Tribunal administratif N° 49960 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49960 1re chambre Inscrit le 19 janvier 2024 Audience publique du 30 avril 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49960 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 janvier 2024 par la société à responsabilité limitée WH AVOCATS SARL, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1630 Luxembourg, 46, rue Glesener, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B265326, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Colombie), de nationalité colombienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre des Affaires intérieures du 19 décembre 2023 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 mars 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Shahnah SI ABDALLAH, en remplacement de Maître Frank WIES et Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 avril 2025.
Le 21 mars 2022, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée-
police des étrangers, dans un rapport du même jour.
En date 2 novembre 2022, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
1Par décision du 19 décembre 2023, notifiée à Monsieur (A) par lettre recommandée expédiée le 20 décembre 2023, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », informa l’intéressé que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée dans les termes suivants :
« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 21 mars 2022 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 21 mars 2022, votre rapport d'entretien de l'agent ministériel du 2 novembre 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que votre fiche de motifs et votre passeport versé à l'appui de votre demande de protection internationale.
Monsieur, il en ressort que vous seriez né le … à … en Colombie et que vous auriez vécu à … dans le département … de 2007 jusqu'à votre départ en mars 2022. Vous y auriez habité avec votre oncle maternel sachant que votre père ne vous aurait jamais reconnu.
Concernant vos craintes en cas de retour en Colombie, vous expliquez avoir peur de recroiser le chemin des membres de groupes armés et de ne pas pouvoir vivre sereinement dans votre pays.
En ce qui concerne les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, vous évoquez le conflit interne qui règnerait dans votre pays entre les différents groupes armés comme les FARC ou encore l'ELN. Vous ajoutez que ces groupes ne respecteraient pas la loi et sèmeraient la terreur au sein de la population colombienne. Vous racontez que pendant votre service militaire obligatoire de 2013 à 2015, des membres des FARC, appelés Milicianos, auraient demandé après vous auprès de votre famille. Ces personnes auraient prévenu votre famille que vous devriez les rejoindre après avoir fini votre service militaire.
En rentrant chez vous après le service militaire, vous expliqué que vous auriez d'abord commencé à travailler dans des champs de plantations de café pour ensuite être engagé dans une usine de fabrication de briques. Au sein de cette usine, des Milicianos se seraient rendus à votre poste de travail à deux ou trois reprises pour vous prévenir que vous devriez soit rejoindre les FARC, soit quitter le pays. D'après vous, les FARC auraient constamment essayé de recruter des jeunes pour renforcer leurs troupes. Vous auriez interprété ces demandes d'adhésion comme une sorte de menace en craignant qu'ils pourraient s'en prendre à vous ou à votre famille si vous refusiez de vous joindre à eux. Vous ajoutez que certaines de vos connaissances auraient également reçu des appels téléphoniques anonymes pour leur demander de vous transmettre des messages de rappel concernant votre obligation de rejoindre les FARC. Ces menaces auraient cependant arrêté autour de mars à mai 2019 et vous n'auriez plus rien entendu de leur part par après. En novembre 2021, vous auriez quitté 2votre travail dans l'usine pour aller rejoindre votre sœur à Grado et travailler sur différents champs de plantations agricoles.
Vous expliquez que vous n'auriez jamais porté plainte contre les auteurs des menaces à votre encontre estimant que la corruption serait largement répandue au sein de la police colombienne et que cette dernière protègerait surtout les gens riches et puissants et appartiendrait souvent elle-même aux différents groupes armés.
Vous ajoutez que les groupes armés seraient répandus sur l'ensemble du territoire de la Colombie et qu'on ne pourrait être à l'abri de ces menaces dans aucune région du pays.
A l'appui de votre demande, vous présentez votre passeport colombien dont l'authenticité a été confirmée par l'Unité de Police à l'Aéroport.
2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.
• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée la « Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.
Aux termes de l'article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».
L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils n'émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.
Monsieur, il ressort de vos déclarations que vous auriez fui votre pays d'origine à la suite de menaces de recrutement forcé émises à votre encontre par le groupe armé FARC. En cas de retour dans votre pays d'origine vous craindriez d'être à nouveau approché par les membres de ce groupe et de ne pas pouvoir vivre dans la tranquillité.
Tout d'abord, concernant les menaces verbales et téléphoniques que vous auriez reçues de la part de membres des FARC, il y a lieu de soulever que vos déclarations restent à l'état de simples propos non confortés par un quelconque élément de preuve tangible. De plus, il y a 3lieu de constater que votre récit contient des passages flous et que vos affirmations se limitent souvent à des propos approximatifs comme par exemple « je dirais en 2019 » (p.10/12 de votre rapport d'entretien) à la question sur la dernière visite des Milicianos sur votre lieu de travail ou « Autour de mars ou mai 2019 » (p.10/12 de votre rapport d'entretien) à la question concernant le dernier appel téléphonique ou encore « Je ne saurais vous le dire. Je me concentrais sur mon travail donc je ne me concentrais pas trop de ça » (p.10/12 de votre rapport d'entretien) à la question concernant la dernière visite des Milicianos sur votre lieu de travail.
Considérant ces demandes d'adhésion que vous auriez ressenties comme des menaces comme étant véridiques, il n'est aucunement établi que celles-ci seraient liées à l'un des cinq motifs de fond prévus par la Convention de Genève et la Loi de 2015, à savoir votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques et votre appartenance à un certain groupe social.
Quand bien même ces faits rentreraient dans le champ d'application de la Convention de Genève, ce qui reste contesté, il y a lieu de soulever que vous avez décidé de votre propre gré de rester habiter dans des zones rurales régentées par ces groupes armés présents et actifs alors qu'après avoir atteint l'âge de la majorité, vous auriez très bien pu chercher du travail et vous installer dans une grande ville dans laquelle la présence des groupes armés est très limitée voire inexistante. En effet, il ressort de mes informations que les groupes armés sont surtout concentrés en dehors des grandes villes où la présence des forces de l'ordre colombiennes est plus limitée : « Violence is often concentrated in regions of the country where there is a limited state presence. ».
En ce qui concerne votre crainte d'être recruté de force par les FARC, hormis quelques menaces verbales lancées par des membres de ces groupes, il y a lieu de noter qu'il ne vous est jamais arrivé rien de grave dans ce contexte. A cela s'ajoute que vous n'êtes même pas certain sur l'identité des auteurs des appels téléphoniques : « Donc ça aurait pu être d'autres personnes qui téléphonaient et non pas les Milicianos : Oui. » (p.11/14 de votre rapport d'entretien). De plus, vous expliquez que les dernières visites des Milicianos sur votre lieu de travail ainsi que les derniers appels téléphoniques remonteraient à début 2019 de sorte qu'il échet de constater que vous auriez continué à vivre pendant plus de deux ans en Colombie sans ne plus avoir été approché d'une quelconque manière par vos interlocuteurs et sans rencontrer le moindre problème. Il semble évident que vous n'êtes aucunement dans le collimateur d'un quelconque groupe armé et que vos craintes sont à considérer comme purement hypothétiques et non fondées.
Quand bien même une persécution au sens desdits textes serait établie, ce qui reste contesté, s'agissant dans ces cas d'actes émanant de personnes privées, une persécution commise par des personnes privées peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce.
Vous déclarez qu'en Colombie, vous n'auriez jamais déposé plainte contre les membres dissidents des groupes armés auprès de la police craignant des actes de vengeance pouvant émaner d'une démarche auprès des forces de l'ordre colombienne : « Non, on ne portait pas plainte. On ne l'a pas fait car la police protège surtout les riches et les autres leur sont égal et la police-même est parfois victime de la part de ces groupes. Il y a un mois il y a eu un attentat grave contre la police de la part des FARC. » (p. 11/13 de votre rapport d'entretien).
4 Or, il ne ressort pas de votre dossier administratif que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays d'origine ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection à l'encontre de personnes qui seraient liées aux groupes armés qui auraient été après vous. Le seul fait que vous n'auriez pas voulu déposer plainte ne saurait évidemment pas suffire pour démontrer que les autorités colombiennes n'auraient pas pu ou pas voulu vous offrir leur aide.
Je note en tout cas que si les infractions, dont les agressions et menaces, existent bien en Colombie comme pratiquement partout dans le monde, il n'en reste pas moins que la police, et les autorités en général y sont présentes et œuvrent pour la sécurité de la population. A cela s'ajoute que dans le contexte précis de citoyens qui seraient effectivement sous la menace d'agressions en Colombie, « La Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) de l'Organisation des États américains (OEA) affirme que les gens qui reçoivent des menaces de mort disposent de mesures de protection par l'entremise de l'UNP ». En effet, l'UNP (« Unidad Nacional de Proteccion ») constitue une organisation publique colombienne qui cherche des solutions et qui offre une protection individuelle ou collective pour des personnes visées par des menaces de mort. Surtout, notons qu'il est établi que les autorités colombiennes ne sont par le passé pas restées inactives face aux agissements des Rastrojos. Bien au contraire, de nombreux membres de ce groupement ont été arrêtés et ont dû faire face à la justice au cours de la dernière décennie.
Il convient de noter par ailleurs que: « Following the arrests of its top leaders, with other surrendering, the group's reach was significantly reduced and with it its involvement in criminal economies. In Norte de Santander, where they maintain their main criminal enclave, the group collects income from their participation in the drug trafficking chain, smuggling, extortion, and smuggling and trafficking in persons through the so-called trochas, located on the border with Venezuela. (…) After the intense blows suffered by the Rastrojos in recent years, the group has lost almost all its armed and territorial capacity. Meanwhile, the Urabeilos, their allies, and the ELN, their main enemy, have grown stronger. It is a matter of time before the Rastrojos cease to exist as a criminal group. The remnants of the group could be absorbed by the Uraberios or remain as small franchises that acts under the group's name without maintaining clear unity and a line of command ».
Concernant plus spécifiquement la police colombienne, il échet de préciser encore à toutes fins utiles que le gouvernement n'est pas non plus inactif, sinon indifférent quant à la corruption dans ses rangs, alors qu'en 2016 déjà, « Colombia's national police force has fired more than 1,400 officers over the post 80 days in a crackdown on corruption, (…). The dismissals are part of a "zero tolerance for corruption," (…). Colombia's police are key players in the fight against the country's leftist rebel groups and violent crime gangs, founded by remnants of right-wing paramilitary groups.
De même, « OHCHR welcomes the decision of the new Government to make the fight against corruption a strategic priority, and calls for coordinated and definitive action to pursue that objective, including by strengthening State control bodies and ensuring the independence of the judiciary. OHCHR also encourages civil society to continue to exercise its right to participate in public decision-making by monitoring and overseeing the State's efforts to formulate a comprehensive anti-corruption policy. In July 2018, the Office of the Attorney General revealed that its Bolsillos de Cristal plan to combat corruption had led to 5the investigation and prosecution of 2,100 people accused of acts of corruption worth over 4.1 trillion pesos ».
Il n'est donc manifestement pas établi que les autorités n'auraient pas pu ou pas voulu vous aider ou vous protéger contre les criminels qui vous auraient menacés.
Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.
• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.
L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.
L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il y a toutefois lieu de retenir qu'il n'existe manifestement pas davantage d'éléments susceptibles d'établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu'il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que courriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 de la loi de 2015.
En effet, vous omettez d'établir qu'en cas de retour en Colombie, vous risqueriez la peine de mort ou l'exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre votre vie ou votre personne en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Vos seules craintes de vous faire tuer par des personnes inconnues qui vous auraient menacé, ne sauraient en tout cas pas suffire pour contrebalancer cette conclusion et doivent, comme susmentionné, être définies comme étant totalement hypothétiques. Ce constat vaut d'autant plus qu'il ne saurait nullement être retenu comme avéré que vous n'ayez pas pu rechercher une protection auprès des autorités colombiennes, respectivement, que celles-ci ne voudraient ou ne pourraient pas vous aider ou vous permettre de faire valoir vos droits.
Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.
• Quant à la fuite interne 6 En vertu de l'article 41 de la Loi de 2015, le Ministre peut estimer qu'un demandeur n'a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d'origine, il n'y a aucune raison de craindre d'être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu'il est raisonnable d'estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.
Ainsi, la conséquence d'une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d'origine, une existence conforme à la dignité humaine. Selon les lignes directrices de I'UNHCR, l'alternative de la fuite interne s'applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu'en termes de sécurité.
Monsieur, en l'espèce, il ressort de vos propos que les groupes armés se trouveraient un peu partout en Colombie et qu'ils n'auraient aucun mal à vous retrouver dans chaque coin du pays. Il ressort cependant des informations en ma possession que les groupes armés évitent les villes où l'Etat colombien dispose d'une présence policière efficace et ne sont pas ou que très peu présents dans de nombreuses villes et régions en Colombie telles que Bogota, Marquetalia ou Medellin.
Ainsi, rien ne vous aurait empêché et ne vous empêcherait dans le futur de vous installer dans une grande ville et d'y mener une vie paisible loin des groupes armés qui vous auraient rendu la vie difficile dans votre région.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.
Suivant les dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de Colombie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 janvier 2024, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation d’une part, de la décision ministérielle du 19 décembre 2023 portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
1) Quant au recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 19 décembre 2023 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 19 décembre 2023, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, Monsieur (A) expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en réitérant, en substance, ses déclarations, telles qu’actées lors de son audition par un agent du ministère.
7En droit et plus particulièrement quant au refus du ministre de lui accorder le statut de réfugié, le demandeur conteste tout d’abord le défaut de crédibilité accordé par le ministre à son récit en soutenant que le bénéfice du doute lui aurait dû être accordé.
Il se réfère à un rapport de l’UNHCR publié en août 2023, intitulé « International Protection Considerations with Regard to People Fleeing Colombia », aux termes duquel il y aurait plusieurs conflits armés en Colombie opposant le gouvernement et des groupements paramilitaires contribuant à une augmentation de la violence. En citant un rapport d’Amnesty International de 2023 ainsi que deux articles de presse, le demandeur soutient que ces groupes paramilitaires opéreraient dans un état d’impunité.
Il fait référence aux infractions commises par les groupes paramilitaires et les recrutements forcés auxquels ils ont recours pour remplir leurs rangs.
Il explique que le danger auquel il aurait été exposé aurait augmenté s’il avait décidé de déposer une plainte à l’encontre des membres de la FARC en raison de l’absence de protection suffisante de la part de l’Etat colombien, qui aurait failli de prendre des mesures suffisantes pour lutter contre les agissements des forces armées.
Il se réfère encore à l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 en insistant sur le fait qu’il aurait de bonnes raisons de penser que la persécution dont il aurait d’ores et déjà été victime se répéterait en cas de retour en Colombie. La situation n’aurait pas changé depuis son départ de son pays d’origine et il affirme craindre que les menaces proférées à son encontre seraient mises à exécution.
Quant au refus de lui accorder le statut conféré par la protection subsidiaire, Monsieur (A) estime disposer de motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourrait un risque réel de subir des actes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour en Colombie à l’encontre desquelles il ne pourrait se prévaloir de la protection des autorités colombiennes.
Il soutient qu’il ne saurait ni exercer une activité salariée en Colombie ni s’établir durablement à un endroit qui lui offrirait des garanties de sécurité suffisantes pour y construire son existence. Il précise qu’il ne pourrait mener une existence conforme à la dignité humaine dans une autre partie de la Colombie, étant donné que les deux années qu’il aurait passé dans les villes auraient été empreintes d’une « discrétion quotidienne et une psychose insupportable ».
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Le tribunal relève de prime abord qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de ladite loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015 8comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».
Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :
« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :
« a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. ».
Aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou 9b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition (i) que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, (ii) que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et (iii) qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.
En l’espèce, le demandeur invoque, en substance, des menaces proférées par des membres de groupes paramilitaires ainsi qu’une crainte de faire l’objet d’un recrutement forcée de ces derniers.
Le tribunal relève de prime abord que si les divers articles de presse et rapports internationaux relatifs à la situation générale de la Colombie cités par le demandeur corroborent certes la réalité de difficultés existant en Colombie, il n’en demeure pas moins que ces éléments ne sont pas de nature à établir que chaque ressortissant du pays soit, indépendamment de sa situation personnelle, exposé à un risque réel de subir des actes de persécutions ou d’atteintes graves du seul fait de sa présence sur le territoire colombien.
En tout état de cause, l’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Il s’ensuit que la description de la situation de la Colombie, telle qu’exposée par le demandeur, ne sera prise en considération par le tribunal que dans la mesure où elle est mise en relation avec sa propre situation personnelle, respectivement avec les faits dont le demandeur se prévaut pour justifier sa demande en obtention d’une protection internationale.
10Le tribunal est, en effet, amené à retenir, indépendamment, d’une part, de la qualification et de la gravité des agissements des groupes paramilitaires en Colombie, dont le demandeur affirme craindre des persécutions et des atteintes graves, et, d’autre part, de la question de l’absence alléguée de volonté et de capacité des autorités colombiennes à procurer au demandeur une protection effective contre ces agissements, que le ministre a, en l’espèce, valablement pu conclure à l’existence d’une possibilité de fuite interne pour le demandeur.
En effet, aux termes de l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015 : « (1) Dans le cadre de l’évaluation de la demande de protection internationale, le ministre peut estimer qu’un demandeur n’a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d’origine, a) il n’a pas une crainte fondée d’être persécuté ou ne risque pas réellement de subir des atteintes graves; ou b) il a accès à une protection contre les persécutions ou les atteintes graves au sens de l’article 40 et qu’il peut, en toute sécurité et en toute légalité, effectuer le voyage vers cette partie du pays et obtenir l’autorisation d’y pénétrer et que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il s’y établisse.
(2) Lorsqu’il examine si un demandeur a une crainte fondée d’être persécuté ou risque réellement de subir des atteintes graves, ou s’il a accès à une protection contre les persécutions ou les atteintes graves dans une partie du pays d’origine conformément au paragraphe (1), le ministre tient compte, au moment où il statue sur la demande, des conditions générales dans cette partie du pays et de la situation personnelle du demandeur, conformément à l’article 37. A cette fin, le ministre veille à obtenir des informations précises et actualisées auprès de sources pertinentes, telles que le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et le Bureau européen d’appui en matière d’asile. ».
Ainsi, une possibilité de fuite interne ne saurait être considérée comme donnée que si, dans une partie du pays d’origine, le demandeur de protection internationale n’a pas une crainte fondée d’être persécuté – ou ne risque pas réellement de subir des atteintes graves –, ou bien si, dans une partie du pays d’origine, il a accès à une protection contre les persécutions – ou les atteintes graves –, à condition qu’il puisse effectuer le voyage vers cette partie du territoire en toute sécurité et légalité et qu’il puisse raisonnablement s’y établir.
Il s’ensuit que la zone envisagée par le ministre pour la fuite interne doit remplir trois conditions cumulatives : premièrement, le demandeur n’y court pas le risque d’être persécuté – ou de subir des atteintes graves –, ou, le cas échéant, peut y bénéficier d’une protection de la part des autorités, deuxièmement, la zone doit être accessible tant sur un plan pratique que juridique, et troisièmement, il doit être « raisonnable » d’attendre du demandeur qu’il s’y installe.
Il appartient dès lors au ministre d’identifier une zone sûre, accessible tant en pratique que légalement pour le demandeur, en tenant compte du profil de la personne concernée, étant en tout état de cause souligné qu’il incombe au ministre, sinon de prouver positivement l’absence de tout risque, respectivement l’accès à une protection suffisante, du moins d’examiner et d’énoncer de manière plausible pour quelles raisons il estime devoir et pouvoir, dans le contexte et pour les causes visées à l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015, refuser la protection internationale. Le ministre ne peut pas s’emparer d’un défaut par le demandeur d’établir l’impossibilité de la fuite interne, mettant ainsi la charge de la preuve du côté du demandeur de protection internationale1.
1 Trib. adm., 3 février 2016, n° 35618 du rôle, confirmé par Cour adm., 12 mai 2016, n° 37604C du rôle, Pas. adm.
2024, V° Etrangers, n° 166 et les autres références y citées.
11 En l’espèce, si le demandeur a déclaré lors de son audition auprès du ministère que les groupes paramilitaires œuvraient partout sur le territoire colombien, il n’en reste pas moins, que le délégué du gouvernement, source internationale à l’appui, soutient que lesdits groupes évitent les grandes villes où l’Etat colombien dispose d’une présence policière efficace et ne sont pas ou très peu présents dans de nombreuses villes et régions en Colombie.
Il s’ensuit que le tribunal est amené à retenir que le demandeur est en mesure d’avoir accès, tel que relevé par le ministre et le délégué du gouvernement, à l’une des grandes villes colombienne, telles que Bogota, Marquetalia ou Medellin, qui doivent être considérées, au regard des faits relatés par le demandeur, comme étant non seulement sûres au motif que le demandeur n’a pas de crainte fondée d’y être persécuté et n’encourt pas un risque réel d’y subir des atteintes graves, mais également comme des zones du pays où il peut être raisonnablement attendu de lui qu’il s’y établisse pour s’y adonner à un travail rémunéré, tel qu’il l’a fait avant de quitter son pays d’origine.
Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres éléments, le tribunal est, dès lors, amené à conclure que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les conditions d’octroi du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire ne sont pas remplies dans le chef du demandeur, de sorte que son recours dirigé contre le refus ministériel de lui accorder une protection internationale en son double volet est à rejeter pour ne pas être fondé.
2) Quant au recours en réformation dirigé contre l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 19 décembre 2023 portant ordre de quitter le territoire, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Le demandeur estime principalement que ce volet de la décision ministérielle devrait encourir la réformation, en conséquence de la réformation du volet de la décision portant refus d’octroi d’une protection internationale dans son chef et, subsidiairement, il conclut à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire, en invoquant une violation de l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par la « loi du 29 août 2008 ».
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
12Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, il a a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
Il convient ensuite de rappeler que si l’article 129 de la loi du 29 août 2008 - qui est applicable à la décision de retour découlant d’une décision de rejet d’une demande de protection internationale, conformément à l’article 34, paragraphe (2), alinéa 3 de la loi du 18 décembre 2015 - renvoie à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », qui proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.
Or, étant donné que le tribunal a conclu ci-avant qu’un retour du demandeur dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution, ni à des atteintes graves, il ne saurait se départir à ce niveau-ci de cette conclusion.
Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH2, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le retour du demandeur dans son pays d’origine soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH, de sorte que le moyen tiré d’une violation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 encourt le rejet.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 19 décembre 2023 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 19 décembre 2023 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 30 avril 2025 par :
Michèle STOFFEL, vice-président, Géraldine ANELLI, vice-président, Izabela GOLINSKA, attaché de justice, 2 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2003, § 59.
13en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Michèle STOFFEL 14