Tribunal administratif N° 52766 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52766 3e chambre Inscrit le 28 avril 2025 Audience publique du 20 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52766 du rôle et déposée le 28 avril 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Samira MABCHOUR, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), connu sous différents alias, déclarant être né le … à … (Tunisie), et être de nationalité tunisienne, assigné à résidence à la maison retour sise à L-…, tendant, d’après le libellé de sa requête introductive d’instance, à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 10 avril 2025 « de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire » ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 mai 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Samuel BECHATA, en remplacement de Maître Samira MABCHOUR, et Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 mai 2025.
Le 7 février 2025, Monsieur (A), connu sous différents alias, désigné ci-après par « Monsieur (A) », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par la police grand-ducale, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à une recherche dans la base de données AEVIS, que Monsieur (A) s’est vu délivrer un visa de court séjour valable du 30 décembre 2021 au 28 janvier 2022 par les autorités espagnoles et, suite à une recherche effectuée le même jour dans la base de données EURODAC, que l’intéressé avait introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 22 juillet 2022. Une vérification faite à cette occasion dans la base de données du Centre de coopération policière et douanière révéla encore que ladite demande de 1protection internationale a été rejetée le 1er février 2023 par les autorités allemandes, tandis que l’intéressé s’est vu délivrer en date du 6 février 2025 par les mêmes autorités une « Duldung » valable jusqu’au 5 mars 2025.
En date du 14 mars 2025, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».
Le 17 mars 2025, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues allemands en vue de la reprise en charge de l’intéressé sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par lesdites autorités en date du 19 mars 2025 sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du même règlement.
Par arrêté du 28 mars 2025, notifié à l’intéressé en mains propres le jour même, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », ordonna l’assignation à résidence de Monsieur (A) à la maison retour pour une durée de trois mois à partir de la notification dudit arrêté.
Par décision du 10 avril 2025, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée le 14 avril 2025, le ministre informa Monsieur (A) de sa décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers l’Allemagne sur le fondement des dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de celles de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 7 février 2025 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »).
En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l'Allemagne qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains le rapport de Police Judiciaire du 7 février 2025 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 14 mars 2025.
21. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 7 février 2025, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.
La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 22 juillet 2022.
Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 14 mars 2025.
Sur base des informations à notre disposition, une demande de reprise en charge en vertu de l'article 18(1)d du règlement DIII a été adressée aux autorités allemandes en date du 17 mars 2025, demande qui fut acceptée par lesdites autorités allemandes en date du 19 mars 2025.
2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.
Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point d) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge – dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 – le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.
Par ailleurs, un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).
33. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 22 juillet 2022.
Selon vos déclarations, vous auriez quitté votre pays d’origine le 12 janvier 2022 en avion en direction de l’Espagne. Vous déclarez être resté une nuit à Madrid et le lendemain vous auriez pris un bus en direction de Toulon, France. Vous seriez resté six mois à Toulon avant de prendre le train en direction de l’Allemagne. En Allemagne, vous seriez resté du 22 juillet 2022 jusqu’au 6 février 2025, jour où vous déclarez être arrivé au Luxembourg. Vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne, mais elle aurait été rejetée. Vous ne voulez pas retourner en Allemagne parce que les autorités allemandes voudraient vous rapatrier en Tunisie.
Monsieur, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Allemagne qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Rappelons à cet égard que l’Allemagne est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève », à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).
Il y a également lieu de soulever que l’Allemagne est liée par la Directive (UE) n°2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte) (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Soulignons en outre que l'Allemagne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.
Par conséquent, l'Allemagne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.
Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de I'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Allemagne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires allemandes.
Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que l'Allemagne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations 4internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.
Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d'analyser les risques d'être soumis à des traitements inhumains au sens de l'article 3 CEDH dans votre pays d'origine, mais dans l'Etat de destination, en l'occurrence l'Allemagne. Vous ne faites valoir aucun indice que l'Allemagne ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l'article 13 CEDH ou que vous n'aviez ou n'auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions allemandes, notamment en vertu de l'article 46 de la directive « Procédure ».
Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Allemagne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.
torture.
Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l'exécution du transfert vers l'Allemagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers l’Allemagne, l’exécution du transfert sera suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction générale de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers l’Allemagne en informant les autorités allemandes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités allemandes n’ont pas été constatées. […] ».
5Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 avril 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant, d’après le libellé de sa requête introductive d’instance, à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 10 avril 2025 « de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire », les demandes formulées dans le dispositif de la même requête tendant encore, d’une part principalement à la réformation, sinon à l’annulation « de la décision déférée » ou « de la même décision » et à voir dire que Monsieur (A) « réunit les conditions permettant l’octroi du statut de réfugié », sinon « du statut conféré par la protection subsidiaire » et à la réformation, sinon à l’annulation de « la prédite décision valant ordre de quitter le territoire du Grand-Duché du Luxembourg ».
A l’audience des plaidoiries du 14 mai 2025, le tribunal a soulevé d’office la question de l’objet du recours, en relevant plus particulièrement que dans le cadre de sa requête introductive d’instance, Monsieur (A) vise une décision du ministre du 10 avril 2025 par laquelle sa demande de protection internationale aurait été rejetée dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et lui ordonnerait de quitter le territoire, tandis que, d’une part, l’existence d’une telle décision ne ressortirait d’aucune pièce soumise à l’appréciation du tribunal et que, d’autre part, celui-ci dirigerait ses moyens, dans le corps de sa requête introductive d’instance, outre contre ladite décision « prise dans le cadre d’une procédure accélérée », également contre une décision du ministre du même jour de se déclarer incompétent pour connaître de l’examen de sa demande de protection internationale et ordonnant son transfert vers l’Allemagne.
A ladite audience, le litismandataire de Monsieur (A) a fait valoir que la mention d’une décision du ministre du 10 avril 2025 de statuer sur la demande de protection internationale de l’intéressé dans le cadre d’une procédure accélérée constituerait une erreur matérielle et que seule la décision du ministre du 10 avril 2025 ordonnant son transfert vers l’Allemagne ferait l’objet du recours. Il affirme, dans ce contexte, renoncer aux moyens contenus dans la requête introductive d’instance dirigés contre une décision du ministre de statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de refus de la demande de protection internationale de celui-ci et de l’ordre de quitter le territoire à l’égard de celui-ci, ainsi qu’aux demandes formulées dans le dispositif de sa requête introductive d’instance tendant à la réformation sinon à l’annulation de telles décisions. La requête introductive d’instance se limiterait dès lors à la demande de réformation, sinon d’annulation de la décision du ministre du 10 avril 2025 de se déclarer incompétent pour connaître de l’examen de sa demande de protection internationale et d’ordonner son transfert vers l’Allemagne sur base du règlement Dublin III.
Acte lui en est donné.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal en l’espèce, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire.
6Prétentions des parties A l’appui de son recours et en fait, le demandeur réitère, en substance, les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée du 10 avril 2025, en précisant être un ressortissant tunisien et avoir été contraint de quitter son pays d’origine en raison de menaces graves qui pèseraient sur sa sécurité personnelle. Il explique ensuite que sa demande de protection internationale déposée auparavant en Allemagne aurait non seulement été rejetée, mais que son avocat allemand attesterait encore de l’épuisement de toutes les voies de recours internes à cet égard, de sorte qu’il ne disposerait plus d’aucune possibilité légale de voir sa demande de protection internationale examinée en Allemagne, ce qui entraînerait pour lui, en cas de transfert vers ledit Etat, un risque d’être refoulé par la suite vers la Tunisie, pays dans lequel il risquerait pourtant des menaces graves contre sa personne.
En droit, le demandeur reproche au ministre d’avoir basé la décision déférée sur l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, alors que si certes cette disposition prévoirait qu’un Etat membre est tenu de reprendre en charge un ressortissant de pays tiers dont la demande a été rejetée par cet Etat lorsque ledit ressortissant présente une nouvelle demande de protection internationale dans un autre Etat membre et que si, certes, l’objectif poursuivi par ledit mécanisme serait d’assurer la cohérence du régime d’asile européen, en évitant le traitement multiple de demandes similaires, l’application de ladite disposition présupposerait toutefois qu’un tel demandeur de protection internationale dispose d’un accès effectif à une procédure d’asile équitable dans l’Etat requis. Il précise à cet égard que ce principe découlerait d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, désignée ci-après par « la CJUE », du 19 mars 2019, Ibrahim et autres c. Bundesrepublik Deutschland, C-297/17, C-318/17, C-319/17 et C-438/17, le demandeur se référant, par ailleurs à un arrêt de la CJUE du 7 juin 2016 Mehrdad Ghezelbash c. Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie, C-63/15, suivant lequel les garanties procédurales prévues au règlement Dublin III feraient partie intégrante du droit à un recours effectif prévu à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, désignée ci-après par « la Charte ».
Or, dans la mesure où sa demande de protection internationale aurait été définitivement rejetée en Allemagne, et dans la mesure où il se trouverait dans une impossibilité absolue de rouvrir ladite procédure ou de présenter une nouvelle demande, tel qu’en attesterait son avocat allemand, la compétence dudit Etat de le reprendre en charge constituerait une « fiction administrative », de sorte que la décision déférée ne reposerait pas sur une « base juridique valide » et procèderait d’une erreur de droit manifeste. Il ajoute, dans ce contexte, qu’il serait plongé dans un « vide juridique » en Allemagne, sans possibilité de faire valoir sa situation personnelle.
L’intéressé reproche ensuite au ministre d’avoir omis de prendre en compte sa situation personnelle ainsi que les circonstances spécifiques ayant conduit à sa demande de protection internationale, alors que la décision déférée reposerait sur des considérations générales qui seraient formulées de manière standardisée. Ainsi, ladite décision ne contiendrait aucune mention de son parcours migratoire, de son séjour prolongé en Allemagne, ni des raisons pour lesquelles il a quitté la Tunisie, ni de ses déclarations lors de son entretien Dublin III, ni de la clôture définitive de sa demande de protection internationale en Allemagne. Or, le ministre aurait ainsi méconnu son obligation prévue « par le droit de l’Union européenne » ainsi que par la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après par « la CEDH », de procéder à une évaluation concrète et individualisée de sa situation, notamment de son risque de subir un traitement inhumain et dégradant au sens de 7l’article 3 de la CEDH, avant de prendre la décision déférée, le demandeur se référant à cet égard à deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, désignée ci-après par « la CourEDH », des 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce et 4 novembre 2014, Tarakhel c.
Suisse. La décision déférée constituerait, par ailleurs, pour ces mêmes raisons, une violation de son droit à une procédure équitable et individualisée prévu par l’article 47 de la Charte.
Sur base des mêmes considérations, le demandeur estime encore que le ministre aurait dû appliquer l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, et que le refus du ministre de ce faire constituerait une méconnaissance « de l’obligation de prévention du déni de protection, corollaire du principe de bonne administration ».
Le demandeur considère en outre que la décision de le transférer en Allemagne constituerait un refoulement indirect dans son chef vers la Tunisie, et ainsi une violation des articles 3 de la CEDH, 33 de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, désignée ci-après par « la Convention de Genève », et 4 de la Charte. Il se réfère dans ce contexte à un arrêt de la CourEDH du 23 février 2012, Hirsi Jamaa et autres c. Italie, requête n° 27765/09, dans lequel celle-ci aurait rappelé qu’un refoulement indirect engagerait la responsabilité de l’Etat de transfert lequel ne saurait s’en décharger sur le simple fondement de la confiance mutuelle ou des obligations internationales de l’Etat de destination. Or, en l’espèce, aucune garantie individuelle n’aurait été demandée dans ce contexte à l’Allemagne, les autorités luxembourgeoises ayant, de l’avis du demandeur, par ailleurs, omis d’évaluer le risque de refoulement dans son chef.
Tout en réitérant ses développements relatifs à l’application mécanique de la part des autorités luxembourgeoises du règlement Dublin III en l’espèce, lequel viserait à garantir l’accès effectif à une protection internationale, sans prendre en compte sa situation personnelle, et sans évaluer son risque de faire l’objet d’un refoulement vers la Tunisie, le demandeur estime finalement encore que la décision déférée serait contraire à l’article 18 de la Charte.
Au vu de l’ensemble de ces considérations, la décision ministérielle déférée devrait encourir la réformation.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Appréciation du tribunal A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par le demandeur, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, l’examen de la légalité externe précédant celui de la légalité interne.
En ce qui concerne la légalité externe de la décision déférée et plus précisément le moyen du demandeur tendant, en substance, à un défaut de motivation de la décision déférée en ce que le ministre aurait motivé celle-ci par des considérations générales et à travers des formulations standardisées sans prendre en compte (i) son parcours migratoire, (ii) son séjour prolongé en Allemagne, (iii) les motifs à la base de sa demande de protection internationale, (iv) ses déclarations lors de son entretien Dublin III et (v) son risque de faire l’objet en Allemagne d’un refoulement vers la Tunisie, il échet de constater que suivant l’article 34, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, certes non invoqué en l’espèce, mais auquel 8s’apparente ledit moyen, « Les décisions prises par le ministre en matière de protection internationale sont communiquées par écrit au demandeur dans un délai raisonnable. Toute décision négative est motivée en fait et en droit et les possibilités de recours sont communiquées par écrit au demandeur. […] ».
Force est de constater qu’en l’espèce, la décision déférée est, contrairement aux affirmations du demandeur, motivée tant en fait qu’en droit, en ce qu’elle indique, en se basant sur les articles 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, les raisons ayant amené le ministre à prendre la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers l’Allemagne, à savoir le fait que le demandeur y a introduit une demande de protection internationale le 22 juillet 2022 et que ledit pays a accepté sa reprise en charge le 19 mars 2025 sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, le ministre retraçant, contrairement aux développements du demandeur, le parcours migratoire de celui-ci, de même qu’il prend expressément en compte la circonstance que le demandeur a été débouté de sa demande de protection internationale en Allemagne. Le ministre a, en outre, après avoir constaté que le demandeur n’a pas fait état d’éventuelles particularités sur son état de santé, relevé que l’Allemagne est partie à la Convention de Genève, à la CEDH et à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, ci-après désignée par « la Convention torture », de même qu’elle est liée par la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, ci-après désignée par « la directive Procédure », et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte], désignée ci-après par « la directive Accueil », et que de ce fait, elle est présumée respecter l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que les articles 3 de la CEDH et 3 de la Convention torture, tout en soulignant qu’il n’existerait ni de jurisprudence de la CourEDH, ou de la CJUE, ni une recommandation du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ci-après désigné par « UNHCR », visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Allemagne.
Le tribunal constate, par ailleurs, que le ministre a, dans ce contexte, relevé que le demandeur n’aurait pas rapporté la preuve que sa demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable en Allemagne, ni qu’il n’y aurait pas les moyens de faire valoir ses droits, notamment devant les juridictions allemandes, ni qu’il y serait exposé à des traitements inhumains et dégradants, ni que l’Allemagne ne respecterait pas le principe de non-refoulement. Le ministre a également exclu l’application de l’article 16, paragraphe (1) du règlement Dublin III pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de la demande de protection internationale du demandeur. Enfin, il a relevé que le demandeur ne lui a soumis aucun élément humanitaire ou exceptionnel ayant dû l’amener à appliquer l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, voire d’autres raisons individuelles qui pourraient empêcher sa remise aux autorités allemandes, le ministre ayant, dans ce contexte, expressément relevé que le demandeur n’aurait apporté aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement Dublin III.
Il s’ensuit que c’est à tort que le demandeur estime que la décision déférée reposerait exclusivement sur la présomption du respect par l’Allemagne des instruments européens et internationaux prémentionnés et que les motifs de refus y contenus seraient standardisés ou reposeraient sur des considérations générales en ce que celui-ci aurait omis de prendre en 9compte sa situation individuelle, le ministre ayant, au contraire, expressément motivé sa décision par l’omission du demandeur d’avoir renversé cette présomption en ce que celui-ci n’aurait apporté aucun élément de preuve en ce sens.
Ce constat n’est pas énervé par les développements du demandeur suivant lesquels le ministre ne mentionnerait pas expressément son « séjour prolongé » en Allemagne ou ses déclarations faites à l’entretien Dublin III, alors que le demandeur reste en défaut d’expliquer en quelle mesure sa durée de séjour en Allemagne serait pertinente dans le cadre de la détermination de l’Etat compétent pour connaître de sa demande de protection internationale ou encore de préciser quelles déclarations contenues dans son entretien Dublin III le ministre aurait omis de prendre en compte.
Ce constat n’est pas non plus énervé par l’affirmation de l’intéressé suivant laquelle le ministre n’aurait pas analysé les motifs à la base de sa demande de protection internationale, alors que précisément le ministre s’est déclaré incompétent de connaître de l’examen de ladite demande, en ce que la compétence de cet examen reviendrait à l’Allemagne, le demandeur restant en défaut d’établir en quelle mesure les motifs à la base de sa demande de protection internationale seraient de nature à influer sur la détermination de l’Etat responsable de connaître de l’examen de ladite demande.
Il s’ensuit que le moyen du demandeur tenant à une insuffisance de motivation de la décision déférée est à rejeter, étant relevé toutefois que le bien-fondé des motifs de refus relève de l’examen au fond ci-dessous.
Quant à l’invocation par le demandeur, dans le contexte de son moyen tendant à une absence d’analyse objective et individualisée de sa situation par le ministre, d’une violation de l’article 47 de la Charte, le tribunal relève que ledit article prévoit que « Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter.
Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l’effectivité de l’accès à la justice. ».
Dans la mesure où ladite disposition vise exclusivement le droit à un recours effectif devant un tribunal, celle-ci n’est pas applicable aux procédures précontentieuses devant les autorités administratives d’un Etat, de sorte que ledit moyen encourt le rejet pour ne pas être fondé.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de l’examen de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la 10personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités allemandes pour reprendre en charge Monsieur (A), prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de […] reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».
Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui où le demandeur a déposé une demande de protection internationale, laquelle a fait l’objet d’une décision de refus.
Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers l’Allemagne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, précités, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur (A) était l’Allemagne où il a déposé une demande de protection internationale le 22 juillet 2022, laquelle a été rejetée le 1er février 2023, et que les autorités allemandes ont accepté sa reprise en charge le 19 mars 2025, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat membre comme étant responsable pour connaître de sa demande de protection internationale, respectivement des suites à y donner et de ne pas l’examiner.
Ce constat n’est pas énervé par les développements du demandeur suivant lesquels ledit article 18, paragraphe (1), point d) ne serait pas applicable dans l’hypothèse, tel que ce serait le cas en l’espèce, d’un rejet définitif d’une demande de protection internationale dans l’Etat normalement compétent en vertu dudit article, au motif que le transfert vers ledit Etat serait contraire à l’objectif du règlement Dublin III de garantir l’accès effectif de tout demandeur de protection internationale à une procédure d’examen de sa demande de protection internationale.
En effet, mis à part le constat que l’article précité vise expressément l’hypothèse dans laquelle une demande de protection internationale a été rejetée dans un Etat membre, sans différencier à cet égard entre un rejet définitif ou une décision de rejet non encore revêtue de l’autorité de chose décidée ou jugée, il échet de rappeler que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la 11CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard1. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants2.
Il s’ensuit que l’objectif du règlement Dublin III n’est, contrairement aux développements du demandeur, pas de permettre à un demandeur d’asile d’introduire à l’infini, à défaut de nouveaux éléments à la base de sa demande de protection internationale, ladite demande dans différents Etats membres si celle-ci a d’ores et déjà fait l’objet d’un examen d’un Etat membre, le principe de la confiance mutuelle impliquant la présomption que ladite demande a fait l’objet d’un examen approprié et conformément aux instruments internationaux et européens tels que la CEDH, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ou la Convention torture, ainsi que la Convention de Genève prévoyant le principe de non-
refoulement et que les Etats membres disposent a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.
Il suit de ce qui précède que l’argumentation du demandeur tendant à faire échec à l’application de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III sur base du seul fait que sa demande de protection internationale en Allemagne aurait été définitivement rejetée encourt le rejet pour ne pas être fondée.
Ce constat n’est pas contredit par la référence faite par l’intéressée à l’arrêt prémentionné de la CJUE du 19 mars 2019, alors que ledit arrêt a été rendu dans une cause ayant pour objet la faculté d’un Etat membre de déclarer une demande de protection internationale comme étant irrecevable sur base du motif que la personne concernée s’est préalablement vue accorder le statut conféré par la protection subsidiaire dans un autre Etat membre, ce qui n’est pas le cas de figure dans lequel se trouve l’intéressé en l’espèce.
Il y a ensuite lieu de préciser que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, non invoqué en l’espèce, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.
1 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform, pt.
78.
2 Ibidem, pt. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.ja.etat.lu.
12En l’espèce, le tribunal constate que le demandeur n’invoque pas l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III pour faire valoir l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Allemagne, mais se prévaut exclusivement des dispositions de l’article 3 de la CEDH, 4, 18 et 47 de la Charte et du principe de non-refoulement, d’une part, et de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, d’autre part.
En ce qui concerne le moyen tendant à la violation par la décision ministérielle litigieuse de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, ensemble les articles 18 et 47 de la Charte invoqués par le demandeur dans ce contexte, le tribunal rappelle que l’Allemagne est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, la Convention torture, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.
Dans la mesure où, tel que relevé ci-avant, le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne, ainsi que les Etats y adhérant sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. Comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres, ainsi que les Etats y adhérant, peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées3, le demandeur restant, en l’espèce en défaut d’alléguer et a fortiori d’établir l’existence de telles défaillances en Allemagne.
Cependant, si les Etats sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable4.
Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte5, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 3 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.
4 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.
5 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.
134 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant6.
En l’espèce, le tribunal constate que le demandeur, tout en concluant à une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, se prévaut, d’une part, d’une violation des articles 18 et 47 de la Charte dans ce contexte, en faisant valoir qu’il aurait définitivement été débouté de sa demande de protection internationale en Allemagne, de sorte à ne plus pouvoir ni rouvrir la procédure relative à sa demande y déposée auparavant, ni réintroduire une nouvelle demande de protection internationale et, d’autre part, d’une violation de l’article 33 de la Convention de Genève, alors qu’il risquerait d’être éloigné, en méconnaissance dudit article, dans son pays d’origine où il risquerait de faire l’objet de persécutions, sinon de traitements inhumains et dégradants.
Or, en ce qui concerne tout d’abord le fait que la demande de protection internationale de l’intéressé aurait été définitivement rejetée en Allemagne, le tribunal relève que si certes l’article 18 de la Charte prévoit que « Le droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés et conformément au traité instituant la Communauté européenne. », la Convention de Genève n’accorde, contrairement à ce que semble faire plaider le demandeur, pas un droit inconditionné à tout demandeur d’asile d’accéder à l’un des statuts prévus par la protection internationale, mais limite ledit octroi aux personnes qui remplissent les conditions pour pouvoir y accéder, de sorte que le seul fait que sa demande de protection internationale aurait été définitivement rejetée en Allemagne n’implique pas pour autant une méconnaissance par l’Allemagne de ses obligations découlant des instruments internationaux prémentionnés, notamment les articles 18 et 47 de la Charte, tels qu’invoqués par le demandeur.
Le demandeur reste, par ailleurs, en défaut de faire valoir et a fortiori d’établir que personnellement et concrètement, ses droits n’auraient pas été respectés en Allemagne dans le cadre de l’examen de sa demande de protection internationale, de même qu’il reste en défaut d’avancer des raisons concrètes permettant de penser que les autorités allemandes n’auraient pas analysé correctement sa demande de protection internationale avant de l’en débouter, en violation notamment de l’article 18 de la Charte. Le même constat s’impose en ce qui concerne l’invocation du demandeur de son droit d’accès à un recours effectif tel que prévu à l’article 47 de la Charte, alors qu’il reste en défaut d’établir qu’il n’aurait pas eu accès, en Allemagne, à un tribunal impartial, celui-ci affirmant, au contraire, qu’il aurait, assisté de son avocat, épuisé l’ensemble des voies de recours en Allemagne au regard du refus desdites autorités de lui accorder une protection internationale, de sorte à admettre lui-même qu’il a pu exercer son droit à un recours effectif dans ledit Etat.
En ce qui concerne les développements du demandeur relatifs au fait qu’il se trouverait dans l’impossibilité d’introduire une nouvelle demande de protection internationale en Allemagne, de même qu’il se trouverait dans un « vide juridique » et qu’il ne saurait faire valoir sa situation personnelle auprès des autorités allemandes, le tribunal relève qu’outre le fait que ces affirmations restent au pur stade d’allégations, le demandeur restant notamment en défaut d’expliquer quels éléments concrets de sa situation personnelle il ne serait pas en mesure de 6 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.
88.
14faire valoir devant les autorités allemandes, celui-ci, devra, en cas de transfert en Allemagne, en sa qualité de demandeur de protection internationale débouté, soit y être considéré comme un migrant en situation irrégulière, à défaut d’y introduire une nouvelle demande de protection internationale, et, partant en sa qualité de demandeur d’asile débouté comme sortant du champ d’application de la Convention de Genève, soit, dans l’hypothèse de l’introduction d’une nouvelle demande, comme demandeur ayant formulé une demande ultérieure au sens de la législation européenne.
Il s’ensuit que les développements du demandeur relatifs à un risque pour lui de subir des traitements inhumains et dégradants au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte découlant de l’impossibilité pour lui d’accéder en cas de transfert en Allemagne à une procédure de protection internationale sont à rejeter pour ne pas être fondés.
En ce qui concerne la crainte du demandeur de faire l’objet en cas de transfert en Allemagne d’une mesure de refoulement vers la Tunisie où il risquerait de faire l’objet d’actes de persécution sinon de traitements inhumains et dégradants, le tribunal relève, outre de constater que le demandeur reste en défaut d’expliquer de manière circonstanciée de quels actes de persécutions respectivement de traitement inhumain et dégradant il risquerait de faire l’objet dans son pays d’origine, que la décision déférée n’implique pas un retour vers le pays d’origine du demandeur mais désigne uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de sa demande de protection internationale, étant souligné que ledit Etat membre, en l’occurrence l’Allemagne, a reconnu, en date du 19 mars 2025, être compétente pour reprendre le demandeur en charge.
Le tribunal relève ensuite que le demandeur reste en défaut d’étayer concrètement l’existence, dans son chef, d’un risque concret et personnel d’être renvoyé dans son pays d’origine alors même qu’il y encourrait un risque sérieux de subir des traitements inhumains et dégradants, celui-ci restant en effet en défaut de fournir des éléments probants - tels que des rapports internationaux relatifs à la situation particulière des demandeurs de protection internationale déboutés en Allemagne - susceptibles de démontrer qu’en cas de rejet définitif de sa demande de protection internationale par les autorités allemandes, l’Allemagne ne respecterait pas le principe du non-refoulement prévu par l’article 33 de la Convention de Genève et faillirait dès lors à ses obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie, son intégrité physique ou sa liberté seraient sérieusement en danger ou encore qu’il risquerait d’être forcé de se rendre dans un tel pays sans avoir pu faire valoir ses droits. Ce constat n’est pas énervé par le courrier de son avocat allemand daté au 31 mai 2024 versé en cause, alors qu’il en ressort, au contraire, que l’intéressé a, de l’avis de son avocat, la possibilité de demander en Allemagne « eine[…] Aufenthaltsgenehmigung aus humanitären Gründen ».
Par ailleurs, il ne se dégage pas des éléments produits par le demandeur que si les autorités allemandes devaient néanmoins décider de le rapatrier en violation des articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte, et 33 de la Convention de Genève, alors même qu’il serait exposé dans son pays d’origine à un risque concret et grave pour sa vie, il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates.
L’argumentation ayant trait à une violation du principe de non-refoulement est, au vu des développements faits ci-avant, à rejeter pour ne pas être fondée.
15Au vu des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que compte tenu de sa situation personnelle, le demandeur serait exposé à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, en cas de transfert en Allemagne, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.
Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, il y a lieu de relever que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ».
A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres7, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt de la CJUE du 16 février 20178.
Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge9, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration10.
Or, en l’espèce, il n’apparaît pas que le ministre, en ne faisant pas usage de la simple faculté lui offerte par l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, ait commis une quelconque erreur d’appréciation susceptible d’être sanctionnée par la réformation de sa décision, en ce qu'il aurait fait un mauvais usage du pouvoir discrétionnaire qui lui est offert au regard notamment de la situation individuelle du demandeur. En effet, dans la mesure où le tribunal a retenu ci-avant dans le cadre de l’examen de la conformité de la décision entreprise par rapport aux articles 3 de la CEDH, 4, 18 et 47 de la Charte, et 33 de la Convention de Genève, que le demandeur n’avait pas rapporté la preuve que, dans son cas précis, ses droits ne seraient pas garantis en cas de retour en Allemagne et qu’il risquerait d’y être exposé à un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant, il ne saurait, sur base de cette même argumentation, valablement être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17 du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale de Monsieur (A), alors même que cet examen incombe aux autorités allemandes, le contraire constituant, en effet, une façon de procéder qui relèverait du « forum shopping » que le règlement Dublin III vise justement à éviter.
7 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.
8 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.
9 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 64 (3e volet) et les autres références y citées.
10 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en réformation, n° 12 et les autres références y citées.
16Ensuite, il y a lieu de relever que le demandeur n’a pas non plus fait valablement état d’un quelconque élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement Dublin III et qui aurait dû amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables du traitement de sa demande de protection internationale.
Dans ces circonstances et en l’absence d’autres éléments, le tribunal conclut qu’il n’est pas établi que le ministre se serait mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent est également à rejeter.
En l’absence d’autres moyens, le tribunal est amené à conclure que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 mai 2025 par :
Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s.Judith Tagliaferri s.Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 mai 2025 Le greffier du tribunal administratif 17