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29/04/2025 | LUXEMBOURG | N°49809

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 avril 2025, 49809


Tribunal administratif N° 49809 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49809 3e chambre Inscrit le 15 décembre 2023 Audience publique du 29 avril 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49809 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 15 décembre 2023 par Maître Estelle BARBOTIN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à L

uxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Côte d’Ivoire), de nationalité ivoi...

Tribunal administratif N° 49809 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49809 3e chambre Inscrit le 15 décembre 2023 Audience publique du 29 avril 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49809 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 15 décembre 2023 par Maître Estelle BARBOTIN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Côte d’Ivoire), de nationalité ivoirienne, demeurant actuellement à L-…, représenté par son administrateur ad hoc, Maître Estelle BARBOTIN, préqualifiée, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 14 novembre 2023 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 février 2024 ;

Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif le 21 février 2025 par Maître Elise ORBAN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), préqualifié, représenté par son administrateur ad hoc, Maître Elise ORBAN, préqualifiée ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Elise ORBAN et Monsieur le délégué du gouvernement Vyacheslav PEREDERIY en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 mars 2025.

Le 16 août 2021, Monsieur (A) se présenta au ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère ».

En tant que mineur non accompagné, il se vit attribuer un administrateur ad hoc par ordonnance du 18 août 2021 du juge aux affaires familiales près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg.

Le 17 septembre 2021, Monsieur (A), représenté par son administrateur ad hoc, introduisit auprès du service compétent du ministère une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

1Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En date du 16 décembre 2021, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

En sa séance du 4 octobre 2023, la Commission consultative d’évaluation de l’intérêt supérieur des mineurs non accompagnés, ci-après désignée par « la Commission », arriva à la conclusion qu’il serait dans l’intérêt supérieur de Monsieur (A) de rester au Luxembourg jusqu’à ses 18 ans plutôt que de retourner dans son pays d’origine.

Par décision du 14 novembre 2023, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée en date du 16 novembre 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », rejeta la demande de protection internationale de Monsieur (A). Cette décision est libellée comme suit :

« […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 17 septembre 2021 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-

après.

1. Quant à vos motifs de fuite En mains votre fiche manuscrite du 16 août 2021, le rapport du Service de Police Judiciaire du 17 septembre 2021, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 16 décembre 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, les documents relatifs au "Family Tracing" de l'Organisation Internationale pour les Migrations, l'avis de la Commission consultative d'évaluation de l'intérêt supérieur des mineurs non accompagnés du 4 octobre 2023 ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.

Monsieur, lors de l'introduction de votre demande de protection internationale au Luxembourg, vous avez indiqué être né le … à … en Côte d'Ivoire, être de nationalité ivoirienne, être célibataire, de confession musulmane et avoir vécu avec vos parents, la première femme de votre père, votre mère ainsi que vos quatre grands frères dans le quartier … dans la ville de ….

Vous expliquez avoir introduit une demande de protection internationale étant donné que vous auriez eu des altercations répétées avec votre père, au cours desquelles il aurait souvent eu recours à la violence. Vous précisez par ailleurs que la première femme de votre père vous aurait fait exécuter des tâches ménagères et elle vous aurait giflé de temps à autre, notamment quand vous auriez refusé ses ordres (p.16 du rapport d'entretien).

Afin de vous tenir éloigné de votre père et de ce ménage, votre mère aurait décidé de vous emmener chez vos grands-parents, qui auraient cependant refusé de vous accueillir. Votre 2mère vous aurait ensuite confié à une camarade, la dénommée […], chez qui vous auriez vécu pendant deux ans avant que votre père aurait tenté de vous enlever de force afin de vous emmener dans la ville d'….

A cet égard vous précisez que vous n'étiez pas à la maison à ce moment-là, mais que vous auriez été au marché pour travailler (p.18 du rapport d'entretien). Votre demi-frère vous aurait informé de la tentative de votre père, de sorte que vous auriez décidé de quitter le pays le plus rapidement possible. Ensemble avec votre ami vous auriez pris le chemin vers l'Algérie, d'où il aurait été plus facile de rejoindre la Lybie et de traverser la Méditerranée afin de se rendre en Europe.

Vous ne remettez aucun document d'identité à l'appui de votre demande de protection internationale, respectivement aucun autre document permettant d'appuyer vos propos.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifiée de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

De prime abord, il convient de soulever le fait que vos motifs de fuite indiqués sur votre fiche manuscrite du 16 août 2021 ne concordent pas avec ceux évoqués lors de votre entretien ministériel en date du 17 décembre 2021. En effet, vous justifiez votre fuite avec le seul fait que vous souhaiteriez avoir une bonne formation d'étude et de réaliser votre souhait au Luxembourg sans pour autant aborder le conflit familial que vous auriez eu avec votre père en Côte d'Ivoire. Dès lors, force est de constater que votre fuite est fondée sur d'autres motifs que ceux précisés lors de votre entretien individuel, à savoir des motifs économiques et de convenance personnelle.

3 Ce constat est corroboré par le fait que vous êtes arrivé en Italie en juin 2021 et que vous y auriez vécu environ cinq mois sans y introduire une demande de protection internationale au motif que « […] les gens m'ont dit le pays [Luxembourg] le plus bon, on a commencé à en parler au foyer […] » et « Au foyer il y avait les anciens. On nous a dit les pays qui sont bons en Europe. C'est comme ça que (incompréhensible) connu le Luxembourg. Nous avons décidé de venir ici ». (p.7 et 9 du rapport d'entretien).

En effet, un tel comportement ne correspond pas à celui d'une personne qui aurait été forcée à quitter son pays à la recherche d'une protection internationale et qui aurait été ravi d'obtenir une quelconque protection dans le premier pays sûr rencontré. Votre façon de procéder correspond à pratiquer du forum shopping en soumettant votre demande dans l'Etat membre qui, selon vos estimations, satisfera au mieux vos attentes.

Quand bien même vous auriez réellement quitté votre pays en raison des motifs que vous invoquez dans le cadre de votre entretien individuel, respectivement en raison d'une nouvelle tentative d'enlèvement de votre père, il convient de constater que les faits dont vous faites état ne relèvent pas du champ d'application de la Convention de Genève, étant donné qu'il n'existe aucune crainte de persécution en raison de votre race, de votre nationalité, de votre religion, de votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques.

En effet, il ressort de votre entretien individuel sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale que vous craigniez une nouvelle tentative d'enlèvement de votre père (p.17 du rapport d'entretien). A ce sujet, vous précisez que vous auriez vécu dans un ménage ensemble avec votre père, la première femme de votre père, votre mère ainsi que votre fratrie depuis tout petit (p.3 du rapport d'entretien). Vous indiquez à plusieurs reprises que votre père ne vous aurait jamais aimé et qu'il se serait régulièrement montré violent envers vous en vous frappant notamment avec la main ainsi qu'avec sa ceinture. Vous ajoutez que la première femme de votre père vous aurait également giflé et qu'elle vous aurait souvent forcé à faire des tâches ménagères contre votre gré (p. 10 et 15 du rapport d'entretien). Vous avancez que votre père n'aurait pas supporté le fait que votre mère vous aurait emmené chez sa camarade, la dénommée […], afin de vous éloigner et protéger de lui (p.10 du rapport d'entretien). Par conséquent, il aurait tenté de vous enlever de force pendant votre séjour chez la personne susmentionnée, avec la volonté de vous amener dans la ville d’… (p. 15 du rapport d'entretien). Vous auriez finalement décidé de quitter la Côte d'Ivoire afin d'éviter d'être enlevé par votre père.

Monsieur, il découle de manière claire et évidente qu'un pur conflit d'ordre familial est à l'origine de votre demande de protection internationale. Or, des altercations entre vous et votre père qui vous aurait agressé physiquement et aurait tenté de vous enlever de force, ne saurait fonder une demande en obtention du statut de réfugié, alors que de telles craintes n'ont aucun lien avec l'un des cinq motifs de fond définis par la Convention de Genève et la Loi de 2015.

Même à supposer que vos problèmes seraient à qualifier d'actes de persécutions motivés par un des cinq motifs de fond de la Convention de Genève et de la Loi de 2015, quod non, il convient de constater que s'agissant d'actes émanant de personnes privées, ici votre père, ceux-ci peuvent être considérées comme fondant une crainte légitime uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités ivoiriennes.

4Or, force est de souligner que ni vous ni votre mère, n'auriez jugé nécessaire d'informer les autorités de votre pays d'origine (p.16 du rapport d'entretien). Par conséquent, vous ne sauriez vous retrancher derrière votre inaction pour reprocher une quelconque défaillance, respectivement, absence d'action des autorités ivoiriennes compétentes.

Votre inaction, voire celle de votre mère, est d'autant plus incompréhensible alors que les autorités de votre pays considèrent la violence à l'encontre des enfants comme un délit punissable par la loi. En effet, l'article 362 du code pénal ivoirien prévoit des peines de prison et des amendes et dispose que « Quiconque exerce des violences ou voies de fait sur la personne d'un mineur de quinze ans ou sur une personne incapable de se protéger en raison de son état physique ou mental, ou la prive volontairement d'aliments ou de soins au point de compromettre sa santé, est puni d'un emprisonnement d'un à cinq ans et d'une amende de 10.000 à 100.000 francs […] ».

Même constat s'impose en ce qui concerne les enlèvements d'enfants mineurs étant donné que l'article 371 du code pénal ivoirien stipule que « Quiconque, sans fraude ni violence, enlève ou tente d'enlever un mineur de 18 ans, est puni d'un emprisonnement d'un à cinq ans et d'une amende de 50.000 à 500.000 francs […] ».

Ainsi, il ressort de ces informations que selon la loi ivoirienne, les crimes et délits contre les enfants sont interdits et que vous, voire votre mère auriez pu vous opposer aux actes de votre père, respectivement obtenir une protection en vous adressant aux autorités.

Dans le cas où vous estimez avoir été victime de violences domestiques, il convient encore de noter que les autorités ivoiriennes ont mis en place un dispositif de protection de l'enfance ayant pour but de mieux protéger les enfants contre toutes formes de violence, abus et exploitation. En effet, selon un article publié par l'Organisation des Nations unies en mai 2019 : « La ligne téléphonique 116 « Allô, enfants en détresse » permet de recueillir les appels visant à dénoncer des actes de violation des droits de l'enfant. Ce numéro vert collecte et oriente les victimes vers des structures de prise en charge. Cette ligne d'urgence est gratuite et son accessibilité est assurée par tous les opérateurs mobiles du pays […] ».

Il ressort également de ce même article que la thématique autour de la violence contre l'enfant constitue une priorité pour le gouvernement ivoirien étant donné que […] M. …, Conseiller technique au Ministère de la femme, de la famille et de l'enfant de la Côte d'Ivoire, a indiqué que le Président de la République de la Côte d'Ivoire, M. Alassane Ouattara, avait érigé la promotion et la protection des droits de l'enfant au rang de priorité de l'action gouvernementale; cette vision est traduite en actions concrètes par des réformes et la mise en place de politiques, programmes et projets sensibles à la cause des enfants ».

Dans cette même lignée, un article publié sur le portail officiel du gouvernement de la Côte d'Ivoire en date 7 novembre 2019 avance que : « La ministre de la Femme, de la Famille et de l'Enfant a affirmé que pour tous les cas de violence enregistrés ces derniers temps, les auteurs ont été appréhendés. « Ils sont tous en prison » […] Selon Bakayoko-Ly Ramata, les peines vont de 5 à 20 ans. Et dans certains cas, les auteurs encourent une peine d'emprisonnement à vie. Par ailleurs, la ministre a assuré que l'Etat multiplie les efforts pour lutter contre les violences basées sur le genre et les mineurs. Elle a cité, entre autres, la mise en place d'une plateforme de lutte contre les violences, la formation de leaders communautaires et de volontaires pour prévenir et prendre en charge les cas de violence ».

5Au vu de ces informations, Monsieur, il convient de constater qu'au sein des autorités ivoiriennes, des actions dédiées à la lutte contre les violences faites aux enfants, existent et ont même été encouragées et affinées progressivement par le gouvernement ces dernières années.

Partant on peut légitimement en conclure que vous auriez pu et pourriez d'ailleurs toujours trouver de l'aide à vos problèmes en Côte d'Ivoire et porter plainte contre les agissements de votre père. On ne peut dès lors mettre en évidence un défaut de protection de la part des autorités ivoiriennes.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié.

Or, et tout en renvoyant aux arguments développés précédemment, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 précité ou encore que les autorités ivoiriennes ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays d'origine ne pourraient pas vous accorder une quelconque protection.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

3. Quant à l'ordre de quitter le territoire luxembourgeois Monsieur, il convient de noter que le Ministre a sollicité l'avis de la Commission consultative d'évaluation de l'intérêt supérieur des mineurs non-accompagnés dans une réunion ayant eu lieu le 4 octobre 2023 afin d'obtenir un avis quant à un éventuel éloignement vers la Côte d'Ivoire.

6 La Commission consultative d'évaluation de l'intérêt supérieur des mineurs non-

accompagnés a estimé qu' « Au regard de tous les éléments du dossier, la commission est amenée à conclure qu'il est dans l'intérêt supérieur de Monsieur (A) de rester au Luxembourg jusqu'à ses 18 ans plutôt que de retourner dans son pays d'origine ».

Le Ministre se rallie pleinement à cet avis de sorte que vous n'êtes pas dans l'obligation de quitter le territoire jusqu'à vos 18 ans.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est refusée comme non fondée. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2023, Monsieur (A), représenté par son administrateur ad hoc, a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 14 novembre 2023 portant rejet de sa demande de protection internationale.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 14 novembre 2023, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours et en fait, le demandeur expose en substance les faits et rétroactes repris ci-avant.

En droit, quant au volet de la décision portant refus du statut de réfugié dans son chef, le demandeur estime, en citant l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, que ce serait à tort que le ministre aurait retenu qu’il aurait pu bénéficier d’une protection de la part des autorités ivoiriennes, dès lors qu’il aurait été impossible pour lui d’avoir connaissance des mesures mises en place par ces dernières et tendant à la protection des enfants, sinon d’y avoir accès.

Le demandeur explique d’abord avoir été frappé et humilié par son père et la première épouse de celui-ci depuis pratiquement sa naissance, de sorte qu’il aurait été obligé de quitter la maison familiale à l’âge de 10 ans pour rejoindre sa mère et sa sœur qui se seraient installées peu avant chez ses grands-parents maternels. Or, à la demande de son grand-père, le concerné aurait été obligé de quitter également la maison de ses grands-parents, sa mère l’ayant alors confié à son amie Madame …. Il aurait donc été rejeté par toutes les personnes de sa famille qui auraient pu avoir connaissance des mesures de protection des enfants mises en place par les autorités ivoiriennes.

L’intéressé donne ensuite à considérer qu’il ne ferait aucun doute que sa mère, femme au foyer qui aurait été obligée de retourner chez ses propres parents après avoir été rejetée par son époux, n’aurait pas eu connaissance de ces mêmes mesures de protection mais aurait vu comme seul moyen de protéger son fils de le confier à une amie.

Par ailleurs, le concerné fait valoir qu’il n’aurait eu aucun moyen de solliciter une quelconque aide de la part de l’Etat ivoirien. En effet, ayant eu 10 ans au moment des faits et 7ayant été contraint de travailler sur les marchés pour la première épouse de son père, il n’aurait pas pu avoir de telles connaissances en matière de protection d’enfants, ni n’aurait-il pu avoir le réflexe de solliciter de l’aide auprès des autorités ivoiriennes.

Enfin, le demandeur se réfère à un extrait d’une définition du « fosterage » ou « confiage » issue du site internet « www.wikipedia.org » consulté le 13 décembre 2023 et à un article de presse intitulé « Droit des enfants – Une Ong sensibilise contre les effets néfastes du confiage » publié le 27 juillet 2023 sur le site internet « www.news.lia.ci », desquels il ressortirait que le « confiage » serait une pratique sociale consistant à confier durablement un enfant à un membre de la parentèle pour son éducation mais que cette pratique serait susceptible de donner lieu à de nombreuses dérives. Il se réfère dans ce contexte encore à l’organisation non gouvernementale « Initiative pour le développement et la résilience en Côte d’Ivoire » qui dénoncerait les effets néfastes de cette pratique, plus particulièrement la traite des enfants, maltraitance, instabilité et détresse émotionnelle. Il est ainsi d’avis que dans la mesure où il aurait été confié par sa mère à une amie, tout laisserait à croire qu’il aurait été exposé à de tels effets, de sorte qu’il aurait été peu probable qu’il ait pu solliciter lui-même ou par l’intermédiaire de Madame … une quelconque aide ou protection étatique, le demandeur rappelant encore qu’il aurait quitté son pays d’origine tout seul à l’âge de 13 ans.

Le demandeur en conclut qu’il aurait été dans l’incapacité de solliciter et d’obtenir une protection de la part des autorités ivoiriennes, de sorte que toutes les conditions seraient remplies dans son chef pour l’octroi du statut de réfugié.

Quant au volet de la décision portant refus du statut conféré par la protection subsidiaire dans son chef, le demandeur estime, en citant l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015, que les faits invoqués à la base de sa demande de protection internationale constitueraient des atteintes graves, dès lors que, depuis qu’il aurait été tout jeune, son père l’aurait battu, plus particulièrement à coups de ceinture, l’aurait humilié et menacé et aurait tenté de l’enlever pour l’emmener dans une autre ville ; le demandeur renvoyant, concernant la seconde condition sous-tendant l’octroi dudit statut, à savoir que les auteurs des actes précités puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, à ses développements portant sur l’octroi du statut de réfugié.

Il en conclut que toutes les conditions seraient remplies dans son chef pour l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.

Au regard de ses développements résumés ci-dessus, la décision déférée devrait dès lors, de l’avis du concerné, être réformée en conséquence.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne le refus du statut de réfugié, il soutient tout d’abord que les motifs de fuite indiqués par le demandeur sur sa fiche des motifs ne concorderaient pas avec ceux invoqués lors de son entretien sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Le délégué du gouvernement fait ensuite valoir que les actes invoqués ne relèveraient pas du champ d’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », alors que les craintes 8invoquées par le demandeur seraient d’ordre familial et n’auraient aucun lien avec les critères de fond énumérés à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015.

Il estime, par ailleurs, que s’agissant d’actes émanant de personnes privées, plus particulièrement le père du concerné, celles-ci ne sauraient être considérées comme acteurs au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 qu’en cas de défaut de protection de la part des autorités ivoiriennes, tout en relevant que ni le demandeur ni sa mère ne se seraient adressés aux autorités ivoiriennes, et ce alors même que les violences à l’encontre des enfants mineurs et les enlèvements de ces derniers seraient incriminés par l’article 421, respectivement l’article 431 du Code pénal ivoirien. Dans ce contexte, la partie étatique se réfère à un article de l’Organisation des Nations Unies intitulé « Au comité des droits de l’enfant, la Côte d’Ivoire présente son numéro vert pour "enfants en détresse" », publié le 21 mai 2019 sur le site internet « www.news.un.org », et un article intitulé « Violences faites aux mineurs : la ligne 116 pour dénoncer les cas de violence », publié le 7 novembre 2019 sur le site internet « www.gouv.ci », desquels il ressortirait que les autorités ivoiriennes auraient mis en place différentes mesures pour lutter contre les violences faites aux enfants, à savoir une ligne téléphonique 116 « Allô, enfants en détresse », une plateforme de lutte contre ces violences, ainsi qu’une formation de « leaders » communautaires et de volontaires pour prévenir et prendre en charge les cas de violence. Elle en conclut que le demandeur aurait pu porter plainte contre les agissements de son père et qu’aucun défaut de protection de la part des autorités ivoiriennes ne saurait être retenu en l’espèce.

À cet égard, le délégué du gouvernement considère plus particulièrement qu’il ne serait pas possible qu’une personne adulte et mère de famille ignorerait l’existence des autorités nationales et la possibilité de s’adresser à ces dernières pour solliciter de l’aide, et que le concerné n’aurait pas explicité dans quelle mesure le fait qu’il ait été confié à une amie de sa mère, Madame …, l’aurait exposé à des effets néfastes du « confiage » et aurait eu pour conséquence qu’il n’aurait pas pu solliciter une quelconque aide ou protection des autorités ivoiriennes.

Enfin, il fait valoir que le concerné aurait été autorisé par le ministre à rester au Luxembourg jusqu’à sa majorité, de sorte qu’il serait majeur en cas de retour dans son pays d’origine et pourrait ainsi vivre éloigné de son père et saisir lui-même les autorités ivoiriennes en cas de besoin.

En ce qui concerne le refus du statut conféré par la protection subsidiaire, la partie étatique estime que le demandeur n’apporterait aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, tout en renvoyant, concernant la seconde condition sous-tendant l’octroi dudit statut, à savoir que les auteurs des actes précités puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, à ses développements portant sur l’octroi du statut de réfugié. À cet égard, le délégué du gouvernement insiste sur le fait que le concerné serait majeur en cas de retour dans son pays d’origine et pourrait ainsi vivre indépendamment et éloigné de son père et saisir lui-même les autorités ivoiriennes en cas de besoin.

Appréciation du tribunal 9Aux termes de l’article 2, point b) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « demande de protection internationale » se définit comme la demande visant à obtenir le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire.

a) Quant au statut de réfugié La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Aux termes de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 :

« Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».

Aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 :

« Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi :

« (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire 10effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est soumis aux conditions que les actes invoqués soient motivés par l’un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions, et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’un « réfugié » est une personne qui « craint avec raison d’être persécuté[e] », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption simple que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption peut être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Il se dégage à ce propos du libellé de la décision déférée que le ministre considère tout d’abord que le récit du demandeur ne serait pas crédible dans son ensemble, le délégué du gouvernement ayant confirmé cette approche dans le cadre de son mémoire en réponse.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que si des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière 11générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves1.

Le tribunal ne saurait cependant suivre le ministre en ce qui concerne le prétendu manque de crédibilité du récit du demandeur. En effet, si sur la fiche des motifs remplie par le demandeur en date du 16 août 2021 – soit avant la nomination d’un administrateur ad hoc par ordonnance du juge aux affaires familiales du 18 août 2021 – à l’âge de 14 ans et dans une langue qui n’est pas sa langue maternelle, celui-ci, interrogé au sujet de son passé douloureux, a indiqué qu’il aurait quitté son pays d’origine « pour avoir une bonne formation d’étude et de réaliser mon souhait » sans invoquer la maltraitance et l’humiliation dont il aurait fait l’objet de la part de son père respectivement de la première épouse de ce dernier, force est de constater qu’il ne s’agit pas, contrairement aux dires de la partie étatique, d’une contradiction. En effet, un mineur non accompagné, qui explique avoir quotidiennement fait l’objet de maltraitance et d’humiliation et, au lieu d’être scolarisé, avoir été contraint d’effectuer contre son gré des tâches ménagères et de travailler au marché sous menace de coups, peut à juste titre, et sans se contredire, affirmer que son souhait serait désormais de poursuivre des études et d’avoir une vie meilleure.

Ce constat est corroboré non seulement par le fait que le concerné a indiqué lors de son entretien auprès de la police grand-ducale du 17 septembre 2021 qu’il souhaiterait introduire une demande de protection internationale « pour des raisons familiales », mais également par le fait qu’il ressort du rapport complémentaire du 19 juin 2023 réalisé dans le cadre de l’évaluation familiale des mineurs non accompagnés au Luxembourg, que la mère de l’intéressé a, elle aussi, indiqué qu’elle-même et ses deux enfants, dont Monsieur (A), auraient été victimes de maltraitance de la part du père qui aurait une « préférence » pour sa première épouse et les enfants qu’il aurait en commun avec cette dernière.

Force est, dès lors, de constater que le récit du demandeur est cohérent et crédible, étant encore relevé que le simple fait que l’intéressé n’ait pas introduit de demande de protection internationale en Italie, pays où il aurait été sauvé en mer alors que le bateau à 130 passagers sur lequel il se serait trouvé aurait été en détresse2, ne saurait suffire à lui seul au vu des circonstances particulières de l’espèce, dont le jeune âge du concerné et sa vulnérabilité, pour considérer son récit comme étant non crédible.

Quant au fond, le tribunal relève à titre préliminaire que, dans la mesure où, statuant dans le cadre d’un recours en réformation, il doit examiner la situation du demandeur à la date à laquelle il est amené à prononcer son jugement, date à laquelle Monsieur (A) est mineur et non accompagné, l’argumentation de la partie étatique suivant laquelle le concerné serait majeur en cas de retour dans son pays d’origine et pourrait ainsi vivre indépendamment et éloigné de son père et saisir lui-même les autorités ivoiriennes en cas de besoin est sans pertinence quant à la question de savoir si celui-ci remplit les conditions pour pouvoir bénéficier d’un statut de protection internationale.

1 Trib. adm., 16 avril 2008, n° 23855 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 142 et les autres références y citées.

2 Page 7 du rapport d’entretien du 16 décembre 2021, ci-après désigné par « le rapport d’entretien ».

12Sur base des déclarations de Monsieur (A) pendant la phase précontentieuse et la phase contentieuse, les motifs à la base de sa demande de protection internationale peuvent se résumer comme suit : Monsieur (A) est le fils de la seconde épouse de son père, il a une sœur cadette et quatre demi-frères plus âgés, à savoir les fils de la première épouse de son père, et ils habitaient tous ensemble dans la même maison familiale, ci-après désignée par « la maison familiale ».

Toutefois, selon Monsieur (A), son père ne l’aime pas et tant sa mère et sa sœur que lui-même ont fait l’objet de maltraitances et d’humiliations de la part de celui-ci3. Sa mère a alors quitté la maison familiale d’abord seulement avec sa sœur cadette pour se réfugier chez les grands-

parents maternels de Monsieur (A). Dans la mesure où ce dernier continuait de faire l’objet de maltraitances et d’être contraint d’effectuer des tâches ménagères et de travailler au marché sous menace de coups à l’âge de 10 ans4, sa mère est venue le chercher peu après pour vivre ensemble chez ses grands-parents. Toutefois, son grand-père maternel voulait le rendre au père, de sorte que sa mère était obligée de confier Monsieur (A) à une amie, Madame …. Dans la mesure où son père venait toujours le voir chez Madame …, le menaçait de violences, voire d’enlèvement, et a finalement tenté de l’enlever, Monsieur (A) a quitté la Côte d’Ivoire en 2020 à l’âge de 13 ans.

Il résulte donc de ce récit que le concerné a quitté son pays d’origine dès lors (i) qu’il a quotidiennement, et depuis qu’il était tout jeune, fait l’objet de maltraitances et d’humiliations, plus particulièrement de coups simples, voire de coups de ceinture de la part de son père, respectivement de la part de la première épouse de son père5, (ii) qu’il a quotidiennement été contraint d’effectuer contre son gré des tâches ménagères et de travailler au marché sous menace de coups alors qu’il n’était pas scolarisé, et qu’il a parfois été privé de nourriture6/7, (iii) qu’il continuait de faire l’objet de menaces de violences, voire d’enlèvement de la part de son père alors même qu’il avait quitté la maison familiale et habitait désormais chez Madame …8 et (iv) que son père a finalement tenté de l’enlever pour l’emmener à … où le demandeur avait peur d’être exposé à de nouvelles violences9.

En l’espèce, les actes invoqués par le demandeur revêtent sans aucun doute une gravité suffisante découlant de leur nature et de leur répétition au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, question par rapport à laquelle la partie étatique n’a pas pris position, étant encore relevé que des actes ou menaces qui peut-être n’atteindraient pas le seuil 3 Page 10 du rapport d’entretien : « […] je peux pas retourner dans mon pays parce que je sais que mon papa ne m’aime pas. Il va me voir, et puis maman aussi, chaque jour à cause de moi, il fait (incompréhensible) avec maman… ».

4 Page 11 du rapport d’entretien : « […] mon grand-frère, il a dit à ma maman que chaque jour mon père me frappe. La première femme de papa, m’envoie faire des choses pour [elle]. […] Mon papa aussi chaque jour me frappait. ». Voir également page 14 du rapport d’entretien.

5 Pages 15-16 du rapport d’entretien : « Il frappe moi, et il ne frappe pas doucement. Toujours, s’il me voit, il me frappait. S’il me voit chaque jour, il voulait me frapper. Quand je le vois, je me cache. […] Il me frappait avec sa main, parfois avec des ceintures. […] Elle m’envoyait au marché acheter les choses pour elle. […] chaque jour, elle me met dans le travail. ».

6 Page 12 du rapport d’entretien : « Parfois, je ne mangeais pas. J’étais toujours dans la maison avec elle, parce qu’elle avait trop de choses à faire. Elle avait trop de travail. (Incompréhensible). Si je lui disais non, elle me frappait. Elle me dit de rester avec elle. Elle me faisait laver les assiettes. […] Puis j’ai fait tout, j’arrange tout. » ;

page 10 du rapport d’entretien : « Mais toujours la première femme elle ne me donnait pas à manger. ».

7 Page 4 du rapport d’entretien.

8 Page 12 du rapport d’entretien : « Un jour aussi, il est venu me parler pour me dire qu’il allait me prendre. Avant qu’il va venir me prendre en force. ».

9 Page 15 du rapport d’entretien : « […] il voulait m’emmener quelque part, et moi je ne sais pas. Il demande d’aller avec lui, on va partir. Mais moi je ne sais pas où on va partir. […] Il me n’a pas dit [où], mais le village s’appelle …. […] Parce que…je ne sais pas (incompréhensible)…je vais souffrir là-bas. ». Voir également page 9 du rapport d’entretien.

13de persécutions dans le cas d’un adulte peuvent néanmoins constituer des actes de persécutions dans le cas d’un enfant du simple fait qu’il s’agit d’un enfant : l’immaturité, la vulnérabilité, les mécanismes de défense non développés et la dépendance, ainsi que les différents stades de développement et les capacités limitées peuvent tous être directement liés à la façon et l’intensité dont l’enfant subit les actes en question10.

Or, force est de constater, tel que relevé à juste titre par la partie étatique, que les actes invoqués ne sont pas motivés par l’un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, les actes en question relevant exclusivement d’un conflit privé familial.

Il s’ensuit que les faits mis en avant par le demandeur ne sauraient justifier une crainte actuelle fondée de persécutions dans le chef de celui-ci.

C’est dès lors à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention du statut de réfugié de Monsieur (A), étant rappelé que s’agissant de conditions cumulatives il suffit que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier dudit statut.

b) Quant au statut conféré par la protection subsidiaire La notion de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015 comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir [d]es atteintes graves […], et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 définit les « atteintes graves » comme :

« […] a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».

Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 précités de la même loi, que l’octroi de la protection subsidiaire est soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) précitées de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de la même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteurs sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

10 UNHCR, Guidelines on International Protection No. 8: Child Asylum Claims under Articles 1(A)2 and 1(F) of the 1951 Convention and/or 1967 Protocol relating to the Status of Refugees, 22 décembre 2009, HCR/GIP/09/08, § 15.

14 Force est encore de relever que l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte à viser des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption simple que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption peut être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Par ailleurs, il résulte du libellé général de ces dispositions que le mobile pour lequel la violence a été ou risque d’être commise n’a pas à être pris en compte, seul le fait en lui-même devant être pris en compte, l’exigence d’un lien de causalité entre la menace et les critères énumérés à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 étant étrangère à la question de l’octroi de la protection subsidiaire11.

Quant au caractère de gravité requis, il convient tout d’abord de relever que le demandeur ne prétend pas qu’il risquerait de subir la peine de mort ou l’exécution, ni que la situation qui prévaut actuellement en Côte d’Ivoire et plus précisément à Daloa, sa ville d’origine, correspondrait à un contexte de violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne ou international au sens de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015.

Le tribunal relève ensuite que la partie étatique ne conteste pas spécifiquement la gravité des faits invoqués, mais se limite à affirmer que le demandeur n’apporterait aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, étant encore précisé que le demandeur étant un mineur non accompagné, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale dans l’évaluation de sa demande de protection internationale et il convient, à cet égard, en particulier de tenir dûment compte notamment du principe de l’unité familiale, du bien-être et du développement social du mineur, de considérations tenant à la sûreté et à la sécurité et de l’avis du mineur en fonction de son âge et de sa maturité12.

Or, en l’espèce, force est de constater que la maltraitance et l’humiliation que le demandeur explique avoir subies quotidiennement et depuis qu’il était tout jeune, consistant plus particulièrement en des coups simples, des coups de ceinture, l’obligation d’effectuer quotidiennement contre son gré des tâches ménagères et de travailler au marché sous menace de nouveaux coups alors qu’il n’était pas scolarisé, ainsi que la privation de nourriture, doivent être considérées comme la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants au 11 Trib. adm. 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 257.

12 Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ci-après désignée par « la Directive Qualification », considérant n° 18.

15sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015 précité13, de sorte à constituer, à elles seules, des atteintes graves, étant précisé que, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CEDH », si un mauvais traitement doit atteindre un seuil minimum de gravité, l’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime14.

A cela s’ajoute que le fait que le demandeur, enfant mineur, n’était pas scolarisé mais a quotidiennement été contraint d’effectuer contre son gré des tâches ménagères et de travailler au marché sous menace de coups, ensemble la privation de nourriture, est assimilable à un travail forcé ou obligatoire au sens de l’article 4, paragraphe 2 de la CEDH15, à savoir un travail exigé sous la menace d’une peine quelconque et contraire à la volonté de l’intéressé, pour lequel celui-ci ne s’est pas offert de son plein gré16, de sorte qu’il ne fait pas de doute que la condition de gravité est remplie en l’espèce.

En ce qui concerne l’absence de protection dans le pays d’origine au sens des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, condition commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire, le tribunal relève que, s’agissant d’acteurs non étatiques, à savoir le père du concerné et la première épouse de celui-ci, le demandeur de protection internationale doit fournir à cet égard la preuve que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou pas disposées à lui fournir une protection suffisante.

Chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, elle n’a pas besoin de la protection internationale. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte17.

L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. C’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de l’atteinte grave infligée.

En l’espèce, il se pose dès lors la question de savoir si Monsieur (A), âgé de 10 ans au moment des faits, avait concrètement la possibilité de saisir les autorités ivoiriennes et de solliciter et obtenir de l’aide auprès de ces dernières.

13 En ce sens : CourEDH, 23 septembre 1998, A. c. Royaume-Uni, §§ 20-21 : « […] des mauvais traitements doivent atteindre un minimum de gravité pour tomber sous le coup de l’article 3. Cette appréciation est relative :

elle dépend de l’ensemble des données de la cause. Il faut prendre en compte des facteurs tels que la nature et le contexte du traitement, sa durée, ses effets physiques ou mentaux ainsi, parfois, que le sexe, l’âge et l’état de santé de la victime […]. La pédiatre consultante qui examina le requérant, alors âgé de neuf ans, constata […] qu’il avait été frappé à l’aide d’un bâton avec beaucoup de force et à plusieurs reprises […]. La Cour estime qu’un tel traitement atteint le niveau de gravité prohibé par l’article 3. ». Voir également : CourEDH, 4 juin 2020, Association Innocence en Danger et Association Enfance et Partage c. France ; CourEDH, grande chambre, 10 mai 2001, Z et autres c. Royaume-Uni.

14 CourEDH, grande chambre, 20 octobre 2016, MURŠIĆ c. CROATIE, § 97.

15 En ce sens : CourEDH, 11 octobre 2012, C.N. et V. c. France, §§ 72-76.

16 CourEDH, 26 juillet 2005, Siliadin c. France, § 117.

17 Cour adm., 12 décembre 2019, n° 43660C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 163 et les autres références y citées.

16 Or, et même à supposer que les autorités ivoiriennes aient mis en place des mesures généralement efficaces destinées à lutter contre les violences faites aux enfants, il n’en reste pas moins qu’en tant que mineur Monsieur (A) reste soumis à l’autorité de ses parents et que l’accès d’un mineur à la protection étatique dépend également de la capacité et de la volonté de ses parents ou autre représentant d’exercer ses droits et d’obtenir une protection pour le compte du mineur. Cela peut inclure notamment le dépôt d’une plainte auprès de la police ou des autorités administratives. Par ailleurs, tous les enfants n’ont pas une personne qui peut les représenter, comme c’est le cas, par exemple, d’un mineur non accompagné ou lorsqu’un parent ou autre représentant est l’agent des persécutions ou atteintes graves. Il est important à cet égard de souligner qu’en raison de leur jeune âge, les enfants peuvent ne pas être en mesure d’approcher les agents de police ou d’exprimer leurs craintes ou leurs plaintes de la même manière que les adultes. Les mineurs peuvent être plus facilement rejetés ou ne pas être pris au sérieux par les agents concernés, et les agents eux-mêmes peuvent ne pas avoir les compétences nécessaires pour interroger et écouter des enfants mineurs18.

Dans ce contexte, il convient tout d’abord de relever que le concerné explique avoir fait l’objet non seulement de maltraitances, d’humiliations et de travaux forcés de la part de son père et de la première épouse de celui-ci lorsqu’il se trouvait encore à la maison familiale, mais également avoir continué, après qu’il avait déjà quitté la maison familiale, de faire l’objet de menaces directes de violences, de menaces d’enlèvement et même d’une tentative d’enlèvement de la part de son père19, de sorte qu’il pouvait légitimement craindre, de surcroît en tant que mineur, des représailles de leur part s’il prenait contact avec la police, portait plainte ou sollicitait de l’aide auprès des autorités ivoiriennes.

A cela s’ajoute qu’il ressort tant du rapport d’entretien que de la requête introductive d’instance, que Monsieur (A) a quotidiennement été contraint d’effectuer contre son gré des tâches ménagères et de travailler au marché sous menace de coups, lorsqu’il se trouvait encore à la maison familiale20, et continuait de devoir travailler au marché lorsqu’il habitait chez Madame …, à laquelle sa mère l’avait confié pour éviter que son grand-père maternel le rende au père21, de sorte qu’il convient de retenir que Monsieur (A), qui par ailleurs n’était plus scolarisé depuis qu’il était tout jeune, n’avait pas concrètement la possibilité de saisir lui-même les autorités ivoiriennes et de solliciter et obtenir de l’aide auprès de ces dernières.

En ce qui concerne ensuite la capacité et la volonté de ses parents ou autre représentant d’exercer ses droits et d’obtenir une protection pour son compte, il échet de relever que son père et la première épouse de celui-ci sont à l’origine des atteintes graves subies par le demandeur, et que sa mère, victime de violences de la part de son époux, a dû quitter la maison 18 UNHCR, Guidelines on International Protection No. 8: Child Asylum Claims under Articles 1(A)2 and 1(F) of the 1951 Convention and/or 1967 Protocol relating to the Status of Refugees, 22 décembre 2009, HCR/GIP/09/08, § 39.

19 Pages 10 et 16 du rapport d’entretien ; voir également page 17 du rapport d’entretien : « Je ne veux pas vivre là-bas, je peux pas rester dans le pays. Je connais mon papa, il est capable de tout. Je suis en danger avec lui. Il va me voir. S’il me voit, il me prend. ».

20 Page 12 du rapport d’entretien : « [La première épouse de mon père] me faisait travailler chaque jour à la maison. […] Je faisais tout pour elle. Elle ne m’aimait pas. Elle m’a trop fait souffrir. ».

21 Page 10 du rapport d’entretien : « Je partais au marché pour travailler avec [Madame …] aussi. » ; page 17 du rapport d’entretien : « Est-ce qu’il y a moyen d’avoir une aide labas en Côte d’Ivoire, comme peut-être faire appel a une organisation qui protège les jeunes comme toi ? Non.

Est-ce que tu en as déjà discuté avec ta maman, tes frères et sœurs ou [Madame …] ? Non. Je n’avais pas le temps de parler avec eux, j’étais tout le temps au marché. ».

17familiale avec la sœur cadette du demandeur pour se réfugier chez les grands-parents maternels de ce dernier. A cet égard, le tribunal constate qu’il ressort du rapport complémentaire du 19 juin 2023 réalisé dans le cadre de l’évaluation familiale des mineurs non accompagnés au Luxembourg, que la mère de Monsieur (A) a indiqué qu’elle-même et ses deux enfants, dont Monsieur (A), auraient été victimes de maltraitance de la part du père qui aurait une « préférence » pour sa première épouse et les enfants qu’il aurait en commun avec cette dernière, et qu’elle aurait par ailleurs déclaré ne pas pouvoir recevoir une équipe de l’Organisation internationale pour les migrations dès lors qu’elle craindrait des représailles de la part de son époux.

Il ressort encore du rapport d’entretien ainsi que de la requête introductive d’instance, que non seulement la mère de Monsieur (A), mais également Madame … – chez laquelle le père du concerné venait toujours depuis que ce dernier lui avait été confié par sa mère – ainsi que les demi-frères plus âgés de Monsieur (A), avaient tous tellement peur du père, voire de la première épouse de celui-ci22, qu’ils ne voulaient pas contacter la police ni porter plainte soit par crainte de représailles soit parce que cela ne se faisait pas d’amener « la police dans la famille »23, de sorte qu’il convient de retenir, tel que relevé à juste titre par le concerné, qu’il n’avait pas non plus la possibilité de saisir les autorités ivoiriennes par l’intermédiaire d’un parent ou autre représentant ni de solliciter et obtenir de l’aide par leur intermédiaire auprès de ces dernières.

Ce constat n’est pas énervé par l’affirmation de la partie étatique suivant laquelle les violences à l’encontre des enfants mineurs et les enlèvements de ces derniers seraient incriminés par l’article 421, respectivement l’article 431 du Code pénal ivoirien, ni par celle suivant laquelle les autorités ivoiriennes auraient mis en place une ligne téléphonique 116 « Allô, enfants en détresse », une plateforme de lutte contre les violences faites aux enfants, voire une formation de « leaders » communautaires et de volontaires pour prévenir et prendre en charge les cas de violence. En effet, tel que relevé ci-dessus, même à supposer ces dispositifs comme étant généralement efficaces, il n’appert pas en l’espèce comment Monsieur (A), âgé de seulement 10 ans au moment des faits, aurait pu concrètement, soit tout seul soit par l’intermédiaire d’un parent ou autre représentant, saisir les autorités ivoiriennes et solliciter et obtenir de l’aide auprès de ces dernières.

Il y a finalement lieu de souligner que l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption simple que, lorsqu’un demandeur a déjà subi des atteintes graves et a déjà fait l’objet de menaces directes d’atteintes graves, tel que c’est le cas en l’espèce, de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption peut être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas.

Or, force est au tribunal de constater que le ministre, ainsi que le délégué du gouvernement, sont restés en défaut de mettre en avant un quelconque élément permettant de 22 Page 14 du rapport d’entretien : « C’est quelqu’un qui lui a dit que j’étais chez [Madame …]. Il est venu parler avec la camarade. Quand ils ont parlé, moi je n’étais pas là-bas. C’est après qu’il est venu me prendre de force [chez Madame …]. » ; page 10 du rapport d’entretien : « C’est maintenant, chaque jour il venait chez la camarade de maman. […] Elle m’a dit tu dois te cacher, il ne faut pas que ton papa te voit, puis j’ai fini. Je suis resté (incompréhensible) comme ça, je ne savais pas où aller, j’ai été obligé de quitter chez la camarade de maman parce que elle aussi (incompréhensible) la force de mon papa. ». Voir également pages 10, 14 et 16 du rapport d’entretien.

23 Page 16 du rapport d’entretien.

18conclure que les faits invoqués par Monsieur (A) ne seraient pas susceptibles de se reproduire en cas de retour dans son pays d’origine, étant encore précisé que le demandeur étant un mineur non accompagné, l’existence d’arrangements appropriés en matière de soins et de garde, répondant à l’intérêt supérieur du mineur non accompagné, doit être prise en compte dans l’évaluation visant à déterminer si une protection est réellement offerte dans son pays d’origine24.

A cet égard, il convient encore de relever que l’avis du 4 octobre 2023 pris sur base de l’article 103 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration par lequel la Commission a conclu qu’il était dans l’intérêt supérieur de Monsieur (A) de rester au Luxembourg jusqu’à ses 18 ans plutôt que de retourner dans son pays d’origine, concerne, tel que cela correspond d’ailleurs au champ de compétence de ladite Commission, la seule question de savoir si l’éloignement du mineur non accompagné est nécessaire dans son intérêt, et ne saurait dès lors avoir d’incidence sur celle du bien-fondé de la demande de protection internationale présentée par le demandeur et faisant l’objet de la présente procédure contentieuse.

En tout état de cause, tel que relevé ci-dessus, dans la mesure où le tribunal, statuant dans le cadre d’un recours en réformation, doit examiner la situation du demandeur à la date à laquelle il est amené à prononcer son jugement, date à laquelle Monsieur (A) est mineur et non accompagné, l’argumentation de la partie étatique suivant laquelle le concerné serait majeur en cas de retour dans son pays d’origine et pourrait ainsi vivre indépendamment et éloigné de son père et saisir lui-même les autorités ivoiriennes en cas de besoin est sans pertinence quant à la question de savoir si celui-ci remplit les conditions pour pouvoir bénéficier d’un statut de protection internationale, étant par ailleurs précisé que le simple fait pour le demandeur d’atteindre la majorité ne saurait à lui seul suffire pour renverser la présomption que des atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans son pays d’origine, le demandeur ayant déjà subi des atteintes graves et ayant déjà fait l’objet de menaces directes d’atteintes graves.

Partant, il ressort de l’ensemble de ces considérations, qu’il existe de sérieuses raisons de croire que le demandeur encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015 précité, en l’occurrence la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, sans qu’il ne puisse se prévaloir de la protection des autorités ivoiriennes.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que c’est à tort que le ministre a refusé d’accorder au demandeur le statut conféré par la protection subsidiaire, de sorte que la décision déférée est à réformer en ce sens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 14 novembre 2023 portant refus d’une protection internationale ;

le dit non fondé pour autant qu’il est dirigé contre le refus du ministre d’accorder au demandeur le statut de réfugié ;

24 Directive Qualification, considérant n° 27.

19 en revanche le déclare justifié en ce qui concerne le refus du ministre d’accorder au demandeur le statut conféré par la protection subsidiaire ;

partant, par réformation de la décision ministérielle du 14 novembre 2023, accorde à Monsieur (A) le statut conféré par la protection subsidiaire et renvoie l’affaire devant le ministre actuellement compétent pour exécution ;

condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 avril 2025 par :

Thessy Kuborn, premier vice-président, Sibylle Schmitz, premier juge, Felix Hennico, attaché de justice délégué, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 avril 2025 Le greffier du tribunal administratif 20


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 49809
Date de la décision : 29/04/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 03/05/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-04-29;49809 ?

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