Tribunal administratif N° 52786 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52786 1re chambre Inscrit le 2 mai 2025 Audience publique du 19 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52786 du rôle et déposée le 2 mai 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Nour E. HELLAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Tunisie) et d’être de nationalité tunisienne, connu sous différents alias, actuellement assigné à résidence à la maison retour sise à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 16 avril 2025 de le transférer vers l’Allemagne comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en sa plaidoirie à l’audience publique du 14 mai 2025.
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Le 14 janvier 2025, Monsieur (A), connu sous différents alias, ci-après désigné par « Monsieur (A) », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judicaire, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg. Une demande de renseignements via le Centre de coopération policière et douanière (« CCPD ») révéla que Monsieur (A) était connu des autorités allemandes comme « gewalttätig, BTM-Konsument und BTM-Händler ; Zwei nationale Ausschreibungen zur Festnahme und eine zur Aufenthaltsermittlung ; kein Aufenthaltsrecht für Deutschland ».
Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur (A) avait précédemment introduit des demandes de protection internationale aux Pays-
Bas le 15 octobre 2016 et en Suisse le 2 septembre 2024.
Le 17 février 2025, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue de 1déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».
Le 21 février 2025, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues suisses une demande de reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, demande qui fut refusée par ces derniers par courrier du 24 février 2025, au motif que l’Allemagne serait l’Etat membre responsable pour l’examen de la demande de protection internationale du concerné.
Le 13 mars 2025, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues allemands une demande de reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par ces derniers le lendemain sur le fondement de l’article 18 (1) d) du même règlement.
Par décision du 16 avril 2025, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur (A) que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne sur base de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 14 janvier 2025 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »).
En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Allemagne qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains le rapport de Police Judiciaire du 14 janvier 2025 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 17 février 2025.
1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 14 janvier 2025, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.
La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale aux Pays-Bas en date du 15 octobre 2016 et une demande en Suisse en date du 2 septembre 2024.
Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 17 février 2025.
2 Sur base des informations à notre disposition, une demande de reprise en charge en vertu de l’article 18(1)b du règlement DIII a été adressée aux autorités suisses en date du 21 février 2025, demande qui fut refusée par lesdites autorités suisses en date du 24 février 2025 au motif que les autorités allemandes seraient responsables pour l’examen de votre demande de protection internationale. Sur base de cette information, une demande de reprise en charge en vertu de l’article 18(1)b du règlement DIII a été adressée aux autorités allemandes en date du 13 mars 2025, demande qui fut acceptée par lesdites autorités allemandes en date du 14 mars 2025 sur base de l’article 18 (1)d.
2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.
Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point d) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge – dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 – le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.
Par ailleurs, un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).
3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, la comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale aux Pays-Bas en date du 15 octobre 2016 et une demande en Suisse en date du 2 septembre 2024.
Selon vos déclarations, vous auriez quitté la Tunisie en 2009 pour vous rendre en Libye.
Une fois arrivé en Libye, vous auriez embarqué à bord d’un bateau à destination de l’Italie.
Après avoir séjourné plusieurs semaines en Italie, vous seriez parti en France, où vous auriez, toujours selon vos dires, vécu et exercé une activité professionnelle jusqu’en 2014.
3En 2014, vous auriez déménagé en Allemagne, où vous avez introduit une demande de protection internationale. Cette demande aurait été, selon vos déclarations, rejetée après plusieurs années de procédure. En 2016, vous seriez parti aux Pays-Bas, où les autorités néerlandaises ont procédé à la prise de vos empreintes digitales le 15 octobre 2016, sans que vous n’ayez, eu l’intention d’introduire une demande de protection internationale.
Par la suite, vous seriez retourné en Allemagne, où vous seriez devenu père d’une fille née en 2018. Après la naissance de votre fille, vous auriez, toujours selon vos déclarations, obtenu une autorisation de séjour ainsi qu’un droit au travail sur le territoire allemand. Vous seriez resté en Allemagne jusqu’en 2022, avant de retourner en France, où vous auriez résidé durant un an et plusieurs mois.
En septembre 2024, vous seriez parti en Suisse, où vous avez introduit une demande de protection internationale, en date du 2 septembre 2024. Cette demande aurait été rejetée après quelques semaines. Vous auriez alors quitté la Suisse par voie ferroviaire en direction du Luxembourg, où vous seriez arrivé au début du mois de janvier de l’année en cours.
Lors de votre entretien en date du 17 février 2025, vous avez mentionné ne pas être en bonne santé. Il y a cependant lieu de soulever que vous n’avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé actuel ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Allemagne qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Monsieur, vous déclarez ne pas vouloir retourner en Allemagne parce que vous auriez « tout perdu dans ce pays » (p.4 du rapport d’entretien Dublin III du 17 février 2025).
Rappelons à cet égard que l’Allemagne est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).
Il y a également lieu de soulever que l’Allemagne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Soulignons en outre que l’Allemagne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.
Par conséquent, l’Allemagne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.
Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Allemagne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
4En l’occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires allemandes.
Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que l’Allemagne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.
Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d’analyser les risques d’être soumis à des traitements inhumains au sens de l’article 3 CEDH dans votre pays d’origine, mais dans l’Etat de destination, en l’occurrence l’Allemagne. Vous ne faites valoir aucun indice que l’Allemagne ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l’article 13 CEDH ou que vous n’aviez ou n’auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions allemandes, notamment en vertu de l’article 46 de la directive « Procédure ».
Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Allemagne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.
Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l’exécution du transfert vers l’Allemagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers l’Allemagne, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction générale de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers l’Allemagne en informant les autorités allemandes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
5D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités allemandes n’ont pas été constatées. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la susdite décision ministérielle du 16 avril 2025.
Etant donné que l’article 35 (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28 (1) de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en l’espèce, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Prétentions des parties A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique avoir quitté la Tunisie pour des raisons qu’il aurait souhaité détailler « plus amplement » lors d’un entretien individuel. Il soutient qu’une audition supplémentaire en vue de recueillir son avis et ses observations aurait permis de prévoir « un minimum » de garanties légales dans son chef, alors qu’il se serait senti « délaissé […] durant son séjour, en Allemagne », en raison du fait qu’il y aurait été considéré comme une personne dépourvue de droits civiques et de droits fondamentaux.
Il soutient qu’il se serait « toujours trouvé » dans une situation « d’avoir à vivre dans la clandestinité » et de précarité, en ajoutant que tant sa situation sociale précaire que sa vulnérabilité se seraient amplifiées depuis son retour en Allemagne en raison du fait qu’il s’y serait retrouvé sans logement et sans possibilité de pouvoir vivre décemment. Il précise, dans ce contexte, qu’il serait le père d’un enfant né sur le territoire allemand.
Le demandeur continue en affirmant qu’il souffrirait « d’un mal incompréhensible, dont les causes ne semble[raient] pas être connues pour le moment ».
Il insiste sur le fait qu’il vivrait « en ménage », ou du moins qu’il vivrait une relation amoureuse avec Madame (B), une résidente luxembourgeoise qui serait enceinte.
En droit, le demandeur affirme qu’au vu de la décision ministérielle litigeuse et de son dossier médical, il pourrait se prévaloir de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 (1) du règlement Dublin III.
Il fait ensuite valoir qu’une acceptation de prise en charge d’un demandeur de protection internationale par un Etat membre pourrait être remise en cause par celui-ci lorsqu’il existerait des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre. Il ajoute qu’il n’en resterait pas moins que ces défaillances systémiques requerraient, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », mais aussi au regard des dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », qu’il entendrait invoquer.
Il donne, dans ce contexte, à considérer qu’il serait « au courant des longueurs de la procédure de demande d’asile en Hollande » et n’aurait, dès lors, « pas souhaité demander y demeurer » en ajoutant qu’« aucune demande n’a[urait] été enregistrée alors que les conditions sanitaires de son accueil auraient pu s’avérer être désastreuses et insurmontables ».
6 Finalement, le demandeur indique présenter des problèmes de santé pour lesquels il bénéficierait de soins adaptés au Luxembourg, tout en précisant qu’un renvoi vers « l’Italie » l’exposerait à des risques pour sa santé, ce qui constituerait une « rupture disproportionnée dans son parcours de soins », de sorte que l’autorité administrative aurait dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17 (1) du règlement Dublin III.
Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Appréciation du tribunal A titre liminaire, le tribunal rappelle qu’il n’est pas tenu par l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.
En ce qui concerne la légalité externe de la décision déférée, et plus particulièrement les affirmations du demandeur, formulées dans le seul résumé des faits de sa requête introductive d’instance, suivant lesquelles « [il] a[urait] quitté son pays d’origine la Tunisie, pour des raisons qu’il aurait aimé détailler plus amplement lors d’un entretien individuel », respectivement qu’« une audition supplémentaire en vue de recueillir l’avis et les observations du requérant aurait permis de prévoir un minimum de garanties […] alors qu’il, se sent […] délaissé, selon ses dires, durant son séjour, en Allemagne, sans qu’il soit considéré comme une personne pourvue des droits civiques et fondamentaux les plus élémentaires », force est de constater qu’outre le fait qu’il s’agit d’affirmations péremptoires non autrement circonstanciées, celles-ci ne sont basées sur aucune base légale, de sorte qu’elles ne sont pas de nature à constituer un moyen utilement soutenu en droit, mais au contraire, un moyen simplement suggéré dont le tribunal ne saurait être valablement saisi. En effet, il n’incombe pas au tribunal de rechercher les éventuels argumentaires susceptibles de sous-tendre un moyen non explicité, étant encore relevé que le demandeur a été convoqué à un entretien auprès du ministère le 17 février 2025 qui a eu pour objet de déterminer l’Etat membre responsable de sa demande de protection internationale dans le cadre du règlement Dublin III, à la fin duquel le demandeur aurait pu faire des « observations éventuelles, informations complémentaires, déclarations supplémentaires », ce dont il s’est toutefois abstenu. Le moyen afférent est dès lors rejeté.
Le tribunal relève ensuite, quant à la légalité interne, qu’en vertu de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise en charge ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
L’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités allemandes pour procéder à l’examen de la demande de 7protection internationale de Monsieur (A), prévoit que : « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de: […] reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre ».
Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui où le demandeur a déposé une demande de protection internationale, laquelle a fait l’objet d’une décision de refus.
Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer Monsieur (A) vers l’Allemagne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur est l’Allemagne, où il avait, de manière non contestée, infructueusement déposé une demande de protection internationale et que les autorités allemandes ont accepté de le reprendre en charge en date du 14 mars 2025, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers l’Allemagne.
Force est ensuite de constater que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de l’Allemagne, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais il soutient que son transfert vers ledit pays violerait l’article 17 (1) du règlement Dublin III, ainsi que, de l’entendement du tribunal, l’article 3 (2), alinéa 2 du même règlement et les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
A cet égard, le tribunal précise que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17 (1) du même règlement, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.
Pour autant qu’à travers ses développements selon lesquels une acceptation de prise en charge d’un demandeur de protection internationale par un Etat membre pourrait être remise en cause par celui-ci lorsqu’il existerait des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, le demandeur ait entendu se prévaloir des dispositions de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, non expressément invoquées en l’espèce, le tribunal relève qu’aux termes de cet article : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».
8 Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.
La situation visée par ledit article 3 (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé1.
A cet égard, le tribunal relève que l’Allemagne est tenue au respect, en adhérant aux textes légaux communautaires et en tant que signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres, ainsi que les Etats y adhérant, peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4. Dans un arrêt du 16 février 20175, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile6, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres et les Etats y adhérant.
1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.
2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform, point 78.
3 Ibidem, point. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.
4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.
5 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.
6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.
9 Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives7, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE8, des défaillances systémiques au sens de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20179.
Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201910 que, pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine11. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant12.
Le demandeur remettant en question la présomption du respect par l’Allemagne des droits fondamentaux puisqu’il indique y risquer des traitements inhumains et dégradants, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser, étant, à cet égard, relevé que sa situation est celle d’un demandeur de protection internationale débouté, de sorte que c’est sur cette toile de fond que ses contestations doivent être examinées, le tribunal se devant encore de relever que les affirmations de Monsieur (A) selon lesquelles il serait « au courant des longueurs de la procédure d’asile en Hollande » et que « les conditions sanitaires de son accueil auraient pu s’avérer désastreuses et insurmontables » sont d’ores et déjà à rejeter pour défaut de pertinence, la décision ministérielle n’ayant pas pour objet le transfert du concerné vers les Pays-
Bas.
Le tribunal constate toutefois que le demandeur ne produit aucun élément probant, tel que des rapports d’organisations internationales, qui permettrait d’appuyer son argumentation fondée sur l’existence, en Allemagne, de défaillances systémiques au sens de l’article 3 (2), 7 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
8 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, pt. 62.
9 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.
10 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt. 91.
11 Ibid., pt. 92.
12 Ibid., pt. 93.
10alinéa 2 du règlement Dublin III, qui atteindraient le seuil de gravité tel que décrit ci-avant, de même qu’il n’invoque aucune jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, dénommée ci-après « la CourEDH », relative à une suspension générale des transferts vers l’Allemagne, voire une demande en ce sens de la part du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, dénommé ci-après « l’UNHCR ». Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers l’Allemagne dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile allemande qui exposerait les demandeurs de protection internationale à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.
En ce qui concerne la question d’un accès éventuellement limité, voire impossible à des conditions d’accueil minimales des personnes transférées sous le règlement Dublin III en Allemagne, le tribunal relève que la directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte], désignée ci-après par « la directive Accueil », prévoit explicitement la faculté de « limiter les possibilités d’abus du système d’accueil en précisant les circonstances dans lesquelles le bénéfice des conditions matérielles d’accueil pour les demandeurs peut être limité ou retiré, tout en garantissant un niveau de vie digne à tous les demandeurs » 13. L’article 20 de cette directive prévoit, pour sa part, explicitement la possibilité pour les Etats membres notamment de limiter, voire de retirer, le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, notamment lorsqu’un demandeur « […] c) a introduit une demande ultérieure telle que définie à l’article 2, point q), de la directive 2013/32/UE […] », c’est-à- dire une nouvelle demande de protection internationale « présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel l’autorité responsable de la détermination a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite, conformément à l’article 28, paragraphe 1 ».
De même, si le 11ème considérant du règlement Dublin III prévoit explicitement que la directive Accueil est applicable aux demandeurs d’asile soumis à une procédure Dublin, il admet également explicitement l’application des limitations figurant dans cette même directive Accueil.
Il est constant en cause que le demandeur a été définitivement débouté de sa demande de protection internationale introduite en Allemagne, cet Etat membre ayant accepté sa reprise en charge sur base de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, précité. En cas de transfert vers l’Allemagne, le demandeur devra, dans ces conditions, soit y être considéré comme un migrant en situation irrégulière, à défaut d’y introduire une nouvelle demande de protection internationale, et, partant en sa qualité de demandeur d’asile débouté comme sortant du champ d’application de la Convention de Genève, soit, dans l’hypothèse de l’introduction d’une nouvelle demande, comme demandeur ayant formulé une demande ultérieure au sens de la législation européenne, de sorte à pouvoir, théoriquement, se voir opposer la limitation, voire le retrait de l’accès aux conditions matérielles d’accueil.
Le tribunal relève encore que la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire, législation régissant les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale au Luxembourg, s’applique à tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle aucune décision finale n’a encore été prise, de sorte à exclure les 13 Considérant 25.
11demandeurs ayant formulé une « demande ultérieure », tandis que l’article 22 de la même loi permet au directeur de l’Office national de l’accueil de limiter ou de retirer le bénéfice des conditions matérielles d’accueil lorsque le demandeur a notamment déjà introduit une demande de protection internationale au Grand-Duché de Luxembourg.
Dès lors, le fait même de limiter ou de restreindre totalement ou partiellement l’accès aux conditions matérielles d’accueil à des migrants ayant introduit une demande ultérieure après avoir essuyé un premier refus définitif à leur demande de protection internationale est autorisé tant par la législation européenne que, à titre de mise en perspective, par la législation nationale luxembourgeoise.
Ainsi, même à admettre que l’Allemagne ait adopté une politique visant à restreindre l’accès au système d’accueil à certaines catégories de personnes et notamment à celles y ayant déjà été définitivement déboutées de leur demande de protection internationale, une telle politique ne peut pas per se être constitutive d’une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, d’une part, que le demandeur n’a pas soumis au tribunal des éléments suffisamment convaincants permettant de retenir qu’il encourt un risque de se voir confronté à une limitation de facto ou en vertu de dispositions légales ou réglementaires allemandes des conditions d’accueil qui serait contraire aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte et, d’autre part, à supposer qu’en cas de retour du demandeur dans ledit pays, il serait confronté à une limitation de l’accès aux conditions d’accueil, une telle limitation ne constitue pas per se une violation de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte, sous réserve d’une possibilité d’accès, à l’instar de toute autre personne en situation de détresse, en ce compris les nationaux, à un dispositif d’aide d’urgence.
La question litigieuse, en l’espèce, se pose dès lors davantage en termes d’accès à l’aide sociale d’urgence de droit commun plutôt qu’en termes d’accès au système d’accueil spécifiquement mis en place pour les besoins des demandeurs de protection internationale.
Le tribunal relève, à cet égard, que la CourEDH a considéré de manière régulière que l’article 3 de la CEDH ne saurait être interprété comme obligeant les Etats membres à garantir un droit au logement à toute personne relevant de leur juridiction. Il ne saurait pas non plus être tiré de l’article 3 de la CEDH un devoir général de fournir aux réfugiés une assistance financière pour que ceux-ci puissent maintenir un certain niveau de vie14.
La CourEDH a de même retenu qu’aucune disposition de la CEDH ne saurait être interprétée comme conférant à une personne le droit de jouir d’un niveau de vie donné ou le droit d’obtenir une aide financière de l’Etat15.
Par ailleurs, un Etat ne peut pas se voir reprocher de vouloir inciter une personne définitivement déboutée de sa demande de protection internationale et a fortiori en situation irrégulière de quitter volontairement le territoire sur lequel elle réside irrégulièrement ; le fait d’être, le cas échéant, exposée à la nécessité d’entreprendre des démarches administratives plus contraignantes pour obtenir l’assistance, telle que la mise à disposition d’un logement gratuit de l’Etat où la personne en question se maintient en dépit d’une décision de refus, respectivement 14 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12, points 94 et 95, et les jurisprudences y citées.
15 CourEDH, 20 avril 1999, Wasilewski c. Pologne, n° 32734/96.
12de ne pouvoir bénéficier que d’une aide plus limitée, ne saurait être considéré comme impliquant ipso facto un traitement inhumain et dégradant qui serait contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH.
Il convient, par ailleurs, de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’aide allemand - que ce soit celui offert aux demandeurs de protection internationale ou celui accessible à tous les résidents allemands - était à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates ; il en va de même si le demandeur devait estimer que le système allemand n’était pas conforme aux normes européennes.
Le tribunal est dès lors amené à conclure que le demandeur n’apporte pas la preuve que, dans son cas précis, ses droits tels que consacrés par les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, ne seraient pas garantis en cas de retour en Allemagne, ni que, de manière générale, les droits des demandeurs d’une protection internationale déboutés, voire ceux ayant introduit une seconde demande après avoir été déboutés d’une première, ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés en Allemagne, ou encore que ceux-ci n’y auraient aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates.
Dans ces circonstances, le tribunal retient que le moyen tiré d’une violation de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III encourt le rejet.
Cependant, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable16.
Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte17, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant18.
Il appartient dès lors au tribunal de vérifier s’il existe, dans le chef du demandeur, un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de gravité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, telles que la 16 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12 ; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.
17 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.
18 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt. 88.
13durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé19.
Il ne se dégage toutefois pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que personnellement et concrètement, les droits du demandeur n’auraient pas été respectés en Allemagne dans le cadre du traitement de sa demande de protection internationale y introduite.
Il ne se dégage pas non plus du dossier qu’au cours du traitement de sa demande de protection internationale, ses conditions d’existence dans ce pays aient atteint un degré de pénibilité et de gravité tel qu’elles puissent être qualifiées de traitement inhumain et dégradant.
Le tribunal constate, à cet égard, que le demandeur reste en défaut d’expliquer plus amplement son affirmation selon laquelle il aurait vécu dans la clandestinité et dans la précarité en raison du fait qu’il se serait retrouvé sans logement et sans possibilité de pouvoir vivre décemment, dans la mesure où il déclare également, tant devant la police que devant l’agent ministériel ayant mené son entretien Dublin III, avoir obtenu une autorisation de travail en Allemagne, et surtout d’y avoir vécu pendant onze ans. Compte tenu de la durée de son séjour – supérieure à une décennie – en Allemagne, le tribunal considère que le demandeur n’y a pas été exposé à des conditions de vie d’une pénibilité et d’une gravité telles qu’elles puissent être qualifiées de traitement inhumain et dégradant.
S’agissant ensuite de l’état de santé du demandeur, il convient de relever qu’il ne se dégage pas de l’arrêt de la CJUE du 16 février 2017, précité, que l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable pour l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur de protection internationale doit, en tout état de cause et préalablement à la prise d’une décision de transfert et par avis médical, s’assurer automatiquement que le transfert n’entraîne pas une détérioration significative et irrémédiable de l’état de santé de l’intéressé pour toute personne déclarant avoir un quelconque problème de santé.
En effet, dans l’arrêt en question, la CJUE a d’abord mis en évidence le fait, en ce qui concerne les conditions d’accueil et les soins disponibles dans l’Etat membre responsable, que les Etats membres liés par la directive Accueil sont tenus, y compris dans le cadre de la procédure au titre du règlement Dublin III, conformément aux articles 17 à 19 de cette directive, de fournir aux demandeurs d’asile les soins médicaux et l’assistance médicale nécessaires comportant, au minimum, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves: « Dans ces conditions, et conformément à la confiance mutuelle que s’accordent les États membres, il existe une forte présomption que les traitements médicaux offerts aux demandeurs d’asile dans les États membres seront adéquats ». Elle a retenu ensuite que « […] dans des circonstances dans lesquelles le transfert d’un demandeur d’asile, présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave, entraînerait le risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens [de l’article 4 de la Charte]. En conséquence, dès lors qu’un demandeur d’asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l’article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l’État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments. Elles sont, au contraire, tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de 19 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarahel c. Suisse, n° 29217/12 ; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.
14la légalité d’une décision de transfert, dès lors que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-ci. […] »20. Dans une telle situation, il appartiendra aux autorités concernées « […] d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur l’état de santé de l’intéressé, en prenant les précautions nécessaires pour que son transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de cette personne. Dans l’hypothèse où, compte tenu de la particulière gravité de l’affection du demandeur d’asile concerné, la prise desdites précautions ne suffirait pas à assurer que son transfert n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, il incombe aux autorités de l’État membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de l’intéressé, et ce aussi longtemps que son état ne le rend pas apte à un tel transfert […] »21.
La CJUE a souligné que dans une telle situation il appartient alors à ces autorités « d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur l’état de santé de l’intéressé » et qu’en particulier « lorsqu’il s’agit d’une affection grave d’ordre psychiatrique, de ne pas s’arrêter aux seules conséquences du transport physique de la personne concernée d’un État membre à un autre, mais de prendre en considération l’ensemble des conséquences significatives et irrémédiables qui résulteraient du transfert » et que dans ce cadre, « les autorités de l’État membre concerné doivent vérifier si l’état de santé de la personne en cause pourra être sauvegardé de manière appropriée et suffisante en prenant les précautions envisagées par le règlement Dublin III et, dans l’affirmative, mettre en œuvre ces précautions »22, tout en relevant que suivant la jurisprudence de la CourEDH « l’article 3 de la CEDH n’oblige, en principe, pas un État contractant à s’abstenir de procéder à l’éloignement ou à l’expulsion d’une personne lorsque celle-ci est apte à voyager et à condition que les mesures nécessaires, appropriées et adaptées à l’état de la personne soient prises à cet égard »23.
La CJUE s’est, par ailleurs, référée à la jurisprudence de la CourEDH suivant laquelle, s’agissant de circonstances dans lesquelles les difficultés d’ordre psychiatrique que connaît un demandeur d’asile révèlent chez celui-ci des tendances suicidaires, le fait qu’une personne dont l’éloignement a été ordonné fait des menaces de suicide n’astreint pas l’Etat contractant à s’abstenir d’exécuter la mesure envisagée s’il prend des mesures concrètes pour en prévenir la réalisation.
La CJUE a encore relevé la coopération entre l’Etat membre devant procéder au transfert et l’Etat membre responsable afin d’assurer que le demandeur d’asile concerné reçoive des soins de santé pendant et à l’issue du transfert, l’Etat membre procédant au transfert devant s’assurer que le demandeur d’asile concerné bénéficie de soins dès son arrivée dans l’Etat membre responsable, les articles 31 et 32 du règlement Dublin III imposant, en effet, à l’Etat membre procédant au transfert de communiquer à l’Etat membre responsable les informations concernant l’état de santé du demandeur d’asile qui sont de nature à permettre à cet Etat membre de lui apporter les soins de santé urgents indispensables à la sauvegarde de ses intérêts essentiels.
Ainsi, ce n’est que dans l’hypothèse où la prise de précautions de la part de l’Etat membre procédant au transfert ne suffirait pas, compte tenu de la gravité particulière de l’affection du demandeur d’asile concerné, à assurer que le transfert de celui-ci n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, qu’il incomberait aux 20 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 74 et 75.
21 Ibidem, points 76 à 85 et point 96.
22 Ibidem, points 76 et 77.
23 Ibidem, points 78.
15autorités de l’Etat membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de cette personne, et ce aussi longtemps que son état ne la rend pas apte à un tel transfert.
Il appartient dès lors au tribunal, compte tenu des développements du demandeur à cet égard, de vérifier si l’état de santé de celui-ci présente une gravité telle qu’il y a de sérieux doutes de croire que son transfert entraînerait pour lui un risque réel de traitements inhumains et dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte et de l’article 3 de la CEDH24.
Le tribunal relève que Monsieur (A) a déclaré, au cours de son entretien Dublin III : « Je ne vais pas bien en ce moment, vous le voyez dans mon visage »25, tandis que dans la requête introductive d’instance, il affirme souffrir « d’un mal incompréhensible, dont les causes ne semblent pas être connues pour le moment ». Il reste toutefois en défaut de prouver son état de santé actuel, dans la mesure où il verse uniquement deux ordonnances médicales, dont l’une contient une prescription pour un médicament aux fins d’un traitement de trente jours et l’autre prescrit des soins à domicile par la « délivrance du traitement par infirmier 3 fois par jour tous les jours y co[m]pris week-end et jours fériés pendant 30 jours ». Or, les deux documents ainsi produits ne comportent aucune indication relative à la maladie dont Monsieur (A) souffrirait. Le demandeur lui-même n’est, d’ailleurs, pas en mesure de préciser la nature de son affectation, de sorte que le tribunal se trouve, au jour où il statue, dans l’impossibilité d’apprécier l’état de santé du demandeur et, plus particulièrement, les conséquences éventuelles qu’un transfert vers l’Allemagne pourrait avoir sur celui-ci.
A ceci s’ajoute que le demandeur reste, en tout état de cause, en défaut de verser une quelconque pièce, voire de soumettre un quelconque indice concret, susceptible de laisser conclure qu’il ne pourrait pas accéder en Allemagne aux soins médicaux éventuellement nécessaires et plus particulièrement au traitement médical dont il pourrait, le cas échéant, avoir besoin, respectivement que ce même pays ne respecterait pas les obligations lui imposées à travers la CEDH, la Charte ou encore le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966 et entré en vigueur le 3 janvier 1976.
Enfin, et même à admettre que le demandeur ne puisse pas accéder, en tant que demandeur de protection internationale débouté de sa demande, au système d’aide allemand, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit internes, voire devant les instances européennes adéquates.
A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose de toute façon pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32 (1), alinéa 1er une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers l’Allemagne par le biais de la communication aux autorités allemandes des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant 24 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.
25 Page 2 du rapport d’entretien Dublin III.
16conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il n’est pas démontré que le transfert du demandeur serait contraire à l’article 3 de la CEDH, respectivement à l’article 4 de la Charte en raison de son état de santé.
Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 17 (1) du règlement Dublin III, au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, il y a lieu de relever que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ».
A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres26, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201727.
Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge28, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration29.
En l’espèce, le demandeur invoque, à ce titre, son état de santé.
Or, le tribunal vient ci-avant de retenir qu’un transfert du demandeur vers l’Allemagne n’est pas de nature à l’exposer à un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants, alors que, d’une part, la preuve de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, au sens de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, n’a pas été rapportée en l’espèce et, d’autre part, le demandeur n’a pas non plus établi que compte tenu de sa situation personnelle, en ce compris son état de santé, un transfert vers l’Allemagne l’exposerait à un tel risque, nonobstant le constat de l’absence de défaillances systémiques, au sens de cette dernière disposition du règlement Dublin III.
Dans ces circonstances, le tribunal conclut qu’il n’est pas établi que compte tenu de l’état de santé du demandeur, le ministre se serait mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 (1), précité, du règlement Dublin III.
26 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.
27 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.
28 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 64 et les autres références y citées.
29 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en réformation, n° 12 et les autres références y citées.
17Le moyen tiré de la violation de l’article 17 (1) du règlement Dublin III encourt, dès lors, le rejet.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous examen est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 mai 2025 par :
Daniel WEBER, vice-président, Annemarie THEIS, premier juge, Izabela GOLINSKA, attaché de justice délégué, en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Daniel WEBER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 mai 2025 Le greffier du tribunal administratif 18