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19/05/2025 | LUXEMBOURG | N°52740

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 mai 2025, 52740


Tribunal administratif N° 52740 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52740 5e chambre Inscrit le 22 avril 2025 Audience publique extraordinaire du 19 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52740 du rôle et déposée le 22 avril 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Lukman AND

IC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au no...

Tribunal administratif N° 52740 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52740 5e chambre Inscrit le 22 avril 2025 Audience publique extraordinaire du 19 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52740 du rôle et déposée le 22 avril 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Lukman ANDIC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Libye) et être de nationalité libyenne, demeurant actuellement à la …, sise à L-… et ayant élu domicile en l’étude de Maître Lukman ANDIC, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 7 avril 2025 de le transférer vers l’Espagne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 mai 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Mathieu WERNOTH, en remplacement de Maître Lukman ANDIC, et Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 mai 2025.

Le 18 novembre 2024, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg Une recherche effectuée toujours le 18 novembre 2024 dans la base de données EURODAC ne donna aucun résultat (« No Hit »), tandis que celle effectuée dans la base de données du système d’information sur les visas (« VIS ») indiqua que l’Espagne avait délivré à l’intéressé un visa valable du 6 au 20 novembre 2024.

1 Le 6 décembre 2024, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».

Le 15 janvier 2025, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues espagnols une demande de reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 12, paragraphe (2) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée « by default » par ces derniers en date du 1er avril 2025 sur cette même base.

Par arrêté du 30 janvier 2025, notifié à l’intéressé le même jour en mains propres, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », ordonna l’assignation à résidence de Monsieur (A) à … pour une durée de trois mois.

Par décision du 7 avril 2025, expédiée par courrier recommandé le 9 avril 2025, le ministre informa Monsieur (A) que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Espagne sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des articles 12, paragraphe (2) et 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 18 novembre 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions des articles 12(2) et 22(7) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Espagne qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains, le rapport de Police Judiciaire du 18 novembre 2024 et le rapport d’entretien Dublin III du 6 décembre 2024 établi dans le cadre de votre demande de protection internationale.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date 18 novembre 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

2 La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac n’a révélé aucun résultat.

Il ressort cependant des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale, notamment de votre passeport que vous avez remis lors de l’introduction de votre demande de protection internationale, que l’Espagne vous a délivré un visa valable du 6 novembre 2024 au 20 novembre 2024 qui vous a permis d’entrer sur le territoire des Etats membres en Espagne.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 6 décembre 2024.

Sur cette base, une demande de prise en charge en vertu de l’article 12(2) du règlement DIII a été adressée aux autorités espagnoles en date du 15 janvier 2025, demande qui fut tacitement acceptée par lesdites autorités espagnoles en date du 16 mars 2025 conformément à l’article 22(7) du règlement DIII.

En date du 1er avril 2025, les autorités espagnoles ont confirmé leur responsabilité, en envoyant un accord explicite basé sur l’article 12(2) du règlement DIII.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

L’article 12(2) du règlement DIII dispose que, si le demandeur est titulaire d’un visa en cours de validité au moment de l’introduction de sa demande de protection internationale dans un Etat membre, l’État membre qui a délivré le visa est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.

La responsabilité de l’Espagne est acquise suivant l’article 22(7) du règlement DIII en ce que l’absence de réponse à l’expiration d’un délai de deux mois équivaut à l’acceptation de la requête, et entraîne l’obligation de prendre en charge la personne concernée.

Un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans 3 son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale, notamment de votre passeport, que l’Espagne vous a délivré un visa avec lequel vous avez pu entrer sur le territoire des Etats membres en Espagne en date du 10 novembre 2024.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté la Lybie pour vous rendre en Tunisie le 10 novembre 2024. Le jour-même, c’est-à-dire le 10 novembre 2024, vous auriez pris un vol de … vers … en Espagne. Vous seriez entré sur le territoire espagnol grâce à votre visa espagnol en date du 10 novembre 2024.

Après moins d’une semaine sur le territoire espagnol, vous auriez quitté l’Espagne afin de vous rendre au Luxembourg. Vous auriez traversé la France en bus et seriez arrivé au Luxembourg le 16 novembre 2024.

Lors de votre entretien DIII, vous avez mentionné aller bien. Force est donc de constater que vous n’avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Espagne qui est l’Etat membre responsable de l’examen de votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que l’Espagne est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l’Espagne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l’Espagne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, l’Espagne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.

4 Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Espagne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Espagne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Espagne, d’introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités espagnoles ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités espagnoles compétentes, notamment judiciaires.

Les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l’application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers l’Espagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers l’Espagne, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction générale de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers l’Espagne en informant les autorités espagnoles conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

5 D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités espagnoles n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 avril 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 7 avril 2025.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation sous analyse, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et au-delà des faits et rétroactes retranscrits ci-dessus, le demandeur explique que les recherches effectuées par la direction de l’Immigration auraient certes révélé qu’il se serait vu accorder un « visa » par l’Espagne pour la période du 6 au 20 novembre 2024, mais il donne à considérer qu’il n’aurait jamais formulé de demande de protection internationale en Espagne au motif que des milices libyennes seraient présentes sur le territoire espagnol. Il ajoute qu’il ne pourrait pas accepter la motivation de la décision ministérielle et qu’il souhaiterait un examen beaucoup plus approfondi en fait et en droit de la part du tribunal.

En droit, le demandeur se prévaut, en premier lieu, d’une violation de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III pour conclure à une erreur manifeste d’appréciation de la part du ministre par rapport à sa propre situation particulière, eu égard aux conditions matérielles d’accueil et à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Espagne. Il conteste l’affirmation du ministre suivant laquelle l’Espagne bénéficierait de la confiance mutuelle entre Etats membres et qu’elle respecterait ses obligations internationales, en se référant tant à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, ci-après désignée par la « CJUE », suivant laquelle il ne s’agirait que d’une présomption réfragable, qu’à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, dénommée ci-après la « CourEDH », relative à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par la « CEDH ».

Le demandeur reproche, dans ce contexte, au ministre de s’être limité à affirmer de manière non circonstanciée et sans aucune preuve documentaire à la page trois de sa décision que l’Espagne serait liée à la CEDH, à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par la « Charte », à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par la « Convention de Genève », ainsi qu’à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ci-après désignée par la « Convention torture ».

Le demandeur fait valoir qu’un Etat membre ne pourrait pas ignorer l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans un autre Etat membre lorsque des rapports et des articles de presse feraient état d’une situation problématique, alors que l’Etat membre devrait s’assurer 6 que les droits fondamentaux du demandeur ne seraient pas mis à mal après son transfert. Le ministre ne pourrait pas se limiter à constater un défaut de preuve du demandeur dans l’existence d’un risque de traitement dégradant. Le demandeur affirme qu’il aurait justement produit des articles de presse qui rapporteraient la preuve que les conditions d’hébergement, de même que les conditions de traitement des demandes de protection internationales seraient « pour le moins catastrophiques ». Il ajoute que seules peu de demandes de protection internationale seraient accordées en Epargne.

Il serait partant erroné de soutenir que l’Espagne serait un « pays sûr » pour les demandeurs d’asile au motif que ce pays aurait ratifié « les différentes conventions internationales prohibant les actes de traitements inhumains et dégradants », compte tenu de l’existence de défaillances systémiques concernant les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Espagne. Le demandeur renvoie, dans ce contexte, à un article de presse daté du 18 juin 2024 publié sur le site internet « EURACTIV.com », ainsi qu’à un « Country Report » du Conseil de l’Europe daté du 24 novembre 2022, intitulé « REPORT FOLLOWING […] VISIT TO SPAIN FROM 21 TO 25 NOVEMBRE 2022 ».

Ensuite, le demandeur se prévaut d’un arrêt de la CJUE du 29 juin 2023 (C-756/21), lequel aurait trait à l’instruction de la demande d’asile, pour reprocher au ministre de ne pas avoir procédé à un examen individuel et approfondi de sa situation au motif qu’il n’aurait pas tenu compte de la présence de milices libyennes en Espagne dans sa décision. Or, la CJUE imposerait aux Etats membres de procéder à un tel examen individuel et rigoureux de la situation des demandeurs de protection internationale.

Il reproche également au ministre d’avoir « passé sous silence » les raisons pour lesquelles il n’aurait pas introduit de demande de protection internationale en Espagne.

Le demandeur soutient encore que le règlement Dublin III n’exigerait pas qu’un demandeur ait déjà subi des mauvais traitements dans un Etat membre pour qu’un transfert n’ait pas lieu, alors qu’il suffirait que le risque de subir de tels mauvais traitements soit établi.

En second lieu, le demandeur se prévaut d’une violation de l’article 3 de la CEDH en se référant à un arrêt du 2 juillet 2020, affaire N.H. et autres c. France, de la CourEDH, laquelle aurait reconnu une violation par la France dans les conditions d’accueil et plus précisément d’hébergement des réfugiés. Il argumente que la production de l’article de presse et du rapport du 24 novembre 2022 à l’appui de sa requête seraient de nature à démontrer l’existence de défaillances systémiques dans le cadre de la procédure d’accueil des demandeurs de protection internationales en Espagne, et que l’accès au logement et aux soins ne serait pas assuré avec suffisance au motif qu’elle dépendrait de la région dans laquelle le demandeur concerné se situerait.

En troisième et dernier lieu, le demandeur se prévaut d’une violation de l’article 13 de la CEDH pour soutenir que les juges nationaux seraient tenus d’opérer un « double contrôle de la décision de transfert Dublin », à savoir, d’une part, un contrôle de la situation de droit et de fait dans l’Etat membre requis, et, d’autre part, un contrôle en fait et en droit de l’application des critères de détermination de l’Etat membre responsable d’une demande d’asile par les autorités nationales qui prendraient la décision de transfert. Le demandeur en déduit qu’« [e]n 7 l'espèce, cela signifie que les requérants … et … sont en droit de voir la légalité des motifs de droit et de fait ayant respectivement conduit les autorités nationales du Pays-Bas et de la Suède à leur notifier une décision de transfert contrôlée par les juges. ». Il ajoute que la décision ministérielle déférée ne tiendrait pas compte des conditions de traitements des demandes d’asile par l’Espagne, ni de la jurisprudence rendue en la matière par la CJUE et par la CEDH, ce qui serait constitutif d’une violation de l’article 13 de la CEDH.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Quant à la légalité externe de la décision ministérielle déférée, le tribunal relève que le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir motivé à suffisance sa décision.

L’article 34, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « […] Toute décision négative est motivée en fait et en droit […] ».

Or, force est au tribunal de constater qu’en l’espèce, la décision déférée est motivée tant en fait qu’en droit, en ce qu’elle indique, en se basant sur l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que les articles 12, paragraphe (2) et 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III, les raisons ayant amené le ministre à prendre la décision de ne pas examiner la demande de protection internationale du demandeur et de le transférer vers l’Espagne, à savoir le fait que le demandeur disposerait d’un visa délivré par les autorités espagnoles qui serait valable du 6 au 20 novembre 2024 et que l’Espagne aurait accepté sa reprise en charge le 1er avril 2025 sur le fondement de l’article 12, paragraphe (2) du règlement Dublin III. Le ministre a, en outre, retracé l’itinéraire suivi par le demandeur pour venir au Luxembourg. Le ministre a encore relevé que lors de son entretien Dublin III, le demandeur avait indiqué « aller bien », de sorte à ne pas avoir de problème de santé particulier. Par ailleurs, le ministre a relevé que l’Espagne est partie à la Convention de Genève, à la CEDH et à la Convention torture, et que de ce fait, elle est présumée respecter l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que les articles 3 de la CEDH et 3 de la Convention torture, et qu’il n’existe ni de jurisprudence de la CourEDH ou de la CJUE, ni une recommandation du Haut-

Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (« UNHCR »), visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Espagne. Le ministre a également exclu l’application de l’article 16, paragraphe (1) du règlement Dublin III pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de la demande de protection internationale du demandeur.

Enfin, il a relevé que le demandeur ne lui avait soumis aucun élément humanitaire ou exceptionnel ayant dû l’amener à appliquer l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, voire d’autres raisons individuelles qui pourraient empêcher sa remise aux autorités espagnoles. Au vu de ce qui précède, le tribunal est amené à retenir que cette motivation suffit à l’exigence de motivation inscrite à l’article 34, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, étant encore souligné qu’il ne résulte d’aucun élément soumis en cause que le ministre n’aurait, pour prendre la décision litigieuse, pas procédé à une analyse sérieuse du respect effectif par l’Etat espagnol des normes invoquées, tel que le fait plaider le demandeur1.

Il s’ensuit que le moyen afférent de du demandeur est rejeté.

1 Voir également en ce sens : trib. adm., 4 mars 2024, n° 50041 du rôle, disponible sur le site www.justice.public.lu.

8 Deuxièmement, le tribunal relève que le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir procédé à un examen individuel et rigoureux de son dossier.

D’une part, ce moyen est dépourvu d’une quelconque référence à une base légale dont la violation serait susceptible d’entacher la légalité de cette décision. Or, l’exposé d’un moyen droit requiert non seulement de désigner la règle de droit qui serait violée, mais également la manière dont celle-ci aurait été violée par l’acte attaqué2.

D’autre part, ce moyen est en tout état de cause à rejeter, étant donné qu’il ne ressort d’aucun élément concret soumis à l’appréciation du tribunal que la décision litigieuse n’aurait pas été prise individuellement, objectivement et impartialement par le ministre, ni que celui-ci n’aurait pas eu à sa disposition des informations précises et actualisées sur la situation existant en Espagne. Premièrement, le seul fait que le ministre ait finalement décidé de transférer le demandeur vers l’Espagne, comme étant l’Etat membre responsable de l’examen de la demande de l’intéressé, est insuffisant à cet égard, étant précisé que la question de savoir si cette décision a été prise à juste titre, notamment, eu égard au risque de subir des traitements inhumains et dégradants invoqués par le demandeur, relève de la légalité interne de la décision déférée et sera abordée ci-après3. Deuxièmement, l’affirmation péremptoire dépourvue du moindre élément tangible, partant vérifiable par le tribunal, suivant laquelle des milices libyennes seraient présentes sur le territoire espagnol et dont le ministre n’aurait pas tenu compte n’est pas de nature à établir que celui-ci n’aurait pas procédé à un examen individuel de la situation du demandeur.

Le moyen afférent du demandeur tiré d’une absence d’examen individuel et rigoureux du dossier est partant à rejeter pour ne pas être fondé.

Par rapport à la légalité interne de la décision ministérielle déférée, le tribunal relève que l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, sur le fondement duquel la décision ministérielle déférée a été prise, dispose que : « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

2 Trib. adm., 27 mai 2013, n° 32017 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 520 (1er volet) et les autres références y citées.

3 Voir également en ce sens : trib. adm., 10 juillet 2023, n° 49060 du rôle, disponible sur le site www.justice.public.lu.

9 L’article 12, paragraphe (2) du règlement Dublin III, sur le fondement duquel la décision litigieuse a été également prise, dispose, quant à lui, que : « […] Si le demandeur est titulaire d’un visa en cours de validité, l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, sauf si ce visa a été délivré au nom d’un autre État membre en vertu d’un accord de représentation prévu à l’article 8 du règlement (CE) no810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas (1). Dans ce cas, l’État membre représenté est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. ».

Le tribunal relève également qu’aux termes du paragraphe (4) de l’article 12 du règlement Dublin III, « Si le demandeur est seulement titulaire d’un ou de plusieurs titres de séjour périmés depuis moins de deux ans ou d’un ou de plusieurs visas périmés depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis d’entrer sur le territoire d’un État membre, les paragraphes 1, 2 et 3 sont applicables aussi longtemps que le demandeur n’a pas quitté le territoire des États membres. […] ».

Il résulte des dispositions de l’article 12, paragraphes (2) et (4) dudit règlement que si un demandeur de protection internationale s’est vu délivrer un visa par un Etat membre, ce dernier est en principe responsable de l’examen de la demande de protection internationale, y compris en cas d’expiration du visa depuis moins de six mois, pour autant que le demandeur en question n’a pas quitté le territoire des Etats membres.

En l’espèce, il est constant que la décision litigieuse a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 12, paragraphe (2) du règlement Dublin III, au motif que ce ne serait pas le Luxembourg qui serait compétent pour le traitement de la demande de protection internationale introduite par le demandeur, mais l’Espagne. Il est également constant en cause pour ne pas être contesté par le demandeur et pour ressortir des éléments du dossier administratif que l’Espagne lui a délivré un visa Schengen valable du 6 au 20 novembre 2024. Dans la mesure où, d’une part, il ne ressort ni des explications du demandeur, ni des éléments du dossier administratif que le demandeur aurait quitté le territoire des Etats membres depuis son arrivée en Espagne, respectivement au Luxembourg, et, d’autre part, les autorités espagnoles ont accepté de reprendre en charge l’intéressé en date du 1er avril 2025, le tribunal retient que l’Espagne est effectivement responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, étant précisé que la circonstance que son visa ait expiré le 20 novembre 2024 est sans incidence, dans la mesure où l’article 12, paragraphe (4) du règlement Dublin II maintient, en ce qui concerne le cas d’un demandeur de protection internationale titulaire d’un visa expiré depuis moins de six moi, l’application du paragraphe (2) de cet article aussi longtemps que la personne n'a pas quitté le territoire des Etats membres.

C’est dès lors a priori à bon droit que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers l’Espagne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg.

Le tribunal relève ensuite que le demandeur ne conteste ni la compétence de principe des autorités espagnoles, ni, par conséquent, l’incompétence de principe des autorités luxembourgeoises, mais reproche au ministre d’avoir décidé de le transférer vers l’Espagne, en 10 violation de l’article 3 paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ainsi que des articles 3 et 13 de la CEDH.

Les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

L’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III n’a pas été invoqué en l’espèce par le demandeur, de sorte que le tribunal n’est pas saisi de la question de son éventuelle application en l’espèce, et qu’il ne procéder ainsi pas à l’analyse afférente.

Concernant l’article 3 paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, celui-ci dispose que : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable ».

Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH, respectivement de l’article 4 de la Charte.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé4.

A cet égard, il convient de prime abord de souligner que dans la mesure où il résulte des déclarations du demandeur, ainsi que des pièces figurant au dossier administratif, que l’intéressé n’a pas eu la qualité de demandeur de protection internationale lors de son séjour en Espagne, étant donné qu’il n’y a jamais introduit une demande de protection internationale, il 4 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, point 92.

11 n’est en tout état de cause pas en mesure de se prévaloir de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Espagne au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, qu’il aurait personnellement pu rencontrer dans ce pays.

S’agissant ensuite des obligations pour le ministre découlant de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le tribunal relève que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard5. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants6. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées7.

Le tribunal est encore amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il y existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de la Charte8.

Dans ce contexte, dans un arrêt du 19 mars 2019 rendu dans l’affaire C-163/17 du rôle, la CJUE a retenu que des défaillances ne sont contraires à l’interdiction de traitements inhumains ou dégradants que lorsqu’elles atteignent un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause, ce seuil étant atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême qui ne lui permettrait pas de 5 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

6 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 79 ; trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur le site www.justice.public.lu.

7 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

8 CJUE, 10 décembre 2013, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, C-394/12, point 62.

12 faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine9, une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie n’atteignant toutefois pas ce seuil lorsqu’elles n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant10.

Etant donné que le demandeur remet en question cette présomption du respect des droits fondamentaux par l’Espagne, en affirmant risquer des traitements inhumains et dégradants en cas de transfert vers ledit pays, il lui appartient de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.

Or, force est au tribunal de constater que le demandeur est resté en défaut de rapporter cette preuve en soumettant des éléments tangibles de nature à établir l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Espagne, et plus particulièrement que les droits des demandeurs de protection internationale ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés dans ce pays, ou encore que ceux-ci n’auraient en Espagne aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités espagnoles, étant relevé que l’Espagne est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention contre la torture, de la Convention de Genève, ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés, et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.

Tout d’abord, le tribunal relève qu’il ne lui appartient pas d’analyser de son propre chef l’intégralité des documents ou articles produits par le demandeur, pour y déceler d’éventuels éléments susceptibles de plaider en faveur de la thèse du demandeur en l’absence de tout explication, voire argumentation y relative, de sorte que l’analyse du tribunal se limitera aux extraits des deux seuls documents dont se prévaut le demandeur à l’appui de son recours.

Dans ce contexte, le tribunal retient que l’extrait de l’article de presse dont se prévaut le demandeur mentionne certes que l’Espagne aurait accordé, d’après un rapport de la Commission espagnole d’aide aux réfugiés (CEAR) l’asile à 12% des demandeurs et que ce taux serait le plus bas parmi les Etats membres de l’Union européenne et qu’il se situerait trente points en dessous de la moyenne des Etats membres. Or, force est de constater, au regard de la jurisprudence de la CJUE précitée, que l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’accueil des demandeurs de protection internationale dans un Etat membre est sans rapport avec un pourcentage d’acceptation de demandes de protection internationale dans ce même Etat. A ce constat s’ajoute, tel que relevé par le délégué du gouvernement, que le rapport mentionné dans cet article de presse date de l’année 2023, de sorte à ne plus nécessairement refléter la situation actuelle en Espagne.

Ensuite, le tribunal constate que dans l’extrait du rapport du Conseil de l’Europe dont se prévaut le demandeur, à savoir, de l’entendement du tribunal, le paragraphe 132 du point 3.2.1 « ISSUES CONCERNING THE ASYLUM SYSTEM AND RECEPTION », la Commissaire a certes constaté, lors de sa visite en Espagne, que l’accès à la procédure de demande d’asile 9 CJUE, 19 mars 2019, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland., C-163/17, point 92.

10 Ibidem, point 93.

13 variait d’une région à une autre et que cet accès était entravé de sérieux obstacles en raison de longues périodes d’attente précédant l’ouverture d’une procédure d’asile ou en raison du fait que certaines régions n’accordaient plus de rendez-vous pour certains demandeurs d’asile ayant introduit leur demande sur une plateforme numérisée, ce qui les empêchait de démontrer, par la suite, qu’ils avaient introduit une demande d’asile. Certes encore, il ressort de l’extrait « The human rights of refugees, asylum seekers and migrants » de ce même document, auquel le demandeur a, de l’entendement du tribunal, entendu se référer, que la région de …, à la frontière marocaine, concentre les problèmes auxquels est confrontée l’Espagne en ce qu’il n’y aurait, dans cette région, pas d’accès effectif à la procédure de demande d’asile.

Or, d’une part, ces informations reflètent la situation en Espagne en novembre de l’année 2022, de sorte pas ne plus nécessairement refléter la situation actuelle dans ce pays.

D’autre part, il ressort des explications du délégué du gouvernement que le demandeur ne sera pas transféré dans la région de …, mais vers l’Espagne continentale, tel que cela ressort d’ailleurs expressément du courrier des autorités espagnoles du 1er avril 2025, dans lequel il est fait référence à deux aéroports espagnols sis à … et à ….

En tout état de cause, les deux documents dont se prévaut le demandeur ne sont pas de nature à permettre de conclure, de manière générale, à l’existence de défaillances systémiques en Espagne, à savoir que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale et le traitement des demandes de protection internationale y seraient caractérisés par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation contraire à l’article 4 de la Charte et à l’article 3 de la CEDH.

Le demandeur n’a d’ailleurs invoqué aucune décision de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers l’Espagne, voire une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers l’Espagne de ressortissant libyens dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile espagnole qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte et 3 de la CEDH.

Au vu des considérations qui précèdent et à défaut d’autres éléments soumis à son appréciation, le tribunal conclut que le demandeur n’a pas rapporté la preuve de l’existence, en Espagne, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte et 3 de la CEDH, empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays.

Le moyen fondé sur une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa (2) du règlement Dublin III et l’article 3 de la CEDH, encourt, dès lors, le rejet.

14 La même conclusion s’impose quant au moyen du demandeur fondé sur une violation alléguée de l’article 13 de la CEDH dont l’argumentation afférente se recoupe avec celle rejetée ci-avant dans le cadre de ses moyens rejetés ci-avant sur base de l’article 3, paragraphe (2), alinéa (2) du règlement Dublin III et l’article 3 de la CEDH.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est, à défaut d’autres moyens, à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 19 mai 2025 par :

Françoise EBERHARD, premier vice-président, Carine REINESCH, premier juge Benoît HUPPERICH, premier juge, en présence du greffier Lejila ADROVIC.

s. Lejila ADROVIC s. Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 mai 2025 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 52740
Date de la décision : 19/05/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 24/05/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-05-19;52740 ?

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