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30/04/2025 | LUXEMBOURG | N°47382

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 avril 2025, 47382


Tribunal administratif N° 47382 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:47382 5e chambre Inscrit le 29 avril 2022 Audience publique du 30 avril 2025 Recours formé par la société à responsabilité limitée (AA), …, contre des bulletins d’impôt en matière d’impôt sur la fortune

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47382 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 avril 2022 par la société à responsabilité limitée LOYENS & LOEFF SARL, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des Avocats du Barreau de L

uxembourg, établie et ayant son siège social à L-2540 Luxembourg, 18-20, rue Edward Steich...

Tribunal administratif N° 47382 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:47382 5e chambre Inscrit le 29 avril 2022 Audience publique du 30 avril 2025 Recours formé par la société à responsabilité limitée (AA), …, contre des bulletins d’impôt en matière d’impôt sur la fortune

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47382 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 avril 2022 par la société à responsabilité limitée LOYENS & LOEFF SARL, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des Avocats du Barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2540 Luxembourg, 18-20, rue Edward Steichen, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B174248, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Petrus MOONS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom (i) de la société à responsabilité limitée (AA), en état de liquidation, ayant été établie et ayant eu son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée aux fins de la présente procédure par son liquidateur, la société à responsabilité limitée (BB) SARL, établie et ayant eu son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, (ii) « pour autant que de besoin », par la société à responsabilité limitée (BB) SARL, préqualifiée, en sa qualité de liquidateur, et (iii) « pour autant que de besoin », par la société anonyme de droit espagnol (CC) SA, établie et ayant son siège social à … (Espagne), immatriculée au registre de commerce de … sous le numéro …, représentée par ses organes sociaux actuellement en fonction, tendant à la réformation, sinon à l’annulation des bulletins d’établissement de la valeur unitaire au 1er janvier 2013 et de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2013, tous les deux émis en date du 31 mai 2017, ainsi que des bulletins d’établissement de la valeur unitaire au 1er janvier 2014 et de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2014, tous les deux émis en date du 15 mai 2019 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 29 septembre 2022 ;

Vu le mémoire en réplique des requérants, préqualifiés, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 31 octobre 2022 ;

1Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pierre-Antoine KLETHI, en remplacement de Maître Petrus MOONS, et Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 novembre 2024.

Par courrier du 27 avril 2017, le préposé du bureau d’imposition …, ci-après désigné par le « bureau d’imposition », informa la société à responsabilité limitée (AA), ci-après désignée par la « société (AA) », qu’il envisageait de s’écarter de sa déclaration fiscale de l’année d’imposition 2013, sur le fondement du § 205, alinéa (3) de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », dans les termes suivants, tout en l’invitant à formuler ses objections éventuelles pour le 19 mai 2017 au plus tard : « […] je vous informe, préalablement à l’établissement de la valeur unitaire au 01.01.2013, que le bureau … envisage de s’écarter sur les points suivants de votre déclaration :

• Suivant l’article 23 de la convention entre le Luxembourg et la Pologne, les éléments de fortune relatifs à l’établissement stable … sont imposables en Pologne.

• La dette fiscale au 01.01.2013 s’élève à … EUR. […] ».

Par courrier du 18 mai 2017, la société (AA) fit parvenir ses observations écrites.

En date du 31 mai 2017, le bureau d’imposition émit à l’égard de la société (AA), le bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2013, ainsi que le bulletin d’établissement de la valeur unitaire au 1er janvier 2013 indiquant que « L’établissement de la fortune d’exploitation diffère de la déclaration […] » et que « L’imposition tient compte de notre courrier du 27 avril 2017. », tout en renseignant un montant de … euros au titre de « Dettes et autres déductions (à l’exception des déductions conformément au § 60 BewG) ».

Par un courrier du 5 septembre 2017, réceptionné par l’administration le même jour, la société (AA) introduisit une réclamation contre lesdits bulletins d’établissement séparé de la valeur unitaire au 1er janvier 2013 et de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2013 auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par du « directeur ».

Par courrier du 21 mars 2019, le préposé du bureau d’imposition informa la société (AA) qu’il envisageait de s’écarter de sa déclaration fiscale de l’année d’imposition 2014, sur le fondement du § 205, alinéa (3) AO dans les termes suivants, tout en l’invitant à formuler ses objections éventuelles pour le 5 avril 2019 au plus tard : « […] je vous informe, préalablement à l’établissement de la valeur unitaire au 01.01.2014, que le bureau … envisage de s’écarter sur les points suivants de votre déclaration :

• Suivant l’article 23 de la convention entre le Luxembourg et la Pologne, les éléments de fortune relatifs à l’établissement stable …. sont imposables en Pologne.

• La dette fiscale au 01.01.2014 s’élève à …EUR. […] ».

Par courrier du 5 avril 2019, réceptionné le même jour par le bureau d’imposition, la société (AA) fit parvenir ses observations écrites.

En date du 15 mai 2019, le bureau d’imposition émit à l’égard de la société (AA), le bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2014, ainsi que le bulletin d’établissement de la valeur unitaire au 1er janvier 2014 indiquant que « L’établissement de la fortune d’exploitation 2diffère de la déclaration […] » et que « L’imposition tient compte de notre courrier du 21/03/2019. », tout en renseignant un montant de … euros au titre de « Dettes et autres déductions (à l’exception des déductions conformément au § 60 BewG) ».

Par un courrier du 14 août 2019, réceptionné par l’administration le même jour, la société (AA) introduisit une réclamation contre lesdits bulletins d’établissement séparé de la valeur unitaire au 1er janvier 2014 et de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2014 auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « directeur ».

A défaut de réponse à ses deux réclamations de la part du directeur, les requérants, préqualifiés, ont fait introduire en date du 29 avril 2022 une requête au greffe du tribunal administratif tendant à la réformation, sinon à l’annulation desdits bulletins d’établissement séparé de la valeur unitaire aux 1er janvier des années 2013 et 2014, ainsi que contre lesdits bulletins de l’impôt sur la fortune aux 1er janvier des années 2013 et 2014.

I) Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Le tribunal relève, tout d’abord, concernant la qualité à agir, qu’il est constant en cause qu’au moment de l’introduction du recours sous examen, la société (AA) était en état de liquidation. Etant donné que seul le liquidateur a qualité pour agir au nom d’une société liquidée1, la société à responsabilité limitée (BB) SARL, ci-après désignée par la « société (BB) », en sa qualité de liquidateur, a valablement pu agir auprès du tribunal administratif au nom de la société (AA).

Par ailleurs, conformément aux dispositions combinées du § 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3), point 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par la « loi du 7 novembre 1996 », le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre un bulletin de l’impôt.

Toutefois, en application des dispositions de l’article 8, paragraphe (3), point 3 de la loi du 7 novembre 19962, un bulletin d’impôt peut être directement déféré au tribunal administratif lorsqu’une réclamation au sens du § 228 AO ou une demande en application du § 131 AO a été introduite et qu’aucune décision directoriale définitive n’est intervenue dans le délai de six mois à partir de la demande.

En l’espèce, il est constant que le directeur n’a pas rendu de décision suite aux réclamations introduites en date des 5 septembre 2017 et 14 août 2019 par la société (AA).

1 Trib. adm., 17 novembre 2016, n° 36865 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 212 (1er volet) et les autres références y citées.

2 « Lorsqu‘une réclamation au sens du § 228 de la loi générale des impôts ou une demande en application du §§131 de cette loi a été introduite et qu’aucune décision définitive n’est intervenue dans le délai de six mois à partir de la demande, le réclamant ou le requérant peuvent considérer la réclamation ou la demande comme rejetées et interjeter recours devant le tribunal administratif contre la décision qui fait l’objet de la réclamation ou, lorsqu’il s’agit d’une demande de remise ou en modération, contre la décision implicite de refus. Dans ce cas le délai prévu au point 4, ci-après ne court pas ».

3Dès lors, la société (AA) a valablement pu, par l’intermédiaire de la société (BB) en sa qualité de liquidateur, faire introduire, en date du 29 avril 2022, un recours principal en réformation dirigé directement contre les bulletins d’établissement séparé de la valeur unitaire aux1er janvier des années 2013 et 2014, ainsi que contre les bulletins de l’impôt sur la fortune aux 1er janvier des années 2013 et 2014, émis à son encontre.

Ledit recours est encore à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Pour le surplus, le recours introduit, d’une part, directement par la société (AA), et, d’autre part, « pour autant que de besoin », par la société anonyme de droit espagnol (CC) SA en tant qu’ancien actionnaire de la société (AA), est irrecevable faute de qualité à agir.

II) Quant au fond Arguments et moyens des parties Dans sa requête introductive d’instance, la société demanderesse retrace les faits et rétroactes repris ci-avant et précise, en fait, que dans le cadre de sa déclaration fiscale pour l’impôt sur la fortune au titre des années 2013 et 2014, elle aurait inclus, « de façon consolidée », les actifs et passifs de la société de droit polonais « ….) », ci-après désignée par la « société (DD) », pour les besoins de la détermination de son assiette de la valeur unitaire au 1er janvier 2013 et au 1er janvier 2014. La société (DD), dont la forme sociale polonaise aurait des caractéristiques légales similaires à celles d’une société en commandite simple de droit luxembourgeois, serait fiscalement transparente en Pologne et aurait été financée par des emprunts. La société (DD) aurait détenu dans ce pays un immeuble en construction, lequel aurait été inscrit dans son bilan. Afin de déterminer la valeur unitaire de l’immeuble polonais, la société demanderesse explique qu’elle aurait utilisé une base d’évaluation analogue à celle prévue au § 3 de l’ordonnance d’exécution de la loi sur l’évaluation des biens et valeurs, appelée « Bewertungsdurchführung », en abrégée « BewDV ».

En droit, la société demanderesse fournit, tout d’abord, des explications quant aux raisons pour lesquelles la transparence fiscale de la société (DD), en tant qu’entité de droit étranger, devrait être reconnue au Luxembourg en se référant à la jurisprudence des juridictions administratives. La société demanderesse en tire la conséquence qu’elle aurait dû, compte tenu de la transparence fiscale de sa filiale, « reprendre » ses actifs et passifs dans le cadre de la détermination de son bilan fiscal.

Elle expose, ensuite, des développements au sujet de la valorisation de l’immeuble sis en Pologne pour les besoins de la détermination de sa valeur unitaire en se prévalant du § 26 de la loi d’évaluation du 16 octobre 2914, telle que modifiée, appelée « Bewertungsgesetz », en abrégée « BewG », suivant lequel les immeubles étrangers devraient en principe être valorisés à leur valeur de marché, contrairement aux immeubles situés au Luxembourg qui devraient, suivant les §§ 27, 57 et 66 BewG, être intégrés dans l’assiette de l’impôt par leur valeur au 1er janvier 1941.

La société demanderesse fait valoir que cette différence de traitement serait contraire au droit européen, tel qu’interprété par la Cour de Justice de l’Union européenne, ci-après 4désignée par la « CJUE », dans des affaires Theodor Jäger vs. Finanzamt Kusel-Landstuhl (C-256/06) et Heinrich Bauer Verlag (C-360/06), dont elle explique la solution dégagée par la CJUE. Elle argumente que la différence de traitement entre les biens immeubles domestiques et les biens immeubles situés dans un autre Etat membre de l’Union Européenne constituerait un obstacle à la liberté d’établissement, liberté qui serait applicable en l’espèce au motif que la société (DD) serait « traitée comme [son] établissement stable en Pologne ». Ainsi, les dispositions du § 26 BewG applicables aux immeubles sis à l’étranger, par opposition aux §§ 26, 57 et 66 BewG applicables aux immeubles sis à Luxembourg, seraient contraires aux « traités européens ». En l’absence de justification à cette restriction, la règle de droit national, en l’occurrence le § 26 BewG, devrait être écartée en application du principe de primauté du droit européen et de la jurisprudence européenne, la société demanderesse se référant à une affaire Simmenthal (C-106/77) de la CJUE.

Elle poursuit ses explications en affirmant qu’elle devrait pouvoir bénéficier de l’application des dispositions des §§ 26, 57 et 66 BewG. Concrètement, elle devrait être considérée comme ayant détenu l’immeuble sis en Pologne en raison de la transparence fiscale de la société (DD), et cet immeuble devrait être intégré dans le calcul de sa valeur unitaire en tenant compte de la valeur dudit immeuble au 1er janvier 1941, et non sa valeur de marché. La société demanderesse ajoute que « [s]elon les indexes de développement de valeur d’immobilier en général, la valeur au 1er janvier 1941 serait largement inférieure à 10% de la valeur actuelle », de sorte que « [p]ar souci de simplification, [elle l’aurait] estimée à 10% de sa valeur actuelle lors du dépôt de ses déclarations fiscales pour l’impôt sur la fortune pour 2013 et 2014 ».

La société demanderesse se prévaut, ensuite, du § 62 BewG pour soutenir que la dette bancaire de la société (DD) devrait être déduite de sa valeur unitaire au pro rata lui allouable du fait de son investissement dans ladite filiale au motif que cette dette aurait eu une relation économique avec l’immeuble sis en Pologne. Elle ajoute que la prise en compte de cette dette ayant servi à financer l’acquisition dudit immeuble aurait ainsi réduit sa valeur unitaire aux 1er janvier des années 2013 et 2014.

En dernier lieu, la société demanderesse explique l’impact qu’aurait la Convention entre le Grand-Duché de Luxembourg et la République de Pologne tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Luxembourg le 14 juin 1995, et approuvée par une loi du 11 avril 1996, ci-après désignée par la « Convention Luxembourg-Pologne », en l’espèce. Elle expose que la valorisation de l’immeuble et de la dette bancaire y relative aboutirait à un « solde négatif », lequel ne devrait pas être exclu de sa valeur unitaire sur base de ladite convention au motif que les conventions fiscales limiteraient les droits d’imposition des pays concernés, mais ne détermineraient pas les bases d’imposition, la société demanderesse se référant à un arrêt de la Cour administrative du 23 avril 2002, inscrit sous le numéro 14442C du rôle, à cet égard.

Les articles 23 et 24 de la Convention Luxembourg-Pologne prévoiraient d’ailleurs certes une exonération d’un actif, en l’occurrence d’un immeuble, mais ne prévoiraient pas la non prise en compte du passif afférent, en l’occurrence la dette bancaire. Ainsi, si la valeur de l’immeuble devait être exclue de la valeur unitaire sur base de la Convention Luxembourg-

Pologne, la question de la déductibilité de la dette serait, quant à elle, réglée par le droit interne, à savoir par le § 62 BewG. Un montant égal à la valeur de l’immeuble serait ainsi non-

déductible. Le « solde négatif », autrement dit le surplus de la valeur de la dette bancaire par rapport à la valeur de l’immeuble, ne serait pas couvert par l’exemption prévue par la 5Convention Luxembourg-Pologne, et ne devrait donc pas non plus être exclu de l’assiette de l’impôt sur la fortune selon le § 59 BewG.

La société demanderesse poursuit en expliquant qu’une approche différente reviendrait à créer une seconde restriction à la liberté d’établissement au motif que lorsque l’immeuble en construction acquis serait situé au Luxembourg et évalué à sa valeur au 1er janvier 1941, la dette dépasserait la valeur de l’immeuble et le « solde négatif » réduirait la base unitaire de la société contribuable luxembourgeois. Elle ajoute que refuser de reconnaître le « solde négatif » lorsque la dette excèderait la valeur d’un immeuble étranger créerait ainsi un désavantage injustifié qui dissuaderait les contribuables luxembourgeois de développer et détenir des actifs immobiliers étrangers.

Dans son mémoire en réplique, la société demanderesse indique maintenir son argumentation et insiste sur le fait que son argumentation quant à la violation du droit communautaire aurait été ignorée par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse et que l’analyse de ce dernier portant sur l’application du droit national serait erronée au motif qu’elle ne tiendrait pas compte de la jurisprudence luxembourgeoise qu’elle aurait pourtant citée dans sa requête introductive d’instance et que le représentant étatique aurait également ignorée.

Par rapport aux dispositions applicables au présent litige, la société demanderesse explique qu’en tant que société à responsabilité limitée ayant eu son siège statutaire au Luxembourg pour la période du litige, elle aurait été soumise à une obligation fiscale illimitée, de sorte qu’elle aurait été soumise à l’impôt sur la fortune au Luxembourg sur sa fortune mondiale suivant le § 1 de la loi sur l’impôt sur la fortune du 15 octobre 1934, telle que modifiée, appelée « Vermögensteuergesetz », en abrégée « VStG ». Tous les biens économiques qui lui appartiendraient, en tant qu’organisme à caractère collectif, seraient censés faire partie de sa fortune d’exploitation conformément au § 56, alinéa (1) BewG. Du fait de la transparence de la société (DD), elle serait elle-même censée détenir les projets de construction immobilière en Pologne au pro rata de sa participation dans ladite filiale. La part d’immeuble qui devrait lui être attribuée à des fins fiscales serait à qualifier comme immeuble d’exploitation au sens du § 57, alinéa (1) BewG et ferait ainsi plus généralement partie de sa fortune d’exploitation.

La société demanderesse poursuit en expliquant que ce serait à juste titre que le délégué du gouvernement ferait remarquer qu’aux termes du § 62, alinéa (1) BewG, les dettes d’exploitation seraient uniquement déductibles de la fortune brute d’exploitation si elles sont en rapport économique avec l’entreprise commerciale. Tout en rappelant que dans le cadre d’un organisme à caractère collectif, tous les biens appartenant au contribuable seraient réputés être des éléments de la fortune d’exploitation suivant le § 56, alinéa (1) BewG, de sorte que toutes les dettes afférentes seraient en principe déductibles, la société demanderesse ajoute que les dettes qui seraient en relation avec les biens exonérés de l’impôt sur la fortune en vertu des dispositions des §§ 59 et 60 BewG ne seraient en principe pas déductibles. Or, en l’espèce la dette qu’elle aurait déduite serait afférente à l’immeuble qui serait un bien inclus dans sa fortune d’exploitation. Même en considérant que le § 59 BewG s’appliquerait, la déduction de la dette afférente à l’immeuble devrait être admise au moins à hauteur de la valeur dépassant la valeur non-exonérée de l’immeuble, à savoir pour un montant de (i) … euros, en ce qui concerne le calcul de l’impôt sur la fortune dû pour l’année 2013, et (ii) … euros, en ce qui concerne le calcul de l’impôt sur la fortune dû pour l’année 2014, la société demanderesse qualifiant ce montant de « solde négatif ».

6 Ce raisonnement serait d’ailleurs celui que l’administration fiscale aurait retenu pour l’application du § 60 BewG dans une circulaire du 23 août 1993, dont elle cite un extrait, quant à la possibilité pour une société de capitaux mère de pouvoir déduire lors de la fixation de la valeur unitaire de sa fortune d’exploitation, le montant de la dette qui excède la valeur de sa participation bénéficiant du privilège mère-fille. La société demanderesse estime que le même raisonnement devrait pouvoir être appliqué en ce qui concerne la dette qui excéderait la valeur d’un bien immeuble qui serait à exclure de la fortune d’exploitation sur base du § 59 BewG.

Ce « solde négatif » résulterait de l’application des règles d’évaluation applicables aux biens immeubles situés sur le territoire luxembourgeois lesquels seraient, eux, à évaluer selon leur valeur au 1er janvier 1941. La société demanderesse insiste que le fait qu’en application du § 26 BewG, qui serait à écarter, le solde entre la valeur nette de l’immeuble et la dette y relative serait positif. Or, contrairement à ce que soutiendrait le délégué du gouvernement, le § 26 BewG ferait uniquement référence au fait que les biens fonciers se trouveraient à l’étranger, mais ne ferait aucune mention du fait qu’il y ait ou non une convention de double imposition entre le Luxembourg et le pays étranger. Cette disposition serait partant, selon le droit interne, applicable à l’évaluation de l’immeuble litigieux.

Tout en réitérant qu’en application de la jurisprudence européenne, une différence de traitement des biens situés dans d’autres Etats Membres de l’Union européenne et ceux situés sur le territoire national constituerait une restriction non justifiée à la liberté d’établissement ou, le cas échéant, à la libre circulation des capitaux, la société demanderesse conclut que sa fortune mondiale devrait être déterminée en prenant en compte le « solde négatif » de sa fortune en lien avec son investissement immobilier, tel que déterminé par application des dispositions relatives à l’évaluation de la valeur des immeubles situés au Luxembourg et tel qu’elle l’aurait déclaré dans ses déclarations fiscales relatives aux années d’imposition 2013 et 2014.

La société demanderesse explique ensuite que la Convention Luxembourg-Pologne ne pourrait pas aggraver l’obligation fiscale résultant du droit interne. Dans ce contexte, elle explique que la partie étatique se fonderait sur l’article 23 de la Convention Luxembourg-

Pologne pour soutenir, d’une part, que l’immeuble ne devrait pas être pris en compte dans sa fortune d’exploitation mondiale, et, d’autre part, que la dette afférente à l’immeuble ne serait, du fait de cette exonération sous la Convention Luxembourg-Pologne, pas déductible pour le calcul de sa fortune nette. La société demanderesse ajoute que d’après ce raisonnement de la partie étatique, sa fortune mondiale devrait être déterminée en excluant tant le « solde positif » que le « solde négatif » de sa fortune imposable.

Pour remettre en cause cette argumentation de la partie étatique, la société demanderesse fait valoir que l’application de la Convention Luxembourg-Pologne conduirait, sur base de cette interprétation erronée, à une charge d’impôt sur la fortune plus élevée qu’en cas de non-application de ladite Convention Luxembourg-Pologne, de sorte que cette dernière deviendrait un fondement autonome d’imposition, alors qu’une convention fiscale de double imposition ne pourrait pas aggraver la situation fiscale d’un contribuable, la société demanderesse se référant à un jugement du tribunal administratif du 21 décembre 1998, inscrit sous le numéro 10417 du rôle, ainsi qu’à un arrêt de la Cour administrative du 10 août 2005, inscrit sous le numéro 19407C du rôle. La société demanderesse en déduit que sa fortune mondiale devrait être déterminée en incluant dans sa fortune nette le « solde négatif », alors qu’admettre le contraire serait constitutif d’une restriction non justifiée à la liberté d’établissement ou, le cas échéant, à la libre circulation des capitaux.

7 Pour le surplus, la société demanderesse réitère son argumentation relative à la violation des « libertés européennes par les textes de droit domestique applicables au présent litige ».

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement se réfère, de son côté, aux dispositions de la Convention Luxembourg-Pologne pour conclure, en substance, à l’exclusion tant de l’immeuble que de l’emprunt afférent de la fortune d’exploitation de la société demanderesse, sans pour autant prendre plus particulièrement position par rapport à la question soulevé par la société demanderesse relative à l’inclusion dans la fortune d’exploitation de celle-ci, du montant de l’emprunt dépassant celui de la valeur non-exonérée de l’immeuble litigieux. Le représentant étatique conclut ainsi au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Analyse du tribunal Les parties sont en désaccord quant à la prise en compte par la société demanderesse, dans le cadre de la détermination de la valeur unitaire de sa fortune d’exploitation aux 1er janvier des années 2013 et 2014 pour les besoins de l’impôt sur la fortune, d’un immeuble sis en Pologne et de la dette destinée à le financer.

Il est constant en cause que la société demanderesse est une société résidente et que l’immeuble en question est détenu par la société (DD), société de droit polonais, elle-même détenue à hauteur de 49,95% par la société demanderesse au cours des années d’imposition litigieuses.

Il est également constant en cause pour ne pas être remis en cause par le délégué du gouvernement que la société (DD) est fiscalement transparente, de sorte qu’il est surabondant de trancher la question de la comparabilité de ladite société avec une société en commandite simple de droit luxembourgeois, tel que soulevée en substance par la société demanderesse à travers ses explications afférentes.

Enfin, il est constant en cause pour ne pas être contesté par le délégué du gouvernement que la société (DD) a contracté un emprunt pour financer l’acquisition de l’immeuble sis en Pologne, que ledit emprunt existait aux dates-clés des 1er janvier 2013 et 1er janvier 20143, et qu’il existe un lien économique entre l’emprunt et l’immeuble en question.

Sur cette toile de fond, le tribunal constate que la société demanderesse fait valoir, en substance, principalement, que - l’immeuble serait à inclure dans sa fortune d’exploitation au regard des dispositions du BewG, lesquelles créeraient d’ailleurs une différence de traitement contraire aux « traités européens » et à la liberté d’établissement ou à la libre circulation des capitaux, au motif que les immeubles sis au Luxembourg seraient évalués par rapport à la valeur des immeubles fixés au 1er janvier 1941 conformément aux §§ 27, 56 et 57 BewG, tandis que les immeubles sis à l’étranger seraient évalués à leur valeur de marché en application du § 26 BewG, et que - l’emprunt afférent serait également à inclure dans sa fortune au motif qu’il serait en lien économique avec ledit immeuble.

3 § 63 BewG : « (1) Für den Bestand und die Bewertung sind die Verhältnisse im Feststellungszeitpunkt (Absätze 2 der §21 und 23 ) maßgebend. […] (2) Für Betriebe, die regelmässig jährliche Abschlüsse auf den Schluss des Kalenderjahrs machen, ist dieser Abschlusstag zugrunde zu legen. […] ».

8 Subsidiairement, en admettant que l’immeuble serait à exclure de sa fortune d’exploitation au regard des dispositions de la Convention Luxembourg-Pologne, la société demanderesse fait valoir qu’il y aurait toutefois lieu d’inclure l’emprunt afférent à hauteur du montant excédant celui de la valeur non-exonérée de l’immeuble, montant que la société demanderesse qualifie de « solde négatif » et qui résulterait d’une application des §§ 27, 56 et 57 BewG, en lieu et place d’une application du § 26 BewG, laquelle aboutirait à une atteinte sa liberté d’établissement et conduirait à un « solde positif ».

De son côté, le délégué du gouvernement conclut à l’exclusion intégrale de la fortune d’exploitation de l’immeuble et de l’emprunt afférent sur base des dispositions de la Convention Luxembourg-Pologne et du BewG.

Le tribunal relève, tout d’abord, qu’en tant que société à responsabilité limitée résidente, la société demanderesse est soumise à une obligation fiscale illimitée pour les besoins de l’impôt sur la fortune (« [U]nbeschränkt vermögensteuerpflichtig ») conformément au § 1, alinéa (1), numéro 2, point a) VStG lequel dispose comme suit : « (1) Unbeschränkt vermögensteuerpflichtig sind :

1. […] ;

2. die folgenden Körperschaften, Personenvereinigungen und Vermögensmassen, die ihre Geschäftsleitung oder ihren Sitz im Inland haben:

a) des sociétés de capitaux ([…] sociétés à responsabilité limitée […]) ;

[…] ».

En cette qualité, les sociétés de capitaux résidentes sont soumises à l’impôt sur la fortune sur leur fortune totale (« Gesamtvermögen »), autrement dit sur leur fortune indigène et étrangère, en application du § 7 VStG, qui dispose que « Als steuerpflichtiges Vermögen gilt :

1. bei unbeschränkt Steuerpflichtigen a) […] b) dans le chef des contribuables visés par le § 1, alinéa 1, numéro 2, la fortune totale.

c) […] ».

Afin de déterminer la valeur de la fortune totale d’une telle société résidente, il y a lieu de se référer aux dispositions du BewG, et plus particulièrement à celles ancrées aux §§ 73 à 77 de cette loi, compte tenu du § 4, alinéa (1) VStG qui dispose que « (1) La fortune totale des contribuables résidents ( § 1, alinéa 2) […] [est] à mettre en compte lors de l’assiette de l’impôt sur la fortune avec la valeur déterminée selon les §§ 73 à 77 de la loi modifiée du 16 octobre 1934 sur l’évaluation des biens et valeurs. L’impôt sur la fortune déterminé conformément au § 8, alinéa 2 n’est pas affecté par la phrase qui précède. ».

Dans ce contexte, le tribunal constate, ensuite, que le patrimoine d’une société résidente relève en totalité4 de la catégorie de la fortune d’exploitation (« Betriebsvermögen »)5, en ce 4 E. Maquil et P. Lauterbour, L’évaluation des biens et des droits, Commentaire de la loi d’évaluation (Bewertungsgesetz) du 16 octobre 1934, Etudes fiscales, 1.12.1977, page 149, n° 56.1.

5 § 19 BewG : « Das Vermögen, das nach den Vorschriften des Zweiten Teils dieses Gesetzes zu bewerten ist, umfasst die folgenden Vermögensarten:

1. Land- und forstwirtschaftliches Vermögen ( §§28 bis 49, §26 ), 2. Grundvermögen ( §§50 bis 53, §26), 9compris les immeubles d’exploitation6. En revanche, sont exclues de la fortune d’exploitation, les biens économiques (« Wirtschaftsgüter »), lesquels sont exonérés de l’impôt sur la fortune d’après le VStG ou d’autres lois, étant donné que le § 59, numéro 1 BewG dispose que « Zum Betriebsvermögen gehören nicht : 1. die Wirtschaftsgüter, die nach den Vorschriften des Vermögensteuergesetzes oder anderer Gesetze von der Vermögensteuer befreit sind ; […] ».

Une exclusion identique de ces biens économiques est encore prévue dans le cadre de la détermination de la fortune totale, étant donné que le § 73 BewG dispose que « (1) Bei unbeschränkt Steuerpflichtigen im Sinn des Vermögensteuergesetzes wird der Wert des gesamten Vermögens (Gesamtvermögen) ermittelt.

(2) Zum Gesamtvermögen gehören nicht die Wirtschaftsgüter, die nach den Vorschriften des Vermögensteuergesetzes oder anderer Gesetze von der Vermögensteuer befreit sind; […] ».

Par la notion de « anderer Gesetze » au sens des dispositions précitées sont notamment visées les conventions de double imposition7.

A ce titre, il y a lieu de se référer à la Convention Luxembourg-Pologne, telle que modifiée par loi du 14 juin 2013 portant approbation de conventions fiscales et prévoyant la procédure y applicable en matière d’échange de renseignements sur demande, qui dispose dans son article 23, intitulé « Fortune », comme suit : « 1. La fortune constituée par des biens immobiliers visés à l’article 6, que possède un résident d’un Etat contractant et qui sont situés dans l’autre Etat contractant, est imposable dans cet autre Etat.

2. La fortune constituée par des biens mobiliers qui font partie de l’actif d’un établissement stable qu’une entreprise d’un Etat contractant a dans l’autre Etat contractant, ou par des biens mobiliers qui appartiennent à une base fixe dont un résident d’un Etat contractant dispose dans l’autre Etat contractant pour l’exercice d’une profession indépendante, est imposable dans cet autre Etat.

3. La fortune constituée par des navires, des aéronefs et des véhicules routiers exploités en trafic international, par des bateaux servant à la navigation intérieure ainsi que par des biens mobiliers affectés à leur exploitation, ou bateaux, n’est imposable que dans 1’Etat contractant où le siège de direction effective de l’entreprise est situé.

4. Tous les autres éléments de fortune d’un résident d’un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat. ».

L’article 4, intitulé « Résident », de la Convention Luxembourg-Pologne dispose, dans son paragraphe 1, comme suit : « 1. Au sens de la présente Convention, l’expression, résident 3. Betriebsvermögen ( §§54 bis 66, §26), 4. Sonstiges Vermögen ( §§67 bis 72 ). ».

§ 56, alinéa (1), numéro 1 BewG : « (1) Einen gewerblichen Betrieb bilden insbesondere alle Wirtschaftsgüter, die den folgenden Körperschaften, Personenvereinigungen und Vermögensmassen gehören, wenn diese ihre Geschäftsleitung oder ihren Sitz im Inland haben:

1. des sociétés de capitaux ([…] sociétés à responsabilité limitée […]) ».

6 § 57, alinéa (2) BewG : « (2) […] Abweichend von den Sätzen 1 und 2 gehört der Grundbesitz der im §56 Absatz 1 bezeichneten inländischen Körperschaften, Personenvereinigungen und Vermögensmassen stets zu den Betriebsgrundstücken. ».

7 E. Maquil et P. Lauterbour, L’évaluation des biens et des droits, Commentaire de la loi d’évaluation (Bewertungsgesetz) du 16 octobre 1934, Etudes fiscales, 1.7.1980, page 177, n° 59.3 et page 259, n° 73.2.

10d’un Etat contractant“ désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet Etat est assujettie à l’impôt dans cet Etat, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue. Toutefois, cette expression ne comprend pas les personnes qui ne sont assujetties à l’impôt de cet Etat que pour les revenus de sources situées dans cet Etat ou par la fortune qui y est située. ».

Par « biens immobiliers », il y a lieu d’entendre, suivant l’article 6, paragraphe 2 de la Convention Luxembourg-Pologne, « le sens que lui attribue le droit de l’Etat contractant où les biens considérés sont situés. L’expression comprend en tous cas les accessoires, le cheptel mort ou vif des exploitations agricoles et forestières, les droits auxquels s’appliquent les dispositions du droit privé concernant la propriété foncière, l’usufruit des biens immobiliers et les droits à des paiements variables ou fixes pour l’exploitation ou la concession de l’exploitation de gisements minéraux, sources et autres ressources naturelles; les navires, bateaux et aéronefs ne sont pas considérés comme des biens immobiliers. ».

Enfin, l’article 24 de la Convention Luxembourg-Pologne dispose que « Sous réserve des dispositions de la législation luxembourgeoise concernant l’élimination de la double imposition qui n’en affectent pas le principe général, la double imposition est éliminée de la manière suivante:

a) Lorsqu’un résident du Luxembourg reçoit des revenus ou possède de la fortune qui, conformément aux dispositions de la présente Convention, sont imposables en Pologne, le Luxembourg exempte de l’impôt ces revenus ou cette fortune, sous réserve des dispositions des sous-paragraphes b) et c), mais peut, pour calculer le montant de l’impôt sur le reste du revenu ou de la fortune du résident, appliquer les mêmes taux d’impôt que si les revenus ou la fortune n’avaient pas été exemptés. […] ».

Il ressort de ces dispositions conventionnelles que la fortune constituée par des biens immobiliers sis dans un Etat contractant détenus par un résident, personne physique ou morale, de l’autre Etat contractant n’est imposable que dans l’Etat contractant où sont situés les biens immobiliers.

En l’espèce, le tribunal retient, dès lors, que la fortune de la société demanderesse, résidente au Luxembourg, constituée par le bien immeuble sis en Pologne, est exclusivement imposable en Pologne sur base des dispositions de la Convention Luxembourg-Pologne, peu importe d’ailleurs que ce bien immeuble soit détenue à travers la société (DD), fiscalement transparente, les dispositions conventionnelles, précitées, n’ayant prévu aucune règle particulière à cet égard.

Il s’ensuit qu’en application des §§ 59, numéro 1 et 73 BewG, l’immeuble sis en Pologne est exonéré au Luxembourg en vertu de « anderer Gesetze » et plus particulièrement en vertu de la Convention Luxembourg-Pologne et est, en conséquence, exclu de la fortune d’exploitation de la société demanderesse et plus généralement de sa fortune totale.

C’est ainsi à juste titre que le délégué du gouvernement affirme que la question de l’existence d’une différence de traitement alléguée, par la société demanderesse, est – à ce stade de l’analyse – surabondante, dans la mesure où l’immeuble litigieux n’est pas à inclure dans la fortune d’exploitation de la société demanderesse au 1er janvier des années d’imposition litigieuses. En effet, l’argumentation de la société demanderesse fondée sur une atteinte alléguée à la liberté d’établissement de la société demanderesse ou à la libre circulation des 11capitaux suivant laquelle l’immeuble sis en Pologne serait à évaluer conformément aux dispositions applicables aux immeubles sis au Luxembourg, à savoir à leur valeur au 1er janvier 1941, en lieu et place de la valeur estimée de réalisation qui serait à retenir pour les immeubles sis à l’étranger d’après le BewG, repose sur la prémisse erronée que l’immeuble sis en Pologne serait à inclure dans la fortune d’exploitation, et plus généralement dans la fortune totale de la société demanderesse, de sorte à se heurter aux dispositions combinées des §§ 59 et 73 BewG et des articles 4, 6, paragraphe 2, 23 et 24 de la Convention Luxembourg-Pologne, précitées.

Dans ces conditions, le tribunal retient que c’est à bon droit que le délégué du gouvernement conclut à l’exclusion intégrale de l’immeuble sis en Pologne détenu par la société demanderesse de sa fortune d’exploitation aux fins de la détermination de sa valeur unitaire, l’argumentation afférente de la société demanderesse encourent, partant, le rejet pour être non fondée.

En ce qui concerne, ensuite, le second point litigieux portant sur la question du traitement de l’emprunt relatif à l’immeuble sis en Pologne, le tribunal rappelle qu’il a constaté ci-avant qu’il est constant en cause pour ne pas être contesté par le délégué du gouvernement que la société demanderesse a contracté un emprunt afin de financer l’immeuble sis en Pologne et qu’un lien économique existe entre ledit emprunt et le bien immeuble.

Le tribunal rejoint certes la société demanderesse dans la mesure où la Convention Luxembourg-Pologne n’exclut pas expressis verbis de la fortune d’une société résidente les dettes en rapport économique avec un bien immeuble sis en Pologne qui est exclusivement imposable dans ce dernier pays, de sorte à ne pas pouvoir servir de base juridique pour l’exclusion de telles dettes de la fortune d’exploitation d’une société résidente.

Pourtant, c’est à tort que la société demanderesse conclut à la prise en compte de l’emprunt relatif à cet immeuble dans le cadre de la détermination de sa fortune d’exploitation pour l’admettre en déduction.

D’une part, le fondement juridique de l’exclusion de l’emprunt litigieux ne résulte pas des dispositions de ladite convention. L’argumentation de la société demanderesse fondée sur les articles 23 et 24 de la Convention Luxembourg-Pologne et plus généralement relative à la finalité des conventions de double imposition est partant à rejeter pour être dénuée de pertinence en l’espèce.

D’autre part, l’absence d’exclusion de l’emprunt lié au bien immeuble sis en Pologne sur base de la Convention Luxembourg-Pologne ne saurait pas non plus automatiquement aboutir, par un raisonnement a contrario, à une prise en compte dudit emprunt dans le cadre de la détermination de la fortune d’exploitation de la société demanderesse, tel qu’elle le suggère. Il y a, à cet égard lieu de se référer au droit interne et plus particulièrement au BewG, lequel prévoit expressément la solution inverse.

En effet, force est au tribunal de constater, tel que d’ailleurs relevé par le délégué du gouvernement, que l’exclusion de l’emprunt de la fortune d’exploitation ressort d’une lecture combinée, d’une part, du § 62, alinéa (1) BewG qui dispose que « Zur Ermittlung des Einheitswerts des gewerblichen Betriebs sind vom Rohvermögen diejenigen Schulden abzuziehen, die mit der Gesamtheit oder mit einzelnen Teilen des gewerblichen Betriebs in wirtschaftlichem Zusammenhang stehen. », et, d’autre part, du § 74 BewG, lequel dispose 12comme suit : « (1) Zur Ermittlung des Werts des Gesamtvermögens sind von dem Rohvermögen abzuziehen:

1. Schulden, soweit sie nicht bereits beim Betriebsvermögen zu berücksichtigen sind ( §62 ) ;

2. […] ;

3. […].

(2) Nicht abzugsfähig sind Schulden und Lasten, soweit sie im wirtschaftlichem Zusammenhang mit Wirtschaftsgütern stehen, die nicht zum Vermögen im Sinn dieses Gesetzes gehören. »8.

Il en ressort qu’aux termes du § 74 BewG, dans le cadre de la détermination de la valeur de la fortune totale, il y a lieu de déduire de l’actif brut, les dettes, dans la mesure où (« soweit sie ») il n’en a pas déjà été tenu compte lors de la détermination de la fortune d’exploitation dans le cadre du § 62 BewG. Il en ressort, par ailleurs, que ne sont pas déductibles (« Nicht abzugsfähig ») de l’actif brut, les dettes, dans la mesure où (« soweit sie ») elles sont en rapport économique avec des biens économiques qui ne font pas partie de la fortune au sens du BewG.

Le tribunal a conclu ci-avant que l’immeuble sis en Pologne était à exclure de la fortune d’exploitation de la société demanderesse en application des §§ 59, numéro 1 et 73 BewG et des articles 4, 6, paragraphe 2, 23 et 24 de la Convention Luxembourg-Pologne.

Sur cette toile de fond, le tribunal constate que la société demanderesse explique elle-

même – d’ailleurs sans se référer à une quelconque pièce de nature à corroborer ses explications – qu’en l’espèce, la partie du montant de l’emprunt litigieux excédant le montant de la valeur exonérée de l’immeuble sis en Pologne – le « Solde Négatif », tel qu’elle le qualifie – n’existerait qu’en raison de la valorisation de l’immeuble déterminée non pas suivant les dispositions du § 26 BewG applicables aux immeubles sis à l’étranger, mais suivant les dispositions des §§ 27, 57 et 66 BewG applicables aux immeubles sis au Luxembourg, lesquelles seraient applicables compte tenu de l’entrave à la liberté d’établissement ou à la liberté de mouvement des capitaux qui serait instituée par le BewG dans ce contexte. La société demanderesse explique ainsi elle-même qu’en application du § 26 BewG, le « solde entre la valeur nette de l’immeuble et la dette y relative serait positif (le Solde Positif) ».

Force est de constater que ce cas de figure diffère fondamentalement de celui dans lequel le montant d’un emprunt est, à l’origine, excédentaire par rapport au bien qu’il est destiné à financer, peu importe l’évaluation qui est faite de ce bien pour les besoins de l’impôt sur la fortune qui pourrait être différente.

Or, en l’espèce, il n’existe stricto sensu aucun montant excédentaire de l’emprunt litigieux par rapport à la valeur exonérée de l’immeuble sis en Pologne, étant donné que ce « Solde Négatif » résulte en réalité d’une évaluation inférieure de l’immeuble sis en Pologne, par rapport à sa valeur de marché, faite par la société demanderesse, sur le fondement de dispositions nationales, lesquelles ne sont toutefois pas d’office applicables à l’égard d’immeubles situés à l’étranger.

L’emprunt litigieux ayant été contracté pour financer en intégralité le bien immeuble sis en Pologne d’après les explications de la société demanderesse, c’est partant nécessairement 8 Souligné par le tribunal.

13l’intégralité du montant de l’emprunt litigieux qui est en rapport économique avec l’immeuble sis en Pologne.

En conséquence, le tribunal retient, à l’instar du délégué du gouvernement, que l’emprunt de la société demanderesse, qui est en rapport économique avec l’immeuble litigieux sis en Pologne et exonéré au Luxembourg, est à exclure intégralement de la fortune totale de la société demanderesse en application du § 74 BewG (« soweit sie im wirtschaftlichem Zusammenhang mit Wirtschaftsgütern stehen »).

Cette conclusion s’impose indépendamment de la question de savoir si aux termes du § 74, alinéa (2) BewG, précité, le montant d’une dette ayant pour objet le financement d’un immeuble, est déductible à hauteur de la valeur non-exonérée de cet immeuble, tel que le suggère la société demanderesse, et de l’analogie faite par cette dernière par rapport aux dispositions du § 60 BewG, intitulé « Vergünstigung für Schachtelgesellschaften », visé dans la circulaire du directeur Eval. -n° 39 du 23 août 1993 à laquelle la société demanderesse s’est par ailleurs référée dans ce contexte.

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est déclaré non fondé, de sorte à encourir le rejet.

III) Quant à l’indemnité de procédure Eu égard à l’issue du litige, la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.000 euros formulée par la société demanderesse sur le fondement de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, à laquelle s’oppose le délégué du gouvernement, est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

déclare irrecevable le recours principal en réformation et subsidiaire en annulation introduit directement par la société (AA) et « pour autant que de besoin » par la société anonyme de droit espagnol (CC) SA en tant qu’ancien actionnaire de la société (AA), faute de qualité à agir ;

reçoit le recours principal en réformation introduit par la société (BB) en sa qualité de liquidateur de la société (AA), au nom de cette dernière, en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant le rejette ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.000 euros formulée par la société demanderesse ;

condamne la société demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 30 avril 2025 par :

14Françoise EBERHARD, premier vice-président, Carine REINESCH, premier juge Benoît HUPPERICH, premier juge, en présence du greffier Lejila ADROVIC.

s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30 avril 2025 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 47382
Date de la décision : 30/04/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 09/05/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-04-30;47382 ?

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