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06/05/2025 | LUXEMBOURG | N°52771

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 mai 2025, 52771


Tribunal administratif N° 52771 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52771 4e chambre Inscrit le 29 avril 2025 Audience publique 6 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52771 du rôle et déposée le 29 avril 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, i

nscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclar...

Tribunal administratif N° 52771 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52771 4e chambre Inscrit le 29 avril 2025 Audience publique 6 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52771 du rôle et déposée le 29 avril 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Nigéria) et être de nationalité nigériane, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 18 avril 2025 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois avec effet au 21 avril 2025 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Luca ESTGEN en sa plaidoirie à l’audience publique du 6 mai 2025, Maître Eric SAYS s’étant excusé.

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Il ressort de deux rapports journaliers du Centre pénitentiaire d’Uerschterhaff, que Monsieur (A) y fut placé en détention préventive du chef d’infractions à la législation relative aux stupéfiants du 18 au 21 février 2025.

Par arrêté du 21 février 2025, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », constata le séjour irrégulier de Monsieur (A) sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, en l’occurrence le Nigéria ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner et lui interdit l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans.

Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre ordonna encore le placement de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :

« (…) Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Considérant que l’intéressé se trouvait en détention préventive au Centre pénitentiaire depuis le 18 février 2025 ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un visa en cours de validité ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».

Il ressort d’une recherche effectuée par le Centre de Coopération Policière et Douanière en date du 24 février 2025 que Monsieur (A) n’est connu ni en Allemagne, ni en Belgique, mais qu’une attestation de demande d’asile, valable jusqu’au 20 août 2021, lui avait été délivrée par les autorités françaises.

Par courrier électronique du 21 février 2025, l’agent ministériel en charge du dossier de Monsieur (A) s’adressa à la Police grand-ducale afin d’obtenir les empreintes digitales du concerné, demande à laquelle il fut donné suite le 25 février 2025.

Une recherche effectuée dans la base de données EURODAC en date du 25 février 2025 révéla que Monsieur (A) avait introduit une demande de protection internationale en Autriche le 16 janvier 2016, ainsi qu’une demande de protection internationale en France en date du 20 juillet 2021.

Le 27 février 2025, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues français une demande d’informations fondée sur l’article 34 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Par arrêté ministériel du 20 mars 2025, notifié à l’intéressé le 21 mars 2025, la mesure de placement en rétention de Monsieur (A) fut prorogée pour une durée d’un mois à partir de sa notification.

Par jugement du tribunal administratif du 1er avril 2025, inscrit sous le numéro 52586 du rôle, le recours contentieux introduit par Monsieur (A) à l’encontre de la décision ministérielle, précitée, du 20 mars 2025, fut rejeté.

Par arrêté du 18 avril 2025, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre prorogea le placement en rétention de Monsieur (A) une nouvelle fois pour une durée d’un mois, avec effet au 21 avril 2025, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et considérations suivants :

« (…) Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté du 21 février 2025, notifié le même jour et mon arrêté du 20 mars 2025, notifié le 21 mars 2025, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 21 février 2025 subsistent dans le chef de l'intéressé ;

Considérant que les démarches en vue de l'éloignement ont été engagées ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l'identification de l'intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure de l'éloignement ; (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 avril 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 18 avril 2025.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, et après avoir exposé certains faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, tels que relevés ci-avant, le demandeur, en droit, se rapporte d’abord à prudence de justice en ce qui concerne la compétence du ministre pour prendre l’arrêté litigieux.

Ensuite, le demandeur, après avoir cité l’article 120, paragraphes (1) de la loi du 29 août 2008, souligne que le placement au Centre de rétention devrait être considéré comme un ultime remède et ne constituerait qu’une simple faculté pour le ministre et non pas une obligation systématique.

Or, cette faculté accordée au ministre devrait se baser sur des motifs sérieux et être proportionnée par rapport à la situation donnée, alors que le placement en rétention d’une personne constituerait une atteinte à la liberté de mouvement qui devrait être motivée à suffisance, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

Il indique également qu’en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, le maintien de la rétention serait conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et exécuté avec toute la diligence requise, tout en se prévalant d’un jugement du tribunal administratif du 7 août 2014, inscrit sous le numéro 34993 du rôle, suivant lequel une décision de prorogation serait soumise à la réunion de quatre conditions cumulatives, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale seraient encore données, que le dispositif d’éloignement serait toujours en cours, que celui-ci serait toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y aurait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être mené à bien. Toujours en s’appuyant sur le jugement précité du 7 août2014, le demandeur fait valoir que le terme « diligences » impliquerait que le ministre serait dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais afin d’écourter au maximum la privation de liberté que constituerait la rétention administrative.

Il critique encore le fait qu’aucune perspective d’éloignement n’existerait à l’heure actuelle, de sorte qu’il y aurait lieu de s’interroger sur les chances de succès de la mesure d’éloignement dans un délai raisonnable et, en toute circonstance, avant l’écoulement de la durée maximale de sa rétention, tout en contestant que toutes les démarches requises auraient été effectuées.

A cet égard, il donne à considérer qu’il se trouverait placé en rétention depuis le 21 février 2025 et que depuis lors, aucun « rapatriement par quelque moyen de transport » ne lui aurait été proposé et ce, en dépit de sa volonté de retourner en France par ses propres moyens, sinon en Autriche, sinon en Italie, pays dans lesquels il affirme avoir introduit des demandes de protection internationale.

Il en conclut qu’il n’existerait, à l’heure actuelle, aucune chance raisonnable de croire que son éloignement puisse être mené à bien.

Le demandeur conteste, par ailleurs, qu’il existerait, dans son chef, un risque de fuite ou qu’il empêcherait la préparation de son retour ou de l’exécution de la procédure d’éloignement.

Il estime finalement que ni le manque de démarches nécessaires des autorités, ni l’absence de vols ne sauraient justifier un placement en rétention.

Le demandeur ajoute que son maintien au Centre de rétention constituerait une mesure privative de liberté qui devrait être réduite au strict minimum, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

Au vu des circonstances de l’espèce et de son comportement, le demandeur estime que son placement au Centre de rétention serait disproportionné et que des mesures moins coercitives, telle qu’une assignation à résidence dans un lieu à fixer par le ministre, assortie d’une obligation de se présenter régulièrement auprès des services du ministère, auraient pu être prises à son égard sur le fondement de l’article 125 de la loi du 29 août 2008.

Le demandeur est partant d’avis que son maintien au Centre de rétention ne serait pas justifié.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Il échet tout d’abord de préciser qu’en présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

C’est de prime abord à tort que le demandeur conteste, par le fait de s’être rapporté à prudence de justice, la compétence du ministre ayant pris la décision déférée, étant donné qu’en vertu de l’article 3, point g) de la loi du 29 août 2008, le ministre visé dans lesdispositions de cette loi est le membre du gouvernement ayant l’immigration dans ses attributions, soit, conformément à l’annexe B du règlement interne du gouvernement tel qu’approuvé par arrêté grand-ducal du 27 novembre 2023 portant approbation et publication du règlement interne du Gouvernement, le ministre des Affaires intérieures.

Le moyen de légalité externe afférent est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.

S’agissant ensuite du moyen tiré d’une insuffisance de motivation de ladite décision, le tribunal relève que dans la mesure où aucun texte légal ou réglementaire n’exige l’indication formelle des motifs se trouvant à la base d’une décision de placement en rétention - l’article 6, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en vertu duquel certaines catégories de décisions doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, n’étant pas applicable à une telle décision -, le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision litigieuse, de sorte que ce moyen de légalité externe est également à rejeter.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal rappelle qu’une décision de placement en rétention est prise dans l’objectif de l’exécution d’une mesure d’éloignement. C’est ainsi que l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, sur le fondement duquel l’arrêté ministériel litigieux a été pris, prévoit que : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. (…) ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pourpermettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

S’agissant d’abord des contestations de Monsieur (A) quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, le tribunal constate qu’il est constant en cause que le demandeur, qui a fait l’objet d’une décision de retour en date du 21 février 2025, se trouve en situation de séjour irrégulier au Luxembourg.

Etant donné qu’à cette même date, il a encore fait l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans, il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), numéro 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « (…) Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé (…) s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 (…) », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Il aurait, par conséquent, appartenu à Monsieur (A) de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption, en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite, ce qu’il est, toutefois, resté en défaut de faire.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1) précité de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement, le demandeur n’ayant soumis aucun élément pertinent de nature à renverser la présomption de risque de fuite qui subsiste dans son chef.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation du demandeur suivant laquelle il souhaiterait retourner volontairement et par ses propres moyens en France, sinon en Autriche, sinon en Italie, cette argumentation étant, au contraire, de nature à corroborer le risque de se soustraire à la mesure d’éloignement et partant le risque de fuite dans le chef du concerné.

Quant à l’argumentation du demandeur selon laquelle il n’empêcherait pas la préparation de son retour ou de l’exécution de la procédure d’éloignement, le tribunal retient que la mesure litigieuse n’est pas expressément motivée par une telle considération, de sorte que l’argumentation en question est à rejeter pour défaut de pertinence.

S’agissant ensuite de l’argumentation du demandeur selon laquelle il aurait dû bénéficier de mesures moins coercitives, telles que visées à l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, et notamment d’une assignation à résidence, assortie d’une obligation de se présenter régulièrement auprès des services du ministère, le tribunal relève que cette disposition légale prévoit ce qui suit : « (1) Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

7 Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes1.

En l’espèce, le tribunal est amené à rappeler dans ce contexte que le demandeur, qui ne dispose au Luxembourg d’aucun domicile fixe déclaré ni d’une quelconque autre attache, ne lui a pas soumis d’éléments concluants permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points a), b) et c) dudit article s’impose.

Ainsi, les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 et plus particulièrement celles visées aux points a) et b) dudit article, telles que plus particulièrement préconisées par le demandeur, ne sauraient être efficacement appliquées et l’arrêté déféré de placement en rétention ne saurait être considéré comme étant disproportionné ou injustifié de ce fait, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont, dès lors, à écarter.

En ce qui concerne finalement les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, force est au tribunal de constater qu’il se dégage du jugement précité du 1er avril 2025, que jusqu’à cette date, les diligences étaient considérées comme ayant été suffisantes, alors qu’en date du 24 février 2025, le Centre de coopération policière et douanière avait été saisi d’une demande de recherche concernant le demandeur, suite à laquelle il s’est avéré que ce dernier n’était connu ni des autorités allemandes, ni des autorités belges et qu’il avait bénéficié d’une attestation de demande d’asile, valable jusqu’au 20 août 2021, laquelle lui avait été délivrée par les autorités françaises. Il ressort, par ailleurs, d’une recherche effectuée dans la base de données EURODAC en date du 25 février 2025, que l’intéressé avait introduit des demandes de protection internationale en Autriche le 16 janvier 2016, ainsi qu’en France en date du 20 juillet 2021, et qu’en date du 27 février 2025, les autorités luxembourgeoises ont adressé une demande d’information sur base de l’article 34 du règlement Dublin III à leurs homologues français, afin de se voir transmettre « (…) toutes informations disponibles sur [le demandeur] notamment sur :

1. l’identité déclarée, 1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 972 (1er volet) et les autres références y citées.2. les membres de famille connus ainsi que leur lieu de séjour 3. les documents remis en France 4. la prise de décision et la suite donnée à sa demande 5. [sa] situation administrative actuelle (…) » en France.

Il ressort encore du jugement précité du 1er avril 2025 que par courrier électronique du 27 mars 2025, les autorités luxembourgeoises ont adressé un rappel concernant cette demande d’information à leurs homologues français.

Depuis lors, il ressort du dossier administratif que les autorités ministérielles ont adressé un second rappel à leurs homologues français en date du 15 avril 2025, concernant la demande d’information leur adressée le 27 février 2025.

Au vu des diligences ainsi déployées par les autorités ministérielles luxembourgeoises, actuellement tributaires de la collaboration des autorités françaises, étant à cet égard relevé que le ministre ne saurait nuire aux relations diplomatiques par un nombre exagéré de rappels adressés aux autorités étrangères compétentes, le tribunal conclut que c’est à tort que le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir accompli les démarches appropriées et nécessaires afin de procéder à son éloignement. Il s’ensuit qu’au stade actuel du dossier les diligences accomplies doivent être considérées comme suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, de sorte que les contestations afférentes sont à rejeter pour ne pas être fondées.

Il en est de même en ce qui concerne l’argumentation du demandeur ayant trait à l’absence de perspective d’éloignement, étant donné qu’il ne se dégage d’aucun élément de la cause que les démarches ainsi accomplies par l’autorité ministérielle luxembourgeoise seraient d’ores et déjà vouées à l’échec, d’autant plus qu’il a lui-même expressément demandé de se voir éloigné vers la France, de sorte qu’il n’est pas établi qu’il n’existerait pas, en l’espèce, de chances raisonnables de croire que l’éloignement puisse être mené à bien. Le moyen sous analyse est par conséquent également à rejeter.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal conclut qu’en l’état actuel du dossier et en l’absence d’autres moyens à soulever d’office, il ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 mai 2025 par :

Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 mai 2025 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 52771
Date de la décision : 06/05/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 09/05/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-05-06;52771 ?

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