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12/05/2025 | LUXEMBOURG | N°50023

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 mai 2025, 50023


Tribunal administratif N° 50023 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:50023 2e chambre Inscrit le 2 février 2024 Audience publique du 12 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de statut d’apatride

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50023 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 février 2024 par la société à responsabilité limitée WH AVOCATS S

ARL, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, établie et ayant...

Tribunal administratif N° 50023 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:50023 2e chambre Inscrit le 2 février 2024 Audience publique du 12 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de statut d’apatride

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50023 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 février 2024 par la société à responsabilité limitée WH AVOCATS SARL, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1630 Luxembourg, 46, rue Glesener, immatriculée au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B265326, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Erythrée), déclarant être de nationalité indéterminée, demeurant à L-…, tendant, aux termes de son dispositif, à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du « 25 mai 2023 » portant refus du statut d’apatride, ainsi que d’une décision ministérielle confirmative du 31 octobre 2023 intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2024 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître Frank WIES déposé au greffe du tribunal administratif le 3 juin 2024 pour le compte de son mandant, préqualifié ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 juillet 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Parina MASKEEN, en remplacement de Maître Frank WIES, et Monsieur le délégué du gouvernement Tom HANSEN en leur plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 février 2025.

En date du 24 mai 2011, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

La demande de protection internationale de Monsieur (A) fut refusée par décision ministérielle du 29 juillet 2013, refus qui fut définitivement confirmé par arrêt de la Cour administrative du 8 juillet 2014, inscrit sous le numéro 34473C du rôle.

Par décision du 7 avril 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », accorda à Monsieur (A) un report à l’éloignement jusqu’au 7 octobre 2016.

Par la suite, différentes décisions ministérielles permirent un report de son éloignement jusqu’au 7 septembre 2018.

En date du 11 octobre 2018, Monsieur (A) introduisit une nouvelle demande de protection internationale auprès du ministère sur base de la loi du 18 décembre 2015, qui fut déclarée irrecevable par décision ministérielle du 29 octobre 2018.

Par décision du 9 septembre 2019, le ministre accorda de nouveau à Monsieur (A) un report à l’éloignement. Par la suite, différentes décisions ministérielles permirent un report de son éloignement jusqu’au 8 juin 2024.

Par formulaire signé le 15 février 2023 et réceptionné par le ministère le 16 février 2023, Monsieur (A) introduisit une demande en obtention du statut d’apatride au sens de la Convention de New York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides, ci-après dénommée « la Convention de New York ».

Par décision ministérielle du 23 mai 2023, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le 24 mai 2023, le statut d’apatride fut refusé à Monsieur (A) sur base des motifs et considérations suivants :

« […] Par la présente, j’ai l’honneur de revenir au formulaire « demande en obtention du statut d’apatride au sens de la Convention de New York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides » signé par vos soins en date du 15 février 2023 et réceptionné en date du 16 février 2023.

Il ressort dudit formulaire que vous seriez né le … à …/Erythrée, d’une mère de nationalité éthiopienne et d’un père de nationalité érythréenne. De 1980 à 2007 vous auriez vécu en Ethiopie où vous vous seriez marié. Votre épouse et vos trois enfants posséderaient la nationalité éthiopienne. Votre nationalité d’origine et dernière nationalité seraient « inconnues ». Vous n’auriez pas « pu demander de passeport éthiopien ou érythréen car les ambassades éthiopiennes et érythréennes ne sont pas en mesure de m’identifier comme citoyen relevant de leur pays ». En date du 26 juillet 2018 vous vous seriez rendu à l’ambassade éthiopienne à Bruxelles afin de procéder à un entretien avec le Consul qui aurait retenu qu’il serait impossible de vérifier votre identité sans aucun document. Le 23 octobre 2019 vous vous seriez rendu à l’Ambassade d’Ethiopie et à l’Ambassade d’Erythrée sises à Bruxelles accompagné d’une tierce personne. L’Ambassade d’Ethiopie vous aurait informé que sans document prouvant votre identité elle ne pourrait pas vous identifier et l’Ambassade d’Erythrée vous aurait dit qu’il serait possible de vous identifier à condition qu’un membre de votre famille se trouvant en Erythrée puisse corroborer vos dires. Or, vous n’auriez plus de contact avec les membres de votre famille en Erythrée, d’autant plus que votre père serait décédé en 1986. Etant donné que vous n’auriez pas de document d’identité éthiopien et plus aucune famille en Erythrée, il vous serait impossible de déterminer votre nationalité et les prédites ambassades refuseraient de vous reconnaître comme étant leurs nationaux. Vous ajoutez ignorer si à votre naissance vous auriez obtenu la nationalité éthiopienne ou si suite à l’indépendance de l’Erythrée vous seriez devenu érythréen.

Sont annexés au formulaire signé en date du 15 février 2023 une copie d’un certificat de baptême de l’ « Eritrean Orthodox Tewahdo Church » émis en date du … selon lequel vous seriez de nationalité érythréenne, une copie d’une attestation testimoniale du 1er novembre 2019, une copie d’un courrier ministériel du 31 janvier 2019, une copie de l’entretien ayant eu lieu dans le cadre de votre demande de protection internationale de novembre 2012 et janvier 2013 et une copie de la décision du y relative. Il y a lieu de soulever que tous ces documents se trouvent déjà dans votre dossier administratif.

Il y a lieu de rappeler que vous avez déposé une demande de protection internationale en date du 24 mai 2011 sous l’identité de (A), né le … à …/Erythrée, de nationalité éthiopienne.

Lors de cette demande vous n’avez pas présenté de documents d’identité, toujours invoqué être de nationalité éthiopienne et soulevé des craintes par rapport à l’Ethiopie, votre pays d’origine. Vous avez été débouté de ladite demande en date du 8 juillet 2014.

Après avoir introduit une demande de protection internationale aux Pays-Bas en date du 5 mars 2018 sous la même identité qu’énoncée en haut, vous avez introduit une deuxième demande de protection internationale au Luxembourg en date du 11 octobre 2018 lors de laquelle vous avez également invoqué être de nationalité éthiopienne. Vous n’avez jamais exprimé des doutes quant à votre nationalité ou soulevé être sans nationalité. Cette demande a été déclarée irrecevable par décision ministérielle du 5 novembre 2018.

Dans le cadre de votre procédure d’éloignement les autorités éthiopiennes ont été contactées en vue de votre identification et après un entretien ayant eu lieu avec le Consul d’Ethiopie en date du 26 juillet 2018 ce dernier a retenu qu’il serait difficile, voire quasiment impossible de vérifier vos dires alors que vous ne possédez aucun document. L’agent de la Direction de l’immigration présent lors de l’entretien a proposé de transmettre les données de votre famille au Consul afin qu’il puisse effectuer des recherches en Ethiopie, recherches qui selon ses dires s’avèreraient néanmoins difficiles si les membres de votre famille ne sont pas enregistrés. Les informations relatives à votre famille ont été transmises par la Direction de l’immigration au Consul éthiopien en date du 31 janvier 2019. Soulevons également que lors de l’entretien du 26 juillet 2018 vous avez invoqué être d’origine érythréenne alors que vous seriez né à ….

Dans un courriel du 24 août 2019 adressé à l’Ambassade d’Erythrée que vous avez également fait parvenir à la Direction de l’immigration, vous joignez un document intitulé « Baptism Certificate » émis en date du … par l’« Eritrean Orthodox Tewahdo Church », que vous qualifiez comme « (…) birth certificate which I obtained from my birthplace (…)». Selon ce document vous seriez de nationalité érythréenne et né le …, donc à une autre date de naissance que celle que vous avez avancé lors de vos demandes de protection internationale à savoir celle du ….

Un report à l’éloignement vous a été accordé à plusieurs reprises afin que vous entrepreniez des démarches auprès des autorités compétentes en vue de votre identification.

Le 23 octobre 2019 vous vous êtes rendu aux ambassades éthiopiennes et érythréennes sises à Bruxelles, sans pourtant qu’une de ces ambassades vous identifie comme étant un de leur ressortissant.

Vous bénéficiez actuellement d’un report à l’éloignement valable jusqu’au 8 décembre 2023.

Selon l’article 1er de la Convention de New York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides le statut d’apatride est uniquement accordé à l’étranger sans nationalité, dont aucun pays ne considère comme son ressortissant en application de sa législation.

Comme la qualité d’apatride ne se présume pas, elle doit être établie par l’étranger demandeur dans tous les éléments qui la déterminent par des preuves suffisamment précises et sérieuses. L’étranger demandeur doit prouver qu’il a perdu la nationalité qui était la sienne par naissance ou qu’il n’en a jamais eue. La charge de la preuve incombe donc au demandeur qui doit établir qu’il remplit les conditions d’obtention du statut d’apatride. A cet égard il ne doit cependant pas prouver qu’il n’a aucune nationalité du monde, mais plutôt qu’il ne peut pas se prétendre de la nationalité des Etats pertinents pour lui: il s’agit principalement du pays dans lequel il est né, où les membres de sa famille résident, où il a séjourné ou dans lequel il a eu sa résidence.

En l’espèce, il ressort de vos déclarations que les pays à prendre en considération dans le cadre de la demande en obtention du statut d’apatride sont l’Ethiopie et 1’Erythrée. Or, force est de constater que vous n’apportez pas la preuve concrète que vous ne seriez pas en possession de la nationalité éthiopienne ou de la nationalité érythréenne, respectivement que vous auriez perdu la nationalité éthiopienne ou la nationalité érythréenne. Il ressort uniquement de votre dossier administratif que les autorités éthiopiennes ne seraient pas en mesure de vous identifier à défaut de documents d’identité. Il y a lieu de souligner que les autorités éthiopiennes n’ont jamais confirmé que vous n’avez pas ou que vous n’avez pas eu la nationalité éthiopienne. Il en va de même des autorités érythréennes qui vous auraient expliqué les démarches à faire en vue de votre identification, dont notamment la communication d’un membre de famille séjournant en Erythrée.

Il y a également lieu de constater que selon le formulaire du 15 février 2023 vous n’avez pas entrepris d’autres démarches depuis octobre 2019 en vue de votre identification ou documentation et ceci par vos propres moyens ou par le biais de votre famille restée en Ethiopie. Selon des éléments de votre dossier de janvier 2019 votre mère aurait habité à … et votre épouse à …, dans la ville de …. Vous auriez également une sœur et deux frères. De même, vous auriez reçu un certificat de baptême depuis votre lieu de naissance en Erythrée. Votre demande en obtention du statut d’apatride ne contient aucun nouvel élément ou élément non pris en considération dans votre dossier administratif. Il s’en suit également que vous n’avez pas entrepris de démarches utiles et suffisantes pour vous voir reconnaître par un Etat pertinent pour vous comme étant son ressortissant, en l’occurrence celui où vous seriez né, où les membres de votre famille résideraient, ou celui où vous auriez séjourné ou dans lequel vous auriez eu votre résidence.

S’estimer ou se considérer comme apatride, sans apporter un élément de preuve quelconque et sans se baser sur un élément concret ne saurait établir une apatridie. De même, le seul fait que les ambassades éthiopiennes ou érythréennes n’ont pas pu vous identifier à défaut de document d’identité ne suffit pas pour déduire de cette seule circonstance que vous êtes en droit de prétendre au statut d’apatride.

Force est donc de conclure que vous n’avez pas rapporté la preuve que vous remplissez les conditions d’obtention du statut d’apatride et par conséquent, le statut d’apatride vous est refusé. […] ».

Par courrier daté du 23 août 2023, réceptionné par le ministère le 24 août 2023, Monsieur (A) fit introduire, par l’intermédiaire de son litismandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision, précitée, du 23 mai 2023.

Ledit recours fut rejeté par décision ministérielle du 31 octobre 2023, notifiée à l’intéressé en date du 6 novembre 2023, libellée comme suit :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre recours gracieux du 23 août 2023 dans le dossier de Monsieur (A).

Après avoir procédé au réexamen du dossier de votre mandant, je suis toutefois au regret de vous informer qu’à défaut d’éléments pertinents nouveaux ou non pris en considération, je ne saurais réserver une suite favorable à votre demande et je ne peux que confirmer ma décision du 23 mai 2023 refusant le statut d’apatride à votre mandant dans son intégralité. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 février 2024, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant, aux termes de son dispositif, à l’annulation d’une décision du ministre du « 25 mai 2023 » portant refus du statut d’apatride, ainsi que de la décision ministérielle confirmative du 31 octobre 2023 intervenue sur recours gracieux.

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en la présente matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation, qui est encore recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur affirme être né le … à …, en Erythrée.

Il aurait fui son pays avec ses parents à l’âge de deux ans et ne disposerait d’aucun document d’identité permettant de prouver la possession de la nationalité érythréenne. Il aurait trouvé refuge en Ethiopie où il aurait vécu jusqu’en 2007 avant de fuir également ce pays et d’arriver au Luxembourg, pour y déposer sa première demande de protection internationale, dont il aurait été débouté en date du 8 juillet 2014. Dans le cadre de l’examen de cette demande, il aurait été considéré par les autorités luxembourgeoises comme étant de nationalité éthiopienne. Après le refus définitif opposé à sa première demande de protection internationale, des sursis à l’éloignement lui auraient été accordés jusqu’au 7 septembre 2018. Le 26 juillet 2018, le ministre aurait entrepris de l’emmener à l’ambassade éthiopienne à Bruxelles afin de procéder à un entretien avec le consul, qui aurait retenu qu’il aurait été difficile, voire impossible de vérifier s’il était de nationalité éthiopienne. Il explique qu’il aurait alors introduit une deuxième demande de protection internationale en date du 11 octobre 2018, dont il aurait été débouté en date du 29 octobre 2018. Depuis le 9 septembre 2018, il aurait obtenu neuf reports à l’éloignement. Il fait encore valoir que le 31 janvier 2019, le ministère aurait adressé une demande d’identification à l’ambassade éthiopienne à Bruxelles. Cette même ambassade n’ayant pas répondu, il s’y serait rendu ainsi qu’à celle d’Erythrée en date du 23 octobre 2019.

Ces ambassades seraient connues pour ne pas fournir de confirmation écrite d’un éventuel refus, raison pour laquelle il aurait été accompagné par Madame (B). Lors du rendez-vous auprès de l’ambassade érythréenne, il lui aurait été affirmé qu’il ne pourrait être reconnu en tant que citoyen érythréen qu’à la condition qu’un membre de sa famille se trouvant en Erythrée puisse corroborer ses dires. Cependant, dans la mesure où il aurait quitté ce pays à l’âge de deux ans et qu’il n’aurait plus de contacts avec les membres de sa famille qui y vivraient éventuellement, il n’aurait pas rempli cette condition. N’ayant pu obtenir d’écrit de la part de l’ambassade d’Erythrée, il se serait alors rendu auprès de l’ambassade d’Ethiopie qui l’aurait informé que sans document prouvant son identité, comme par exemple un document attestant qu’il a fait ses études en Ethiopie, elle ne pourrait lui venir en aide. De ce fait, il ne pourrait se revendiquer ni d’un pays ni de l’autre, ce qui motiverait sa demande en obtention d’un statut d’apatride.

En droit, Monsieur (A) fait valoir que le ministre aurait violé la loi en refusant d’appliquer l’article 1er de la Convention de New York. Il estime que le ministre aurait eu tort de considérer que l’absence de son identification par les ambassades éthiopiennes ou érythréennes comme étant l’un de leurs ressortissants, en raison du défaut de production de documents d’identité de sa part, ne serait pas suffisante pour prétendre au statut d’apatride.

Dans ce contexte, il renvoie à un jugement du Tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 7 mars 1983, n° 40/83 du rôle, et du 16 octobre 1997 « n°58585 ; 584/97 du rôle », dans lesquels il aurait été retenu que les personnes de nationalité indéterminée devraient être assimilées aux apatrides, ce qui serait son cas. Le seul document d’identité qu’il aurait pu fournir aurait été son certificat de baptême érythréen. Ce document aurait été communiqué à l’ambassade d’Erythrée, qui n’y aurait cependant donné aucune suite. Il explique, ensuite, que pour obtenir la nationalité éthiopienne, l’article 6 de la Constitution de la République démocratique fédérale d’Ethiopie prévoirait que la possession par l’un des parents de la nationalité éthiopienne suffirait pour que l’enfant soit de la même nationalité. Il en serait de même pour la nationalité érythréenne, selon une loi constitutionnelle de 1997. Il suffirait ainsi qu’il prouve que l’un de ses parents ait eu l’une de ces nationalités, ce qu’il ne pourrait cependant faire, dans la mesure où il n’aurait plus aucun contact avec sa famille. Par ailleurs, il serait né à une époque où l’Ethiopie et l’Erythrée auraient été en guerre, de sorte qu’il n’aurait jamais eu de documents d’identité officiels et qu’il ne saurait pas avec certitude quelle nationalité il possèderait. Il se prévaut, à cet égard, d’un rapport du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNCHR), intitulé « Mapping Statelessness in Belgium », selon lequel l’une des causes les plus probables de l’apatridie serait la dissolution et séparation d’Etats. Il renvoie encore à un arrêt de la Cour de cassation de Belgique du 22 janvier 2009, « n°C.06. 0427.F », dans lequel il aurait été retenu que si la personne concernée ne pouvait pas apporter la preuve qu’elle n’est pas susceptible d’obtenir une autre nationalité, la reconnaissance comme apatride ne pourrait pas lui être refusée pour ce seul motif. En s’appuyant sur la jurisprudence luxembourgeoise et sur le « Manuel sur la protection des apatrides d’après la convention de 1954 relative au statut des apatrides » de 2014, publié par l’UNHCR, le demandeur soutient que seules l’Érythrée et l’Éthiopie pourraient être considérées comme pays avec lesquels il aurait eu des relations étroites, le premier pour être son pays de naissance et le second pour avoir été son pays de résidence jusqu’à son départ pour l’Europe. Comme il aurait pleinement coopéré avec les autorités luxembourgeoises, en se rendant notamment auprès des ambassades érythréenne et éthiopienne à Bruxelles, l’absence d’identification ne pourrait donc pas lui être imputable. En soutenant que le statut d’apatride serait reconnu aux individus qui, soit ne pourraient pas démontrer la citoyenneté d’un Etat, soit ne seraient plus traités comme citoyens par les autorités compétentes de leur pays d’origine, tout en réitérant que les autorités éthiopiennes et érythréennes ne le reconnaîtraient pas comme l’un de leurs citoyens, il estime qu’il aurait à suffisance rapporté la preuve requise par l’article 1er de la Convention de New York, de sorte que le statut d’apatride devrait lui être accordé.

Le demandeur considère ensuite que la décision litigieuse violerait le principe de proportionnalité, notamment au regard des effets du refus du statut d’apatride à son égard. Il invoque le fait qu’il se trouverait au Luxembourg depuis 2011 sans titre valable. Comme il ne serait pas reconnu par les autorités éthiopiennes et érythréennes, il y aurait un risque qu’il passe sa vie sans pouvoir être reconnu par un pays et de rester sans nationalité. Dans ce contexte, il renvoie à des jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », dans lesquelles elle aurait condamné la France et la Suisse pour ne pas avoir délivré de titre de séjour à des personnes qui auraient passé plusieurs années sur leur territoire sans pouvoir prétendre à un titre de séjour. Ainsi, dans l’affaire « ARISTIMUNO MENDIZABAL contre France » du 17 janvier 2006, n° 51431/99, la CourEDH aurait estimé que la non-délivrance d’un titre de séjour à une personne résidant régulièrement en France depuis plus de quatorze ans aurait constitué une ingérence dans sa vie privée et familiale. Le demandeur se prévaut également d’une affaire « GHADAMIAN contre Suisse » du 9 mai 2023, n° 2176819, dans laquelle la CourEDH aurait retenu que les autorités suisses, malgré leur marge d’appréciation, n’auraient pas démontré avoir ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu, et qu’elles auraient attribué un poids excessif à l’intérêt général en refusant d’accorder au requérant une autorisation de séjour pour rentiers. Monsieur (A) explique que la France et la Suisse auraient été condamnées pour ne pas avoir délivré de titre de séjour à des personnes qui se seraient maintenues sur leur territoire et pour ne pas avoir réussi à les en éloigner. Il estime ainsi que, dans la mesure où il ne serait reconnu ni par l’Erythrée ni par l’Ethiopie, il ne pourrait pas être renvoyé vers l’un de ces pays. Il en conclut qu’il lui serait impossible d’être identifié comme ressortissant éthiopien ou érythréen, de sorte qu’il devrait se voir attribuer le statut d’apatride.

Dans son mémoire en réplique, il réitère le fait qu’il n’aurait été identifié ni par les autorités érythréennes ni par les autorités éthiopiennes en l’absence de documents suffisants et qu’il ne pourrait donc prétendre à aucune nationalité. Le seul document en sa possession serait un certificat de baptême, qui aurait été transmis à l’ambassade érythréenne à Bruxelles, mais qui n’aurait pas permis son identification. Il rappelle qu’il aurait quitté l’Erythrée à l’âge de deux ans et qu’il aurait vécu en Ethiopie jusqu’à son départ en 2007. Il serait arrivé au Luxembourg au terme d’un long et difficile périple et le fait qu’il ait disposé de son certificat de baptême relèverait du miracle. Il reproche ainsi au délégué du gouvernement de soutenir qu’il pourrait fournir d’autres indications aux différentes ambassades afin qu’elles procèdent à son identification, alors même qu’il ne disposerait pas de telles informations. Il rappelle encore que le consul de l’ambassade éthiopienne à Bruxelles aurait affirmé qu’il serait difficile, voire impossible de vérifier qu’il est de nationalité éthiopienne. Quant à l’ambassade d’Érythrée, elle n’aurait jamais donné de suites à ses demandes, malgré son certificat de baptême qui attesterait d’une naissance sur le territoire érythréen. Il en conclut que ses tentatives dans l’établissement de sa nationalité auraient été infructueuses.

En ce qui concerne l’argumentation du délégué du gouvernement selon laquelle il aurait soutenu dans le cadre de sa première demande de protection internationale être de nationalité éthiopienne, mais qu’il aurait affirmé par la suite être d’origine érythréenne, Monsieur (A) soutient qu’il n’y aurait aucune contradiction, étant donné qu’il serait né sur le territoire érythréen et qu’il aurait ensuite vécu la majeure partie de sa vie en Ethiopie. Après avoir rappelé les conditions historiques de la séparation de l’Erythrée avec l’Ethiopie et celles d’obtention de la nationalité dans ces deux pays, le demandeur fait valoir qu’il ne pourrait pas prouver la nationalité de ses parents pour qu’il puisse à son tour en bénéficier. Il ajoute qu’aucun de ces prédits pays ne seraient signataires de la Convention de New York et qu’il en subirait les conséquences. Il critique encore la partie étatique, qui s’obstinerait à lui reprocher d’être seul responsable de l’attitude des autorités éthiopiennes alors que ce faisant, les autorités luxembourgeoises méconnaîtraient leurs propres obligations en tant qu’Etat signataire de la Convention de New York et se rendraient complice de l’attitude des autorités éthiopiennes qui refuseraient de le reconnaître comme l’un de leurs citoyens, malgré le fait qu’elles disposeraient de toutes les informations requises pour conclure qu’il aurait la nationalité éthiopienne.

En conclusion, il estime que les décisions lui refusant le statut d’apatride devraient être annulées.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

La notion d’apatride est définie à l’article 1er de la Convention de New York, aux termes duquel : « Aux fins de la présente Convention, le terme « apatride » désigne une personne qu’aucun Etat ne considère comme son ressortissant par application de sa législation. ».

La reconnaissance du statut d’apatride est dès lors conditionnée par le constat que l’intéressé n’est considéré par aucun Etat comme son ressortissant.

S’agissant de la charge de la preuve de l’apatridie, à l’instar de la règle qui régit la preuve de la nationalité, c’est à celui qui se prévaut de n’en avoir aucune qu’incombe la charge d’établir qu’il a perdu la nationalité qui était la sienne par naissance ou qu’il n’en a jamais eue, le demandeur ne devant cependant à cet égard pas prouver qu’il n’a aucune nationalité du monde, mais plutôt qu’il ne peut pas prétendre à la nationalité des Etats pertinents pour lui : il s’agit principalement du pays dans lequel il est né, où les membres de sa famille résident, où il a séjourné ou dans lequel il a eu sa résidence1.

Force est encore de relever que la preuve de la qualité d’apatride ne ressort pas de l’affirmation du demandeur qu’il n’est pas à considérer comme ressortissant d’un autre Etat, mais de la preuve positive, pièces à l’appui, qu’il n’est plus ressortissant des pays dans lesquels il a résidé de façon prolongée et dont il a perdu les nationalités respectives2.

En tout état de cause, il ne suffit pas d’énumérer de manière stérile les conditions pour pouvoir prétendre à la nationalité d’un pays, tout en affirmant ne pas les remplir, à défaut de démontrer concrètement avoir entrepris de manière infructueuse des démarches en ce sens et de s’être vu opposer un refus3.

En vertu du principe retenu ci-avant selon lequel l’apatridie ne se présume pas et au regard des contestations afférentes de la partie étatique, il appartient au demandeur d’établir qu’au jour où le ministre a statué, il remplissait les conditions de reconnaissance du statut d’apatride.

1 Trib. adm., 2 février 2009, n° 24813 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 1025 et les autres références y citées.

2 Trib. adm., 26 mai 2004, n° 17209 du rôle, confirmé par Cour adm, 11 novembre 2004, n° 18260C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 1024 et les autres références y citées.

3 Trib. adm., 9 septembre 2020, n° 41550 du rôle, disponible sur jurad.etat.lu.

En l’espèce, il ressort du certificat de baptême, seule pièce versée par le demandeur ayant éventuellement un lien avec son identité, qu’il est né le … à …, en Erythrée. Il résulte de ses déclarations que son père était de nationalité érythréenne, que sa mère était de nationalité éthiopienne et qu’elle l’a emmené en Ethiopie en 1980, où il a vécu jusqu’en 2007. Il échet également de constater que le demandeur reconnait qu’il pourrait être de nationalité érythréenne de par son père et éthiopienne de par sa mère, même s’il affirme à présent ne pas connaître de manière sûre la véritable nationalité de ses parents.

Il convient dès lors de constater que les Etats pertinents pour le demandeur, par rapport auxquels la question de sa nationalité doit être analysée, sont les Etats érythréen et éthiopien.

Il appartient dès lors à Monsieur (A) d’apporter la preuve, pièces à l’appui, qu’il n’a jamais été ou n’est plus ressortissant érythréen et éthiopien. Il doit, en outre, démontrer avoir entrepris de manière infructueuse des démarches auprès des autorités éthiopiennes et érythréennes et s’être vu opposer un refus de leur part.

Or, le tribunal est amené à constater qu’il ressort des éléments du dossier administratif que Monsieur (A) ne s’est jamais vu opposer un refus de la part des autorités éthiopiennes ou érythréennes.

En effet, pour justifier de l’absence de reconnaissance d’une nationalité de la part desdites autorités, Monsieur (A) se borne à produire une attestation établie le 1er novembre 2019 par Madame (B), dans laquelle celle-ci indique que l’employé de l’ambassade érythréenne aurait affirmé qu’« [il] faudrait que Monsieur (A)donne le nom de quelqu’un de sa famille à l’ambassade d’Erythrée, qui le ferait parvenir à l’immigration sur place. La connexion familiale devrait alors s’y rendre et dire qu’elle connait Monsieur (A). » et que l’employé de l’ambassade éthiopienne aurait précisé que « […] si Monsieur (A) n’avait pas de document qui prouve qu’il était en Ethiopie (comme par exemple une inscription scolaire), il ne pouvait l’aider. ». Cette attestation testimoniale confirme, dès lors, l’absence de refus des autorités éthiopiennes et érythréennes de reconnaître le demandeur comme l’un de leurs citoyens puisqu’il y est seulement indiqué que l’ambassade érythréenne a subordonné sa recherche concernant la nationalité du demandeur à la production d’une attestation d’un membre de sa famille se trouvant en Erythrée afin de confirmer la véracité de ses dires et que l’ambassade éthiopienne l’a subordonnée à la production d’un quelconque document de sa part qui démontrerait qu’il a véritablement vécu en Ethiopie.

Cependant, force est de constater qu’entre le moment où il s’est rendu aux prédites ambassades, à savoir le 23 octobre 2019, et celle de l’introduction de sa demande du statut d’apatride, le 15 février 2023, respectivement celle où le ministre a été amené à prendre les décisions litigieuses, Monsieur (A) n’a entrepris aucune démarche pendant plus de trois années en vue d’obtenir un quelconque document qui permettrait aux autorités érythréennes et éthiopiennes de l’identifier, notamment en tentant de contacter une personne de sa famille, - le demandeur ayant affirmé que sa mère, ses deux frères, sa sœur, son épouse et ses trois filles, ainsi que son cousin se trouvaient en Ethiopie -, ou une connaissance se trouvant en Ethiopie, respectivement une administration éthiopienne, par exemple l’université dans laquelle il aurait étudié trois années ou l’entreprise dans laquelle il aurait travaillé de 1998 à 2003, pour que ces derniers puissent lui faire parvenir un document justifiant de son séjour dans ledit pays. Il en est de même en ce qui concerne l’Erythrée.

Le tribunal est, dès lors, amené à retenir qu’à la date à laquelle le ministre a rejeté sa demande d’obtention du statut d’apatride, le demandeur n’établit pas avoir entrepris de démarches sérieuses et réitérées pour se voir reconnaître la nationalité érythréenne ou éthiopienne, la simple affirmation selon laquelle il n’aurait plus de contact avec sa famille et qu’il ne disposerait pas de documents prouvant son identité ou ses lieux de séjour n’étant pas suffisante pour remettre en cause cette appréciation.

Partant, le tribunal est amené à retenir que le demandeur est resté en défaut de prouver qu’il aurait entrepris des démarches auprès des Etats pertinents et se serait vu opposer un refus et qu’il ne saurait prétendre être en possession d’aucune nationalité, alors que cette situation est le résultat de sa propre inaction. Il s’ensuit que l’article 1er de la Convention de New York n’a pas été violé.

Quant au moyen selon lequel le ministre aurait violé le principe de proportionnalité, celui-ci est à rejeter pour être non fondé, dans la mesure où (i) le tribunal a retenu ci-avant que l’absence de nationalité alléguée est le résultat de la propre inaction du demandeur et (ii) l’argumentation de ce dernier tourne autour des conséquences d’un refus de lui octroyer une autorisation de séjour, domaine étranger aux décisions déférées.

Au vu de l’ensemble des éléments qui précèdent, il échet de conclure que le ministre a, à bon droit, pu estimer que le demandeur ne remplissait pas les conditions pour se voir reconnaître le statut d’apatride, de sorte que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit à l’encontre de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 23 mai 2023, de même que contre la décision confirmative sur recours gracieux du même ministre du 31 octobre 2023 ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, vice-président, Melvin Roth, attaché de justice délégué.

et lu à l’audience publique du 12 mai 2025 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 50023
Date de la décision : 12/05/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 24/05/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-05-12;50023 ?

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