subir de mauvais traitements en cas de retour en Allemagne en raison de l’altercation qu’il aurait eue avec son frère. Il précise également avoir vécu en Allemagne dans des conditions de vie contraires à l’article 3 de la CEDH. Le demandeur se réfère encore à un arrêt de la CourEDH concernant les conditions d’hébergement des demandeurs de protection internationale en France pour conclure que l’accès au logement et aux soins ne saurait être assuré de manière suffisante en Allemagne.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours sous analyse pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Appréciation du tribunal A titre liminaire, le tribunal rappelle qu’il n’est pas tenu par l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.
Quant à la légalité externe de la décision déférée et s’agissant du moyen tiré de la violation de l’article 10 (3) a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal relève que cette disposition légale prévoit ce qui suit : « Le ministre fait en sorte que les décisions sur les demandes de protection internationale soient prises à l’issue d’un examen approprié. A cet effet, il veille à ce que:
a) les demandes soient examinées et les décisions soient prises individuellement, objectivement et impartialement ;
b) des informations précises et actualisées soient obtenues auprès de différentes sources, telles que le Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEAA) et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), ainsi que les organisations internationales compétentes en matière de droits de l’homme, sur la situation générale existant dans les pays d’origine des demandeurs et, le cas échéant, dans les pays par lesquels les demandeurs ont transité, et à ce que le personnel chargé d’examiner les demandes et de prendre les décisions ait accès à ces informations ; […] ».
6 Outre la question de l’applicabilité de cette disposition légale, qui vise a priori l’examen au fond d’une demande de protection internationale, à une décision de transfert prise sur base de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015, telle que la décision déférée, le tribunal retient que le moyen sous analyse est en tout état de cause à rejeter, étant donné qu’il ne ressort d’aucun élément concret soumis à son appréciation que la décision litigieuse n’ait pas été prise individuellement, objectivement et impartialement, ni que le ministre n’ait pas eu à sa disposition des informations précises et actualisées sur la situation existant en Allemagne.
Le seul fait que le ministre ait finalement décidé de transférer le demandeur vers ce dernier pays, comme étant l’Etat membre responsable de l’examen de la demande de l’intéressé, est, en effet, insuffisant à cet égard, étant relevé que la question de savoir si cette décision a été prise à juste titre, notamment, eu égard au risque de subir des traitements inhumains et dégradants invoqué par le demandeur, relève de la légalité interne de la décision déférée et sera abordée ci-après.
A cet égard, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015, sur le fondement duquel la décision ministérielle déférée a été prise, dispose que : « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
L’article 12 (2) du règlement Dublin III, sur le fondement duquel la décision litigieuse a été également prise, dispose, quant à lui, que : « […] Si le demandeur est titulaire d’un visa en cours de validité, l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, sauf si ce visa a été délivré au nom d’un autre État membre en vertu d’un accord de représentation prévu à l’article 8 du règlement (CE) no810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas (1). Dans ce cas, l’État membre représenté est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. ».
Il suit de cette disposition que si un demandeur de protection internationale s’est vu délivrer un visa en cours de validité par un Etat membre, ce dernier est en principe responsable de l’examen de la demande de protection internationale.
En l’espèce, le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision ministérielle déférée a été adoptée par le ministre en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 12 (2) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur (A) serait l’Allemagne, étant donné que les autorités allemandes lui ont délivré un visa valable du 2 octobre 2024 au 14 janvier 2025 et qu’elles ont, en outre, accepté sa prise en charge en date du 18 février 2025.
7 C’est dès lors a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat membre et de ne pas examiner sa demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
Le tribunal relève ensuite que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe des autorités allemandes, respectivement l’incompétence de principe des autorités luxembourgeoises, pour connaître de sa demande de protection internationale, mais soutient que son transfert vers l’Allemagne violerait les articles 3 (2), alinéa 2 et 17 (1) du règlement Dublin III, l’article 3 de la CEDH et le principe de non-refoulement.
A cet égard, il y a lieu de rappeler que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte de droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par la « Charte », auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17 (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.
En ce qui concerne d’abord l’existence alléguée de défaillances systémiques dans les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Allemagne, le tribunal relève que l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III prévoit que : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable ».
Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, corollaire de l’article 3 de la CEDH.
La situation visée par ledit article 3 (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé1.
A cet égard, le tribunal relève que l’Allemagne est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la 1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, point 92.
8 CEDH et le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, désignée ci-après par « la Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3.
Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4.
Dans un arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile5, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.
Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise ou reprise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives6, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE7, des défaillances systémiques au sens de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de 2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform, point 78.
3 Ibidem, pt. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur ww.jurad.etat.lu.
4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.
5 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, point 95.
6 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.jurad.etat.lu.
7 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.
9 traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20178.
Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 20199 que, pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine10. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant11.
En l’espèce, le demandeur remettant en question cette présomption du respect par l’Allemagne des droits fondamentaux, puisqu’il fait état de défaillances systémiques dans ce pays, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser en présentant des éléments permettant de retenir que la situation en Allemagne atteint le degré de gravité tel que requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et par les principes dégagés ci-avant.
Le tribunal constate tout d’abord que le demandeur ne produit aucun élément probant, tel que des rapports d’organisations internationales, qui permettrait d’appuyer son argumentation fondée sur l’existence à l’heure actuelle, en Allemagne, de défaillances systémiques au sens de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, qui atteindraient le seuil de gravité tel que décrit ci-avant.
En ce qui concerne, par ailleurs, les deux articles de presse produits par le demandeur à l’appui de sa requête introductive d’instance, le tribunal constate, à l’instar de la partie étatique, que lesdits articles se rapportent à des faits isolés, à savoir, d’une part, la situation d’une famille afghane ayant rencontré des difficultés à trouver un logement de « deux-pièces autour de 75m2 » à Munich et, d’autre part, l’attaque tragique au couteau d’Aschaffenburg ayant causé deux morts. Il ne se dégage néanmoins pas de ces articles, ni des autres éléments de la cause qu’à l’heure actuelle, tout demandeur de protection internationale, quelle que soit sa situation, ne pourrait bénéficier de conditions matérielles d’accueil lui permettant de faire face à ses besoins les plus élémentaires en Allemagne.
Eu égard à l’ensemble de ces éléments, et compte tenu du seuil de gravité fixé par la CJUE, le tribunal arrive à la conclusion que le demandeur reste en défaut de prouver de manière générale l’existence de défaillances systémiques en Allemagne, permettant de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques 8 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16.
9 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, point 91.
10 Ibid., point 92.
11 Ibid., point 93.
10 suffisamment réels et concrets pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 4 de la Charte.
Par ailleurs, le tribunal relève que le demandeur n’invoque aucune jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers l’Allemagne, voire une demande en ce sens de la part du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, ci-après désigné par «»l’UNHCR»». Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers l’Allemagne dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile allemande qui exposerait les personnes concernées à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.
En conclusion, le tribunal retient que le demandeur n’a pas rapporté la preuve de l’existence, en Allemagne, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays12.
Le moyen tiré d’une violation de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, encourt, dès lors, le rejet.
Cependant, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable13.
Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte14, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat 12 voir également en ce sens : trib. adm., 1er juillet 2024, n° 50525 du rôle, disponible sur le site www.justice.public.lu.
13 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.
14 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 65 et 96.
11 membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant15.
En l’espèce, le demandeur se prévaut de difficultés d’accès au logement et aux soins auxquelles il devrait faire face en Allemagne, ainsi que des conditions de vie auxquelles il y serait confronté, lesquelles seraient, selon lui, contraires à l’article 3 de la CEDH. Par ailleurs, le demandeur invoque l’existence, dans son chef, d’un risque d’y subir des mauvais traitements en raison d’une altercation qu’il aurait eue avec son frère.
Or, il convient de prime abord de souligner qu’il se dégage des déclarations du demandeur, ainsi que des pièces figurant au dossier administratif, que lors de son séjour en Allemagne, l’intéressé n’a pas eu la qualité de demandeur de protection internationale, étant donné qu’il n’y a jamais introduit une demande de protection internationale, mais était détenteur d’un visa touristique, de sorte à ne pas avoir été à charge du système social allemand.
Il ne saurait, dès lors, être reproché aux autorités allemandes de ne pas avoir mis à sa disposition un logement ou des soins. Il ne saurait pas non plus être retenu que le demandeur aurait vécu en Allemagne dans des conditions de vie contraires à l’article 3 de la CEDH, étant précisé qu’il ressort de ses propres déclarations auprès du ministère qu’il a logé chez son frère pendant son séjour en Allemagne.
Si le demandeur a encore, dans ce contexte, relaté avoir eu une altercation avec son frère, à l’issue de laquelle ce dernier l’aurait invité à quitter sa maison en lui achetant un billet de retour pour l’Iran, et qu’il ne pourrait dès lors plus retourner en Allemagne, un tel fait ne saurait manifestement être considéré comme traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.
En tout état de cause, il n’est ni allégué ni a fortiori établi que les autorités allemandes ne pourraient ou ne voudraient pas fournir au demandeur une protection appropriée contre d’éventuels actes de violence émanant de son frère.
Pour le surplus, le tribunal constate qu’il ne se dégage pas des éléments du dossier qu’au cours de son séjour en Allemagne, le demandeur ait rencontré le moindre problème concret, respectivement que ses conditions d’existence aient atteint un degré de gravité tel qu’elles puissent être qualifiées de traitement inhumain et dégradant, ni qu’en cas de transfert, il serait personnellement exposé au risque que ses besoins existentiels minimaux ne soient pas satisfaits et ce, de manière durable, sans perspective d’amélioration, au point qu’il aurait fallu renoncer à son transfert ou bien demander des garanties individuelles auprès des autorités allemandes avant de le transférer. Au contraire, il se dégage des propres déclarations du demandeurs lors de son entretien Dublin III qu’il n’aurait « pas eu de problèmes en Allemagne »16.
A cela s’ajoute qu’il ne se dégage pas non plus des éléments soumis au tribunal que les autorités allemandes refuseraient de traiter la demande de protection internationale de Monsieur (A), lesdites autorités ayant, au contraire, accepté la prise en charge du demandeur sur le fondement de l’article 12 (2) du règlement Dublin III. Il ne se dégage pas davantage des éléments de la cause que les autorités allemandes compétentes risquent de violer le droit du demandeur à l’examen, selon une procédure juste et équitable, de sa demande de protection internationale ou qu’elles risqueraient de refuser de lui garantir une protection conforme au 15 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, point 88.
16 Rapport d’entretien, page 4.
12 droit international et au droit européen, notamment et en particulier au vu des risques éventuellement encourus par lui dans son pays d’origine, le demandeur n’ayant, en effet, avancé aucun élément concret permettant de conclure que sa procédure d’asile n’y pourrait pas être conduite conformément aux normes imposées par la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, ci-après désignée par la « directive Accueil ».
Il convient, par ailleurs, de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’asile allemand était à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 de la CEDH, contraire à l’article 4 de la Charte, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes compétentes ; il en va de même si le demandeur devait estimer que le système allemand n’était pas conforme aux normes européennes ; dans ce cas, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits sur base de la directive Accueil directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates.
Au vu des considérations qui précèdent, il n’est pas non plus établi que compte tenu de sa situation personnelle, le demandeur serait exposé à un risque réel de subir des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, en cas de transfert en Allemagne, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, dans ce pays, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, au sens de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III.
Il s’ensuit que l’argumentation du demandeur basée sur une violation par la décision ministérielle litigieuse de l’article 3 de la CEDH, pris isolément, est à rejeter.
En ce qui concerne ensuite le moyen du demandeur tiré d’une violation, par le ministre, du principe de non-refoulement, tel que prévu, notamment, à l’article 33 de la Convention de Genève, non expressément invoqué en l’espèce, il y a tout d’abord lieu de préciser que suivant un arrêt de la CJUE du 30 novembre 202317, la juridiction de l’Etat membre requérant, saisie d’un recours contre une décision de transfert, ne peut examiner s’il existe un risque, dans l’Etat requis, d’une violation du principe de non-refoulement auquel le demandeur de protection internationale serait soumis à la suite de son transfert vers cet Etat, ou par suite de celui-ci, lorsque, tel que c’est le cas en l’espèce, cette juridiction ne constate pas l’existence, dans l’Etat requis, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’une protection internationale. Des divergences d’opinion entre les autorités et les juridictions de l’Etat membre requérant, d’une part, et celles de l’Etat requis, d’autre part, en ce qui concerne l’interprétation des conditions matérielles de la protection internationale n’établissent pas l’existence de défaillances systémiques.
Par ailleurs, et en tout état de cause, le tribunal se doit de relever, d’un côté, que la décision ministérielle déférée n’implique pas un retour vers le pays d’origine du demandeur mais désigne uniquement l’Etat responsable pour le traitement de sa demande de protection internationale, étant souligné que ledit Etat, en l’occurrence l’Allemagne, a reconnu être compétent pour prendre le demandeur en charge, et, de l’autre côté, que le principe de non-refoulement s’apprécie par rapport à l’Etat membre compétent, et non pas par rapport à des personnes privées, de sorte que les craintes du demandeur d’être refoulé en Iran par son 17 CJUE, 30 novembre 2023, affaires jointes C-228/21, C-254/21, C-297/21, C-315/21 et C-328/21.
13 propre frère sont dépourvues de pertinence au regard du moyen sous examen.
Au vu des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que compte tenu de sa situation personnelle, le demandeur serait exposé, en cas de transfert vers l’Allemagne, à un risque réel de subir des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, respectivement d’être rapatrié en violation du principe de non-refoulement. Ainsi, l’argumentation afférente est à rejeter dans son ensemble.
En ce qui concerne finalement le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17 (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […]. », il y a lieu de relever que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres18, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201719.
Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge20, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration21.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision ministérielle déférée par rapport aux articles 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III et 3 de la CEDH que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées et que de l’entendement du tribunal, c’est sur base de cette même argumentation que le demandeur fait valoir que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17 du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale du demandeur alors même que cet examen incombe aux autorités allemandes. Il s’ensuit que le moyen afférent encourt, lui aussi, le rejet.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Par ces motifs, 18 CJUE, grande chambre, 21 décembre 2011, N.S. e.a., affaires jointes C-411/10 et C-493/10, point 65.
19 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16 PPU, points 88 et 97.
20 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 64 (3e volet) et les autres références y citées.
21 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en réformation, n°12 (2e volet) et les autres références y citées.
14 le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 mai 2025 par :
Daniel WEBER, vice-président, Géraldine ANELLI, vice-président, Izabela GOLINSKA, attaché de justice délégué, en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Daniel WEBER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21 mai 2025 Le greffier du tribunal administratif 15