Tribunal administratif N° 49959 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49959 1re chambre Inscrit le 19 janvier 2024 Audience publique du 30 avril 2025 Recours formé par Madame (A), …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49959 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 janvier 2024 par la société à responsabilité limitée WH AVOCATS SARL, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1630 Luxembourg, 46, rue Glesener, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B265326, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le … à … (Colombie), de nationalité colombienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 19 décembre 2023 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 mars 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Shanah SI ABDALLAH, en remplacement de Maître Frank WIES et Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 avril 2025.
Le 21 mars 2022, Madame (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Madame (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée-
police des étrangers, dans un rapport du même jour.
En date des 24 octobre et 2 décembre 2022, Madame (A) fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
1Par décision du 19 décembre 2023, notifiée à Madame (A) par lettre recommandée expédiée le 20 décembre 2023, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », informa l’intéressée que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Cette décision est libellée dans les termes suivants :
« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 21 mars 2022 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 21 mars 2022, votre rapport d'entretien de l'agent ministériel des 24 octobre et 2 décembre 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que votre fiche de motifs et les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.
Madame, il en ressort que vous seriez née le … à … en Colombie et que vous auriez vécu dans la municipalité de La Cumbre à El Valle de 2007 jusqu'à votre départ en mars 2022.
Vous y auriez habité avec vos parents et votre fratrie jusqu'à la séparation de vos parents en 2021 à la suite de laquelle vous, votre mère et votre soeur seriez restées habiter ensemble.
Concernant vos craintes en cas de retour en Colombie, vous expliquez avoir peur d'être tuée, harcelée ou de nouveau violée par des membres de groupes armés semant la terreur dans les zones rurales dans lesquelles vous auriez résidé jusqu'au jour de votre départ.
En ce qui concerne les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, vous expliquez que votre famille aurait toujours vécu à la campagne dans des zones rurales sachant qu'elle n'aurait pas eu les moyens financiers pour pouvoir se permettre de vivre au sein d'une grande ville. Vous ajoutez que dans ces zones rurales en dehors des grandes villes, des groupes armés tels que les FARC ou l'ENL se disputeraient les territoires et que ces derniers abuseraient de leur pouvoir pour oppresser et exploiter les habitants. Votre famille aurait aussi depuis toujours été contrainte de se soumettre à leurs ordres et vous racontez que vous et votre mère auriez subi des actes d'harcèlement et des agressions sexuelles par des membres appartenant à ces groupes. Dans votre cas, les abus sexuels auraient déjà commencé à l'âge de cinq ans lors desquels des membres des FARC s'en seraient pris à vous. À la suite de ces agressions sexuelles, vos parents auraient constamment déménagé et changé de lieu de résidence pour essayer d'échapper à ces soumissions.
Vous continuez vos dires en expliquant que tous les habitants des villages auraient sans cesse été sous la menace d'un recrutement forcé par ces groupes et que vos parents auraient été avertis qu'il ne serait pas exclu et que vous seriez également amenée à les rejoindre un jour.
2Vous racontez qu'en 2002, vous auriez emménagé avec vos parents dans une finca à Santander de Quilichao pour laquelle aucun loyer n'aurait été dû. Cependant, ils se seraient engagés à entretenir les locaux et à s'occuper des travaux de maintenance. Une nuit, un groupe d'hommes se serait incrusté dans cette finca en ligotant et maltraitant l'ensemble de votre famille. Ils en auraient profité pour vous agresser vous et votre mère sexuellement et vous expliquez que ces problèmes d'abus sexuels et de risque de recrutement forcé vous auraient suivi dans chaque village dans lesquels vous auriez habité. Vous auriez été souvent harcelée, draguée et attouchée par des membres de groupes armés. Vous expliquez qu'en 2016, un certain dénommé (B) aurait commencé à vous suivre partout et il vous aurait forcée à le masturber et à le satisfaire par le sexe oral. Ce dernier aurait cependant disparu d'un jour à l'autre sans que vous ne sachiez pourquoi.
Après la disparition de cet homme, vous auriez retrouvé une vie tranquille pendant une courte période mais en 2018 de nouveaux membres appartenant à des groupes armés auraient resurgi dans votre région. Vous racontez qu'en 2020, sur le chemin de retour de votre travail, un groupe d'hommes que vous pensez appartenir aux FARC vous aurait arrêtée en pleine route sur un chemin étroit et vous aurait forcée de descendre de votre moto. Ils vous auraient emmenée dans une tente où plusieurs autres hommes vous auraient attendue. L'un de ces hommes qui semblerait être le chef de ce groupe aurait commencé à vous insulter, vous aurait ordonné de vous déshabiller et il aurait fini par vous violer sauvagement. Après cette agression, vous auriez été ramenée et relâchée près de votre moto. Vous ajoutez que cet incident vous aurait marqué à tel point que vous n'auriez plus eu la force de sortir de chez vous. Vous n'auriez pas non plus eu le courage de vous rendre chez un médecin pour vous laisser examiner.
Vous racontez ensuite qu'en juin ou juillet 2021 en rentrant chez vous, vous et votre mère auriez croisé un groupe d'hommes suspect. Vous auriez commencé à trembler de peur en craignant que vous ou votre mère alliez devoir revivre le même cauchemar qu'en 2020. L'un des membres de ce groupe vous aurait reconnue en vous prévenant que son chef qui aurait été l'auteur de votre viol vous tiendrait à l'oeil et que vous auriez intérêt à lui obéir. Ils vous auraient cependant laissée partir sans vous faire de mal.
Vous expliquez que vous n'auriez cependant jamais trouvé le courage de porter plainte contre ces malfaiteurs estimant que les forces de l'ordre colombiennes seraient de toute façon corrompues et n'entameraient aucune démarche pour protéger la population contre ces infractions. De plus, vous auriez aussi redouté des actes de vengeance et des représailles de la part de vos agresseurs si vous aviez entamé des démarches contre eux.
Vous n'auriez pas non plus souhaité quitter les zones rurales pour aller habiter dans une des grandes villes en Colombie dans lesquelles ces groupes armés ne seraient pas présents car vous n'auriez pas voulu vous séparer de votre famille.
A l'appui de votre demande, vous présentez un passeport et une carte d'identité colombiens dont l'authenticité a été confirmée par l'Unité de Police à l'Aéroport.
2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.
3 • Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée la « Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.
Aux termes de l'article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».
L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils n'émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.
Madame, il ressort de vos déclarations qu'en substance, vous auriez fui votre pays d'origine à la suite des agressions sexuelles et menaces d'un recrutement forcé émises à votre encontre par des groupes armés colombiens. En cas de retour dans votre pays d'origine, vous craindriez des représailles, de devoir vivre sous la menace et d'être à nouveau exposée à la violence.
Tout d'abord, concernant les harcèlements physiques et viols dont vous auriez été victime dans les zones rurales dans lesquelles vous auriez vécu avec votre famille, il y a lieu de soulever tout d'abord que vos déclarations restent à l'état de simples propos non confortés par un quelconque élément de preuve tangible qui serait pourtant facile à présenter telles que des photos ou encore un certificat médical attestant les blessures subies suite à vos agressions.
De plus, il échet de noter qu'à votre arrivée, vous n'avez étonnamment pas mentionné l'agression sexuelle sur votre fiche de motifs manuscrite reprenant les raisons de l'introduction de votre protection internationale. Votre explication par rapport à l'oubli d'un point aussi important n'est pour le moins pas très convaincante et laisse penser que vous avez inventé ce passage de votre récit pour augmenter vos chances d'obtention d'une protection internationale au Luxembourg : « Parce que quand on est arrivés, on nous a demandé d'écrire la raison pour laquelle on était ici. Je l'ai fait de façon générale, je ne suis pas entrée dans les détails, je ne voulais pas faire trop long, d'autres personnes aussi écrivaient, alors je voulais le faire en vitesse et voilà. » (p.12/14 de votre rapport d'entretien).
Ceci étant, considérant que ces agressions et viols qui sont évidemment regrettables et fort condamnables auraient vraiment eu lieu, il n'est aucunement établi que ceux-ci auraient été liés à l'un des cinq motifs de fond prévus par la Convention de Genève et la Loi de 2015, à savoir votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques et votre appartenance à un certain groupe social.
4Quand bien même ces faits rentreraient dans le champ d'application de la Convention de Genève, ce qui reste contesté, il convient de soulever que vous avez décidé de votre propre gré de rester habiter dans des zones régentées par ces groupes armés présents et actifs alors qu'après avoir atteint l'âge de la majorité vous auriez très bien pu chercher du travail dans une grande ville et vous y installer. D'ailleurs vous répondez vous-même à la question par rapport à la présence de ces groupes dans une grande ville telle que Bogota : « A Bogota, en tant que ville, que je sache, non, il n'y a pas ces groupes, mais dans les zones rurales, les petits villages autour, ils se trouvent. » (p.11/14 de votre rapport d'entretien) ou concernant les raisons pour lesquelles vous ne seriez pas allée vivre dans une grande ville : « Parce que je ne voulais pas me séparer de ma famille. Mes parents se sont séparés après un certain temps, mon père est parti et on n'a plus rien entendu de lui, mon frère s'est mis en couple, il est parti et on a perdu le contact et je suis restée avec ma mère. » (p.11/14 de votre rapport d'entretien). Il échet de constater qu'il est étonnant et illogique que, dans votre propre pays, vous auriez privilégié la proximité familiale au détriment de votre sécurité alors que vous n'auriez finalement pas hésité à quitter votre pays en laissant votre famille derrière vous à des milliers de kilomètres en vous rendant au Luxembourg.
Madame, eu égard à ce qui précède, il convient de conclure que vous n'avez rien entrepris en votre pouvoir pour éviter de continuer à être confrontée à ces groupes et que vous ne soumettez aucun élément de preuve pour corroborer vos propos. Si vraiment vous vous étiez sentie tellement menacée, vous auriez cherché un quelconque moyen pour échapper à cette situation, ce que vous ne semblez vraisemblablement pas avoir jugé nécessaire de faire.
Madame, vous auriez donc vous-même estimé que votre situation dans votre pays d'origine ne serait pas d'une gravité telle à rendre votre vie intolérable.
Ensuite, il y lieu de rappeler que les agressions dont vous auriez été victime et les menaces que vous auriez ressenties auraient été proférées par des membres de groupes armés n'ayant aucun lien avec l'Etat colombien. Or, un acte de persécution commis par des tiers ne peut être considéré comme fondant une crainte légitime au sens prévu par la Convention de Genève et la Loi de 2015 qu'en cas de défaut de protection de la part des autorités. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce.
Vous déclarez vous-même qu'en Colombie, vous n'auriez jamais déposé plainte contre les membres dissidents des groupes armés à la police craignant des actes de vengeance pouvant émaner d'une démarche auprès des forces de l'ordre colombienne : « Non, je n'ai pas dénoncé. Ce qu'on dit toujours et on peut le démontrer, c'est qu'ils achètent la police. Ils me disaient, si tu vas porter plainte, on va le savoir, car on contrôle la police, si tu portes plainte, on va être au courant. » (p.2/14 de votre rapport d'entretien).
En effet, il ne ressort pas de votre dossier administratif que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays d'origine ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection à l'encontre de personnes qui seraient liées aux groupes armés qui auraient été après vous. Le seul fait que vous n'auriez pas voulu déposer plainte ne saurait évidemment pas suffire pour démontrer que les autorités colombiennes n'auraient pas pu ou pas voulu vous offrir leur aide.
Je note en tout cas que si les infractions, dont les agressions et menaces, existent bien en Colombie comme pratiquement partout dans le monde, il n'en reste pas moins que la police et les autorités en général y sont présentes et oeuvrent pour la sécurité de la population. A cela s'ajoute que dans le contexte précis de citoyens qui seraient effectivement sous la menace 5d'agression en Colombie, « La Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) de l'Organisation des États américains (OEA) affirme que les gens qui reçoivent des menaces de mort disposent de mesures de protection par l'entremise de l'UNP ». En effet, l'UNP (« Unidad Nacional de Proteccion ») constitue une organisation publique colombienne qui cherche des solutions et qui offre une protection individuelle ou collective pour des personnes visées par des menaces de mort.
Concernant plus spécifiquement la police colombienne, il échet de préciser encore à toutes fins utiles que le gouvernement n'est pas non plus inactif, sinon indifférent quant à la corruption dans ses rangs, alors qu'en 2016 déjà, « Colombia's national police force has fired more than 1,400 officers over the past 80 days in a crackdown on corruption, (…). The dismissals are part of a "zero tolerance for corruption," (…). Colombia's police are key players in the fight against the country's leftist rebel groups and violent crime gangs, founded by remnants of right-wing paramilitary groups. » De même, « OHCHR welcomes the decision of the new Government to make the fight against corruption a strategic priority, and calls for coordinated and definitive action to pursue that objective, including by strengthening State control bodies and ensuring the independence of the judiciary. OHCHR also encourages civil society to continue to exercise its right to participate in public decision-making by monitoring and overseeing the State's efforts to formulate a comprehensive anti-corruption policy. In July 2018, the Office of the Attorney General revealed that its Bolsillos de Cristal plan to combat corruption had led to the investigation and prosecution of 2,100 people accused of acts of corruption worth over 4.1 trillion pesos ».
Il n'est donc manifestement pas établi que les autorités n'auraient pas pu ou pas voulu vous aider ou vous protéger contre les criminels qui vous auraient menacée.
En ce qui concerne votre crainte d'être recrutée de force par un groupe paramilitaire tel que les FARC ou l'ENL, hormis quelques menaces verbales lancées par des membres de ces groupes telles que « Les menaces de mort étaient de plus en plus fortes, ils me disaient, si tu ne viens pas avec, on va te recruter de force, personne ne te protège, on va te prendre avec… » (p.6/14 de votre rapport d'entretien), il y a lieu de noter qu'il ne vous est jamais arrivé rien de grave dans ce contexte et que vos craintes sont à considérer comme étant purement hypothétiques. De plus, le fait que les premières menaces de recrutement auraient débuté lorsque vous auriez été âgée de cinq ans, il semble évident que ces menaces, considérant qu'elles aient vraiment été exercées, seraient de simples menaces en l'air alors que pendant presque vingt ans ces groupes auraient eu assez de temps pour vous recruter de force si vous aviez vraiment été dans leur viseur.
Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.
• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas 6ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.
L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.
L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dons son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il y a toutefois lieu de retenir qu'il n'existe manifestement pas davantage d'éléments susceptibles d'établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu'il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que courriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 de la loi de 2015.
En effet, vous omettez d'établir qu'en cas de retour en Colombie, vous risqueriez la peine de mort ou l'exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre votre vie ou votre personne en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Vos seules craintes d'être à nouveau confrontée à des membres de groupes armés qui auraient semé la terreur dans votre région ne sauraient en tout cas pas suffire pour contrebalancer cette conclusion et doivent, comme susmentionné, être définies comme étant totalement hypothétiques. Ce constat vaut d'autant plus qu'il ne saurait nullement être retenu comme avéré que vous n'ayez pas pu rechercher une protection auprès des autorités colombiennes, respectivement, que celles-ci ne voudraient ou ne pourraient pas vous aider ou vous permettre de faire valoir vos droits.
Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.
• Quant à la fuite interne En vertu de l'article 41 de la Loi de 2015, le Ministre peut estimer qu'un demandeur n'a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d'origine, il n'y a aucune raison de craindre d'être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu'il est raisonnable d'estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.
Ainsi, la conséquence d'une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d'origine, une existence conforme à la dignité humaine. Selon les lignes directrices de I'UNHCR, l'alternative de la fuite interne s'applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu'en termes de sécurité.
Madame, en l'espèce, il ressort de vos propos que les groupes armés sont surtout actifs dans les zones rurales et non pas dans les grandes villes comme par exemple à Bogota. Il ressort également des informations en ma possession que les groupes armés évitent les villes 7où l'Etat colombien dispose d'une présence policière efficace et ne sont pas ou que très peu présents dans de nombreuses villes et régions en Colombie telles que Bogota, Marquetalia ou Medellin. Vous prétendez lors de votre entretien avec l'agent ministériel que la vie en ville serait difficile et peu abordable pour quelqu'un qui n'aurait pas fait beaucoup d'études. Or, je constate que vous seriez détenteur d'un diplôme de fins d'études secondaires et que vous ne devriez de ce fait pas rencontrer de grandes difficultés à trouver un emploi vous permettant de mener une vie convenable dans une grande ville colombienne.
Ainsi, rien ne vous aurait empêché et ne vous empêcherait dans le futur de vous installer dans une grande ville et d'y mener une vie paisible loin des groupes armés qui vous auraient rendu la vie difficile dans votre région.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.
Suivant les dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de Colombie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 janvier 2024, Madame (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation d’une part, de la décision ministérielle du 19 décembre 2023 portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 19 décembre 2023 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 19 décembre 2023, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, Madame (A) expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en réitérant, en substance, ses déclarations, telles qu’actées lors de son audition par un agent du ministère.
En droit et plus particulièrement quant au refus du ministre de lui accorder le statut de réfugié, la demanderesse conteste tout d’abord le défaut de crédibilité accordé par le ministre à son récit en soutenant que le bénéfice du doute lui aurait dû être accordé.
Elle se réfère à un rapport de l'UNHCR d'août 2023, intitulé « International Protection Considerations with Regard to People Fleeing Colombia », aux termes duquel il y aurait une augmentation de la violence dans les zones rurales colombiennes et plus particulièrement à l’égard des femmes, que les autorités étatiques y seraient absentes et que le système judiciaire serait inefficient. Elle en conclut qu’elle aurait été dans l’impossibilité de solliciter une protection de la part des autorités colombiennes.
8Elle cite ensuite un rapport d'Amnesty International sur la Colombie de 2022 ainsi qu’un article de presse faisant référence aux infractions commises par les groupes paramilitaires et les recrutements forcés auxquels ils auraient recours pour remplir leurs rangs.
Madame (A) insiste sur le fait qu’en cas de retour dans son pays d’origine elle serait exposée à un danger quotidien d’encourir les persécutions dont elle aurait d’ores et déjà été victime avant son départ de la Colombie.
Quant au refus de lui accorder le statut conféré par la protection subsidiaire, Madame (A) estime disposer de motifs sérieux et avérés de croire qu’elle encourrait un risque réel de subir des actes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour en Colombie à l’encontre desquelles elle ne pourrait se prévaloir de la protection des autorités colombiennes.
Elle soutient qu’elle ne saurait s’établir durablement à un endroit qui lui offrirait des garanties de sécurité suffisantes pour y construire son existence.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Le tribunal relève de prime abord qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de ladite loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015 comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou 9 b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».
Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :
« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :
« a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. ».
Aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition (i) que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, (ii) que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et (iii) qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la 10demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.
En l’espèce, la demanderesse invoque, en substance, les faits suivants à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale : (i) un viol, des harcèlements et agressions sexuelles par des membres appartenant à des groupes paramilitaires, (ii) le fait d’avoir été ligoté et maltraité par un groupe d’hommes et (iii) la crainte d’être recrutée de force par des groupes paramilitaires, tels que les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ou l’Armée de libération nationale (ELN).
Le tribunal relève de prime abord que si les divers articles de presse et rapports internationaux relatifs à la situation générale de la Colombie cités par la demanderesse corroborent certes la réalité de difficultés existant en Colombie, il n’en demeure pas moins que ces éléments ne sont pas de nature à établir que chaque ressortissant du pays soit, indépendamment de sa situation personnelle, exposé à un risque réel de subir des actes de persécutions ou d’atteintes graves du seul fait de sa présence sur le territoire colombien.
En tout état de cause, l’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Il s’ensuit que la description de la situation de la Colombie, telle qu’exposée par la demanderesse, ne sera prise en considération par le tribunal que dans la mesure où elle est mise en relation avec sa propre situation personnelle, respectivement avec les faits dont la demanderesse se prévaut pour justifier sa demande en obtention d’une protection internationale.
Le tribunal est, en effet, amené à retenir, indépendamment, d’une part, de la qualification et de la gravité des agissements des groupes paramilitaires en Colombie, dont la demanderesse affirme craindre des persécutions et des atteintes graves, et, d’autre part, de la question de l’absence alléguée de volonté et de capacité des autorités colombiennes à procurer à la demanderesse une protection effective contre ces agissements, que le ministre a, en l’espèce, valablement pu conclure à l’existence d’une possibilité de fuite interne pour la demanderesse.
En effet, aux termes de l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015 : « (1) Dans le cadre de l’évaluation de la demande de protection internationale, le ministre peut estimer qu’un demandeur n’a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d’origine, a) il n’a pas une crainte fondée d’être persécuté ou ne risque pas réellement de subir des atteintes graves; ou b) il a accès à une protection contre les persécutions ou les atteintes graves au sens de l’article 40 et qu’il peut, en toute sécurité et en toute légalité, effectuer le voyage vers cette partie du pays et obtenir l’autorisation d’y pénétrer et que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il s’y établisse.
(2) Lorsqu’il examine si un demandeur a une crainte fondée d’être persécuté ou risque réellement de subir des atteintes graves, ou s’il a accès à une protection contre les persécutions 11ou les atteintes graves dans une partie du pays d’origine conformément au paragraphe (1), le ministre tient compte, au moment où il statue sur la demande, des conditions générales dans cette partie du pays et de la situation personnelle du demandeur, conformément à l’article 37. A cette fin, le ministre veille à obtenir des informations précises et actualisées auprès de sources pertinentes, telles que le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et le Bureau européen d’appui en matière d’asile. ».
Ainsi, une possibilité de fuite interne ne saurait être considérée comme donnée que si, dans une partie du pays d’origine, le demandeur de protection internationale n’a pas une crainte fondée d’être persécuté – ou ne risque pas réellement de subir des atteintes graves –, ou bien si, dans une partie du pays d’origine, il a accès à une protection contre les persécutions – ou les atteintes graves –, à condition qu’il puisse effectuer le voyage vers cette partie du territoire en toute sécurité et légalité et qu’il puisse raisonnablement s’y établir.
Il s’ensuit que la zone envisagée par le ministre pour la fuite interne doit remplir trois conditions cumulatives : premièrement, le demandeur n’y court pas le risque d’être persécuté – ou de subir des atteintes graves –, ou, le cas échéant, peut y bénéficier d’une protection de la part des autorités, deuxièmement, la zone doit être accessible tant sur un plan pratique que juridique, et troisièmement, il doit être « raisonnable » d’attendre du demandeur qu’il s’y installe.
Il appartient dès lors au ministre d’identifier une zone sûre, accessible tant en pratique que légalement pour le demandeur, en tenant compte du profil de la personne concernée, étant en tout état de cause souligné qu’il incombe au ministre, sinon de prouver positivement l’absence de tout risque, respectivement l’accès à une protection suffisante, du moins d’examiner et d’énoncer de manière plausible pour quelles raisons il estime devoir et pouvoir, dans le contexte et pour les causes visées à l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015, refuser la protection internationale. Le ministre ne peut pas s’emparer d’un défaut par le demandeur d’établir l’impossibilité de la fuite interne, mettant ainsi la charge de la preuve du côté du demandeur de protection internationale1.
En l’espèce, dans la mesure où (i) la demanderesse s’est limitée à déclarer qu’elle ne se serait pas réinstallée dans une autre ville ou région en Colombie où les groupes armés ne sont pas actifs en raison du fait qu’elle n’aurait pas voulu se séparer de sa famille2, (ii) selon le délégué du gouvernement, sans être contredit par la demanderesse, les groupes armés sont surtout actifs dans les zones rurales et non dans les grandes villes où l’Etat colombien dispose d’une présence policière efficace, (iii) la demanderesse est détentrice d’un diplôme de fins d’études secondaires, de sorte à devoir a priori être en mesure de trouver un emploi lui permettant de mener une vie convenable en Colombie, le tribunal est amené à retenir que la demanderesse est en mesure d’avoir accès, tel que relevé par le ministre et le délégué du gouvernement, à l’une des grandes villes colombiennes, telles que Bogota, Marquetalia ou Medellin, qui doivent être considérées, au regard des faits relatés par la demanderesse, comme étant non seulement sûres au motif que la demanderesse n’a pas de crainte fondée d’y être persécutée et n’encourt pas un risque réel d’y subir des atteintes graves, mais également comme des zones du pays où elle peut être raisonnablement attendu d’elle qu’elle s’y établisse pour s’y adonner à un travail rémunéré.
1 Trib. adm., 3 février 2016, n° 35618 du rôle, confirmé par Cour adm., 12 mai 2016, n° 37604C du rôle, Pas. adm.
2024, V° Etrangers, n° 166 et les autres références y citées.
2 « Parce que je ne voulais pas me séparer de ma famille. Mes parents se sont séparés après un certain temps, mon père est parti et on n’a plus rien entendu de luis, mon frère s’est mis en couple, il est parti et on a perdu le contact et je suis restée avec ma mère », page 11 du rapport d’entretien.
12Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres éléments, le tribunal est, dès lors, amené à conclure que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les conditions d’octroi du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire ne sont pas remplies dans le chef de la demanderesse, de sorte que son recours dirigé contre le refus ministériel de lui accorder une protection internationale en son double volet est à rejeter pour ne pas être fondé.
2) Quant au recours en réformation dirigé contre l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 19 décembre 2023 portant ordre de quitter le territoire, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
La demanderesse estime principalement que ce volet de la décision ministérielle devrait encourir la réformation, en conséquence de la réformation du volet de la décision portant refus d’octroi d’une protection internationale dans son chef et, subsidiairement, elle conclut à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire, en invoquant une violation de l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par la « loi du 29 août 2008 ».
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale de la demanderesse, il a a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
Il convient ensuite de rappeler que si l’article 129 de la loi du 29 août 2008 - qui est applicable à la décision de retour découlant d’une décision de rejet d’une demande de protection internationale, conformément à l’article 34, paragraphe (2), alinéa 3 de la loi du 18 décembre 2015 - renvoie à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », qui proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.
Or, étant donné que le tribunal a conclu ci-avant qu’un retour de la demanderesse dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution, ni à des atteintes graves, il ne saurait se départir à ce niveau-ci de cette conclusion.
13Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH3, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le retour de la demanderesse dans son pays d’origine soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH, de sorte que le moyen tiré d’une violation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 encourt le rejet.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 19 décembre 2023 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 19 décembre 2023 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 30 avril 2025 par :
Michèle STOFFEL, vice-président, Géraldine ANELLI, vice-président, Izabela GOLINSKA, attaché de justice délégué, en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Michèle STOFFEL 3 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2003, § 59.