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06/05/2025 | LUXEMBOURG | N°52770

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 mai 2025, 52770


Tribunal administratif N° 52770 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52770 4e chambre Inscrit le 29 avril 2025 Audience publique du 6 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52770 du rôle et déposée le 29 avril 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour

, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déc...

Tribunal administratif N° 52770 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52770 4e chambre Inscrit le 29 avril 2025 Audience publique du 6 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52770 du rôle et déposée le 29 avril 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Tunisie) et être de nationalité tunisienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 18 avril 2025 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Luca ESTGEN en sa plaidoirie à l’audience publique de ce jour, Maître Eric SAYS s’étant excusé.

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Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, région Capitale, Commissariat Luxembourg C3R, référencé sous le numéro …, du 19 septembre 2024, qu’en date du même jour, Monsieur (A) fit l’objet d’un contrôle d’identité lors duquel il ne put présenter des documents d’identité ou de voyage valables. Il s’avéra à cette occasion, tel que confirmé par une recherche effectuée le lendemain dans la base de données EURODAC, que Monsieur (A) avait introduit des demandes de protection internationale aux Pays-Bas le 6 décembre 2019 et en Allemagne les 14 octobre 2020 et 22 mars 2023. Il s’avéra encore à cette occasion, suite à une recherche dans la base de données du système d’information Schengen (« SIS »), que Monsieur (A) faisait l’objet de deux signalements de la part des autorités allemandes et d’un signalement de la part des autorités néerlandaises.

Suivant relevés journaliers du Centre pénitentiaire d’Uerschterhaff (« CPU ») des 4 octobre et 29 novembre 2024, Monsieur (A) fut placé en détention préventive du 4 octobre au 29 novembre 2024.

Il se dégage ensuite d’un rapport de la police grand-ducale, région Capitale, Commissariat Luxembourg C3R L-3R-LU, référencé sous le numéro …, dit « Fremdennotiz », 1du 22 janvier 2025, que le même jour, Monsieur (A) fut à nouveau interpellé par les forces de l’ordre sans qu’il n’ait été en mesure de présenter des documents d’identité ou de voyage valables.

Par arrêté du 23 janvier 2025, notifié à Monsieur (A) le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », déclara le séjour de celui-ci sur le territoire luxembourgeois irrégulier, lui ordonna de quitter le territoire sans délai et lui interdit l’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans à partir de la sortie de l’espace Schengen.

Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé également le même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et considérations suivants :

« (…) Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport no … du 22 janvier 2025 établi par la Police grand-ducale, Région Capitale, Commissariat Luxembourg (C3R) L-3R-LU ;

Considérant que l'intéressé fait l'objet de trois signalements dans le Système d'information Schengen (SIS) ;

Considérant que l'intéressé est démuni de tout document d'identité et de voyage valable ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».

Par arrêté du 19 février 2025, notifié à l’intéressé le surlendemain, le ministre ordonna la prorogation du placement de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée d’un mois avec effet au 23 février 2025.

Par arrêté du 19 mars 2025, notifié à l’intéressé le 21 mars 2025, le ministre prorogea le placement en rétention de Monsieur (A) une nouvelle fois pour une durée d’un mois, avec effet au 23 mars 2025. Le recours contentieux dirigé par Monsieur (A) contre cet arrêté du 19 mars 2025 fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 1er avril 2025, inscrit sous le numéro 52584 du rôle.

Par arrêté du 18 avril 2025, notifié à l’intéressé le 23 avril 2025, le ministre prorogea le placement en rétention de Monsieur (A) une nouvelle fois pour une durée d’un mois, avec effet au 23 mars 2025, l’arrêté étant fondé sur les motifs et considérations suivants :

« (…) Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

2Vu mes arrêtés des 23 janvier, 19 février et 19 mars 2025, notifiés le 23 janvier, le 21 février avec effet au 23 février, et le 21 mars avec effet au 23 mars 2025, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 23 janvier 2025 subsistent dans le chef de l'intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l'identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n'ont pas encore abouti ;

Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure d'éloignement ; (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 avril 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 18 avril 2025.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et après avoir exposé les faits et rétroactes à la base de la décision déférée, tels que rappelés ci-avant, le demandeur, en droit, se rapporte d’abord à prudence de justice en ce qui concerne la compétence du ministre pour prendre l’arrêté litigieux.

Ensuite, et après avoir cité l’article 120, paragraphes (1) et (3) de la loi du 29 août 2008, le demandeur soutient que le placement d'une personne au centre de rétention ne serait nullement une obligation systématique pour le ministre, mais constituerait une simple faculté qui devrait être considérée comme l'ultime remède, de sorte à devoir être basée sur des motifs sérieux et être proportionnée par rapport à une situation donnée.

Le placement en rétention d'une personne constituant une atteinte évidente à la liberté de mouvement, la décision y relative devrait être motivée à suffisance, ce qui ne serait manifestement pas le cas en l'espèce.

Le demandeur s’empare ensuite d’un jugement du tribunal administratif du 7 août 2014, inscrit sous le numéro 34993 du rôle, pour souligner qu’une décision de prorogation serait soumise à la réunion de quatre conditions cumulatives, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d'éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu'il y ait des chances raisonnables de croire que l'éloignement en question puisse être mené à bien, tout en relevant que le terme de « diligences » viserait « toutes les démarches requises » que le ministre serait obligé d'entreprendre « pour exécuter l'éloignement dans les meilleurs délais (…) afin d'écourter au maximum la privation de liberté que constitue la rétention administrative » Dans ce contexte, le demandeur estime qu'il n'existerait à l'heure actuelle aucune perspective d'éloignement, de sorte que se poserait la question de savoir comment le ministre 3pourrait exécuter cette mesure d'éloignement dans un délai raisonnable, et ceci avant la durée maximale de la mesure de rétention.

Il conteste encore que toutes les démarches requises auraient été effectuées, alors que depuis la demande d’identification adressé au Consulat Général de Tunisie en date du 23 janvier 2025, ainsi que le rappel du 13 février 2025, aucune démarche n'aurait plus été entreprise.

Or, l'envoi d'une demande isolée aux autorités étrangères, suivi des rappels espacés dans le temps, serait largement insuffisant pour permettre son identification rapide en vue de limiter au maximum la durée de sa rétention, le demandeur soulignant que deux mois se seraient écoulés depuis son placement en rétention, sans un quelconque progrès, et sans qu’un rapatriement par un quelconque moyen de transport ne lui aurait été proposé. Or, ni le manque de démarches nécessaires des autorités, ni l'absence de vols ne saurait justifier le maintien en rétention.

Il donne à considérer qu’il ferait l'objet de menaces de mort dans son pays d'origine, du fait d’avoir fui pour l'Italie en 2011.

Il fait relever qu’il souhaiterait quitter volontairement le territoire luxembourgeois dans les meilleurs délais que ce soit par avion, bus, train, voiture, et ce, notamment par ses propres moyens, pour se rendre aux Pays-Bas, où il aurait déposé une demande de protection internationale.

Le demandeur conteste ensuite qu'il existerait un danger de fuite dans son chef, respectivement qu’il empêcherait la préparation de son retour ou de la procédure d'éloignement.

Finalement le demandeur fait plaider que son placement dans une structure fermée serait disproportionné au regard des circonstances de l’espèce et de son comportement, de sorte que des mesures moins coercitives que celle d’un placement en rétention auraient pu être prises à son égard, notamment celles prévues à l'article 125, points a) et b) de la loi du 29 août 2008 à savoir une assignation à résidence dans un lieu fixé par le ministre avec l'obligation de se présenter à des intervalles à fixer auprès des services du ministre ou de toute autre autorité désignée.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Le tribunal n'est pas tenu de suivre l'ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse mais, dans l'intérêt d’une bonne administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, peut les traiter suivant un ordre différent1.

C’est de prime abord à tort que le demandeur conteste, par le fait de s’être rapporté à prudence de justice, la compétence du ministre ayant pris la décision déférée, étant donné qu’en vertu de l’article 3, point g) de la loi du 29 août 2008, le ministre visé dans les dispositions de 1 trib. adm. 21 novembre 2001, n° 12921 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 545 et les autres références y citées.

4cette loi est le membre du gouvernement ayant l’immigration dans ses attributions, soit, conformément à l’annexe B du règlement interne du Gouvernement tel qu’approuvé par arrêté grand-ducal du 27 novembre 2023 portant approbation et publication du règlement interne du Gouvernement, le ministre des Affaires intérieures.

Le moyen de légalité externe afférent est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.

S’agissant ensuite du moyen tiré d’une insuffisance de motivation de ladite décision, le tribunal relève que dans la mesure où aucun texte légal ou réglementaire n’exige l’indication formelle des motifs se trouvant à la base d’une décision de placement en rétention - l’article 6, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en vertu duquel certaines catégories de décisions doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, n’étant pas applicable à une telle décision -, le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision litigieuse, de sorte que le moyen sous analyse est à rejeter.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. (…) ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de la rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de 5placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

En ce qui concerne d’abord les contestations de l’intéressé quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, le tribunal constate, à l’instar de ce qui avait été relevé dans le jugement précité du 1er avril 2025, qu’il est constant en cause que le demandeur est en séjour irrégulier au Luxembourg, étant relevé qu’une décision de retour comportant une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans a été prise à son encontre le 23 janvier 2025, décision qui ne fait pas l’objet de la présente instance contentieuse, et que le concerné ne dispose ni d’un visa en cours de validité, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.

Il s’ensuit qu’il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), numéro 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « (…) Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé (…) s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 (…) », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008 figurent justement celles d’être en possession d’un passeport et d’un visa en cours de validité ou d’une autorisation de voyage en cours de validité et de ne pas faire, tel que c’est pourtant le cas pour le demandeur, l’objet d’un signalement dans le SIS, ni d’une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire, telles que prévues au paragraphe (2), points 1. à 3. de la disposition légale en question.

Dès lors, et dans la mesure où le concerné reste toujours en défaut de soumettre au tribunal le moindre élément permettant de renverser cette présomption, ses contestations quant à l’existence d’un risque de fuite dans son chef sont à rejeter, ce risque étant, au contraire, corroboré par le fait que le demandeur affirme toujours vouloir quitter le territoire luxembourgeois pour se rendre au plus vite aux Pays-Bas, étant relevé à cet égard que le risque de fuite se définit comme le risque de se soustraire à sa mesure d’éloignement.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1) précité de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.

S’agissant ensuite de l’argumentation du demandeur selon laquelle il aurait dû 6bénéficier de mesures moins coercitives, telles que visées à l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, et notamment d’une assignation à résidence, assortie d’une obligation de se présenter régulièrement auprès des services du ministère, le tribunal relève que cette disposition légale prévoit ce qui suit : « (1) Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que 7prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes2.

En l’espèce, le tribunal est amené à retenir, tel que relevé ci-avant, que le demandeur, qui ne dispose au Luxembourg d’aucun domicile fixe déclaré ni d’une quelconque autre attache, ne lui a pas soumis d’éléments concluants permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points a), b) et c) dudit article s’impose.

Ainsi, les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 et plus particulièrement celles visées aux points a) et b) dudit article, telles que plus particulièrement préconisées par le demandeur, ne sauraient être efficacement appliquées et l’arrêté déféré de placement en rétention ne saurait être considéré comme étant disproportionné ou injustifié de ce fait, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont, dès lors, à écarter.

En ce qui concerne ensuite les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de permettre son éloignement dans les meilleurs délais et l’argumentation du concerné ayant trait à une prétendue absence de chance raisonnable de croire que l’éloignement puisse être mené à bien, le tribunal constate qu’il a été retenu, dans le jugement précité du 1er avril 2025, que les démarches concrètement entreprises jusqu’à cette date ont été considérées comme étant suffisantes, étant donné que par courrier électronique du 13 février 2025, le ministre s’était adressé au Consulat Général de Tunisie pour s’enquérir sur l’état d’avancement de la demande d’identification du demandeur en vue de la délivrance d’un laissez-passer leur adressée le 23 janvier 2025, cette demande ayant encore fait l’objet de rappels en dates des 27 février 2025, 13 et 26 mars 2025.

Quant aux démarches entreprises depuis lors, force est de relever que les autorités luxembourgeoises ont à nouveau relancé les autorités consulaires tunisiennes pour s’enquérir de l’état d’avancement du dossier du demandeur par courriers des 10 et 25 avril 2025, de sorte qu’au regard des diligences accomplies à ce jour par le ministre, actuellement tributaire de la collaboration des autorités étrangères - étant relevé qu’il ne saurait être nui aux relations diplomatiques par un nombre exagéré de rappels adressés aux autorités étrangères compétentes -, c’est à tort que le demandeur estime que le ministre n’aurait pas accompli les démarches appropriées et nécessaires afin de préparer son éloignement rapide du territoire luxembourgeois. Il s’ensuit que les démarches concrètement entreprises, en l’espèce, par l’autorité ministérielle doivent, au contraire, être considérées comme étant, à ce stade, suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter.

Il y a également lieu de relever qu’à l’heure actuelle, il ne se dégage d’aucun élément de la cause que les démarches ainsi accomplies par l’autorité ministérielle luxembourgeoise seraient d’ores et déjà vouées à l’échec, de sorte qu’il n’est pas établi qu’il n’existerait, en l’espèce, pas de chances raisonnables de croire que l’éloignement du demandeur puisse être mené à bien.

2 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 972 (premier tiret) et les autres références y citées.

8 Le moyen sous analyse est par conséquent à rejeter.

Le tribunal rappelle ensuite, tel que déjà relevé dans son jugement du 1er avril 2025, qu’il n’est saisi que de la décision ministérielle du 18 avril 2025, ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention en vue de son retour vers la Tunisie, et pas de la décision de retour ou d’éloignement se trouvant à sa base, de sorte que l’argumentation du demandeur suivant laquelle il ferait l’objet de menaces de mort dans son pays d’origine, de même que ses considérations qu’il aurait déposé une demande de protection internationale aux Pays-Bas sont à écarter pour défaut de pertinence.

Pour autant que le demandeur, à travers son affirmation non autrement circonstanciée qu’il aurait déposé une demande de protection internationale aux Pays-Bas, ait entendu se prévaloir des dispositions de l’article 24, paragraphe (1) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, prévoyant l’hypothèse dans laquelle un ressortissant de pays tiers, demandeur de protection internationale dans un Etat membre, mais n’ayant pas introduit de nouvelle demande de protection internationale dans l’Etat membre dans lequel il se trouve sans titre de séjour, il échet de relever que le fait pour ledit Etat membre d’adresser une demande de reprise en charge à l’Etat membre qu’il estime responsable, demeure, aux termes dudit article, une simple faculté, de sorte qu’il ne saurait être reproché à l’autorité ministérielle de ne pas avoir adressé une demande de reprise en charge aux autorités néerlandaises.

Eu égard aux développements qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait, en l’état actuel du dossier, utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 mai 2025 par :

Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, 9en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 mai 2025 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 52770
Date de la décision : 06/05/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 09/05/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-05-06;52770 ?

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