Tribunal administratif N° 48244 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48244 4e chambre Inscrit le 6 décembre 2022 Audience publique du 20 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), sans domicile connu, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 48244 du rôle et déposée le 6 décembre 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Brian HELLINCKX, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Guinée-
Bissau), de nationalité bissau-guinéenne, ayant été retenu au Centre de rétention au Findel au moment de l’introduction de sa requête, tendant, aux termes du dispositif de sa requête, à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 23 septembre 2022 ayant prononcé une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois d’une durée de cinq ans à son encontre ;
Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 27 janvier 2023, inscrite sous le numéro 48446 du rôle ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 mars 2023 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 6 avril 2023 par Maître Brian HELLINCKX, au nom et pour le compte de son mandant ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 mai 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Tom HANSEN en sa plaidoirie à l’audience publique du 4 février 2025.
En date du 11 novembre 2009, Monsieur (A) introduisit une demande de carte de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne, laquelle lui fut délivrée le 10 décembre 2009, valable jusqu’au 10 novembre 2014.
Monsieur (A) fut interpellé en date du 18 décembre 2009 par la police grand-ducale à la suite d’un vol à l’étalage. Il ressort encore du dossier administratif que Monsieur (A) fut placé en détention préventive au Centre pénitentiaire de Luxembourg du 30 novembre 2012 au 26 janvier 2013.
1 Monsieur (A) fut ensuite condamné à une peine d’emprisonnement de 18 mois par jugement d’une chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg en date du 13 juin 2014, respectivement par arrêt de la Cour d’appel de Luxembourg du 17 novembre 2014 ayant ramené la peine d’emprisonnement à 9 mois.
Monsieur (A) purgea encore une peine d’emprisonnement du 26 février 2015 au 4 avril 2016.
Il fut de nouveau placé en détention préventive en date du 15 juin 2018 dont il fut libéré en date du 20 juin 2018. Il fut ensuite placé en détention préventive en date du 23 janvier 2021 et il fut libéré du Centre pénitentiaire de Luxembourg en date du 14 avril 2021 après avoir subi une contrainte par corps de 5 jours.
En date du 17 mars 2022, Monsieur (A) fit encore l’objet d’un placement en détention préventive jusqu’au 23 septembre 2022.
Par arrêté du 23 septembre 2022, notifié à l’intéressé en mains propres à la même date, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », prit une décision de retour, assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans, ladite décision étant libellée comme suit :
« (…) Vu les articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu les antécédents judiciaires de l’intéressé ;
Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un visa en cours de validité ;
Considérant que l’intéressé ne justifie pas de ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d’origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel son admission est garantie ;
Considérant que l’intéressé n’est ni en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ni d’une autorisation de travail ;
Considérant que l’intéressé constitue une menace pour l’ordre public ;
Que par conséquent il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé ;
Arrête :
Art. 1er. - Le nommé (A), né le … à …, de nationalité bissau-guinéenne, est en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois.
Art. 2.- L’intéressé devra quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, le Guinée-Bissau, ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité, ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner.
2Art. 3.- Copie du présent arrêté est remise à l’intéressé.
Art. 4.- Une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans est prononcée à l’égard de l’intéressé à partir de la sortie du territoire luxembourgeois ou à partir de la sortie de l’espace Schengen (…) ».
Par arrêté séparé du même jour, le ministre ordonna le placement en rétention de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de l’arrêté en question.
En date du 30 septembre 2022, Monsieur (A) introduisit un recours gracieux, daté du 29 septembre 2022, à l’encontre de l’arrêté ministériel, précité, du 23 septembre 2022, recours gracieux qui est libellé comme suit :
« (…) J’ai l’honneur de vous informer que je suis le conseil de Monsieur (A), né le … à … (Guinée-Bissau), qui m’a chargé de la défense des intérêts suite à son placement au Centre de Rétention de l’État.
Par arrêté du 23 septembre 2022, dont copie en annexe, Vous avez prononcé une interdiction de territoire à l’encontre de mon mandant pour une durée de 5 ans. (Pièce n°1) Sur base de cette décision, Vous avez également arrêté que Monsieur (A) serait placé au Centre de Rétention de l’Etat en attendant son expulsion. (Pièce n°2) Vos décisions se basent sur plusieurs motifs, à savoir :
- l’absence de visa - l’absence de ressources suffisantes - l’absence d’autorisation de séjour - qu’il serait une menace pour l’ordre public - qu’il présenterait un risque de fuite.
S’il est vrai que Monsieur (A) ne dispose plus de visa et d’autorisation de séjour en cours de validité, il faut cependant préciser qu’il s’agit là d’un oubli se part de mettre ses papiers en ordre.
En effet, Monsieur (A) se trouve au Luxembourg depuis de nombreuses années.
Durant cette période il a fait la connaissance de Madame …, née le … à … (France) et demeurant à …, avec laquelle il a eu une fille nommée … en date du …. (Pièce n°3) Cependant cette relation n’a pas durée et Monsieur (A) s’est par la suite mis en relation avec Madame …., née le …, demeurant à …, avec laquelle il a également eu une fille, nommée …, en date du …. (Pièce n°4) Or, étant donné qu’il se trouvait en détention préventive au moment de la naissance de sa deuxième fille, il n’a à ce jour pas eu la possibilité de se présenter à l’officier d’état civil pour la reconnaître. (Pièce n°5).
La Cour Européenne des Droits de l’Homme a décidé, dans son arrêt Onur c/ Royaume-
Uni du 27 février 2009, que les liens familiaux entre les enfants et les parents existent de plein 3droit dès la naissance, que les parents forment un couple marié ou qu’ils vivent en union libre.
De plus, l’absence de cohabitation n’exclut pas l’existence de liens familiaux. Le fait que le père ait ou non reconnu cet enfant ne saurait valoir non plus étant donné que la participation à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, et la qualité et la régularité du contact seraient déterminantes.
De toute évidence, au vu de ses deux enfants qui vivent au Luxembourg et qui ont la nationalité luxembourgeoise, Monsieur (A) n’aurait pas eu de difficulté à obtenir les papiers nécessaires pour pouvoir légalement séjourner au Luxembourg.
De même, il serait inhumain d’interdire Monsieur (A) du territoire, alors que ces enfants s’y trouvent.
Qui plus est, cela serait contraire à ses obligations en tant que père.
Toute personne a le droit au respect de sa vie privée, ce qui englobe le droit au rassemblement familial.
Ensuite, il est également faux de prétendre que Monsieur (A) présenterait un danger pour l’ordre public.
A cet effet, il convient de préciser que bien que Monsieur (A) se soit déjà trouvé en détention préventive dans une autre affaire pendant plusieurs mois, que cette détention était tout à fait illégitime étant donné qu’il a été acquitté pour les faits qui lui étaient reprochés.
En ce qui concerne l’affaire dans laquelle il était détenu du 17 mars 2022 au 23 septembre 2022, il convient de rappeler le principe de la présomption d’innocence.
Finalement, suite à ce qui précède, j’ose prétendre que la présence de ses deux enfants de nationalité luxembourgeoise au Grand-Duché de Luxembourg suffit à endiguer tout risque de fuite de sa part.
Dès lors, Monsieur (A) demande respectueusement à ce que Votre décision soit revue, son interdiction de territoire soit levée, et par conséquent également l’arrêté de placement et d’expulsion pris sur base de cet arrêté. (…) ».
Par arrêté du 21 octobre 2022, le ministre prorogea pour une durée supplémentaire d’un mois le placement en rétention de Monsieur (A).
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 novembre 2022 et inscrite sous le numéro 48126, Monsieur (A) fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation du prédit arrêté ministériel du 21 octobre 2022, recours dont il fut débouté par un jugement du 14 novembre 2022.
Par arrêté du 21 novembre 2022, le ministre prorogea pour une durée supplémentaire d’un mois le placement en rétention de Monsieur (A).
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 décembre 2022 et inscrite sous le numéro 48244, Monsieur (A) fit introduire, d’après son dispositif auquel le tribunal est 4seul tenu, un recours en annulation de la prédite décision ministérielle datée du 23 septembre 2022 lui ayant interdit l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans.
Par requête déposée le 24 janvier 2023, inscrite sous le numéro 48446 du rôle, il fit également introduire un recours tendant, aux termes de son dispositif, à se voir « accorder l’autorisation de se maintenir au Luxembourg, en attendant que le recours au fond déposé le 6 décembre 2022 ait été vidé », recours dont il fut débouté par ordonnance présidentielle du 27 janvier 2023.
Etant donné que l’article 113 de la loi modifiée du 29 août 2008 relative à la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », prévoit un recours en annulation à exercer devant le tribunal administratif dans les formes et délai ordinaires, seul un recours en annulation a pu être introduit en l’espèce, lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur, après avoir passé en revue certains des faits et rétroactes retracés ci-avant, conclut à l’annulation de la décision déférée pour violation des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et 3-1 de la Convention de New York sur les droits de l’enfant, signée le 20 novembre 1989, ci-après désignées par « la CEDH », respectivement « la Convention relative aux droits de l’enfant », en ce qu’il serait le père de deux enfants nées en 2017, respectivement en 2022 et habitant au Luxembourg. Monsieur (A) précise, dans ce cadre, qu’au regard de sa détention préventive depuis le 17 mars 2022, ainsi que de son placement subséquent au Centre de rétention, il n’aurait pas été en mesure de reconnaître officiellement son enfant né en 2022.
Ainsi, au moment de la prise de l’arrêté ministériel litigieux du 23 septembre 2022, il aurait pu se prévaloir d’une relation, ainsi que d’une cohabitation, avec la mère de son enfant, né en 2022, depuis près de deux ans et demi, tel que cela ressortirait de l’attestation testimoniale de cette dernière, de sorte qu’il aurait disposé d’une vie familiale digne de protection, conformément à l’article 8 de la CEDH. Il entretiendrait également une relation étroite avec son enfant né en 2017, mais serait dans l’impossibilité de verser une attestation testimoniale de la part de la mère de ce dernier, « (…) au vu du droit qui existe (…) » entre lui et celle-ci.
Il en conclut que l’interdiction d’entrée sur le territoire litigieuse le priverait, pendant une durée de cinq ans, de ses enfants et obligerait les mères de ces derniers de les élever seules, sans son appui, ce qui constituerait une ingérence dans sa vie privée et familiale contraire à l’article 8 de la CEDH, de sorte que l’arrêté ministériel devrait encourir l’annulation de ce chef.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur s’empare encore de la circonstance que son rapatriement planifié pour le 2 mars 2023 aurait été annulé, suite à sa libération du Centre de rétention du 24 février 2023, pour en conclure que le ministre, en annulant son rapatriement, aurait nécessairement et implicitement également annulé l’ordre de quitter sans délai le territoire luxembourgeois prononcé à son encontre, de sorte que l’interdiction d’entrée sur ledit territoire aurait également perdu sa validité et devrait partant être considérée comme nulle.
Il conteste encore l’argumentation du délégué du gouvernement selon laquelle il serait dangereux, alors qu’il n’aurait été condamné, pour infraction à la loi modifiée du 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie, que pour avoir détenu du cannabis, Monsieur (A) précisant encore, dans ce cadre, avoir été acquitté des reproches de vol par effraction, inculpation ne résultant que de déclarations mensongères 5devant les forces de l’ordre luxembourgeoises de la part des personnes véritablement coupables. Le demandeur explique que sa condamnation pénale pour coups et blessures serait intervenue dans ce contexte, alors qu’il aurait donné un coup à la personne ayant fait de fausses déclarations à son égard, circonstance dûment retenue par les juges répressifs ne l’ayant condamné qu’à une amende. Par ailleurs, il n’aurait été condamné, par jugement du 23 février 2023, qu’à une amende pour avoir porté un coup de poing à un agent de sécurité, tout en expliquant avoir dû se défendre contre deux agents de sécurité l’ayant agressé, tout en ayant été grièvement blessé par la morsure de leur chien. Il fait finalement valoir qu’il devrait faire l’objet d’un non-lieu à poursuivre, sinon d’un acquittement pour les faits pour lesquels il aurait été en détention préventive, avant de faire l’objet d’un placement au Centre de rétention, alors qu’il aurait, une fois de plus, été innocent.
Le demandeur réitère finalement son moyen tiré d’une violation de l’article 8 de la CEDH, en réfutant l’affirmation du délégué du gouvernement selon laquelle il ne serait que le père d’un seul enfant, alors qu’en raison de sa détention préventive ainsi que de son placement au Centre de rétention subséquent il aurait été dans l’impossibilité de reconnaître officiellement son second enfant. Il ressortirait encore du dossier administratif, ainsi que des déclarations de la mère de son enfant né en 2017 qu’il en prendrait régulièrement des nouvelles, Monsieur (A) insistant finalement sur le fait que l’attestation testimoniale de la mère de son enfant né en 2022 ne saurait être remise en cause par un courrier électronique envoyé par une personne homonyme, s’agissant d’un nom de famille fréquent au Luxembourg.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour manquer de fondement.
Le tribunal doit, tout d’abord, relever que l’arrêté ministériel du 23 septembre 2022 a un triple objet pour (i) déclarer irrégulier le séjour de Monsieur (A) sur le territoire luxembourgeois, (ii) ordonner à ce dernier de quitter ledit territoire sans délai et (iii) prononcer une interdiction d’entrée sur ledit territoire pour une durée de cinq ans à son égard.
Force est ensuite au tribunal de constater que le recours sous examen vise exclusivement le volet de l’arrêté ministériel déféré ayant prononcé une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois à l’encontre de Monsieur (A), le recours ne véhiculant aucun moyen ayant trait aux deux autres volets dudit arrêté, de sorte que ces deux volets n’ont pas été déférés au tribunal à travers le recours sous analyse, et que l’objet de ce dernier doit partant se limiter à l’interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois.
Ce premier constat du tribunal l’amène à la conclusion que l’argumentation du demandeur consistant à contester sa dangerosité doit être écartée pour être dépourvue de pertinence dans le cadre du recours sous examen, alors qu’une telle considération n’a pas été et n’est pas à prendre en considération dans le cadre du prononcé d’une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois d’une durée maximale de cinq ans sur base de l’article 112, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, tel que la décision déférée au tribunal.
Il y a pareillement lieu de rejeter l’argumentation du demandeur consistant à affirmer que du fait de l’annulation de son rapatriement prévu pour le 2 mars 2023, le ministre aurait implicitement mais nécessairement annulé l’ordre de quitter le territoire sans délai prononcé à son encontre, ce qui, à son tour, aurait affecté la validité de l’interdiction d’entrée litigieuse.
Dans ce cadre, le tribunal doit, tout d’abord, relever que dans le cadre d’un recours en annulation, la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation 6de droit et de fait au jour où elle a été prise, la vérification de la matérialité des faits s’effectue, en principe, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, respectivement en fonction des éléments dont l’autorité a connaissance ou aurait dû avoir connaissance au moment où elle statue1, de sorte qu’un événement factuel postérieur à la décision déférée, tel que l’annulation d’un rapatriement, ne saurait avoir une quelconque incidence sur la légalité de cette dernière.
Il y a encore lieu de relever que l’annulation d’un acte d’exécution d’une décision administrative, comme en l’espèce le rapatriement du demandeur dans le cadre de la décision de retour prise à son encontre, est dépourvue d’effet en ce qui concerne la légalité de l’ordre de quitter le territoire dont les conditions ne sont pas remises en cause.
En ce qui concerne l’interdiction d’entrée sur le territoire de cinq ans à partir de la sortie du territoire luxembourgeois ou à partir de la sortie de l’espace Schengen dont est assortie la décision de retour, il y a lieu de relever que celle-ci est basée sur l’article 112, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, dans sa version applicable au jour de la prise de la décision litigieuse, aux termes duquel « (1) Les décisions de retour peuvent être assorties d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée maximale de cinq ans prononcée soit simultanément à la décision de retour, soit par décision séparée, soit par décision séparée postérieure. Le ministre prend en considération les circonstances propres à chaque cas. Le délai de l’interdiction d’entrée sur le territoire peut être supérieur à cinq ans si l’étranger constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale. (…) ».
Selon les enseignements de la Cour administrative2, l’article 112, précité, de la loi du 29 août 2008 est à interpréter en ce sens que le ministre est obligé d’assortir automatiquement une décision de retour ne comportant pour l’intéressé aucun délai de départ d’une décision d’interdiction d’entrée sur base de la considération que le terme « peuvent », utilisé dans ledit article 112, vise le seul choix à effectuer par le ministre de prendre une telle décision simultanément avec la décision de retour ou par un acte séparé, conformément à l’article 6, paragraphe (6) de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, et que l’obligation faite par le même article 112 de prendre en considération les circonstances propres à chaque cas se rapporte essentiellement à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre dans la fixation de la durée de l’interdiction d’entrée. L’article 112, paragraphe (1), précité, oblige donc le ministre à assortir une décision de retour d’une interdiction d’entrée sur le territoire dont la durée ne peut, en principe, pas excéder cinq ans, sauf dans l’hypothèse où l’intéressé constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale3.
Etant donné qu’il n’est pas remis en cause par le demandeur, à travers le recours sous examen lequel ne véhicule aucun moyen y relatif, que le ministre a valablement pu lui ordonner de quitter le territoire sans délai, le ministre était obligé d’assortir la décision de retour prononcée à son encontre, d’une interdiction d’entrée sur le territoire.
1 Trib. adm. prés., 23 mars 2012, n° 29992 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 25 et les autres références y citées.
2 Cour adm., 11 octobre 2018, n° 40795C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 747 et les autres références y citées.
3 Cour adm., 11 octobre 2018, n° 40795C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 760 et les autres références y citées.
7Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’invocation, par le demandeur, de sa qualité de père de deux enfants séjournant légalement sur le territoire luxembourgeois avec leurs mères respectifs, pour soutenir que l’interdiction d’entrer sur le territoire luxembourgeois, respectivement dans l’espace Schengen le séparerait de ses enfants pour une durée de cinq ans, ce qui constituerait une violation de son droit à une vie privée et familiale, tel que consacré à l’article 8 de la CEDH aux termes duquel : « 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la CEDH.
Dans ce contexte, il convient encore de relever que l’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non-nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit des Etats à contrôler l’immigration.
A cet égard, il échet d’emblée de préciser que l’article 8 de la CEDH ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis4. Ainsi, il convient d’ores et déjà de rejeter l’argumentation du demandeur tendant d’abord à réclamer la protection de sa vie privée et familiale du seul fait qu’il serait le père de deux enfants séjournant légalement au Luxembourg avec leurs mères respectives.
Il échet, ensuite, de préciser que pour pouvoir utilement invoquer ladite disposition, il faut que l’étranger concerné puisse faire état de l’existence d’une vie familiale effective et stable que le refus d’autorisation de séjour du ministre perturberait de façon disproportionnée.
Dans cet ordre d’idées, il convient de souligner que la notion de vie familiale ne se résume pas uniquement à l'existence d'un lien de parenté, mais requiert un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d'une vie familiale effective et stable, c'est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existante, voire préexistante à l'entrée sur le territoire national5.
Or, en l’espèce, force est de constater qu’au-delà de l’invocation de son lien de paternité avec deux enfants, résidents luxembourgeois, le tribunal doit relever, d’une part, que la paternité de Monsieur (A) avec l’enfant né en 2022 laisse d’être établie, constat qui n’est pas remis en cause par la production d’une attestation testimoniale, ne respectant par ailleurs pas les conditions de l’article 402 du Nouveau Code de procédure civile, de la mère dudit enfant déclarant vouloir héberger le demandeur, et, d’autre part, que le demandeur reste en défaut d’alléguer et, dès lors, d’établir l’existence d’une quelconque vie familiale entre lui et son enfant né en 2017, alors que le seul élément soumis à l’analyse du tribunal, dans ce cadre, se 4 Trib. adm., 11 juillet 2012, n° 29199 du rôle, Pas. adm 2024, V° Etrangers, n° 538.
5 Cour adm., 12 octobre 2004, n° 18241C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 488 (2e tiret) et les autres références y citées.
8résume à l’acte de naissance dudit enfant duquel il ressort que Monsieur (A) l’a reconnu le 14 février 2018.
Par ailleurs, le tribunal entend encore relever que si un étranger en situation irrégulière demeurant pendant plusieurs années sur le territoire luxembourgeois et y ayant créé une vie familiale effective, ce que le demandeur est resté en défaut d’établir, peut certes alléguer qu’une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois constitue une ingérence dans sa vie privée, il n’en reste pas moins que le caractère précaire de sa présence sur le territoire n’est pas sans pertinence dans l’analyse de la conformité d’une telle décision administrative avec notamment la condition de proportionnalité inscrite au second paragraphe de l’article 8 de la CEDH, étant rappelé que ledit article ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis6.
Il suit de l’ensemble de ces considérations qu’aucune violation de l’article 8 de la CEDH, respectivement du principe de proportionnalité ne saurait être retenue dans le chef du ministre, en l’espèce, alors qu’il n’apparaît pas que le ministre aurait fait un mauvais usage du pouvoir lui offert, au regard notamment de la situation individuelle du demandeur, de prononcer une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois.
En ce qui concerne, enfin, la fixation de la durée de l’interdiction d’entrée sur le territoire prononcée à l’encontre du demandeur, il y a lieu de relever que si le ministre a un large pouvoir d’appréciation en la matière, un tel pouvoir n’échappe cependant pas au contrôle des juridictions administratives, en ce que le ministre ne saurait verser dans l’arbitraire. Ainsi, confronté à une décision relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner le caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis, en ce sens qu’au cas où une disproportion devait être retenue par le tribunal administratif, celle-ci laisserait entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision7.
Le tribunal relève encore qu’en ce qui concerne les interdictions d’entrée sur le territoire jusqu’à cinq ans, la loi ne prévoit pas de critères fixes permettant de guider la décision du ministre, celle-ci exigeant, en revanche, que le ministre prenne en considération les circonstances propres à chaque cas, de sorte que le tribunal, dans le cadre de son contrôle, doit également procéder à une analyse in concreto du dossier administratif afin de vérifier, au regard des motifs avancés, si la durée de l’interdiction ne semble pas disproportionnée en l’espèce.
Dans la mesure où les critiques dirigées contre l’interdiction d’entrée sur le territoire s’appuient uniquement sur la prétendue situation familiale du demandeur dans l’espace Schengen et qu’il vient d’être retenu ci-avant que cette situation familiale telle qu’alléguée n’est pas effectivement et concrètement établie par des éléments de preuve tangibles, le tribunal est amené à conclure que le ministre n’a pas dépassé sa marge d’appréciation en assortissant sa décision de retour d’une interdiction d’entrée sur le territoire de cinq ans, interdiction qui n’est pas disproportionnée et dont la durée ne dépasse pas celle prévue à l’article 112 de la loi 6 Cour adm., 28 février 2013, n° 31852C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 488 (4e tiret) et les autres références y citées.
7 Trib. adm., 27 février 2013, n° 30584 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 742 et les autres références y Citées.
9du 29 août 2008 pour les ressortissants de pays tiers qui ne constituent pas une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale.
Eu égard aux développements qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait, en l’état actuel du dossier, utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 mai 2025 par :
Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 mai 2025 Le greffier du tribunal administratif 10