Tribunal administratif N° 50289 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:50289 3e chambre Inscrit le 4 avril 2024 Audience publique du 6 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50289 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 avril 2024 par Maître Lukman ANDIC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Turquie), de nationalité turque, demeurant à L-…, ayant élu domicile en l’étude de son litismandataire, préqualifié, sise à L-4750 Pétange, 54, route de Longwy, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 1er mars 2024 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 mai 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jenna LIFA, en remplacement de Maître Lukman ANDIC, et Madame le délégué du gouvernement Pascale MILLIM en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 janvier 2025.
Le 3 juin 2022, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, du même jour.
En date des 25 novembre et 15 décembre 2022, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
1 Par décision du 1er mars 2024, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée du 4 mars 2024, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », rejeta la demande de protection internationale de Monsieur (A), tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :
« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 3 juin 2022 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant aux motifs de fuite invoqués à la base de votre demande de protection internationale Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous seriez originaire de … en Turquie, d’ethnie Kurde et de confession musulmane.
Vous indiquez que vous auriez quitté votre pays d’origine afin d’introduire une demande de protection internationale au Luxembourg, parce que vous auriez « peur d’être mis en prison » (p.13/16 de votre rapport d’entretien).
A cet égard, vous expliquez que sept personnes d’une famille d’origine kurde auraient été tuées à … le … et que vous auriez publié le même jour des « commentaires » à ce sujet sur les réseaux sociaux. Concernant le contenu de vos publications, vous précisez : « Je disais que la famille avait été décimée et que les responsables étaient le préfet de … et le Ministre de l’intérieur » (p.6/16 de votre rapport d’entretien).
« Environ 3 mois après » vos publications (p.8/16 de votre rapport d’entretien), vous auriez été contacté par une personne qui se serait « présentée comme le bureau du procureur de … » et qui aurait exigé votre adresse afin que vous puissiez être interrogé « à propos de la propagande terroriste » (p.5/16 de votre rapport d’entretien).
Vous auriez refusé de donner votre adresse et vous auriez bloqué les appels provenant de numéros masqués afin d’éviter d’être rappelé. Vous vous seriez ensuite adressé au poste de police à proximité de votre domicile une demi-heure plus tard et vous auriez demandé s’il y avait « un acte d’accusation » à votre encontre. Les policiers auraient vérifié « dans leur système », mais n’auraient rien trouvé à votre sujet, après quoi vous seriez rentré chez vous (p.5/16 de votre rapport d’entretien).
Vous indiquez que le lendemain matin, soit le 15 octobre 2021 (p.9/16 de votre rapport d’entretien), des policiers seraient venus à votre domicile pour vous arrêter et qu’ils vous auraient placé en garde à vue durant une nuit au commissariat de « … », lors de laquelle vous auriez été malmené (p.8&9/16 de votre rapport d’entretien). Vous auriez ensuite été emmené « au bureau du procureur » (p.9/16 de votre rapport d’entretien) le lendemain matin, soit le 16 octobre 2021 et vous auriez été accusé de « propagande terroriste et insulte contre les institutions étatiques » (p.10/16 de votre rapport d’entretien). Vous 2expliquez que vous auriez été interrogé à tour de rôle par les procureurs de … et de … durant deux heures sur le sujet de vos publications sur les réseaux sociaux. Vous auriez ensuite dû signer un procès-verbal qui vous aurait été remis et vous auriez été relâché.
En date du 1er novembre 2021, vous auriez reçu un appel par la police du commissariat d’Istanbul, qui vous aurait informé qu’il y aurait un acte d’accusation à votre encontre. Vous vous seriez rendu au commissariat de votre plein gré et vous auriez été interrogé sur vos mêmes publications en relation avec les « évènements du 30.07.2021 ».
L’agent, qui vous aurait questionné, aurait acté vos déclarations sans néanmoins vous remettre un compte-rendu de vos dépositions. Vous auriez ensuite été libre de rentrer chez vous (p.11/16 de votre rapport d’entretien).
Vous poursuivez votre récit en indiquant que vous seriez parti auprès d’un ami à … chez lequel vous auriez séjourné durant six mois, étant donné que vous auriez eu peur alors que vous auriez été « convoqué 2 fois pour les mêmes faits » (p.11/16 de votre rapport d’entretien).
En date du 19 mai 2022, la police vous aurait contacté par téléphone afin de vous informer que vous seriez convoqué pour être entendu, étant donné que vous seriez « accusé de calomnier » les « forces d’armée [sic] turques ». Vous ajoutez que vous penseriez qu’il pourrait s’agir d’« un … concernant le viol d’une jeune fille par un officier qui n’a pas été inquiété », publication qui daterait de 2021 et que vous auriez commentée à l’époque. Vous n’auriez cependant donné aucune suite à la convocation, parce que vous auriez eu peur et vous auriez finalement quitté votre pays d’origine le 26 mai 2022 pour vous rendre au Luxembourg (p.11&12/16 de votre rapport d’entretien).
Vous mentionnez en outre une garde à vue qui serait survenue en 2017. A cet égard, vous expliquez que vous auriez travaillé sur un chantier en Irak et que vous seriez rentré en Turquie afin de faire prolonger votre visa. Vous auriez été arrêté à la frontière et placé en garde à vue à cause d’un « … » que vous auriez publié durant la fête des pères au sujet de Selahattin DEMIRTAS, coprésident du Parti démocratique des peuples (ci-après dénommée « HDP »). Vous auriez été retenu durant « plus de 24 heures au poste de police de la douane à … », garde à vue durant laquelle vous auriez été interrogé au sujet de vos publications et lors de laquelle vous auriez « eu droit à un passage à tabac en bonne et due forme ». Vous laissez entendre que vous auriez été relâché après avoir été questionné et qu’il n’y aurait eu aucune suite (p.7/16 de votre rapport d’entretien).
A l’appui de votre demande, vous présentez une carte d’identité turque et une copie d’un document en langue turque qui serait un procès-verbal d’interrogatoire, établi le 6 octobre 2021 par le Procureur de la République de …, sans traduction.
2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.
• Quant au refus du statut de réfugié 3Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.
Aux termes de l’article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.
Monsieur, vous avancez que vous auriez peur d’être incarcéré en cas d’un retour dans votre pays d’origine en faisant état de trois incidents en lien avec votre crainte. Vous indiquez en premier lieu que vous auriez fait l’objet d’une garde à vue et d’un interrogatoire les 15 respectivement 16 octobre 2021, ensuite vous mentionnez un interrogatoire que vous auriez subi le 1er novembre 2021 et enfin, vous avancez que vous auriez été convoqué par la police le 19 mai 2021 pour être à nouveau entendu.
Premièrement, concernant la garde à vue et l’interrogatoire dont vous auriez fait l’objet le 15 octobre 2021, il convient de noter que ces faits pourraient a priori entrer dans le champ d’application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015, étant donné que vous avancez avoir été détenu et questionné pour avoir publié des remarques sur les réseaux sociaux contre « le préfet de … et le Ministre de l’intérieur » dans le cadre d’un incident qui serait survenu à … et qui aurait impliqué une famille d’origine kurde.
Force est cependant de constater que ces faits ne revêtent pas un caractère de gravité tels qu’ils puissent être assimilés à une persécution au sens de dispositions précitées de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.
En effet, le fait d’avoir fait l’objet d’une garde à vue d’une nuit et d’avoir être interrogé le lendemain au bureau du Procureur au sujet de publications sur les réseaux sociaux en lien avec un incident tragique survenu dans votre pays d’origine, sans qu’aucune conséquence concrète ne s’en serait suivie, n’est pas d’une gravité suffisante et particulière pour être qualifié d’acte de persécution.
Ces constats sont renforcés par la pièce déposée par vos soins qui serait une copie d’un procès-verbal d’interrogatoire et de laquelle il découle uniquement que vous auriez été questionné au sujet de vos propos sur les réseaux sociaux. Interrogatoire, lors duquel vous auriez concédé avoir fait une publication sur « … » dans laquelle vous auriez écrit qu’« une famille de 7 personnes a été assassinée de manière planifiée et systématique » en accusant le Préfet de …, le directeur de la police de … et le ministre de l’Intérieur d’être « complices de 4ce crime ». Il ressort en outre du même document que vous auriez admis avoir agi sous « l’impulsion passagère » et « la colère », étant donné que vous auriez pensé qu’il se serait agi d’un acte de racisme et que vous auriez finalement supprimé ces publications après que vous auriez compris qu’il aurait été question d’un règlement de compte au sein de la famille en question.
De plus, contrairement à vos déclarations, il ne découle nullement de ladite pièce que vous auriez été accusé de « propagande terroriste » et il appert que le procès-verbal en question aurait été établi le 6 octobre 2021, à l’opposé de vos allégations selon lesquelles vous auriez été interrogé le 16 octobre 2021, de sorte qu’il convient de relativiser vos dires dans ce contexte et par conséquent la réelle gravité de votre situation dans votre pays d’origine.
Pour ce qui est de vos allégations selon lesquelles vous auriez été malmené, vous avancez que : « Les deux policiers qui sont venus me récupérer m’ont traîné. Au poste de police, un policier est venu me voir lorsque j’étais dans la cellule et c’est lui qui m’a frappé » (p.9/16 de votre rapport d’entretien).
A cet égard, il échet de souligner que ce fait est certes condamnable, or le comportement regrettable d’un ou de certains policiers ne saurait être considéré comme représentatif du système policier et du fonctionnement de la police turque dans son ensemble.
Il y a dès lors lieu de conclure qu’on ne saurait retenir dans votre chef l’existence d’une persécution, respectivement d’une crainte de persécution dans ce contexte.
Deuxièmement, concernant l’interrogatoire dont vous auriez fait l’objet le 1er novembre 2021 après avoir été convoqué par la police, il échet de constater que ce fait, qui serait également lié à vos publications sur les réseaux sociaux, pourrait aussi a priori entrer dans le champ d’application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.
Or, ce fait ne revête pas non plus un caractère de gravité tel qu’il puisse être assimilé à une persécution au sens de dispositions prévues par les prédits textes.
En effet, vous avancez avoir été convoqué à la suite d’un appel téléphonique au commissariat d’Istanbul et vous y être rendu de votre plein gré. Vous indiquez ensuite que vous auriez été questionné par un policier au sujet des mêmes publications que vous auriez faites en lien avec l’incident susmentionné à … sans que rien d’autre ne se serait produit et que vous auriez ensuite été libre de rentrer chez vous, de sorte que ce fait n’est pas d’une gravité suffisante et particulière pour être qualifié d’acte de persécution.
Pour ce qui est du prétendu acte d’accusation que la police aurait mentionné au téléphone, il importe de retirer qu’il ressort clairement de vos propres dires que vous auriez pu partir après un simple interrogatoire et qu’il n’y aurait eu aucune conséquence voire suite concrète, de sorte qu’il y a lieu de retenir que vous ne vous trouviez manifestement pas dans une situation d’une gravité telle que vous tentez de le faire croire.
Ce constat est conforté par le fait que vous restez en défaut de présenter la moindre pièce afin de soutenir vos allégations, alors que la seule pièce que vous avez remise serait en lien avec le seul interrogatoire que vous auriez subi le 6 octobre 2021.
5Par conséquent, il sied de conclure qu’aucune persécution, respectivement crainte de persécution ne saurait être retenue dans votre chef.
Troisièmement, concernant l’appel téléphonique que vous auriez reçu de la part de la police le 19 mai 2022, force est de constater que ce fait n’entre pas dans le champ d’application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.
En effet, il ressort de vos dires que vous auriez reçu un appel téléphonique par la police qui aurait voulu vous entendre au sujet de vos commentaires sur les réseaux sociaux à l’égard d’une prétendue affaire de viol, qui aurait impliqué un officier des forces armées turques, de sorte qu’il n’existe aucun lien avec votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques, ou encore votre appartenance à un certain groupe social.
Même à supposer que cet incident serait lié à un des critères de fond énumérés par les prédits textes, il importe néanmoins de retenir que le simple fait d’être convoqué par téléphone pour être entendu au sujet de commentaires, dont vous penseriez qu’ils pourraient être en lien avec « un … concernant le viol d’une jeune fille par un officier qui n’a pas été inquiété », sans néanmoins en avoir la certitude, ne revête pas un degré de gravité particulier et suffisant pour être qualifié d’acte de persécution au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.
Le constat du manque de gravité est conforté par le fait que vos déclarations à ce sujet sont lacunaires et peu étayées, de sorte qu’aucune persécution, respectivement crainte de persécution ne saurait être retenue dans votre chef. A cela s’ajoute que vous n’auriez pas été convoqué par un simple appel téléphonique si des accusations sérieuses existaient réellement à votre encontre.
Monsieur, vous mentionnez en outre une garde à vue qui serait survenue en 2017 alors que vous auriez été arrêté à la frontière turco-irakienne à cause d’un « … » que vous auriez publié durant la fête des pères au sujet de Selahattin DEMIRTAS, coprésident du « HDP ». Vous avancez que vous auriez été retenu durant plus d’une journée pour être interrogé au sujet de ces publications et que vous auriez été maltraité par des policiers alors qu’ils vous auraient frappé.
Il sied de préciser que cet incident est beaucoup trop éloigné dans le temps pour justifier une demande de protection internationale en 2022, sans compter le fait que vous n’exprimez aucune crainte concrète en lien avec ce fait dans le cadre de votre demande de protection internationale.
De plus, il appert que ce fait ne vous a pas amené à quitter votre pays d’origine. Au contraire, vous avez continué à y vivre durant plus ou moins cinq ans, ce qui démontre incontestablement que cet incident n’est pas à l’origine de votre décision de quitter la Turquie.
Il y a dès lors lieu de conclure qu’on ne saurait retenir dans ce contexte l’existence dans votre chef d’une crainte de persécution en cas de retour dans votre pays d’origine.
Monsieur, à cela s’ajoute qu’il ressort clairement de vos déclarations que vous n’avez à aucun moment porté plainte, ni cherché à trouver de l’aide auprès d’une quelconque instance pour aucun des faits que vous avez mentionnés dans le cadre de votre entretien.
6 Or, si vous vous estimiez victime de discriminations et de maltraitances policières, il sied de porter à votre attention l’existence de l’Institution turque des droits de l’homme et de l’égalité (National Human Rights and Equality Institution, NHREI) qui est « compétente en matière de « protection des droits de l’Homme, de prévention des violations des droits de l’Homme, de lutte contre la torture et les mauvais traitements, de réception et de traitement des plaintes, d’éducation et de recherche sur les droits de l’Homme » » ou encore l’existence du Médiateur national de Turquie : « The purpose of the Turkish Ombudsman Institution is to establish an independent and efficient complaint mechanism regarding the delivery of public services and investigate, research and make recommendations about the conformity of all kinds of actions, acts, attitudes and behaviours of the administration with law and fairness under the respect for human rights. Natural and legal persons including foreign nationals may lodge complaints to the Ombudsman Institution ».
Vous auriez également pu vous adresser au procureur d’Etat afin de déposer une plainte : « In principle, prosecutors can and must investigate all allegations of torture and ill-
treatment ex officio, regardless of an individual complaint, and the Public Prosecutor must follow up all complaints received. Complaints may be brought by victims themselves, by their family or lawyer, by civil society organisations, or by a monitoring mechanism such as the Ombudsman Institution».
Le simple fait d’avancer qu’« Il n’y a pas d’autorité qui puisse recevoir une telle plainte. Il n’y a personne à qui faire appel pour se plaindre pour des telles situations » (p.13/16 de votre rapport d’entretien) ne saurait infirmer ces constats, étant donné qu’il découle clairement de vos propres dires que vous n’avez entrepris aucune démarche.
Dans ce contexte, il convient de rappeler que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d’actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.
Au vu de tout ce qui précède, force est de conclure qu’on ne saurait retenir l’existence dans votre chef d’une persécution, respectivement d’une crainte de persécution au sens des dispositions prévues par les prédits textes.
Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.
• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant 7pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.
L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi. Or, en l’espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.
L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il sied de souligner qu’à l’appui de votre demande de protection subsidiaire, vous invoquez en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de votre demande de reconnaissance du statut de réfugié. Or, sur base des développements et conclusions retenues qui précèdent dans le cadre du rejet du statut de réfugié, vous n’invoquez aucun autre élément additionnel susceptible de rentrer dans le champ d’application de l’article 48 précité.
Ainsi, tout en renvoyant aux arguments développés ci-dessus, force est de constater que vous ne risquez pas de devenir victime d’atteintes graves au sens des prédits textes dans le cas d’un retour dans votre pays d’origine.
Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.
Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.
Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la Turquie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 avril 2024, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 1er mars 2024 portant rejet de sa demande de protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
1) Quant au recours dirigé contre la décision ministérielle portant rejet de la demande de protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre la décision de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé à titre principal contre la décision du ministre du 1er mars 2024, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
8Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire.
Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours et en fait, le demandeur, outre de réitérer les rétroactes retracés ci-avant, expose être de nationalité turque, d’ethnie kurde et de confession musulmane. Il soutient avoir fui la Turquie en raison de ses opinions politiques et plus précisément en raison de son engagement, à travers divers réseaux sociaux, en faveur de la cause kurde, et ce notamment à travers une publication au sujet d’un assassinat de sept personnes d’une famille d’origine turque et d’une publication au sujet d’un viol d’une jeune fille par un officier des forces armées turques, le demandeur précisant que cet engagement aurait été à l’origine des violences policières dont il aurait été victime.
En droit, et après avoir cité l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que les articles 42, paragraphes (1) et (2), 39 et 40 paragraphes (1) et (2) de la même loi, le demandeur fait valoir que sa demande de protection internationale devrait être analysée sous deux aspects à savoir d’une part, sous l’aspect de ses opinions politiques personnelles qui seraient proches de celles du parti politique HDP, parti auquel il n’aurait toutefois jamais adhéré et ce afin de garantir le devoir moral de neutralité, d’indépendance et d’intégrité qu’il se serait fixé à lui-même et qui serait indispensable pour lui permettre de s’exprimer sur les réseaux sociaux avec sérieux et crédibilité, et, d’autre part, sous l’aspect de son activité de journaliste, le demandeur précisant encore qu’il n’aurait pas exercé cette activité à titre professionnel en raison de la répression que subiraient les journalistes en Turquie.
En ce qui concerne plus particulièrement ses opinions personnelles, le demandeur, en faisant référence à son entretien auprès de la direction de l’Immigration, rappelle que lors de son service militaire, lequel aurait duré 12 mois, il aurait été confronté au racisme et à des discriminations en raison de son ethnie kurde. Il précise à cet égard qu’il lui aurait été enjoint de « penser comme un turc » et qu’il n’aurait pas eu le droit de parler le kurde.
Il précise ensuite que suite à une publication sur le réseau social « … » dans laquelle il aurait soutenu que « tous les kurdes qui donnent leur voie sont des gens sans honneur comme eux » visant ceux qui soutiendraient le parti au pouvoir, les autorités turques l’auraient accusé de faire « de la propagande terroriste » et ce en dépit du fait qu’il leur aurait fait part de son aversion contre la violence et du fait qu’il ne disposerait d’aucune arme.
Quant à la conclusion du ministre qu’il n’aurait pas porté plainte, le demandeur fait valoir qu’il aurait ignoré « contre qui et pourquoi porter plainte ». Il explique, à cet égard, que la police aurait été à sa recherche et qu’il aurait été amené devant plusieurs procureurs de différentes villes, sans qu’il ne se serait jamais vu soumettre le moindre acte d’accusation. Le demandeur ajoute qu’en raison de ses publications sur les réseaux sociaux, lesquelles auraient traduit ses opinions politiques personnelles, les autorités turques l’auraient qualifié tantôt de « PKK », tantôt de « séparatiste arménien » et auraient ainsi cherché un prétexte légal pour justifier les arrestations et interrogatoires dont il aurait fait l’objet, Monsieur (A) estimant avoir fait l’objet d’une « machination » de la part du pouvoir en place et ce uniquement pour avoir fait usage de sa liberté d’expression, telle que garantie par l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par la « Charte » et par 9l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, ci-après désignée par la « CEDH ».
Il aurait ainsi vécu dans un contexte d’anxiété et de frayeur qui l’aurait même amené à couper tout contact avec les membres de sa famille, afin de protéger ces derniers contre les autorités turques.
Dans ce contexte, il fait encore valoir que les personnes d’ethnie kurde ne bénéficieraient pas d’une protection adéquate de la part des forces de l’ordre turques, lesquelles ne feraient, lorsqu’elles interviennent en zone de conflit, pas de distinction entre les civils d’origine kurde partisans du HDP et les membres armés du PKK le demandeur se référant à cet égard à un article de presse du 1er janvier 2016, intitulé « la répression contre les kurdes touche majoritairement les civils », à un article de presse paru dans le journal « Le Monde » en date du 19 août 2019, intitulé « répression en Turquie, trois maires pro-kurdes du HDP démis de leur fonctions pour « terrorisme » ». Dans ce même contexte, il se prévaut encore d’un rapport de l’organisation non gouvernementale « Amnesty International » du 26 octobre 2020, lequel dénoncerait les arrestations arbitraires et massives d’opposants politiques en Turquie, ainsi que d’un communiqué de presse d’Amnesty International du 4 novembre 2016 intitulé « Arrestation de députés du HDP dans un climat de répression grandissante contre l’opposition kurde ».
En se prévalant d’un arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme, ci-après désignée par la « CourEDH », du 28 septembre 20151 et en mettant en avant sa peur de représailles de la part des autorités turques, ainsi que le fait qu’il aurait été obligé devant le tribunal de renier ses opinions pour éviter d’être incarcéré et le fait que ses droits de la défense auraient été bafoués, il reproche encore au ministre d’avoir retenu qu’il aurait pu s’adresser à diverses institutions truques s’il devait s’estimer victime de violences policières.
Il rappelle à cet égard avoir été victime de violences physiques et mentales de la part des autorités policières turques, violences qui seraient à qualifier d’actes de persécutions au sens de l’article 42, paragraphe (2), point a) de la loi du 18 décembre 2015 et qui témoigneraient d’un manque de respect pour sa dignité tout en suscitant dans son chef « une véritable peur propre à briser sa résistance morale et physique ».
Le demandeur en conclut que sa crainte de subir des persécutions en raison de ses opinions politiques et son appartenance à l’ethnie kurde serait fondée.
En ce qui concerne ensuite « son activité journalistique engagée », le demandeur fait plaider qu’il s’imposerait des valeurs identiques à celles de la déontologie journalistique, à savoir, la vérité, l’impartialité, l’équité et l’indépendance et qu’il aurait toujours exprimé, dénoncé et expliqué les faits dans le respect de son intégrité au détriment de sa sécurité.
Il fait encore valoir que cette déontologie reconnaîtrait le « journalisme citoyen », tout en expliquant que la frontière entre un tel journalisme et un journalisme professionnel serait ténue dans la mesure où le principe de la vocation et de l’engagement serait le même et que seule une rémunération pourrait distinguer ces deux types de journalisme.
Le demandeur affirme ensuite s’être comporté comme un journaliste sur les réseaux sociaux, tout en mettant en avant l’importance que la liberté d’expression aurait à ses yeux, le 1 CourEDH, grande chambre, 28 septembre 2015, Bouyid c/ Belgique.
10demandeur se référant à cet égard encore au préambule de la « Charte de Munich, ratifiée en 1971 et adoptée par la Fédération Européenne des Journalistes », charte qui concernerait aussi bien les journalistes professionnels que les journalistes non professionnels.
Il met ensuite en exergue qu’il aurait voulu cacher son activité journalistique et son engagement en raison de sa crainte d’être emprisonné en conséquence, le demandeur mettant de nouveau en avant la répression que connaîtraient les journalistes en Turquie en se référant à un article d’Amnesty International de 2017 intitulé « Turquie, le journalisme n’est pas un crime », ainsi que sur plusieurs publications de « Reporters sans frontières » desquelles il résulterait que la Turquie serait « la première prison au monde pour les journalistes », que ce même pays serait classé à la 165ième place sur 180 en ce qui concerne la liberté de presse pour opérer une véritable répression de toutes les activités journalistiques et assimilables sur les réseaux sociaux.
Il fait encore état d’un amendement qu’aurait adopté le Parlement turc et qui obligerait les plateformes informatiques de stocker les données des utilisateurs turcs sur le territoire national, sous peine de sanctions, pour prendre position sur la question lui posée lors de son entretien auprès de la direction de l’Immigration, de savoir comment le procureur de … aurait pu avoir accès à une de ses publications, même après le blocage de son compte « … ». Dans ce contexte, le demandeur rappelle que cette même publication aurait été vue plus de 160.000 fois, tandis qu’une autre de ses publications aurait été vue 136.000 fois, le concerné affirmant que ces mêmes publications auraient impacté l’image des institutions étatiques turques, ce qui aurait conduit à son arrestation et ce « sans respect des règles de procédure ».
Toujours en se référant à une publication de « Reporters sans frontières », le demandeur fait encore état de la « loi turque sur la désinformation » qui serait d’application tellement large qu’elle permettrait aux autorités d’arrêter quiconque qui exprime des opinions contraires à celle du pouvoir en place et permettrait à la justice de censurer pour une durée indéfinie toute publication sur internet, y compris celles traitant de sujets d’intérêt public, tels que la corruption politique, censure qui aurait d’ailleurs été pointée par la Cour Constitutionnelle turque dès 2021.
Au vu de ces considérations le demandeur est d’avis qu’il aurait dû se voir accorder le statut de réfugié et qu’il y aurait lieu de réformer la décision ministérielle en ce sens.
Quant au statut de la protection subsidiaire, le demandeur, après avoir cité l’article 2, point g) et l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et s’être référé aux articles 39 et 40 de la même loi, met en exergue qu’il aurait été convoqué à plusieurs reprises par les autorités turques pour les mêmes faits et ce nonobstant son passage devant un tribunal.
Il fait encore remarquer qu’alors qu’il se serait encore trouvé en Turquie, il aurait tenté d’accéder à ses papiers d’identité et autres documents officiels, via « E-devlet », tentative qui se serait toutefois soldée par un échec compte tenu du fait qu’un code de vérification aurait été envoyé sur son téléphone turc dont il ne disposerait plus. Il ajoute qu’à la période où il aurait encore eu accès à « E-devlet », il aurait toutefois pu constater qu’aucun acte d’accusation n’aurait été émis à son encontre et ce malgré ses passages aux commissariats et au tribunal.
11En donnant à considérer que des poursuites et sanctions infligées pour des délits de droit commun seraient à qualifier de traitements inhumains et dégradants dès lors qu’elles seraient disproportionnées, le demandeur soutient qu’il risquerait d’être victime de tels traitements en cas de retour en Turquie.
Après encore avoir mis en doute l’existence d’une justice indépendante en Turquie, compte tenu de la proximité que celle-ci afficherait avec le pouvoir exécutif, le demandeur, en se basant sur divers articles de presse datant des années 2016 à 2020, ainsi qu’un communiqué de presse du greffier de la CourEDH du 22 décembre 2020, insiste encore sur le sort des adhérents du HDP, respectivement du PKK, tout en rappelant qu’il lui serait reproché d’être la « vitrine politique » de ce dernier, ce qu’il aurait toutefois toujours nié.
Finalement, le demandeur cite encore un extrait d’un communiqué de presse non daté d’Amnesty International relatif au traitement réservé à des détenus au siège de la police d’Ankara et conclut qu’il serait manifeste qu’il serait exposé à des traitements inhumains et dégradants de la part des autorités policières turques en cas de retour dans son pays d’origine, tout en donnant à considérer qu’il ne saurait bénéficier d’une quelconque protection de la part des autorités turques.
Il estime dès lors remplir toutes les conditions pour se voir accorder la protection subsidiaire, de sorte que la décision ministérielle litigieuse devrait encourir la réformation.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Appréciation du tribunal En vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la même loi comme étant « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, point g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des 12persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».
Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :
« […] a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :
« […] a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».
Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».
13 Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2, point g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons de penser que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
En l’espèce, il échet de relever que la demande en obtention du statut de réfugié du demandeur repose sur sa crainte de faire l’objet de persécutions de la part des autorités turques en raison de (i) ses opinions personnelles et ses convictions politiques, lesquelles s’apparenteraient à celles défendues par le parti politique HDP, (ii) de son ethnie kurde et (iii) de ses différentes publications sur les réseaux sociaux, lesquelles s’inscriraient dans une activité journalistique et pour lesquelles il aurait déjà fait l’objet de poursuites pénales en Turquie.
A cet égard, il convient en premier lieu de relever que si le demandeur affirme certes de façon non autrement circonstanciée qu’il défendrait les idées politiques du HDP, et ce notamment à travers ses publications sur les réseaux sociaux, et semble ainsi se dépeindre 14comme étant un opposant politique, force est toutefois de constater, à l’instar du délégué du gouvernement, que le concerné n’apporte aucune preuve à l’appui de ses affirmations.
En effet, et outre le fait que le demandeur n’a aucunement fait référence au HDP au cours de son entretien auprès de la direction de l’Immigration et n’y a mentionné aucun engagement politique, voire une quelconque position politique dans son chef, si ce n’est le « … » qu’il aurait fait à l’occasion de la fête des pères en 2017, au sujet de Selahattin DEMIRTRAS, coprésident du HDP, il reste en défaut d’établir un quelconque rapport concret entre ses publications et les idées politiques véhiculées par le HDP et est en outre en aveu de ne jamais avoir été membre actif ou inactif de ce même parti politique.
Dans ce contexte il convient encore de noter qu’il ressort des déclarations du demandeur que c’était pour « être drôle » qu’il a fait le « … » en question ayant visé à souhaiter une bonne fête des pères à Monsieur DEMIRTRAS « dans les 4 murs où il se trouvait », alors qu’il aurait fait beaucoup pour son peuple2, et non pas par conviction politique.
Par ailleurs, et s’il ressort certes des déclarations du demandeur qu’il a fait l’objet d’une garde à vue pendant 24 heures après la publication de ce même « … » et que les conditions de cette même garde à vue sont fortement critiquables, il convient toutefois de retenir que cet incident, qui date de plus de sept ans, est trop éloigné dans le temps pour être pris en compte dans le cadre de l’examen de la présente demande de protection internationale, conclusion qui s’impose d’autant plus que le demandeur est resté encore pendant cinq ans en Turquie et qu’il n’exprime aucune crainte concrète liée directement à cet incident dans le cadre de la présente demande.
Quant aux divers articles de presse et documents d’Amnesty International cités par le demandeur, censés illustrer le sort réservé aux personnes ayant un lien avec le HDP, il échet de relever, outre le fait que ceux-ci datent des années 2016 à 2020, de sorte à ne pas refléter la situation actuelle en Turquie et qu’ils sont cités sans mise en relation avec la situation concrète, individuelle et personnelle du concerné, que le tribunal vient de retenir ci-avant qu’il n’est pas établi en cause que Monsieur (A) ait un quelconque lien avec le HDP, de sorte que les développements fondés sur ces mêmes articles de presse et documents d’Amnesty International sont à rejeter pour défaut de pertinence.
Au vu de ces considérations, il convient de rejeter l’ensemble des développements du demandeur ayant trait à ses prétendues opinions politiques qui seraient proches de celles du HDP.
En ce qui concerne ensuite la crainte du demandeur fondée sur son appartenance à l’ethnie kurde, laquelle est a priori susceptible de tomber dans le champ d’application de la Convention de Genève, il convient en premier lieu de constater que lors de son entretien auprès de la direction de l’Immigration, les seuls incidents qu’il a mis en avant à cet égard sont les discriminations auxquelles il aurait été exposé dans le cadre de son service militaire de 12 mois, c’est-à-dire dans un laps de temps et dans un contexte bien particuliers, entretemps révolus, le concerné n’ayant pas fait état d’autres problèmes concrets et particuliers en dehors dudit contexte auxquels il aurait dû faire face en raison de sa seule 2 Page 7/16 du rapport d’entretien.
15appartenance à l’ethnie kurde, l’ensemble des problèmes mis en avant par le demandeur ayant en effet comme toile de fond ses diverses publications sur internet.
Par ailleurs, et s’agissant plus particulièrement de la situation des Kurdes en Turquie, le tribunal constate que la Cour administrative a retenu dans divers arrêts3 que celle-ci peut certes se révéler problématique, mais qu’elle n’est pas telle que tout membre de cette minorité puisse valablement se prévaloir d’une crainte fondée d’être persécuté ou d’un risque réel de subir des atteintes graves du seul fait de sa présence sur le territoire turc.
Il s’ensuit que les développements du demandeur relatifs à sa crainte de persécution en raison de son appartenance à l’ethnie kurde sont également à rejeter pour ne pas être fondés.
En ce qui concerne ensuite la crainte de persécutions mise en avant par le demandeur et basée sur ses diverses publications sur différentes réseaux sociaux, il échet de prime abord de rejeter l’ensemble de ses développements relatifs au sort réservé aux journalistes en Turquie et ayant trait à la déontologie journalistique, alors qu’il ne ressort d’aucune élément soumis au tribunal, ni d’ailleurs d’une quelconque déclaration du concerné au cours de la phase précontentieuse qu’il serait journaliste ou aurait exercé une activité assimilable au journalisme, étant précisé à cet égard que la seule circonstance de faire divers commentaires et remarques sur des réseaux sociaux, même de nature politique, n’est pas de nature à conférer aux auteurs de ceux-ci une quelconque qualité journalistique.
Si le tribunal ne saurait dès lors suivre les développements du demandeur selon lesquels il devrait craindre des persécutions de la part des autorités turques, en raison de sa prétendue activité journalistique, il convient toutefois encore d’analyser la crainte du concerné de faire de l’objet de telles persécutions en raison des divers incidents liés à ses publications sur les réseaux sociaux, crainte qui est a priori susceptible de rentrer dans le champ d’application de la Convention de Genève dans la mesure où ces publications avaient une nature politique pour avoir visé le pouvoir en place et les autorités policières turques.
A cet égard, il convient de constater que Monsieur (A) fait état de trois incidents concrets dans ce contexte, à savoir une garde à vue, ainsi qu’un interrogatoire dont il a fait l’objet entre le 15 et le 16 octobre 2021, un interrogatoire qu’il aurait subi le 1er novembre 2021 et une convocation par la police dans son chef émise le 19 mai 2022.
En ce qui concerne l’incident datant d’octobre 2021, à savoir le fait que le demandeur a été détenu et interrogé par les forces de l’ordre suite à une publication faite sur les réseaux sociaux dans laquelle il précise avoir soutenu qu’une famille kurde aurait été décimée et que les responsables en seraient le préfet de … et le Ministre de l’intérieur turc4, il échet de retenir que celui-ci n’est pas d’une gravité suffisante pour être qualifié d’acte de persécution au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015.
En effet, et s’il n’est certes pas contesté que la publication du demandeur a fait l’objet d’une garde à vue d’une nuit et d’un interrogatoire subséquent, au tribunal, en raison du seul fait qu’il a procédé à la publication prémentionnée sur « … » et que les forces de police l’ont à 3 Voir notamment : Cour adm., 22 octobre 2019, n° 43318C du rôle ; Cour adm., 26 novembre 2019, n°43606C du rôle ; Cour adm., 19 décembre 2019, n° 43688C du rôle, Cour adm., 12 mai 2022, n° 47147C du rôle, disponibles sous www.ja.etat.lu.
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16cette occasion accusé d’être un « arménien séparatiste », il n’en reste pas moins qu’il ressort des déclarations du demandeur lors de son entretien auprès de la direction de l’immigration5 qu’il a été relâché par la suite, sans qu’aucune conséquence concrète ne s’en soit suivie, le demandeur ayant en effet déclaré à cet égard « J’ai été relâché et j’ai repris le cours de ma vie comme si cet évènement n’était pas arrivé »6.
Quant aux déclarations du demandeur faites dans ce même contexte qu’il aurait été malmené par les policiers qui sont venus le chercher, le demandeur ayant, lors de son entretien auprès de la direction de l’Immigration soutenu que « les deux policiers qui sont venus me récupérer m’ont traîné. Au poste de police, un policier est venu me voir lorsque j’était dans la cellule et c’est lui qui m’a frappé »7, il convient de retenir, à l’instar du délégué du gouvernement, que si ces faits sont certes fortement condamnables, ils ne sauraient toutefois justifier à eux seuls l’octroi du statut de réfugié dans le chef du demandeur alors que le comportement d’un seul policier, ne saurait être qualifié de représentatif du système policier et du fonctionnement de la police turque en son ensemble.
Cette conclusion s’impose d’autant plus qu’il ressort des explications circonstanciées de la partie étatique, sources internationales à l’appui, que si le demandeur avait dû estimer qu’il a fait l’objet de violences policières, il aurait pu déposer plainte contre le ou les policiers concernés, voire rechercher de l’aide auprès de l’Institution turque des droits de l’Homme et de l’égalité, laquelle est compétente en matière de « droits de l’Homme, de prévention des violations des droits de l’Homme, de lutte contre la torture et les mauvais traitements, de réception et de traitement des plaintes, d’éducation et de recherche sur les droits de l’Homme », ou encore au Médiateur national de Turquie, voire au procureur d’Etat, ce qu’il a toutefois omis de faire.
Quant au deuxième incident mis en avant par le demandeur, à savoir l’interrogatoire dont il aurait fait l’objet le 1er novembre 2021, celui-ci manque également de gravité pour justifier l’octroi du statut de réfugié dans son chef.
Il ressort en effet, des explications du concerné à cet égard, qu’après avoir été convoqué par téléphone par des policiers du commissariat d’Istanbul en raison d’un prétendu acte d’accusation qui aurait été émis à son encontre, il s’est rendu de son plein gré à ce même commissariat. Il en ressort encore que, sur place, il s’est vu informer qu’il aurait été convoqué pour pouvoir faire une déposition suite à sa publication prémentionnée sur les réseaux sociaux en lien avec l’incident susmentionné à …, et qu’il a été interrogé par un policier avant d’être finalement relâché et a pu librement partir.
Dans la mesure où il n’y a eu aucune conséquence concrète à cet incident, le tribunal rejoint la partie étatique en ses conclusions que celui-ci manque manifestement de gravité pour être qualifié d’acte de persécution au sens de la Convention de Genève, respectivement au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015.
Finalement et en ce qui concerne le troisième incident dont le demandeur fait état, à savoir qu’il aurait été de nouveau contacté par la police le 19 mai 2022, pour avoir calomnié les forces armées turques, le demandeur étant d’avis, sans en avoir la certitude, qu’il aurait été question d’une publication qu’il aurait faite en 2021 sur les réseaux sociaux et qui aurait 5 Pages 5/16 et 6/16 du rapport d’entretien.
6 Page 6/16 du rapport d’entretien.
7 Page 9/16 du rapport d’entretien.
17concerné un sous-officier qui aurait violé une jeune fille, laquelle se serait par la suite suicidée, il y a lieu de retenir que le simple fait pour le demandeur d’être convoqué par téléphone pour être entendu au sujet d’une publication datant d’un an et dont il n’est même pas sûr qu’elle soit effectivement à l’origine de cette convocation, ne revêt pas non plus un degré de gravité particulier et suffisant pour pouvoir être qualifié d’acte de persécution au sens de la Convention de Genève, respectivement de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015.
Au vu de ce qui précède, il convient de retenir que les craintes mises en avant par le demandeur manquent de gravité pour justifier l’octroi du statut de réfugié dans son chef.
Le recours est partant à rejeter en ce qui concerne le refus d’octroi du statut de réfugié dans le chef du demandeur.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire, le tribunal constate que le demandeur invoque, en substance, les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de sa demande d’octroi du statut de réfugié, tout en mettant encore en doute l’existence d’une justice indépendante en Turquie compte tenu de la prétendue proximité du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif.
Le demandeur n’alléguant pas risquer de subir la peine de mort ou l’exécution au sens du point a) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, ni que sa vie serait en danger en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens du point c) dudit article, le tribunal se limitera à examiner s’il risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, point b) de la même loi, en cas de retour dans son pays d’origine.
A cet égard, il y a lieu de relever que les faits relatés, respectivement les craintes invoquées dans ce contexte doivent atteindre un certain seuil de gravité, ceci au regard de la jurisprudence de la CourEDH en rapport avec l’article 3 de la CEDH qui a retenu que les « mauvais traitements » doivent atteindre un minimum de gravité et impliquer des lésions corporelles effectives ou une souffrance physique ou mentale intense8. Suivant la CourEDH, un traitement peut être qualifié de dégradant et tomber ainsi également sous le coup de l’interdiction de l’article 3 de la CEDH s’il humilie ou avilit un individu, s’il témoigne d’un manque de respect pour sa dignité humaine, voire la diminue, ou s’il suscite chez l’intéressé des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à briser sa résistance morale et physique9.
Or, au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, il y a lieu de retenir qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes arguments, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que le demandeur encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 précité, les faits mis en avant par ce dernier manquant en effet également de gravité pour être qualifiés de traitement inhumains et dégradants et auraient, ne ce qui concerne les violences policières mises en avant par le concerné, pu être dénoncés aux autorités turques compétentes.
8 Arrêts Irlande c. Royaume-Uni, § 167, et V. c. Royaume-Uni, no 24888/94, § 71.
9 Arrêts Price c. Royaume-Uni, no 33394/96, §§ 24-30, et Valašinas c. Lituanie, no 44558/98, § 117.
18Cette conclusion n’est pas énervée par les développements généraux du demandeur sur le prétendu manque d’indépendance de la justice turque et la situation de Kurdes en Turquie, alors que d’une part, le tribunal vient de retenir ci-avant que si cette situation peut certes se révéler problématique, elle n’est pas telle que tout membre de cette minorité puisse valablement se prévaloir d’un risque réel de subir des atteintes graves du seul fait de sa présence sur le territoire turc, et que d’autre part, le demandeur se contente de nouveau d’invoquer des publications générales sans les mettre en rapport avec sa propre situation individuelle et particulière.
C’est dès lors également à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée sa demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres éléments, que le recours tendant à la réformation de la décision ministérielle de refus d’octroi d’une protection internationale dans le chef de Monsieur (A) est à rejeter pour être non fondé.
2) Quant au recours dirigé contre la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours principal en réformation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Moyens et arguments des parties Principalement, le demandeur fait valoir que l’ordre de quitter le territoire encourrait la réformation comme conséquence de la réformation de la décision ministérielle portant refus de lui octroyer une protection internationale.
Subsidiairement, il soutient que l’ordre de quitter le territoire serait contraire à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par la « loi du 29 août 2008 », ainsi qu’à l’article 3 de la CEDH, dans la mesure où un retour en Turquie impliquerait un risque réel pour le demandeur de faire l’objet de traitements inhumains et dégradants. Par ailleurs, l’article 3 de la CEDH, combiné à l’article 129 de la loi du 29 août 2008 poseraient un principe absolu d’interdiction de refoulement ou d’extradition d’une personne vers un pays où elle risque de faire l’objet de traitements contraires aux dispositions précitées.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.
Appréciation du tribunal Il résulte des termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 qu’« une décision du ministre vaut décision de retour […] » et en vertu de l’article 2, point q) de la même loi, la notion de « décision de retour » est définie comme « la décision négative 19du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Bien que le législateur n’ait pas expressément précisé que la décision du ministre, visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre en matière de protection internationale.
Il s’ensuit que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Etant donné qu’il vient d’être retenu ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder au demandeur l’un des statuts conférés par la protection internationale, le ministre a a priori valablement pu assortir sa décision de refus d’une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire.
En ce qui concerne la demande subsidiaire de voir réformer l’ordre de quitter le territoire pour être contraire à l’article 129 de la loi du 29 août 2008, le tribunal relève qu’aux termes dudit article 129 : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». Il convient de relever que l’article 129, précité, renvoie à l’article 3 de la CEDH, aux termes duquel : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ». Si l’article 3 de la CEDH proscrit ainsi la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.
En effet, si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer une personne à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou à des traitements inhumains ou dégradants.
Cependant, dans ce type d’affaires, la CourEDH soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la CourEDH évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du demandeur.
Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.
20Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus par le demandeur en cas de retour en Turquie, le tribunal a conclu ci-avant que celui-ci n’a pas fourni d’éléments de nature à justifier dans son chef l’existence d’une crainte actuelle et fondée de subir des persécutions ou des atteintes graves en cas de retour dans son pays d’origine et que, de ce fait, il ne saurait prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, de sorte que le tribunal actuellement ne saurait pas se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.
Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH10, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur dans son pays d’origine soit dans ces circonstances incompatibles avec l’article 3 de la CEDH, de sorte que le moyen tiré d’une violation dudit article 3 de la CEDH, respectivement l’article 129 de la loi du 29 août 2008, encourt le rejet.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation contre la décision ministérielle du 1er mars 2024 portant refus d’un statut de protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation contre la décision ministérielle du 1er mars 2024 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 mai 2025 par :
Thessy Kuborn, premier vice-président, Sibylle Schmitz, premier juge, Felix Hennico, attaché de justice délégué, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn 10 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2003, point 59.
21 Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 mai 2025 Le greffier du tribunal administratif 22