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20/05/2025 | LUXEMBOURG | N°49721

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 mai 2025, 49721


Tribunal administratif Numéro 49721 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49721 3e chambre Inscrit le 17 novembre 2023 Audience publique du 20 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre de la Mobilité et des Travaux publics en matière de services de taxis

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49721 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 novembre 2023 par Maître Edévi AMEGANDJI, avocat à la Cour, assisté par Maître Amadou NDIAYE, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Or

dre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Nigéria), de ...

Tribunal administratif Numéro 49721 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49721 3e chambre Inscrit le 17 novembre 2023 Audience publique du 20 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre de la Mobilité et des Travaux publics en matière de services de taxis

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49721 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 novembre 2023 par Maître Edévi AMEGANDJI, avocat à la Cour, assisté par Maître Amadou NDIAYE, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Nigéria), de nationalité nigériane, et demeurant à L-…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de la Mobilité et des Travaux publics du 4 avril 2023 portant refus de lui délivrer une carte de conducteur de taxi, ainsi que de la décision implicite de refus intervenue suite au recours gracieux du 30 mai 2023 dirigé à l’encontre de la prédite décision du 4 avril 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Amadou NDIAYE, en remplacement de Maître Edévi AMEGANDJI à l’audience publique du 18 mars 2025.

Le 29 mars 2023, Monsieur (A) introduisit, conformément à l’article 10 de la loi du 5 juillet 2016 portant organisation des services de taxis, ci-après désignée par « la loi du 5 juillet 2016 », une demande en obtention d’une carte de conducteur de taxis auprès du ministère de la Mobilité et des travaux publics, département de la mobilité et des transports.

Par décision du 4 avril 2023, le ministre de la Mobilité et des travaux publics, ci-après désigné par « le ministre », refusa de faire droit à cette demande dans les termes suivants :

« […] Faisant suite à votre demande pour l’obtention d’une carte de conducteur de taxi, je me dois de vous informer que je ne peux pas donner de suite favorable à celle-ci.

En effet, votre casier judiciaire renseigne sur une peine d’emprisonnement de 9 mois pour des faits commis entre 2017 et 2018 pour coups et blessures volontaires Or, ceci est incompatible avec les dispositions de l’article 8 paragraphe (2) de la loi du 5 juillet 2016 portant organisation des services de taxis.

A toutes fins utiles, je me permets de vous informer qu’une carte de conducteur de taxis n’est pas requise pour l’exercice de l’activité de conducteur de voiture de location avec chauffeur. […] ».

Par courrier de son mandataire du 30 mai 2023, Monsieur (A) fit introduire un recours gracieux contre la décision précitée du ministre du 4 avril 2023, lequel resta toutefois sans réponse.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 novembre 2023, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision ministérielle précitée du 4 avril 2023 portant refus de lui délivrer une carte de conducteur de taxi, ainsi que de la décision implicite de refus intervenue suite au recours gracieux du 30 mai 2023 dirigé à l’encontre de la prédite décision du 4 avril 2023.

En vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, dénommée ci-après « la loi du 21 juin 1999 », « Si la partie défenderesse ou un tiers intéressé ne comparaît pas dans le délai prévu à l’article 5 [de la même loi], le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties ». Il s’ensuit que malgré le fait que l’Etat, en tant que partie défenderesse dans la présente instance, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse, ce jugement sera néanmoins rendu également à l’égard de l’Etat.

Bien que le demandeur ne se trouve pas confronté à un contradicteur, faute pour l’Etat d’avoir déposé de mémoire en réponse, il n’en reste pas moins que le tribunal doit examiner la recevabilité du recours ainsi que les mérites des différents moyens soulevés, cet examen comportant, entre autres, le cas échéant, un contrôle de l’applicabilité de la disposition légale invoquée par le demandeur aux données factuelles apparentes de l’espèce, c’est-à-dire que le tribunal doit qualifier la situation de fait telle qu’elle apparaît à travers les informations qui lui ont été soumises par rapport à la règle légale applicable1 Il convient ensuite de souligner que quand bien même une partie a formulé un recours en annulation à titre principal et un recours en réformation à titre subsidiaire, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, alors qu’en vertu de l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un recours en annulation n’est possible qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements.

Dans la mesure où aucune disposition légale ne prévoit un recours au fond contre les décisions ministérielles refusant la délivrance d’une carte de conducteur de taxi, seul un recours en annulation a pu être introduit contre les décisions déférées. Il s’ensuit que le tribunal est incompétent pour statuer sur le recours en réformation introduit à titre subsidiaire.

Il est en revanche compétent pour statuer sur le recours en annulation introduit à titre principal, lequel est encore à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et après avoir repris les rétroactes relatés ci-avant, le demandeur met en exergue que les faits pour lesquels il aurait fait l’objet d’une peine d’emprisonnement de 9 mois remonteraient à l’année 2017 et plus particulièrement au 12 février 2017. Il s’ensuivrait qu’en retenant que ces mêmes faits auraient eu lieu en 2017/2018 le ministre aurait commis une erreur manifeste d’appréciation laquelle rendrait la décision 1 Trib. adm., 2 mai 2002, n° 13912 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 1030 et les autres références y citées.

sous analyse manifestement disproportionnée. Dans ce contexte, il fait encore valoir que depuis 2017, c’est-à-dire depuis plus de 7 ans, il n’aurait plus eu affaire à la justice, de sorte que ce serait à tort que le ministre aurait retenu qu’il ne remplirait pas les conditions d’honorabilité prévues à l’article 8 de la loi du 5 juillet 2016, le demandeur étant, par ailleurs, d’avis que le seul fait qu’une personne a des antécédents judiciaires, sans lien avec l’activité de conducteur de taxis, ne saurait, à lui seul, laisser conclure que son honorabilité professionnelle au sens de la prédite disposition légale serait compromise.

Le demandeur en conclut qu’en s’abstenant de vérifier in concreto son honorabilité professionnelle de chauffeur de taxis et en se contentant de retenir que l’inscription dans son casier judiciaire, inscription qui daterait depuis plus de 5 ans, le ministre aurait dépassé sa marge d’appréciation, de sorte que la décision sous analyse devrait encourir l’annulation pour être disproportionnée.

Tel que souligné ci-avant, l’Etat n’a pas pris position dans le cadre du présent litige du fait de ne pas avoir déposé de mémoire en réponse endéans les délais légaux.

Force est au tribunal de constater que les développements du demandeur en vue de l’annulation de la décision litigieuse se résument dans un prétendu dépassement du ministre de sa marge d’appréciation, le demandeur étant en effet d’avis que la décision litigieuse serait compte tenu de sa situation particulière, disproportionnée.

A cet égard, il convient de rappeler que saisi d’un recours en annulation le juge administratif est appelé à vérifier, d’un côté, si, au niveau de la décision administrative querellée, les éléments de droit pertinents ont été appliqués et, d’un autre côté, si la matérialité des faits sur lesquels l’autorité de décision s’est basée est établie. Au niveau de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation vérifie encore s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée, dans les hypothèses où l’auteur de la décision dispose d’une telle marge d’appréciation, étant relevé que le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de proportionnalité2.

En ce qui concerne les conditions de délivrance d’une carte de conducteur de taxi, l’article 7 de la loi du 5 juillet 2016 dispose que : « (1) Tout conducteur de taxi doit être titulaire d’une carte de conducteur de taxi valable, délivrée par le ministre.

(2) En vue de l’obtention de la carte de conducteur de taxi, l’intéressé doit a) être titulaire, depuis deux ans au moins, d’un permis de conduire valable pour la conduite de taxis ;

b) avoir des connaissances adéquates dans au moins une des trois langues administratives telles que définies par la loi du 24 février 1984 sur le régime des langues ;

2 Cour adm., 9 décembre 2010, n° 27018C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 60 et les autres références y citées.

c) satisfaire aux exigences d’honorabilité et de capacité professionnelle, spécifiées aux articles 8 et 9. ».

L’article 8 de la loi du 5 juillet 2016 ayant trait aux exigences d’honorabilité dispose que : « (1) L’honorabilité du conducteur de taxi s’apprécie sur base de ses antécédents judiciaires qui résultent de son casier judiciaire.

(2) Les exigences en matière d’honorabilité sont satisfaites, en particulier si le conducteur de taxi n’a pas fait l’objet d’une condamnation pénale coulée en force de chose jugée prononçant une peine d’emprisonnement d’au moins six mois pour vol, escroquerie, abus de confiance, atteinte volontaire à l’intégrité de la personne, agression sexuelle ou infraction à la législation sur les stupéfiants. ».

Il ressort encore des travaux parlementaires relatifs à l’article 8 en question, que « la vérification de l’honorabilité du conducteur de taxi sur base de son casier judiciaire permet de garantir un standard élevé de sécurité pour les clients » et que « les exigences en matière d’honorabilité ont pour intention de tenir compte, lors de la vérification des critères d’attribution, des condamnations éventuelles en relation avec l’activité de conducteur de taxi.

Cette vérification approfondie est nécessaire en vue de garantir un certain niveau des prestations et d’assurer le sérieux du conducteur qui est responsable du bon transport de ses passagers. De plus il est ainsi tenu compte du fait que les services de taxis ont un impact considérable sur l’image générale du Grand-Duché auprès des visiteurs étrangers »3.

La finalité de la faculté pour le ministre de refuser la délivrance d’une carte de conducteur de taxi, d’ordonner son retrait ou de refuser son renouvellement pour défaut d’honorabilité professionnelle consiste à garantir un standard élevé de sécurité pour les clients et un certain niveau des prestations, à assurer le sérieux du conducteur, responsable du bon transport de ses passagers, et permet de tenir compte du fait que les services de taxis ont un impact sur l’image générale du Grand-Duché auprès des visiteurs étrangers.

Ainsi, toutes les circonstances de l’espèce, pouvant avoir une incidence sur la manière de l’exercice de la profession de conducteur de taxi, doivent être prises en compte par le ministre pour apprécier l’honorabilité du demandeur en vue de l’octroi d’une carte de conducteur de taxis, étant encore précisé que les condamnations énumérées à l’article 8 de la loi du 5 juillet 2016 le sont à titre d’exemples non-exhaustifs, l’expression « en particulier » étant de nature indicative, de sorte que le ministre dispose nécessairement d’une marge d’appréciation.

Force est ensuite de constater que le ministre a refusé la délivrance d’une carte de conducteur de taxi au demandeur au motif qu’il ressort du bulletin n°3 de son casier judiciaire qu’en date du 11 janvier 2018, il a fait l’objet d’une condamnation par le tribunal correctionnel de Luxembourg à une amende de 1.500 euros, ainsi qu’à une peine d’emprisonnement de 9 mois pour « coups et blessures volontaires *** à la personne avec laquelle il vit habituellement », ces faits ayant eu lieu non seulement en date du 12 février 2017, tel que le prétend erronément le demandeur, mais également en date du 27 juin 2017. A cet égard, il convient encore de noter qu’au vu des inscriptions au bulletin n°3 du casier judiciaire du demandeur, celui-ci a, dans le même contexte, encore été condamné à une peine de prison de 6 mois, à une amende de 500 euros et à une interdiction de conduire de 18 mois, 3 Doc. parl. n° 6588, commentaire des articles, p. 16, ad article 10.

pour avoir, toujours en date du 12 février 2017, « conduit un véhicule sans être titulaire d’un permis de conduire valable., en l’espèce malgré une suspension administrative du permis de conduire ».

Si ces faits sont certes fortement condamnables et présentent une gravité certaine, il n’en reste pas moins, tel que le relève à juste titre le demandeur qu’ils remontent à 2017, c’est-à-dire à près de 6 ans au moment de la prise de la décision ministérielle de refus explicite. Force est ensuite de constater que le demandeur a purgé sa peine, laquelle a pris fin le 16 octobre 2020 et que depuis lors, il semble ne plus avoir eu affaire à la justice, son casier judiciaire, tel que figurant au dossier administratif, ne renseignant sur aucune infraction plus récente.

Au vu des circonstances de l’espèce et plus particulièrement au vu du fait que le demandeur semble ne plus avoir enfreint la loi depuis juin 2017 et que les condamnations dont il a fait l’objet, dont une a certes à sa base une infraction de la route grave, mais semble être directement liée, compte tenu de la date des faits, à celle de « coups et blessures volontaires *** à la personne avec laquelle il vit habituellement », semblent se situer dans le cadre d’un litige purement privé et familial, le tribunal arrive à la conclusion qu’il n’est pas établi en cause, faute de toute précision contraire fournie par l’Etat, que les faits dont s’est rendu coupable Monsieur (A) sont de nature à discréditer indubitablement son honorabilité professionnelle et partant d’exclure toute possibilité dans son chef d’exercer l’activité de conducteur de taxi. Cette conclusion s’impose d’autant plus qu’au vu du libellé de la décision ministérielle du 4 avril 2023, le ministre ne semble exclure la capacité du demandeur à transporter des personnes, alors qu’il y a expressément mentionné la possibilité pour celui-ci d’exercer « l’activité de conducteur de voiture de location avec chauffeur ». Il s’ensuit qu’en refusant de délivrer la carte de conducteur de taxi sollicitée, le ministre a dépassé sa marge d’appréciation et que le refus litigieux est à qualifier de disproportionné.

Au vu de ces considérations, il y a lieu de déclarer le recours sous analyse fondé et d’annuler les décisions explicite et implicite litigieuses.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour statuer sur le recours subsidiaire en réformation ;

reçoit le recours principal en annulation en la forme ;

partant annule la décision du ministre de la Mobilité et des Travaux publics du 4 avril 2023 portant refus de délivrer une carte de conducteur de taxi à Monsieur (A), ainsi que de la décision implicite de refus intervenue suite au recours gracieux du 30 mai 2023 dirigé à l’encontre de la prédite décision du 4 avril 2023 ;

quant au fond, le déclare justifié ;

condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 mai 2025 par :

Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Felix Hennico, attaché de justice délégué, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 mai 2025 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 49721
Date de la décision : 20/05/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 24/05/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-05-20;49721 ?

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