La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/04/2025 | LUXEMBOURG | N°48535

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 avril 2025, 48535


Tribunal administratif N° 48535 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48535 1re chambre Inscrit le 14 février 2023 Audience publique du 28 avril 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre de la Santé, en matière d’accès aux documents

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48535 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 février 2023 par Maître Laurent HEISTEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-…, tendant Ã

  la réformation, sinon à l’annulation d’une « […] décision de refus implicite en date ...

Tribunal administratif N° 48535 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48535 1re chambre Inscrit le 14 février 2023 Audience publique du 28 avril 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre de la Santé, en matière d’accès aux documents

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48535 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 février 2023 par Maître Laurent HEISTEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une « […] décision de refus implicite en date du 31 janvier 2023 du Ministre de la Santé relative à la demande du requérant d’obtenir accès aux « Vaccine Order Forms » signées par l’Etat luxembourgeois et tous les documents liés à celles-ci dans le cadre de la lutte contre la pandémie de la COVID-19 […] » ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour de la société anonyme ARENDT & MEDERNACH SA, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2082 Luxembourg, 41A, avenue John F. Kennedy, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B186371, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Christian POINT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée au greffe du tribunal administratif le 14 avril 2023, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2023 par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH SA, au nom de l’Etat du Grand-duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 juin 2023 par Maître Laurent HEISTEN, au nom de Monsieur (A), préqualifié ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 30 juin 2023 par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH SA, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu les pièces versées en cause ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Christian POINT, assisté de Maître Gilles DAUPHIN, et Maître Laurent HEISTEN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 janvier 2025.

___________________________________________________________________________

Le 25 octobre 2022, Monsieur (A), député, introduisit auprès du président de la Chambre des Députés la question parlementaire n° (Q1) et en demanda la transmission au ministre de la Santé, ci-après désigné par « le ministre ». Cette question parlementaire fut libellée comme suit :

« […] Während dem Ufank vun der Impfstoffhierstellung géint de Covid-19-Virus huet d’EU Kommissioun eng wichteg Roll gespillt, fir gemeinsam Commanden z’organiséieren an déi Memberstaaten zesummen ze bréngen, déi méi vun deem engen oder aaneren Impfstoff wollten hunn. Aus der Kommunikatioun vum Ministère an de Medien as nët ersiichtlech, ob Lëtzebuerg och eege Kafverträg eleng mat deene verschiddenen Impfstoffhiersteller verhandelt huet.

An deem Zesummenhang wéilt ech der Ministesch dës Fro stellen:

1. Huet Lëtzebuerg eege Kafverträg mat Covid-19 Impfstoffhiersteller ënnerschriwwen? Wa jo, mat wéi engen Hiersteller? […] ».

Le 26 octobre 2022, le ministre répondit à cette question parlementaire en ces termes :

« […] Lëtzebuerg huet keng eegen Kafverträg mat Covid-19 Impfstoffhiersteller ofgeschloss. D’Kafverträg sinn alleguerten iwwer d’europäesch Commissioun négociéiert an ofgeschloss ginn. […] ».

Par courrier du 27 octobre 2022, réceptionné le 31 octobre 2022, Monsieur (A) sollicita de la part du ministre l’accès à tous les « Vaccine Order Forms », ci-après dénommés « VOF », signés par l’Etat luxembourgeois et à tous les documents y liés, ce courrier étant libellé comme suit :

« […] Dans votre réponse à la question parlementaire n°(Q1), vous m’avez expliqué que l’Etat luxembourgeois n’a pas signé des contrats d’achat pour des vaccins contre la Covid-19. Néanmoins, dans l’Annexe I du « ADVANCE PURCHASE AGREEMENT (« APA ») 1 for the development, production, priority-purchasing options and supply of a successful COVID-19 vaccine for EU Member States » qui concerne les « Vaccine Order Forms », une signature d’un représentant du gouvernement est demandé afin de faire une demande de livraison.

Sur base de l’arrêt … (n° 44997C du rôle) de la Cour administrative, je demande en ma qualité de député l’accès à toutes les « Vaccine Order Forms » signés par l’Etat luxembourgeois et tous les documents liées à celles-ci. […] ».

Par courriers des 28 novembre 2022 et 9 janvier 2023, Monsieur (A) adressa au ministre des rappels de cette demande.

Par courrier du 13 janvier 2023, le président de la Chambre des Députés adressa une copie dudit courrier de Monsieur (A) du 9 janvier 2023 au Premier ministre, ministre d’Etat, et au ministre aux Relations avec le Parlement, tout en leur demandant « […] d’intervenir auprès de Madame la Ministre de la Santé afin que la Chambre des Députés puisse disposer de ces documents dans les meilleurs délais […] ».

Par courrier du 17 janvier 2023, le ministre aux Relations avec le Parlement transmit ce courrier du 13 janvier 2023 au ministre.

Par courrier du 2 février 2023, le ministre s’adressa au ministre aux Relations avec le Parlement en les termes suivants :

« […] En réponse à votre courrier du 17 janvier 2023 […] en relation avec la demande citée sous objet, je vous prie de bien vouloir informer Monsieur le Président de la Chambre des Députés de ce qui suit.

Me référant aux déclarations de Monsieur le Premier ministre par rapport à une demande similaire dans le cadre du dossier FAGE à l’occasion de la séance publique de la Chambre des Députés du 10 février 2021 dans le contexte de sa réponse à la question élargie n°(Q2) de Monsieur (B) relative à l’arrêt de la Cour administrative n°44997C du 26 janvier 2021, je vous prie de rassurer Monsieur le Président de la Chambre des Députés que je veillerai à réserver une suite à la demande citée sous objet dans les meilleurs délais.

Dans ce contexte, je vous saurai gré de bien vouloir d’ores et déjà informer Monsieur le Président de la Chambre des Députés qu’eu égard à la dimension européenne de la commande de vaccins dans le contexte de la lutte contre la pandémie Covid-19, mes services ont pris contact avec la Commission européenne, mais pour l’instant sans résultat tangible.

Avant tout progrès, j’entends enfin attendre que les discussions en cours au sein de la Conférence des Présidents, en relation avec l’instauration par la Chambre des Députés d’un cadre adéquat et conforme aux exigences liées au respect par les députés des aspects ayant trait à la confidentialité développée par les juges dans l’arrêt « … » touchent à leur fin et aboutissent à une décision. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 février 2023, Monsieur (A) fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la « […] décision de refus implicite en date du 31 janvier 2023 du Ministre de la Santé relative à la demande du requérant d’obtenir accès aux « Vaccine Order Forms » signées par l’Etat luxembourgeois et tous les documents liés à celles-ci dans le cadre de la lutte contre la pandémie de la COVID-19 […] ».

Par courrier du 23 février 2023, le ministre invita le ministre des Affaires étrangères et européennes à intervenir auprès de la Commission européenne, afin de l’informer de la demande de Monsieur (A) et du recours introduit le 14 février 2023 et d’obtenir son accord pour la communication des documents sollicités, respectivement, en cas de refus, de se voir communiquer les raisons s’opposant à la divulgation des documents en question.

Le 9 mars 2023, la représentation permanente du Grand-Duché de Luxembourg auprès de l’Union européenne adressa un courrier en ce sens à l’Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire (« HERA ») auprès de la Commission européenne.

Par courrier du 27 mars 2023, le directeur général de la HERA y répondit en ces termes :

« […] Concernant votre requête, nous voudrions d’abord noter qu’il est important d’évaluer précisément les clauses relatives aux mesures de confidentialité incluses dans les contrats. En effet, chaque contrat contient des clauses spécifiques, en particulier en ce qui concerne la nécessité de consulter les compagnies concernées dans le cadre d’une divulgation des documents confidentiels. Ces clauses indiquent individuellement quelles mesures sont nécessaires en fonction du contexte à l’origine de la divulgation (par exemple, si nécessaire selon la loi ou non). Une généralisation d’un contrat à l’autre est malheureusement ici impossible.

En particulier, en ce qui concerne les « Vaccine Order Forms (VOFs) », veuillez noter que la Commission n’est pas partie à ces « VOFs », qui sont signées uniquement entre les Etats membres et les compagnies pharmaceutiques. Il en revient donc au pays concerné d’évaluer si les « VOFs » doivent être divulguées ou non, en accord avec les dispositions contractuelles concernant la consultation des compagnies.

Nous comprenons que le cas de jurisprudence invoqué précise que le député concerné devrait pouvoir accéder aux documents confidentiels en tant qu’organe de l’État. Il serait nécessaire de s’assurer si cette fonction est bien à considérer comme telle dans le cadre de ces contrats et de la requête du député.

Dans le cas où cet échange donnerait lieu à la divulgation des contrats et de documents liés aux contrats, nous souhaitons rappeler que les obligations de confidentialité s’appliqueront au député concerné de la même manière qu’elles s’appliquent aux représentants des États Membres. La divulgation des documents devra s’accompagner des garanties nécessaires (par exemple : salle de lecture confidentielle, déclaration de confidentialité ou toutes autres garanties nécessaires selon la loi luxembourgeoise). […] ».

I) Quant à la compétence du tribunal Positions respectives des parties Dans sa requête introductive d’instance, le demandeur insiste sur la compétence ratione materiae des juridictions de l’ordre administratif pour connaître du présent litige, en se prévalant, à cet égard, d’un arrêt de la Cour administrative du 26 janvier 2021, portant le numéro 44997C du rôle, ci-après désigné par « l’Arrêt », dont il se dégagerait que la décision d’un membre du Gouvernement de refuser à un député l’accès à des documents constituerait une décision administrative individuelle susceptible de recours contentieux.

Dans son mémoire en réponse, la partie étatique soutient, en substance, que le présent recours échapperait à la compétence d’attribution du tribunal de céans, en ce que l’acte attaqué constituerait un acte de gouvernement non susceptible de recours contentieux, étant donné qu’il s’inscrirait dans le cadre des relations entre les pouvoirs exécutif et législatif, s’agissant d’une réponse du pouvoir exécutif au pouvoir législatif. La qualification d’acte de gouvernement s’imposerait d’autant plus que l’acte attaqué intéresserait les relations entre la Commission européenne et les autres Etats membres de l’Union européenne.

Elle fait valoir, dans ce contexte, que contrairement à l’approche suivie par la Cour administrative dans l’Arrêt, la qualification d’un acte comme acte de gouvernement ne saurait dépendre de la nature politique ou juridique des motifs gisant à sa base, alors que, d’une part, un acte s’inscrivant dans les relations entre les pouvoirs et exécutif et législatif, en l’occurrence entre un membre du Gouvernement et un membre de la Chambre des Députés, comporterait nécessairement un contenu politique et, d’autre part, le fait de s’attacher aux motifs de l’acte obligerait le pouvoir exécutif à communiquer ses motifs, ce qui, s’agissant d’un acte de gouvernement, ne saurait se concevoir comme une obligation.

En tout état de cause, l’acte litigieux s’inscrirait dans le cadre de l’action politique de l’Etat et de ses relations avec la Commission européenne et les autres Etats membres de l’Union européenne. Il serait certes exact que les motifs gisant à la base du refus de communiquer les documents sollicités par Monsieur (A) répondraient à la préoccupation de l’Etat de respecter la confidentialité stipulée dans les « Advance Purchase Agreements » (« APA ») – qui auraient été négociés et conclus, au nom des Etats membres, par la Commission européenne afin de procéder à une commande mutualisée de vaccins contre la COVID-19 – et dans les VOF – dont la conclusion par les différents Etats membres aurait été prévue par les APA –, de sorte que ces motifs revêtiraient une nature juridique. Il n’en resterait pas moins qu’ils répondraient aussi à des préoccupations politiques de l’Etat, qui devrait inscrire son action dans le respect de ses engagements, du principe de coopération loyale inscrit à l’article 4 (3) du Traité sur l’Union européenne (« TUE ») et de la confiance que les autres Etats membres et ses cocontractants devraient avoir en sa signature. Ces motifs auraient donc nécessairement une nature politique qui ne saurait être ignorée.

Indépendamment de la qualification d’acte de gouvernement, l’acte attaqué ne relèverait pas du contentieux administratif, mais constituerait un acte politique s’inscrivant dans un différend politique ou à tout le moins institutionnel opposant les pouvoirs exécutif et législatif, de sorte que les juridictions de l’ordre administratif seraient incompétentes pour en connaître.

Par ailleurs, la partie étatique renvoie à la motivation du jugement du tribunal administratif du 12 août 2020, portant le numéro 43866 du rôle et ayant donné lieu à l’Arrêt, tout en soulignant que l’absence de recours juridictionnel contre un acte de gouvernement ne poserait pas de difficultés au regard du droit à un recours effectif, consacré par l’article 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (« CEDH »), étant donné qu’en présence d’un acte de gouvernement, tel que celui litigieux en l’espèce, il ne saurait être question de droits et libertés reconnus par la CEDH et que l’issue et le solutionnement d’un différend entre organes institutionnels ne pourrait se concevoir par la voie juridictionnelle.

Elle demande, dans ce contexte, au tribunal de saisir la Cour constitutionnelle de la question préjudicielle suivante : « L’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, en tant qu’il a été interprété par la Cour administrative dans son arrêt du 26 janvier 2021 (n°44997C) comme attribuant compétence aux juridictions administratives pour statuer sur une décision par laquelle le Gouvernement refuse de faire droit à la demande d’un député de lui communiquer un document détenu par le Gouvernement, alors que cette décision de refus s’analyse en un acte de gouvernement, est-il conforme à l’article 95bis (1) de la Constitution selon lequel le contentieux administratif est du ressort du tribunal administratif et de la Cour administrative, alors qu’un acte de gouvernement échappe par définition au contrôle juridictionnel ? ».

Dans son mémoire en réplique, le demandeur conclut au rejet de cet argumentaire de la partie étatique.

Il insiste sur le fait qu’il se dégagerait de l’Arrêt, d’une part, qu’un refus de communication de documents constituerait un acte de nature à faire grief qui rentrerait dans le champ d’application de l’article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », et, d’autre part, que contrairement à l’argumentation étatique, un acte s’inscrivant dans les rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif ne comporterait pas nécessairement un contenu politique et pourrait constituer un acte purement juridique.

Le contenu politique d’un tel acte devrait être établi in concreto. Or, en l’espèce, les développements de la partie étatique ne seraient pas de nature à établir le caractère politique allégué de l’acte attaqué, mais permettraient, au contraire, de conclure à la nature purement juridique de l’acte en question.

Le demandeur réfute, dans ce contexte, l’argumentation étatique selon laquelle l’acte attaqué s’inscrirait dans le cadre de l’action politique de l’Etat et de ses relations avec la Commission européenne et les autres Etats membres de l’Union européenne. A cet égard, il souligne que ni la Commission européenne, ni les autres Etats membres ne seraient parties aux VOF signés au nom et pour le compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, tout en donnant à considérer que tout acte administratif s’inscrirait directement ou indirectement dans le cadre de l’action politique du Gouvernement.

Il insiste sur le fait qu’il se dégagerait de l’Arrêt qu’en matière d’accès aux documents détenus par l’administration, ce serait le critère de l’analyse substantielle du contenu concret de la décision querellée qui conditionnerait la compétence du juge administratif. Ainsi, si l’acte attaqué est purement politique, le juge administratif serait incompétent pour en connaître, tandis qu’il serait compétent pour connaître du litige, s’il s’agit d’un acte de nature juridique.

Or, en l’espèce, le refus de rendre accessible les VOF ne serait pas motivé par des arguments purement politiques, de sorte que l’acte attaqué ne serait pas de nature politique et qu’il ne constituerait, dès lors, pas un acte de gouvernement, mais une décision administrative individuelle de nature à faire grief.

En conclusion, Monsieur (A) soutient que les juridictions de l’ordre administratif seraient bien compétentes ratione materiae pour connaître de la présente affaire.

Dans son mémoire en duplique, la partie étatique insiste sur le fait que dès lors qu’un acte s’inscrirait dans les relations entre pouvoirs constitutionnels, tel que ce serait le cas d’une réponse faite par un membre du pouvoir exécutif à une demande formulée par un député, l’acte en question serait nécessairement de nature politique, quels qu’en soient les motifs, et échapperait au contrôle juridictionnel, le critère déterminant étant, selon la partie gouvernementale, le refus d’immixtion du juge dans les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.

Appréciation du tribunal A titre liminaire, quant à l’objet du recours, le tribunal retient, au vu du libellé de la question parlementaire n° (Q1) du 25 octobre 2022, de celui de la réponse ministérielle afférente du 26 octobre 2022 et de celui de la demande de Monsieur (A) du 27 octobre 2022, cités in extenso ci-avant, et compte tenu des moyens et arguments développés par les parties au cours de l’instance contentieuse, que la demande en question, à travers laquelle le demandeur a sollicité « […] l’accès à toutes les « Vaccine Order Forms » signés par l’Etat luxembourgeois et tous les documents liées à celles-ci […] » doit être interprétée comme visant les VOF – qui constituent des bons de commande de vaccins contre la COVID-19 signés par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg en exécution des APA signés et négociés au nom des Etats membres par la Commission européenne – et les documents qui y sont spécifiquement liés, sans cependant englober les APA eux-mêmes.

Tel est donc également l’objet de la décision implicite de refus opposée à cette demande et, par conséquent, celui du présent litige.

Ces conclusions sont corroborées par le fait, d’une part, que dans sa requête introductive d’instance, le demandeur soutient lui-même que sa demande aurait visé à obtenir « […] accès aux bons de commande pour les vaccins contre la COVID-19 […] », sans faire état des APA, et, d’autre part, que dans son mémoire en réplique, il qualifie expressément l’acte attaqué de décision portant « […] refus de rendre accessible les [VOF] […] », tout en réfutant l’argumentation étatique quant à une dimension européenne du présent litige, en soulignant que la Commission européenne ne serait pas partie aux VOF.

Le tribunal relève ensuite que dans l’Arrêt, dont se prévaut le demandeur, la Cour administrative s’est déclarée compétente ratione materiae pour connaître d’un recours introduit par Monsieur (A) à l’encontre d’une décision du Premier ministre, ministre d’Etat, ministre des Communications et des Médias, portant refus de sa demande, formulée en sa qualité de député, de se voir communiquer des contrats et conventions conclus entre l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg et « RTL GROUP ».

Pour arriver à cette conclusion, la Cour a noté ce qui suit :

« […] De manière générale, quelle que soit a priori la base légale dans le cadre de laquelle elles interviennent – qu’il s’agisse des articles 11 à 13 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, encore appelé règlement PANC (procédure administrative non contentieuse), de la loi récente du 12 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte ou de toute autre base légale plus spécifique – les décisions de refus d’accès à des documents détenus par l’administration s’analysent en décisions administratives individuelles faisant grief pour le demandeur en ce que l’autorité administrative, au niveau du gouvernement de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg le ministre du ressort compétent, refuse la communication des documents sollicités.

La qualification de décision administrative individuelle faisant grief retenue en la matière ouvre, dans le chef du demandeur d’accès aux documents débouté, un recours devant les juridictions de l’ordre administratif.

Si la loi prévoit un recours en réformation, c’est pareil recours de pleine juridiction qui se trouve ouvert devant le juge administratif en raison de la prévision spécifique de la loi.

En l’absence de précision de la loi, c’est l’article 2 de la loi du 7 novembre 1996 qui ouvre un recours en annulation en ce que cet article a une vocation générale à ouvrir un recours en annulation, dans l’hypothèse où aucune autre disposition de l’ordonnancement juridique en place ne prévoit un autre recours en la matière, pourvu que l’objet constitue précisément une décision administrative individuelle faisant grief. Cet article 2 de la loi du 7 novembre 1996 est un reflet direct du principe constitutionnel de l’accès à un juge.

Dès lors, en règle générale, pour toute personne déboutée de sa demande de communication de documents détenus par l’administration étatique suivant une décision du ministre de ressort, le juge administratif qualifie cette personne de demandeur intéressé se voyant opposer une décision administrative individuelle de refus lui portant grief et accueillerait son recours porté devant le tribunal administratif.

La spécificité de l’espèce, ayant donné lieu à un positionnement des parties suivant des points de vues essentiellement inconciliables, consiste en ce que l’appelant, Monsieur (A), n’a pas agi en tant que personne privée sous la qualité ordinaire d’administré face à l’administration, mais en vertu de son mandat de député, élu de la Nation au suffrage universel, entendant assumer sa mission de contrôle de l’action du gouvernement, telle que lui dévolue, sous son analyse, d’après les dispositions de la Constitution et l’agencement des institutions du Grand-Duché placé sous le régime de la démocratie parlementaire en application de l’article 51, paragraphe 1er, de la loi fondamentale.

Agissant en conséquence, le député MONSIEUR (A) s’est placé dans le cadre des rouages du travail parlementaire, a sollicité et obtenu la venue du ministre compétent dans la commission parlementaire compétente, la DIGIMCOM, emportant une première analyse ministérielle provisoire le 5 novembre 2019, puis la décision de refus de communication actuellement querellée, formulée par le même ministre lors de la commission DIGIMCOM du 12 novembre 2019.

Il est constant en cause que la demande de communication de documents formulée par le député MONSIEUR (A), articulée avec précision, a été opérée par lui en tant que démarche indispensable et préalable en vue de pouvoir exercer sa mission de contrôle, en tant que membre de la Chambre des Députés, tenancière du pouvoir législatif, en vue de rendre possible un contrôle éclairé et en connaissance de cause de l’action du gouvernement et plus particulièrement du ministre compétent par rapport à une problématique précise clairement indiquée, par le député dès l’ingrès, celle de l’ancrage de l’opérateur historique RTL Group à Luxembourg eu égard aux événements récents de l’époque et à une tendance récurrente de dilution de cet ancrage parallèlement à la dilution de l’impact financier et économique des intérêts luxembourgeois au niveau du groupe de médias en question.

La question concrète touchant au fonctionnement des institutions du Grand-Duché qui se pose actuellement à la Cour est celle de savoir si, du fait que la demande de communication de documents litigieuse a été effectuée par un député en application de ses prérogatives découlant de son mandat parlementaire en vue d’exercer sa mission de contrôle par rapport au pouvoir exécutif, dans le contexte du régime de la démocratie parlementaire sous lequel est placé l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, sa démarche est de nature à faire échapper à tout contrôle juridictionnel le refus ministériel lui opposé.

Autrement dit, est-ce que du fait que la demande de communication de documents émane d’un député dans l’exercice de ses attributions, intervenue de la sorte dans les relations entre un membre de la Chambre des Députés, membre du premier pouvoir, le pouvoir législatif et un exposant du second pouvoir, le pouvoir exécutif, place automatiquement la question à un niveau politique et échappe de ce fait d’emblée à tout contrôle juridictionnel, en raison notamment du principe de la séparation des pouvoirs ainsi entrevu suivant la thèse étatique, voire induit la qualification de décision à contenu politique par rapport au refus ministériel opposé, toujours suivant la thèse étatique, voire emporte dans le chef de la décision ministérielle de refus querellée la qualification d’acte de gouvernement appliquée par le tribunal, sur conclusions étatiques . La conclusion suivant cet angle d’analyse consisterait à chaque fois, tel que le tribunal l’a opéré de manière conséquente suivant son analyse, à voir retenir qu’en pareille hypothèse, s’agissant d’un contrôle d’ordre politique, celui-ci échappe à tout recours juridictionnel et, plus particulièrement, à la compétence des juridictions de l’ordre administratif.

Autrement dit, la Cour sera amenée à dégager si la décision ministérielle querellée s’analyse en décision à contenu politique échappant à tout contrôle juridictionnel ou, en suivant le droit commun en la matière de refus d’accès à des documents détenus par l’administration, si elle est à qualifier, suivant son contenu, de décision administrative individuelle faisant grief.

Eu égard à ce que les positions des parties sont passablement opposées et que les conceptions des institutions du pays par elles véhiculées sont éminemment divergentes et incompatibles, la Cour, en vue de trancher utilement le point litigieux lui soumis, est amenée à tracer certains éléments essentiels du cadre institutionnel du Grand-Duché de Luxembourg tel que découlant de sa Constitution et des principes d’ordre constitutionnel actuellement admis par la Cour constitutionnelle.

Après la révision constitutionnelle majeure du 15 mai 1919 emportant suivant l’article 32, paragraphe 1er, nouveau, que la puissance souveraine réside dans la Nation et que tous les Luxembourgeois majeurs sont appelés à désigner en conséquence leurs représentants, les députés formant la Chambre des Députés, au suffrage universel, et que ce nouveau système politique eut été mis en pratique durant deux décennies, interrompu par l’occupation nazie et l’abolition des institutions luxembourgeoises, le Constituant de 1948, dans un esprit à la fois de consolidation et de renouveau, modifia l’article 51, paragraphe 1er, de la Constitution pour qualifier le régime politique du pays en énonçant que le Grand-Duché de Luxembourg est placé sous le régime de la démocratie parlementaire.

Plus tard, en vue de mettre en exergue le caractère démocratique du régime, le Constituant de 2003 est venu préciser à l’article 1er de la Constitution que « le Luxembourg est un Etat démocratique, (…) ».

Par arrêt du 1er octobre 2010, (n° 00057 du registre), la Cour constitutionnelle a consacré en tant que principe à valeur constitutionnelle celui de la séparation des pouvoirs, jugé inhérent aux dispositions de l’article 51, paragraphe 1er, de la Constitution, plaçant le Grand-Duché de Luxembourg sous le régime de la démocratie parlementaire.

Par arrêt du 28 mai 2019 (n° 00146 du registre), la Cour constitutionnelle a consacré en tant que principe fondamental à valeur constitutionnelle le principe de l’État de droit en tant qu’étant inhérent à la fois à l’article 1er de la Constitution suivant lequel l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg est un Etat démocratique et à son article 51, paragraphe 1er, plaçant précisément le Grand-Duché de Luxembourg sous le régime de la démocratie parlementaire.

Dérivés du principe fondamental de l’État de droit, la Cour constitutionnelle, par le même arrêt, a retenu que le principe de l’accès à un juge et celui du recours effectif étaient également des principes à valeur constitutionnelle.

Toujours à travers l’arrêt du 28 mai 2019 précité, la Cour constitutionnelle a précisé un aspect majeur du principe fondamental de l’État de droit en ce qu’en son application, tout acte public ou privé est soumis à la règle de droit. Le contrôle du respect de la règle de droit est à effectuer par les juridictions suivant les attributions leur conférées par l’ordonnancement juridique en vigueur.

Par son premier arrêt en formation plénière du 22 janvier 2021 (n° 00152 du registre), la Cour constitutionnelle vient de confirmer, en l’étayant, le principe fondamental de l’État de droit.

L’article 95bis de la Constitution attribue aux juridictions de l’ordre administratif notamment le contentieux administratif.

Les principes d’ordre constitutionnel d’accès au juge et de recours effectif impliquent que pour toute décision administrative faisant partie du contentieux administratif, un recours devant le juge administratif compétent doit se trouver ouvert.

L’article 2 de la loi du 7 novembre 1996, en ce qu’il prévoit que pour toute décision administrative pour laquelle aucun autre recours n’est prévu, le recours en annulation y inscrit doit être ouvert, est à appliquer dans cette lignée en perspective d’un accès utile au juge.

En l’occurrence, il convient de délimiter le contentieux administratif comprenant les actes et décisions administratifs susceptibles d’un recours par rapport aux décisions susceptibles d’être qualifiées d’actes de gouvernement, non susceptibles de recours.

Actuellement, compte tenu de la consécration du principe fondamental de l’État de droit, ensemble les principes de l’accès à un juge et du recours effectif par la Cour constitutionnelle en tant que principes à valeur constitutionnelle, une délimitation à la fois conforme et conséquente s’impose.

En application du principe de la séparation des pouvoirs, d’essence plutôt souple que rigide dans le régime de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, des limites certaines s’imposent cependant entre les trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

Pour les besoins du présent litige, il convient de dégager que le contentieux administratif visé par l’article 95bis de la Constitution, dans un État de droit implique que le juge administratif est incompétent pour connaître des décisions des autorités administratives à contenu purement politique, de même que de celles opérant un choix politique, de même encore qu’échappent à son contrôle les questions d’opportunité politique.

Il est cependant appelé à connaître, dans une optique conforme aux exigences notamment du principe de l’État de droit ainsi que des principes d’accès au juge et de recours effectif, de tous les recours mettant en cause des décisions individuelles et des actes réglementaires, de nature administrative, quant à leur conformité par rapport à l’ordonnancement juridique en vigueur.

La démarche de la Cour administrative pour délimiter le contenu politique du contenu administratif, suivant les critères prédécrits, est ici également d’ordre substantiel et non formel.

Avant d’appliquer ces principes au cas d’espèce, il convient encore de tracer les spécificités de la qualité de député, suivant laquelle l’appelant a agi à la base de sa demande ayant mené à la décision ministérielle querellée.

Dans l’application du principe inscrit à l’article 51, paragraphe 1er, de la Constitution suivant lequel le Grand-Duché de Luxembourg est placé sous le régime de la démocratie parlementaire, la légitimité politique résultant des élections au suffrage universel par les tenanciers de la puissance souveraine, dans un régime de démocratie représentative, réside dans les membres de la Chambre des Députés désignés en conséquence.

Dans le régime de démocratie parlementaire luxembourgeois, c’est le Grand-Duc qui désigne les membres du gouvernement de manière à disposer de l’appui d’une majorité parlementaire.

Il est patent que pour devenir membre du gouvernement le candidat n’a point besoin d’être légitimé par le vote au suffrage universel.

Le gouvernement fonctionne et persiste dans sa position uniquement en raison de la confiance dont il bénéficie, au jour le jour, dans l’exercice de ses fonctions d’organe exécutif, de la part d’une majorité des membres du Parlement. En ce sens, le gouvernement bénéficie d’un pouvoir dérivé qui ne doit son existence qu’au maintien de la confiance exprimée explicitement ou implicitement par les représentants élus de la Nation, que sont les députes, à raison d’une majorité parlementaire suffisante.

Le régime de la démocratie parlementaire implique, par essence, à partir des dispositions de l’article 51, paragraphe 1er, de la Constitution, que les députés dans leur ensemble, de même que chacun considéré individuellement, disposent d’un droit de contrôle continu par rapport à l’action du gouvernement et sont redevables et responsables par rapport à leurs mandants, les électeurs, détenteurs de la puissance souveraine, de l’exercice de ce contrôle par rapport à l’action ou l’inaction des tenanciers de la gestion journalière et courante des affaires au titre du pouvoir exécutif, à savoir les membres du gouvernement.

Le droit de contrôle permanent des membres du Parlement par rapport à l’action du gouvernement découle directement de l’article 51, paragraphe 1er, de la Constitution, dans un État de droit, et comporte que les députés, représentants de la Nation, soient mis en mesure, dans les limites des dispositions constitutionnelles en vigueur, d’assurer leur mission de contrôle.

C’est dans cette optique institutionnelle que s’inscrit la démarche légitime du député, appelant en l’espèce.

En application des principes ci-avant dégagés, la Cour est tout d’abord amenée à retenir que ce n’est pas de manière dirimante, parce que la décision ministérielle querellée est intervenue dans les relations entre un représentant du pouvoir exécutif et un député entendant exercer son contrôle en tant que membre du législatif, que la décision querellée posée par le ministre compétent aurait un caractère politique de nature à la faire échapper ipso facto et ipso jure à la compétence du juge administratif.

Ce n’est pas non plus le principe de la séparation des pouvoirs qui, dans un État de droit, implique que lorsqu’un représentant du pouvoir exécutif oppose une décision de refus de communication de documents à un député entendant exercer son contrôle parlementaire se dégageant directement du principe de la démocratie parlementaire, qu’aucun juge ne pourrait être appelé à trancher le différend et à fournir une réponse sur la conformité de la décision querellée à l’ordonnancement juridique en place.

C’est le critère de l’analyse substantielle du contenu concret de la décision querellée qui conditionne la compétence du juge administratif en la matière d’accès aux documents détenus par l’administration.

En l’occurrence, la décision querellée s’appuie sur les clauses de confidentialité stipulées entre l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, représenté en cela par son gouvernement, d’un côté, et l’opérateur privé, le groupe RTL, de l’autre. Ce faisant la décision ministérielle querellée a considéré le député comme un tiers aux contrats et conventions conclus entre parties.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement va même jusqu’à préciser que le député est tiers par rapport au gouvernement.

La question de la qualité du député – tiers ou représentant de l’Etat, légitimé à obtenir communication du document contenant des contrats et conventions conclus au nom de l’Etat – n’est pas une question politique, mais éminemment une question d’ordre juridique.

Elle a trait, certes, à des éléments d’ordre institutionnel et à la qualification de la place, dans le contexte constitutionnel donné, d’un député. La question de fond sera de savoir si un député est à considérer comme tiers par rapport à la clause de confidentialité stipulée ou comme représentant légitimé de l’Etat revêtant, à l’instar des membres du gouvernement compétents représentant l’Etat dans la conclusion, l’application et l’exécution des contrats et conventions dont s’agit, d’une obligation de confidentialité partagée en application de la clause de confidentialité stipulée entre parties. Toutes ces questions sont éminemment d’ordre juridique et ne revêtent, à proprement parler, aucun contenu politique ni ne reflètent un choix politique.

La réponse découlera directement des exigences inhérentes au régime de démocratie parlementaire, tel que consacré par l’article 51, paragraphe 1er, de la Constitution.

Le délégué du gouvernement à la suite du ministre, invoque encore les exigences d’exécution loyale des conventions en application de l’article 1134 du Code Civil. Ici encore c’est le positionnement du députe à l’intérieur de la personne juridique de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ou en tant que tiers qui est la clé de la réponse. La question est encore une fois d’ordre éminemment juridique et ne revêt ni aucun caractère politique proprement dit ni ne reflète un quelconque choix politique. La réponse découlera directement de l’article 51, paragraphe 1er, de la Constitution et des contingences du régime de la démocratie parlementaire y consacré.

En considérant l’ensemble des motifs de refus invoqués par la décision ministérielle querellée, la Cour vient à la conclusion que celle-ci ne revêt aucun contenu politique, ni n’effectue un quelconque choix politique, ni encore ne se trouve sous-tendue par de pures considérations d’opportunité politique.

Au contraire, tous les motifs invoqués sont d’ordre éminemment juridique : respect de la clause de confidentialité - risques d’action en responsabilité contre l’Etat - exécution loyale des conventions passées par l’État.

Pour le député demandeur, la réponse ainsi fournie constitue, à ce stade, une fin de non recevoir. Sur base des motifs invoqués il n’aura aucun accès aux documents demandés. Il se trouve pour ainsi dire dans une impasse.

Le principe fondamental de l’État de droit, ensemble le principe constitutionnel de l’accès au juge en découlant, s’opposent à ce que, dans une démocratie parlementaire, des questions juridiques, se trouvant en dehors du domaine du contenu politique, échappent à tout contrôle juridictionnel.

Le principe fondamental de l’État de droit, ensemble celui de la séparation des pouvoirs, impliquent que dans un juste équilibre des pouvoirs, ce soit le pouvoir judiciaire qui ait le rôle d’arbitre et auquel il incombe de trancher les questions juridiques posées, dont précisément le contenu n’est pas de nature politique.

Il découle de toutes ces considérations que c’est le juge de droit commun en matière de décisions administratives de refus d’accès à des documents détenus par l’administration publique qui est appelé à connaître d’une décision de refus querellée émanant d’un tenancier d’une parcelle du pouvoir exécutif.

Conformément au droit commun, s’agissant éminemment d’une décision administrative individuelle faisant grief, la compétence d’attribution, encore appelée compétence ratione materiae, des juridictions de l’ordre administratif en la matière se trouve dès lors vérifiée en l’occurrence. […] ».

Force est au tribunal de constater que les principes ainsi dégagés par la Cour administrative sont transposables au cas d’espèce, étant donné que le demandeur base sa demande d’accès aux VOF – qui, tel que relevé ci-avant, constituent des bons de commande de vaccins contre la COVID-19 signés par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg en exécution des APA signés et négociés au nom des Etats membres par la Commission européenne – et aux documents y liés sur son mandat de député et qu’à l’appui de sa demande, le demandeur se prévaut expressément de l’Arrêt.

Cette conclusion n’est pas énervée par le fait que l’Arrêt repose sur les dispositions de la Constitution telles qu’elles s’appliquaient avant l’entrée en vigueur de la Constitution révisée, qui a eu lieu en date du 1er juillet 2023, soit après le dépôt de la requête introductive d’instance.

En effet, il est certes exact qu’en vertu du principe selon lequel les lois nouvelles de compétence s’appliquent aux instances en cours1, la question de la compétence d’attribution des juridictions administratives doit, en l’espèce, être appréciée par rapport aux dispositions de la Constitution révisée, entrée en vigueur le 1er juillet 2023, qui régissent spécifiquement cette question, à savoir celles de l’article 99, aux termes duquel « Le contentieux administratif et fiscal est du ressort des juridictions de l’ordre administratif, dans les cas et sous les conditions déterminés par la loi. ».

1 Voir : trib. adm., 25 juin 2009, n° 24354 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Lois et règlements, n° 135 et l’autre référence y citée, de même que Cour adm., 8 juin 2023, n° 48509C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Compétence, n° 163.

Il n’en reste pas moins que le contenu dudit article 99 ne diffère pas fondamentalement de celui de l’ancien article 95bis (1), auquel s’est référée la Cour et aux termes duquel « Le contentieux administratif est du ressort du tribunal administratif et de la Cour administrative.

Ces juridictions connaissent du contentieux fiscal dans les cas et sous les conditions à déterminer par la loi. ».

Si, certes, l’article 99 de la Constitution révisée n’attribue dorénavant le contentieux administratif aux juridictions administratives que « dans les cas et sous les conditions déterminés par la loi », ce renvoi à la loi n’a cependant pas d’incidence, en l’espèce, étant donné que pour conclure à la compétence des juridictions de l’ordre administratif pour connaître du recours dont elle était saisie par le député MONSIEUR (A), la Cour administrative s’est, dans l’Arrêt, expressément référée à l’article 2 de la loi du 7 novembre 1996, qui constitue toujours la disposition légale de droit commun régissant la compétence des juridictions administratives concernant les actes individuels et qui, selon la Cour, constitue le reflet direct du principe constitutionnel de l’accès à un juge.

Par ailleurs, il est certes exact que le tribunal a ci-avant retenu qu’en vertu du principe selon lequel les lois nouvelles de compétence s’appliquent aux instances en cours, il y a lieu d’appliquer les dispositions de l’article 99 de la Constitution révisée dans le cadre de l’appréciation de la compétence d’attribution des juridictions administratives pour connaître du présent litige. Il en va cependant autrement en ce qui concerne les autres dispositions de la Constitution révisée, et notamment celles régissant le cadre institutionnel du Grand-Duché de Luxembourg. En effet, à la différence du nouvel article 99, ces dispositions ne constituent pas en tant que telles des règles de procédure, de forme ou de compétence, qui s’appliqueraient de ce fait aux instances en cours, mais il s’agit de règles concernant le fond du droit, lequel reste, en l’absence de dispositions transitoires contraires, régi par l’ancienne législation.2 La partie étatique conteste, en substance, le bien-fondé de la solution ainsi retenue par la Cour dans l’Arrêt, tout en insistant sur le fait que le système juridique luxembourgeois ne connaîtrait pas la règle du précédent et en soutenant qu’il s’agirait d’un arrêt isolé dont le raisonnement pourrait être abandonné.

A cet égard, le tribunal relève qu’il est certes exact que les pays de droit civil ne connaissent pas la règle du précédent au même titre que les pays de common law, de sorte que la solution dégagée par une juridiction supérieure pour un même point de droit ne s’impose pas à la juridiction inférieure de manière à commander nécessairement la même solution, les juridictions de rang inférieur n’étant pas obligées à abdiquer à leur interprétation de la loi pour se soumettre à l’interprétation des juridictions de rang supérieur. Il n’en reste toutefois pas moins que les décisions d’une juridiction supérieure sont, même dans les pays ne connaissant pas la règle du précédent, revêtues d’une certaine autorité jurisprudentielle, de sorte à pouvoir être considérées comme des recommandations pour les juridictions inférieures, afin d’éviter de placer ces dernières dans une situation de devoir trancher un litige en quelque sorte comme une 2 Sur ce dernier point, voir : Cour adm., 13 décembre 2018, n° 41111C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Lois et règlements, n° 133 et les autres références y citées, de même que Cour adm., 10 juillet 1997, n° 9804C du rôle, Pas. adm. 2024. V° Lois et règlements, n° 130 et les autres références y citées ; voir aussi : R. ERGEC et F.

DELAPORTE, Le contentieux administratif en droit luxembourgeois, Pas. adm. 2024, pt. 284, p. 191.

instance d’appel par rapport à un arrêt rendu par une juridiction supérieure dans une affaire ayant porté sur les points de droits identiques ou similaires.3 Or, c’est précisément dans une telle situation que la partie étatique, dont les écrits se présentent en grande partie comme une sorte de mémoires en appel par rapport à l’Arrêt, entend placer le tribunal, la présente affaire portant sur des points de droit largement similaires à ceux tranchés par la Cour.

Par ailleurs, loin de constituer une jurisprudence isolée, il s’agit manifestement d’un arrêt de principe – cité plusieurs dizaines de fois dans la Pasicrisie administrative –, à travers lequel la Cour a entendu dégager les principes de base régissant la matière de l’accès d’un député à des documents détenus par le pouvoir exécutif.

C’est pour ces raisons, et dans une optique de bonne administration de la justice, que le tribunal suivra la solution retenue par la Cour administrative dans l’Arrêt.

Ainsi, sur base de la motivation développée par la Cour dans l’Arrêt, et à laquelle le tribunal se rallie, il convient de retenir (i) que le fait que la décision de refus attaquée est intervenue dans les relations entre un représentant du pouvoir législatif et un représentant du pouvoir exécutif ne permet pas à lui seul de la qualifier d’acte de gouvernement, ou de manière plus générale, d’acte à caractère politique, qui échapperait en tant que tel à la compétence du juge administratif, (ii) que ce n’est pas non plus le principe de la séparation des pouvoirs qui, dans un Etat de droit, implique que lorsqu’un représentant du pouvoir exécutif oppose une décision de refus de communication de documents à un député entendant exercer son contrôle parlementaire se dégageant directement du principe de la démocratie parlementaire, qu’aucun juge ne pourrait être appelé à trancher le différend et à fournir une réponse sur la conformité de la décision querellée à l’ordonnancement juridique en place et (iii) que c’est le critère de l’analyse substantielle du contenu concret de la décision querellée qui conditionne la compétence du juge administratif en matière d’accès aux documents détenus par l’administration.

Afin d’apprécier sa compétence ratione materiae pour connaître du présent litige, le tribunal sera, dès lors, amené à procéder à une telle analyse substantielle du contenu concret de l’acte attaqué. Cette analyse visera à déterminer si l’acte attaqué constitue un acte de gouvernement, respectivement, de manière plus générale, un acte à contenu politique, qui échapperait de ce fait au contrôle du juge administratif, ou s’il s’agit, au contraire, d’une décision administrative individuelle de nature à faire grief, susceptible de recours contentieux devant les juridictions de l’ordre administratif.

A cet égard, le tribunal constate que le refus ministériel déféré repose essentiellement sur les considérations suivant lesquelles (i) les APA contiendraient des clauses de confidentialité qui obligeraient les parties contractantes à ne pas divulguer à des tiers la teneur des contrats, (ii) cette confidentialité s’appliquerait aux VOF, (iii) le demandeur constituerait un tiers vis-à-vis de l’Etat ayant conclu les VOF et (iv) par conséquent, une communication à Monsieur (A) des documents sollicités violerait ces clauses de confidentialité, ce qui exposerait l’Etat à de sérieux risques de mise en jeu de sa responsabilité et méconnaîtrait potentiellement le droit de l’Union européenne.

3 Trib. adm., 17 mai 2018, nos 36518, 36623, 36963, 36990, 37080 et 38193 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 1284.

Or, ces motifs, qui ont trait, en substance, à l’opposabilité des clauses de confidentialité stipulées dans les APA à Monsieur (A) en sa qualité de député, aux risques d’actions en responsabilité contre l’Etat et à l’incidence du droit de l’Union européenne sont de nature juridique.

Si l’Etat met encore en exergue le fait que la décision de refus litigieuse serait également motivée par des préoccupations politiques de l’Etat, qui devrait inscrire son action dans le respect de ses engagements, du principe de coopération loyale inscrit à l’article 4 (3) du TUE et de la confiance que les autres Etats membres et ses cocontractants devraient avoir en sa signature, toutes ces considérations n’ont qu’un caractère accessoire et subordonné par rapport à la considération principale gisant à la base du refus litigieux, à savoir celle selon laquelle une communication des documents sollicités au demandeur, qui constituerait un tiers par rapport à l’Etat, serait de nature à violer les clauses de confidentialité contenues dans les APA, considération qui est de nature juridique.

Dans ces circonstances, le tribunal est amené à conclure que la décision déférée ne constitue pas un acte de gouvernement, ni de manière plus générale, un acte de nature purement politique, échappant au contrôle du juge administratif, mais une décision administrative individuelle faisant grief, de sorte que la compétence d’attribution du juge administratif – qui, selon l’Arrêt, constitue le juge de droit commun en matière de décisions administratives de refus d’accès à des documents détenus par l’administration publique – se trouve vérifiée en l’espèce.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation étatique selon laquelle l’acte litigieux s’inscrirait dans le cadre des relations de l’Etat avec la Commission européenne et les autres Etats membres de l’Union européenne. En effet, le contexte européen des VOF n’est pas à lui seul de nature à conférer un caractère politique à l’acte litigieux, s’agissant d’une décision de refus d’une demande d’un député tendant à avoir accès à des documents détenus par l’Etat, motivée par des considérations essentiellement juridiques, tel que retenu ci-avant. Par ailleurs, la dimension européenne des documents sollicités est à relativiser, étant donné que la Commission européenne n’est pas partie aux VOF, conclus directement entre les différents Etats membres et les producteurs de vaccins, ce que cette dernière a, d’ailleurs, elle-même rappelé, à travers le susdit courrier du directeur général de la HERA du 27 mars 2023, en précisant expressément qu’il appartiendrait à chaque Etat membre d’évaluer si les VOF doivent être divulgués ou non. En tout état de cause, le tribunal constate que la partie étatique est restée en défaut d’invoquer une disposition concrète de droit communautaire qui s’opposerait à un contrôle juridictionnel, par le tribunal de céans, de la décision de refus déférée.

S’agissant de la question de constitutionnalité soulevée par la partie étatique, le tribunal constate que celle-ci repose sur la prémisse suivant laquelle la décision de refus de communiquer les documents sollicités par Monsieur (A) constituerait un acte de gouvernement. Dès lors, et dans la mesure où il ressort des considérations qui précèdent que cette prémisse est erronée, le tribunal retient que ladite question de constitutionnalité est dénuée de tout fondement, de sorte qu’en application des dispositions de l’article 6, alinéa 2, point b) de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, il n’y a pas lieu d’en saisir la Cour constitutionnelle.

Etant donné qu’aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation introduit en l’espèce.

En revanche, eu égard aux considérations qui précèdent, et en application des dispositions combinées des articles 99 de la Constitution révisée et 2 de la loi du 7 novembre 1996, le tribunal est compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation.

II) Quant à la recevabilité du recours A) Quant à l’intérêt et à la qualité pour agir de Monsieur (A) Positions respectives des parties La partie étatique soulève l’irrecevabilité du recours, pour défaut d’intérêt à agir dans le chef du demandeur, en soutenant que celui-ci prétendrait exercer les droits qui seraient ceux de la Chambre des Députés, de sorte qu’il ne disposerait pas d’un intérêt personnel distinct de l’intérêt général.

A cet égard, elle soutient que selon l’article 50 de la Constitution, dans sa version applicable avant l’entrée en vigueur de la Constitution révisée en date du 1er juillet 2023, ce serait la Chambre des Députés qui représenterait le pays. Ainsi, ce serait la Chambre des Députés – et non pas un député pris isolément – qui serait consacrée par la Constitution comme institution ayant certaines attributions lui permettant d’exercer un contrôle sur le Gouvernement. L’article 62 de la Constitution révisée irait dans le même sens, en consacrant expressément le pouvoir de contrôle de la Chambre des Députés sur l’action du Gouvernement.

Ce serait donc la Chambre des Députés qui disposerait de pouvoirs de contrôle, et non pas un député pris isolément.

Il s’ensuivrait qu’un député ne pourrait prétendre exercer des droits qui seraient reconnus et appartiendraient à la Chambre des Députés, la partie étatique soulignant qu’à l’instar de tout citoyen, un député pourrait réclamer la communication par le Gouvernement de certains documents ou informations sur base de la loi modifiée du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte.

Pour les mêmes motifs, la partie étatique soulève un défaut de qualité pour agir dans le chef du demandeur.

Dans ce contexte, elle cite des extraits d’un avis juridique du professeur …, ayant retenu que, comme la commande de vaccins contre la COVID-19 aurait été opérée en coopération étroite avec la Commission européenne, il y aurait lieu de considérer que les prérogatives de contrôle de la Chambre des Députés seraient celles prévues à l’annexe 3 du règlement de la Chambre des Députés, intitulée « Aide-Mémoire sur la coopération entre la Chambre des Députés et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg en matière de politique européenne », ci-après désignée par « l’Aide-Mémoire », et, plus particulièrement, aux points I.6. et VI. de celle-ci, qui viseraient la Chambre des Députés et non pas les députés pris isolément.

Le demandeur conclut au rejet de ces moyens.

Appréciation du tribunal A titre liminaire, le tribunal précise que l’argumentation de la partie étatique ayant trait à un défaut de qualité pour agir dans le chef de Monsieur (A) figure certes dans la partie du mémoire en réponse étatique consacrée au fond du litige.

Il n’en reste pas moins qu’à travers les développements en question, la partie étatique conteste la qualité du demandeur pour introduire le présent recours.

Or, la question de la qualité d’un demandeur à agir à travers le recours introduit par lui s’analyse en une question de recevabilité, qui est, d’ailleurs, d’ordre public, et non pas en une question de fond.

C’est, dès lors, au stade de la recevabilité du recours que le tribunal examinera l’argumentation en question.

Toujours à titre liminaire, le tribunal relève que dans le cadre d’un recours en annulation, l’intérêt à agir se mesure au jour de l’introduction du recours.4 Il en est nécessairement de même en ce qui concerne la qualité pour agir. En effet, la qualité pour agir, c’est-à-dire le pouvoir d’agir, à partir du moment où il n’a pas été réservé par la loi à certaines personnes, appartient à tout intéressé, c’est-à-dire à tous ceux qui peuvent justifier d’un intérêt direct et personnel, la qualité se confondant alors avec l’intérêt, étant relevé que ce n’est que lorsque la loi a attribué le monopole de l’action à certaines personnes qu’elle désigne, que seules ces dernières ont qualité pour agir.5 Ainsi, l’intérêt et la qualité pour agir du demandeur doivent être appréciés par rapport à l’ordonnancement juridique en vigueur au jour de l’introduction du recours. Le tribunal se référera, dès lors, aux dispositions constitutionnelles, telles qu’elles s’appliquaient avant l’entrée en vigueur de la Constitution révisée, qui a eu lieu le 1er juillet 2023, soit postérieurement au dépôt de la requête introductive d’instance.

Le tribunal relève ensuite que l’intérêt conditionne la recevabilité d’un recours contentieux. En matière de contentieux administratif, portant, comme en l’espèce, sur des droits objectifs, l’intérêt ne consiste pas dans un droit allégué, mais dans le fait vérifié qu’une décision administrative affecte négativement la situation en fait ou en droit d’un administré qui peut en tirer un avantage corrélatif de la sanction de la décision par le juge administratif.6 L’intérêt à agir n’est pas à confondre avec le fond du droit en ce qu’il se mesure non au bien-fondé des moyens invoqués à l’appui d’une prétention, mais à la satisfaction que la prétention est censée procurer à une partie, à supposer que les moyens invoqués soient justifiés.7 4 Cour adm., 9 juillet 2009, n° 25485C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 36 et les autres références y citées.

5 Trib. adm., 4 mai 2009, n° 23190 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 203 et les autres références y citées.

6 Cour adm., 14 juillet 2009, n° 23857C et 23871C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse n° 2 et les autres références y citées.

7 Trib. adm. prés., 27 septembre 2002, n° 15373 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 3 et les autres références y citées.

S’agissant, plus particulièrement, de la question de l’intérêt d’un député à agir à l’encontre d’une décision gouvernementale portant refus de faire droit à sa demande de communication de documents détenus par l’administration publique, la Cour administrative a, dans l’Arrêt, fourni les précisions suivantes :

« […] De manière inhérente à son mandat électoral, en application directe de l’article 51, paragraphe 1er, de la Constitution plaçant le Grand-Duché de Luxembourg sous le régime de la démocratie parlementaire, le député, élu au suffrage universel est, de manière permanente, durant son mandat, habilité, du seul fait de son statut de député, à contrôler l’action des membres du gouvernement, en tant que tenanciers du pouvoir exécutif chargés de la gestion courante du pays.

Il est élémentaire que, tout comme pour un administré face à l’action de l’administration, seul un accès consistant aux éléments de fait, c’est-à-dire aux documents sous-tendant la situation visée, permet d’évaluer les tenants et aboutissants de cette situation dont le contrôle est à opérer. […] Contrairement aux dernières conclusions étatiques, il n’appartenait pas au député MONSIEUR (A) de passer par la procédure de la loi du 14 septembre 2018.

D’abord, il n’est pas un tiers par rapport à l’activité étatique qu’il lui incombe de contrôler, en vertu de son mandat de député.

Il est ensuite un organe de l’Etat, dûment habilité à remplir sa mission de contrôle.

La raison en est que l’accès aux documents afférents n’étant qu’un préalable indispensable à ces fins. Le droit d’accès d’un député aux documents détenus par l’administration découle directement de son mandat d’élu de la Nation en application directe de l’article 51, paragraphe 1er, de la Constitution plaçant le Grand-Duché de Luxembourg sous le régime de la démocratie parlementaire.

Evidemment, le député est amené à procéder de manière responsable, digne et adéquate. Des demandes de documents détenus par l’administration suivant une formule tous azimuts ou de simple pêche aux renseignements généralisée et non adaptée à son but, ne seraient pas conformes au dispositif constitutionnel en place.

Cette dernière problématique ne se pose pas dans le cas d’espèce, étant entendu que le député MONSIEUR (A), dès l’ingrès, a clairement ciblé le but de sa demande de documentation en entendant, de manière transparente, vérifier l’action des responsables du pouvoir exécutif par rapport à la question de l’ancrage historique de l’opérateur RTL Group au Luxembourg.

Quant à la question précisément posée de l’intérêt à agir du demandeur, il découle directement des développements qui précèdent qu’un député qui, dans l’exercice de sa mission de contrôle de l’action des tenanciers du pouvoir exécutif, découlant directement de son mandat d’élu de la Nation, se voit opposer un refus quant à sa demande de communication de documents détenus par l’administration publique, se voit en quelque sorte appliquer un frein à son travail de contrôle inhérent à son statut constitutionnel.

D’évidence, le contrôle du bien-fondé du refus lui opposé à effectuer par un juge indépendant et impartial avec la perspective d’une annulation du refus opposé en cas de non justification eu égard à l’ordonnancement juridique en place, est de nature à fournir au député en question, ès-qualités, une satisfaction effective et réelle.

L’accès accordé aux documents demandés, libéré, dans cette hypothèse d’annulation, de la décision de refus non justifiée, permettra éminemment au député en question d’effectuer sa mission de contrôle inhérente à son mandat d’élu de la Nation.

Son intérêt à agir est patent dans les circonstances données. […] ».

Il se dégage de ces développements de la Cour, auxquels le tribunal se rallie, qu’un député a un droit d’accès aux documents détenus par l’administration découlant directement de son mandat d’élu de la Nation en application directe de l’article 51, alinéa 1er de la Constitution, applicable au jour du dépôt de la requête introductive d’instance, plaçant le Grand-Duché de Luxembourg sous le régime de la démocratie parlementaire, et qu’un tel député qui, dans l’exercice de sa mission de contrôle de l’action des tenanciers du pouvoir exécutif, découlant directement de son mandat d’élu de la Nation, se voit opposer un refus quant à sa demande de communication de documents détenus par l’administration publique, dispose d’un intérêt suffisant à agir à l’encontre de ce refus.

Dans ce contexte, le tribunal ne saurait partager l’argumentation de la partie étatique qui entend déduire de l’article 50 de la Constitution, tel qu’applicable en l’espèce, aux termes duquel « La Chambre des Députés représente le pays. – Les députés votent sans en référer à leurs commettants et ne peuvent avoir en vue que les intérêts généraux du Grand-Duché. », que ce serait la Chambre des Députés, et non pas un député pris isolément, qui exercerait une mission de contrôle du Gouvernement.

En effet, ce contrôle par la Chambre des Députés s’exerce nécessairement par le biais des différents députés qui la composent, ce qui s’illustre, par exemple, par la pratique des questions parlementaires que les députés peuvent poser au Gouvernement.

Par ailleurs, les dispositions des points I.68. et VI.9 de l’Aide-Mémoire, auxquelles se réfère la partie étatique en citant les passages afférents de l’avis juridique du professeur …, ne sauraient limiter, voire exclure l’exercice du droit d’accès d’un député aux documents détenus par l’administration, ni a fortiori l’introduction d’un recours contentieux à l’encontre d’une décision de refus d’accès à de tels documents, étant donné que ce droit d’accès découle directement des dispositions hiérarchiquement supérieures de la Constitution, tel que cela ressort de l’Arrêt.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal arrive à la conclusion que Monsieur (A) – qui s’est vu opposer un refus à sa demande d’accès à des documents détenus par l’Etat, 8 « Le Gouvernement s’engage à transmettre à la Chambre des Députés dès réception, outre les documents qu’elle reçoit de la part des institutions européennes, les documents, rapports, communications et informations figurant à l’ordre du jour des différentes réunions du Conseil européen et du Conseil.

Lorsque le Gouvernement expédie les documents à la Chambre des Députés, il le fait à la date la plus précoce possible et par la voie la plus directe. Lesdits courriers sont à adresser au service international de la Chambre des Députés par courrier ordinaire ou par courrier électronique. ».

9 « La Chambre des Députés s’engage envers le Gouvernement à respecter le caractère confidentiel de certaines informations qui lui seraient communiquées et tiendra compte de la nature éventuellement sensible des négociations européennes faisant l’objet des échanges entre le Gouvernement et la Chambre des Députés. ».

formulée en sa qualité de député et dans le but de pouvoir vérifier et apprécier les décisions du Gouvernement en ce qui concerne les commandes de vaccins contre la COVID-19, au regard de la considération selon laquelle des deniers publics ont été employés pour financer les obligations étatiques, tel que le demandeur le précise dans sa requête introductive d’instance – a tant intérêt que qualité pour agir à l’encontre de la décision implicite de refus attaquée.

Les contestations afférentes de la partie étatique encourent, dès lors, le rejet.

B) Quant à la recevabilité du recours quant à la forme et quant au délai pour agir La partie étatique se rapporte à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité du recours quant à la forme et quant au délai.

S’il est exact que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation10, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer à la carence des parties et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions11.

Dès lors, et dans la mesure où la partie étatique est restée en défaut d’expliquer en quoi le recours serait irrecevable quant à la forme et quant au délai, ses contestations afférentes encourent le rejet.

En l’absence d’autres moyens d’irrecevabilité, le recours est à déclarer recevable.

III) Quant au fond Moyens des parties A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision attaquée.

En droit, il soutient qu’il se dégagerait clairement de l’Arrêt qu’un député aurait le droit de se voir communiquer des documents établis au nom et pour le compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, tels que les contrats conclus par l’Etat dans le cadre des commandes passées pour acheter des doses de vaccin contre la COVID-19.

En l’espèce, comme le ministre n’aurait pas répondu à sa demande dans un délai de trois mois, il y aurait lieu de conclure que sa demande aurait été refusée sans indication d’une motivation, contrairement aux exigences de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ».

Si le susdit courrier du ministre du 2 février 2023 contient les motifs de ce refus, ceux-ci ne seraient cependant pas fondés.

10 Trib. adm., 27 octobre 2004, n° 17634 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 930 et les autres références y citées.

11 Trib. adm., 23 janvier 2013, n° 30455 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 930 et les autres références y citées.

En effet, le ministre semblerait vouloir refuser l’accès aux documents sollicités, au motif qu’il ne disposerait pas de l’accord de la Commission européenne pour donner accès aux contrats visés à un député national.

Or, selon le demandeur, il ne serait, en sa qualité de député, pas un tiers par rapport à l’Etat, ainsi que cela se dégagerait de l’Arrêt.

Monsieur (A) ajoute qu’indépendamment de la dimension européenne de la commande de vaccins contre la COVID-19 et à partir du moment où les contrats auraient été conclus au nom et pour le compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, il disposerait, en sa qualité de député, du droit d’obtenir accès à ces documents, sans qu’une autorisation de la Commission européenne soit requise à cette fin.

Si, dans le susdit courrier, le ministre indique encore attendre l’instauration, au sein de la Chambre des Députés, d’un cadre adéquat quant au respect de la confidentialité par les députés, la mise en place d’un tel cadre ne serait pas exigée aux termes de l’Arrêt et ne saurait justifier le refus d’accès aux documents litigieux, le demandeur précisant qu’il suffirait que les garanties usuelles seraient prises lors de la communication des documents sollicités.

En soulignant que le ministre ne disposerait d’aucune base légale pour refuser de lui accorder immédiatement l’accès aux documents sollicités, le demandeur conclut que la décision attaquée devrait encourir l’annulation pour violation de la loi.

Par ailleurs, le demandeur fait plaider que la décision déférée méconnaîtrait le principe de proportionnalité, en ce que le ministre aurait refusé de lui communiquer les documents sollicités, alors que toutes les garanties usuelles en matière de confidentialité pourraient être prises lors de la communication des documents en question, de sorte que leur confidentialité resterait assurée.

La partie étatique conclut au rejet du recours.

Elle conteste le raisonnement de la Cour administrative, tel que figurant dans l’Arrêt, aux termes duquel un député ne serait pas un tiers par rapport à l’Etat.

A cet égard, elle souligne qu’un député et l’Etat auraient chacun une personnalité juridique distincte et qu’un député ne serait ni l’Etat, ni un organe de celui-ci.

A travers le présent recours, le demandeur n’agirait pas en tant que représentant de l’Etat, mais en son nom personnel. Son recours, dirigé contre une décision ministérielle, serait dirigé contre une décision prise par l’Etat. Admettre qu’il ne serait pas un tiers vis-à-vis de l’Etat reviendrait à considérer que l’Etat aurait formé un recours contre lui-même.

En réalité, le député ne saurait être vu que comme une partie tierce et il serait erroné de considérer qu’une communication à un député n’équivaudrait pas à une communication à un tiers.

La partie étatique critique, dans ce contexte, le fait que dans l’Arrêt, la Cour administrative aurait établi un parallèle entre un député et les organes des sociétés commerciales. A cet égard, elle soutient, en premier lieu, qu’il serait discutable de comparer l’organisation de l’Etat avec celle d’une société commerciale. En second lieu, elle soutient que la comparaison entre un député et l’organe d’une société commerciale serait contestable. En effet, au sein d’une société commerciale, le membre d’un organe de la société ne s’identifierait pas à l’organe lui-même. L’organe serait le conseil d’administration ou l’assemblée générale, et non pas l’administrateur ou les actionnaires composant cette assemblée générale. Ainsi, une société commerciale qui conclurait un contrat et le communiquerait à cette assemblée générale, sur demande de celle-ci, serait automatiquement en violation des éventuelles clauses de confidentialité contenues au sein de ce contrat dès lors que l’assemblée générale serait tenue et obligée de donner communication dudit contrat à ses membres.

Tel que prévu par l’article 75 de la Constitution révisée, ce serait la Chambre des Députés, et non pas les députés pris individuellement, qui pourrait requérir de la part du Gouvernement tous informations et documents.

La Chambre des Députés devrait donc exprimer la demande de communication et les informations et documents devraient être adressés à la Chambre des Députés, selon les modalités qu’elle déterminerait par son règlement.

Dès lors que la Constitution attribuerait de tels droits à la Chambre des Députés, il pourrait être considéré que celle-ci ne serait pas un tiers par rapport à l’Etat.

En revanche, un député seul, disposant d’une personnalité juridique distincte de celle de l’Etat, resterait un tiers par rapport à l’Etat et ne saurait être identifié ni à la Chambre des Députés, ni à l’Etat.

Par ailleurs, la partie étatique rappelle que les VOF, liés aux APA, seraient soumis aux obligations de confidentialité y prévues, prohibant leur communication à des tiers, pour en déduire que communiquer les VOF au demandeur, soit à un tiers, méconnaîtrait ces obligations de confidentialité.

Dans ce contexte, elle donne à considérer que s’il était fait droit à la demande de Monsieur (A), des tiers, tels que les entreprises pharmaceutiques concernées ou d’autres Etats membres, pourraient intenter une action en responsabilité civile à l’encontre de l’Etat luxembourgeois. Or, les juridictions saisies de telles actions pourraient ne pas suivre la logique adoptée par la Cour administrative dans l’Arrêt et considérer qu’il y aurait eu une divulgation fautive de la part du Grand-Duché de Luxembourg.

Elle insiste encore sur le fait qu’en cas de communication des VOF, leur confidentialité ne serait pas assurée, étant donné qu’en l’absence d’instauration par la Chambre des Députés d’un cadre adéquat et conforme aux exigences liées au respect par les députés des aspects ayant trait à la confidentialité développée par la Cour administrative dans l’Arrêt, les conditions permettant d’assurer le respect de la confidentialité ne seraient pas données.

Certes, dans l’Arrêt, la Cour administrative aurait considéré qu’un député qui se verrait communiquer des documents sollicités par lui en sa qualité de membre du pouvoir législatif serait tenu par une obligation de maintien de la confidentialité.

Or, en cas de divulgation des documents litigieux, une juridiction saisie pourrait considérer que le demandeur, étant tiers par rapport aux conventions stipulant les clauses de confidentialité et n’y ayant pas souscrit, ne serait pas tenu par les obligations de confidentialité y prévues.

Dans ce contexte, la partie étatique rappelle qu’une juridiction civile ne serait pas tenue par l’analyse de la Cour administrative. Elle le serait d’autant moins que cette analyse semblerait porter sur une question relative à des droits civils, plus particulièrement une question relative à une obligation contractuelle de confidentialité. Or, la Cour administrative n’aurait eu ni la compétence ni le pouvoir de faire naître à charge d’un député ou de lui transférer une obligation civile à laquelle il n’aurait pas souscrit, en l’absence de base légale opérant un tel transfert.

En réalité, l’Arrêt ne s’appuierait pas sur une base légale, mais la Cour aurait affirmé faire application des concepts de secret partagé et de confident nécessaire qui seraient les concepts normalement usités dans le domaine pénal à propos du secret professionnel légalement et pénalement protégé et sanctionné. Ce faisant, et en l’absence de base légale, la Cour aurait appliqué des concepts n’ayant pas vocation à appréhender le cas d’espèce et aurait prétendu mettre à charge du député une obligation de confidentialité qu’il n’aurait pas été dans son pouvoir ni dans ses compétences de décider. La Cour se serait encore prononcée sur une question – certes hypothétique – de responsabilité, appréciation qui n’aurait été ni en son pouvoir ni dans ses compétences.

La partie étatique donne encore à considérer que si le député est le confident nécessaire et s’inscrit dans une logique de secret partagé, il devrait respecter ce secret vis-à-vis tant de ses pairs que de ses électeurs, ce qui, dans une démocratie parlementaire, paraîtrait autant contraire aux principes fondamentaux du système parlementaire qu’irréaliste. Ceci serait d’autant plus vrai en raison de l’immunité parlementaire dont bénéficierait un député.

Elle ajoute qu’en cas de divulgation, l’Etat serait responsable, tout en s’interrogeant sur la question de savoir comment le fait du député, qui serait couvert par son immunité parlementaire et qui, dans la logique de l’Arrêt, agirait en tant qu’organe de l’Etat, pourrait, en dehors de l’hypothèse d’une faute grave ou intentionnelle, être détachable de ses fonctions d’organe de l’Etat habilité à avoir connaissance, ès-qualité, des contrats et conventions conclus au nom de l’Etat, telles que reconnues par la Cour.

Ainsi, il existerait un risque manifeste de violation de la confidentialité des VOF, mettant l’Etat en situation de faute contractuelle à l’égard de ses cocontractants.

La partie étatique donne encore à considérer que cinq députés européens auraient saisi la Commission européenne d’une demande tendant à se voir communiquer les APA sur base des dispositions du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2001 relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, ci-après désigné par « le règlement 1049/2001 ». La décision de refus de la Commission européenne, basée sur les dispositions du règlement 1049/2001 prévoyant des exceptions en matière de communication de documents, ferait l’objet d’un recours actuellement pendant devant le Tribunal de l’Union européenne, inscrit sous le numéro T-689/21 du rôle.

Dès lors que les documents dont la communication serait sollicitée porteraient sur des documents de la Commission européenne assortis d’une clause de confidentialité, le droit positif national ne devrait pas aboutir à méconnaître ladite clause de confidentialité en autorisant une communication des documents à un tiers, même s’il s’agit d’un député.

Permettre un tel accès, en violation de la clause de confidentialité, aboutirait également à permettre un accès que le règlement 1049/2001 pourrait ne pas autoriser. Or, le droit national d’un Etat membre de l’Union européenne ne saurait aboutir à la violation d’une clause de confidentialité et à l’accès à un document de la Commission européenne dont elle-même n’aurait pas admis la divulgation sur base du règlement 1049/2001.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur fait plaider que l’argumentation étatique, selon laquelle un député serait un tiers par rapport à l’Etat, serait contraire à la solution dégagée par la Cour administrative dans l’Arrêt.

En suivant la logique de la partie étatique, le ministre, qui ne s’identifierait ni au Gouvernement ni à l’Etat, n’aurait pas le droit de connaître le contenu des contrats qu’il aurait signés au nom et pour le compte de l’Etat, alors que ce droit appartiendrait seulement à l’Etat en tant que personne morale.

En tout état de cause, les développements de la partie étatique ne seraient pas de nature à invalider le raisonnement de la Cour.

Quant à l’argumentation de la partie étatique ayant trait à un risque d’atteinte à la confidentialité des VOF, le demandeur insiste sur le fait qu’il se dégagerait de l’Arrêt que dans la mesure où un député ne serait pas un tiers par rapport à l’Etat, il serait tenu par cette confidentialité.

Il donne encore à considérer que la consultation de contrats confidentiels par un député n’aurait, jusqu’à présent, jamais posé de problèmes en relation avec le respect de la confidentialité de ces contrats.

Dans son mémoire en duplique, la partie étatique réfute l’argumentation du demandeur selon laquelle, en suivant la logique de la partie gouvernementale, le ministre, qui ne s’identifierait ni au Gouvernement ni à l’Etat, n’aurait pas le droit de connaître le contenu des contrats qu’il aurait signés au nom et pour le compte de l’Etat, alors que ce droit appartiendrait seulement à l’Etat en tant que personne morale.

En se prévalant des articles 4, alinéa 1er, 5 et 10, alinéa 3 de l’arrêté royal grand-ducal modifié du 9 juillet 1857 portant organisation du Gouvernement grand-ducal, elle soutient que dans le cadre des affaires relevant de ses attributions, un ministre s’identifierait au Gouvernement et donc au pouvoir exécutif de l’Etat, et que lorsqu’un ministre aurait connaissance d’un acte relevant des affaires de son ministère, il en aurait connaissance en sa qualité de membre du Gouvernement auquel il s’identifierait.

En l’espèce, quand le ministre, qui s’identifierait à l’Etat et au pouvoir exécutif de celui-ci, aurait signé les VOF au nom et pour le compte de l’Etat, il en aurait nécessairement eu connaissance.

Appréciation du tribunal A titre liminaire, le tribunal rappelle qu’il est en l’espèce saisi d’un recours en annulation, de sorte à devoir apprécier la légalité de la décision implicite de refus déférée en considération de la situation de droit et de fait ayant prévalu au jour où elle s’est cristallisée12, qui est, de manière non contestée, le 31 janvier 2023.

S’agissant de la légalité externe de la décision déférée, et plus particulièrement du moyen tiré d’un défaut de motivation de celle-ci, en violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, le tribunal relève que cette disposition réglementaire prévoit ce qui suit :

« Toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux.

La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle :

- refuse de faire droit à la demande de l’intéressé ;

- révoque ou modifie une décision antérieure, sauf si elle intervient à la demande de l’intéressé et qu’elle y fait droit ;

- intervient sur recours gracieux, hiérarchique ou de tutelle ;

- intervient après procédure consultative, lorsqu’elle diffère de l’avis émis par l’organisme consultatif ou lorsqu’elle accorde une dérogation à une règle générale. […] ».

Il ressort de cette disposition réglementaire que toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et que certaines catégories de décisions, énumérées à l’alinéa 2 de ladite disposition, parmi lesquelles figurent, notamment, celles qui refusent de faire droit à la demande de l’intéressé, telles que celle attaquée en l’espèce, doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base.

Or, une décision implicite de refus d’une demande d’un administré, telle que celle litigieuse, ne respecte par la force des choses pas cette obligation de motivation formelle.

Quant aux conséquences à tirer de ce constat, le tribunal relève qu’il est de jurisprudence constante que dans la mesure où le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 prévoit expressément en son article 7 la sanction de l’absence de motivation d’une décision administrative qui doit être motivée, à savoir que les délais de recours tant contentieux qu’administratifs ne courent qu’à partir de la communication des motifs, une décision implicite de refus ne saurait encourir l’annulation pour absence de motivation, à condition que les motifs de refus soient fournis en cours d’instance.13 Force est au tribunal de constater qu’en l’espèce, la partie étatique a, au cours de la procédure contentieuse, fourni les motifs gisant à la base de la décision implicite de refus déférée, à savoir, en substance, les considérations suivant lesquelles (i) les APA contiendraient des clauses de confidentialité qui obligeraient les parties contractantes à ne pas divulguer à des 12 Trib. adm., 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 23 et les autres références y citées.

13 Trib. adm., 26 mai 2005, n° 19351 du rôle, confirmé par Cour adm., 10 janvier 2006, n° 19988C du rôle, Pas.

adm. 2024, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 102 et les autres références y citées.

tiers la teneur des contrats, (ii) cette confidentialité s’appliquerait aux VOF, (iii) le demandeur constituerait un tiers vis-à-vis de l’Etat ayant conclu les VOF et (iv) par conséquent, une communication à Monsieur (A) des documents sollicités violerait ces clauses de confidentialité, ce qui exposerait l’Etat à de sérieux risques de mise en jeu de sa responsabilité et méconnaîtrait potentiellement le droit de l’Union européenne.

La motivation ainsi fournie par la partie étatique est suffisamment précise pour permettre à Monsieur (A) d’assurer la défense de ses intérêts en connaissance de cause et au tribunal d’exercer son contrôle de légalité, étant relevé que la question de savoir si la motivation ainsi fournie est de nature à justifier la décision déférée relève du fond du litige et sera abordée ci-après. Le moyen sous analyse encourt, dès lors, le rejet.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal constate, au vu des moyens et arguments développés par les parties à l’instance, que la question essentielle qui se pose en l’espèce est celle de savoir si Monsieur (A), en sa qualité de député, est un tiers par rapport à l’Etat, de sorte que la partie étatique serait en droit de lui opposer les clauses de confidentialité contenues dans les APA et qui, de manière non contestée, s’étendent aux VOF conclus par les Etats membres de l’Union européenne en exécution des APA, ou s’il est à considérer comme un organe de l’Etat habilité de ce fait à avoir connaissance des VOF conclus au nom de l’Etat, nonobstant lesdites clauses de confidentialité.

A cet égard, la Cour administrative, saisie d’une question analogue concernant les clauses de confidentialité contenues dans des contrats conclus entre l’Etat et RTL GROUP, a fourni les précisions suivantes dans l’Arrêt :

« […] [L]a Cour estime que si successivement en 1948 l’article 51, paragraphe 1er, de la Constitution, en énonçant que le Grand-Duché de Luxembourg est placé sous le régime de la démocratie parlementaire, puis en 2003 l’article 1er de la Constitution énonçant que le Grand-Duché de Luxembourg est un Etat démocratique, sont venus en quelque sorte préciser la marque du régime politique luxembourgeois, c’est d’évidence l’article 32, paragraphe 1er, qui, depuis le 15 mai 1919, fournit la réponse substantifique du siège de la puissance souveraine dans notre pays en ce que : « la puissance souveraine réside dans la Nation ».

Dans la mesure où, mises à part quelques possibilités de recours éparses au référendum en tant qu’expression d’une démocratie directe (articles 51, paragraphe 7, et 114 de la Constitution), la conjugaison des dispositions de la loi fondamentale a instauré un régime de démocratie indirecte, c’est-à-dire un régime représentatif en ce qu’à travers des élections devant avoir lieu au moins tous les cinq ans, les membres de la Nation, tenanciers de la puissance souveraine, délèguent l’exercice de celle-ci à des représentants, précisément les députés élus au suffrage universel.

C’est en cela que le statut du député est éminent.

Il est, par voie déléguée, à travers le résultat des élections au suffrage universel, revêtu de cette légitimité politique qui en fait, par délégation démocratique, le tenancier de la puissance souveraine en représentation de la Nation investie du droit de vote au suffrage universel. Ce statut éminent du député ut singulus et de l’ensemble des représentants de la nation élus au suffrage universel en tant que Chambre des Députés est reflété par l’article 50 de la Constitution, suivant lequel c’est la Chambre des Députés qui représente le pays.

C’est à partir de toutes ces dispositions de la Constitution et de la substance même du contenu du statut éminent du député, représentant de la Nation, élu au suffrage universel, tenancier par délégation de la puissance souveraine, que le droit d’un député à la communication de documents nécessaires à un contrôle effectif de l’action du gouvernement, dont il a la vocation permanente, se trouve fondée de manière inhérente dans le système de démocratie parlementaire mis en place par la Constitution depuis 1919.

[…] Il se dégage à partir de l’ensemble des développements qui précèdent concernant le statut du député et sa double mission de représenter le pays en tant qu’élu de la Nation détenteur par délégation d’une parcelle de la puissance souveraine et de contrôleur de l’action du gouvernement investi d’une mission permanente afférente, que le député est à considérer non pas comme tiers par rapport à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, mais en tant qu’organe de cet Etat habilité à avoir connaissance, ès-qualités, des contrats et conventions conclus au nom de l’Etat, pareillement au(x) membre(s) du gouvernement ayant conclu au nom de l’Etat et aux fonctionnaires chargés de manière indispensable d’assister les ministres dans les phases de conclusion, d’application et d’exécution des contrats et conventions en question.

De la sorte, en se voyant un jour communiquer les documents en question stipulés sous le sceau de la clause de confidentialité, le député en question est amené à partager les secrets qu’ils contiennent. Il devient de la sorte un confident nécessaire.

A ce stade, il convient de préciser que tous les représentants des parties au contrat contenant des clauses de confidentialité, qui de la sorte ont connaissance de manière partagée des secrets y contenus sont également responsables du maintien de la confidentialité et verraient leur responsabilité engagée en cas de fuite vérifiée ayant entraîné que des éléments de ces contrats et conventions tombant sous le sceau de la confidentialité, avaient été, de leur fait, divulgués à des tiers.

En conséquence, si le député demandeur était en droit d’obtenir communication des contrats et conventions dont s’agit, ès-qualités et même compte tenu des clauses de confidentialité y stipulées, ce droit lui conférant la qualité de confident nécessaire, il s’accompagne d’une obligation de confidentialité partagée emportant que toute divulgation due à son fait d’éléments tombant sous le sceau de la confidentialité est a priori de nature à engager sa responsabilité.

Les concepts de secret partagé et de confident nécessaire appliqués en l’occurrence par la Cour répondent à cette double nécessité de respect de la clause de confidentialité stipulée également par les organes des parties contractantes elles-mêmes et les exigences inhérentes au fonctionnement de ces parties comportant que non seulement les organes de gestion ou de direction ayant eu, par la force des choses, connaissance de ces clauses eu égard à leur implication dans la phase de conclusion, puis dans l’application et l’exécution des contrats et conventions dont s’agit, mais également les organes de contrôle interne aux personnes contractantes, dans l’hypothèse où il ne s’agit pas de personnes physiques, mais de personnes morales, que ce soit de droit public ou de droit privé, doivent en principe y avoir un accès. La situation du député est à cet égard en quelque sorte comparable, au niveau d’une société de droit privé, à celle des organes de contrôle par rapport aux organes de gestion courante et de direction de la société.

Nul ne songerait à interdire, en raison d’une clause de confidentialité stipulée par une telle société, la communication du contrat ou de la convention la soutenant en raison précisément de la clause en question, lorsque par ailleurs cette personne se trouve habilitée en tant que membre d’un organe de contrôle, tel un conseil d’administration ou un conseil de surveillance, à avoir due connaissance des contrats conclus au nom de la société dont le contrôle lui incombe qualitate qua.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que le motif tiré de la stipulation de clauses de confidentialité n’est pas de nature à sous-tendre utilement le refus de communication des documents litigieux face à un député habilité, ès-qualités, à obtenir communication de ces documents dans sa démarche, précisément circonscrite par lui, de contrôle de l’action des membres du pouvoir exécutif compétents par rapport à l’objet du contrôle, en l’occurrence l’ancrage de l’opérateur historique RTL Group au Luxembourg. […] ».

Il se dégage de ces développements de la Cour, auxquels le tribunal se rallie en les transposant mutatis mutandis au cas d’espèce, d’une part, qu’en sa qualité de député, Monsieur (A) est à considérer, non pas comme un tiers par rapport à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, mais comme un organe de cet Etat habilité à avoir connaissance, ès-qualités, des contrats et conventions conclus au nom de l’Etat, tels que les VOF, et, d’autre part, que le droit du demandeur d’obtenir communication de ces documents, ès-qualités et même compte tenu des clauses de confidentialité s’y appliquant, lui confère la qualité de confident nécessaire et s’accompagne d’une obligation de confidentialité partagée emportant que toute divulgation due à son fait d’éléments tombant sous le sceau de la confidentialité est a priori de nature à engager sa responsabilité. Il s’ensuit que le motif ayant trait à la confidentialité s’attachant aux VOF n’est pas de nature à justifier le refus de communication des documents sollicités par le demandeur, agissant en sa qualité de député dans un but bien circonscrit de contrôle de l’action gouvernementale dans le cadre de la commande de vaccins contre la COVID-19.

Dans ce contexte, le tribunal rappelle que les décisions d’une juridiction supérieure sont, même dans les pays ne connaissant pas la règle du précédent, revêtues d’une certaine autorité jurisprudentielle, de sorte à pouvoir être considérées comme des recommandations pour les juridictions inférieures, afin d’éviter de placer ces dernières dans une situation de devoir trancher un litige en quelque sorte comme une instance d’appel par rapport à un arrêt rendu par une juridiction supérieure dans une affaire ayant porté sur les points de droits identiques ou similaires.14 Or, les moyens et arguments formulés dans ce contexte par la partie étatique et à travers lesquels celle-ci remet en cause le bien-fondé de la motivation fournie par la Cour administrative dans l’Arrêt, tendent, en substance, à placer le tribunal dans le rôle d’une instance d’appel par rapport à ce dernier.

En tout état de cause, aucun des points soulevés par la partie étatique n’est de nature à ébranler le raisonnement de la Cour dans sa substance, de sorte que le tribunal devrait se départir de la solution dégagée par celle-ci.

14 Trib. adm., 17 mai 2018, nos 36518, 36623, 36963, 36990, 37080 et 38193 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 1284.

En effet, s’il est certes exact qu’un député à une personnalité juridique distincte de celle de l’Etat, ce constat ne permet pas d’invalider la conclusion selon laquelle un député, agissant, non pas comme personne privée, mais en sa qualité de député et, plus particulièrement, dans le cadre de sa mission de contrôle du Gouvernement, est un organe de l’Etat, et non pas un tiers par rapport à ce dernier.

Par ailleurs, s’agissant des critiques formulées par la partie étatique en ce qui concerne la comparaison effectuée par la Cour entre la situation d’un député et celle des organes de contrôle par rapport aux organes de gestion courante et de direction d’une société privée, le tribunal constate qu’indépendamment de leur bien-fondé, les développements afférents de la Cour ne constituent qu’un argument utilisé par celle-ci pour illustrer ses propos, et non pas un élément essentiel de son raisonnement.

De même, c’est à tort que la partie étatique invoque l’incompétence de la Cour administrative, et de manière plus générale celle des juridictions de l’ordre administratif, pour statuer en matière contractuelle ou de responsabilité civile. En effet, outre le fait qu’il n’appartient manifestement pas au tribunal administratif d’analyser si la Cour administrative était compétente pour trancher les questions juridiques l’ayant amenée à rendre un arrêt revêtu de l’autorité de chose jugée, le tribunal, en se ralliant aux développements de la Cour concernant la question de l’opposabilité à un député exerçant son droit d’accès aux contrats et conventions conclus au nom et pour le compte de l’Etat, dont il dispose en sa qualité de député, de clauses de confidentialité applicables à ces contrats et conventions, en l’occurrence les VOF, ne fait qu’apprécier le bien-fondé de la motivation étatique tenant à ces clauses de confidentialité, invoquée par la partie gouvernementale à l’appui de l’acte administratif faisant l’objet du présent litige. Or, le tribunal, saisi d’un recours en annulation, a non seulement le droit, mais également l’obligation de vérifier si les motifs invoqués à l’appui de l’acte administratif attaqué sont de nature à motiver légalement l’acte en question.15 Quant aux développements de la partie étatique ayant trait à l’absence de base légale de l’obligation de confidentialité partagée pesant, selon la Cour, sur le député se voyant communiquer des documents confidentiels, le tribunal retient que les développements en question sont à rejeter. En effet, il ressort de l’Arrêt que cette obligation découle de la qualité de confident nécessaire du député qui, elle, est la conséquence directe de sa qualité d’organe de l’Etat, laquelle trouve son fondement juridique, notamment, dans les articles 32 (1) et 51, alinéa 1er de la Constitution, tels qu’applicables en l’espèce.

En outre, il est certes exact que la mise en cause concrète de la responsabilité d’un député ayant divulgué des éléments tombant sous le sceau de la confidentialité risque de se heurter à l’immunité parlementaire, consacrée par l’article 68 de la Constitution, prévoyant, dans sa version applicable en l’espèce, qu’« Aucune action, ni civile, ni pénale, ne peut être dirigée contre un député à l’occasion des opinions et votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. ».

Il n’en reste pas moins qu’outre le fait, d’une part, que cette immunité ne couvre pas nécessairement toutes les hypothèses de divulgation d’éléments confidentiels et, d’autre part, que le risque d’être exposé à des poursuites civiles ou pénales comporte un effet dissuasif en soi, indépendamment de l’issue de ces poursuites, ladite immunité n’est pas de nature à 15 Cour adm., 17 juin 1997, n° 9481C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 41 et les autres références y citées.

remettre en cause l’existence même de l’obligation de confidentialité partagée pesant sur le député s’étant vu communiquer des contrats et conventions tombant sous le sceau de la confidentialité.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal arrive à la conclusion que la motivation gisant à la base de la décision déférée, selon laquelle, en substance, une communication à Monsieur (A), en sa qualité de tiers par rapport à l’Etat, des VOF violerait les clauses de confidentialité prévues aux APA, ce qui exposerait l’Etat à de sérieux risques de mise en jeu de sa responsabilité, n’est pas de nature à sous-tendre utilement le refus de communication des documents litigieux.

Cette conclusion n’est pas énervée par le fait, mis en exergue par la partie étatique, qu’au jour où la décision implicite de refus déférée s’est cristallisée, la Chambre des Députés n’aurait pas encore instauré un cadre adéquat et conforme aux exigences liées au respect par les députés des aspects ayant trait à la confidentialité développée par la Cour administrative dans l’Arrêt. En effet, d’une part, le droit d’accès d’un député aux documents détenus par l’administration découle de son mandat d’élu de la Nation en application directe de l’article 51, alinéa 1er de la Constitution, dans sa version applicable en l’espèce, tel que retenu par la Cour, de sorte que l’exercice concret de ce droit, qui trouve sa source dans la Constitution, ne saurait être subordonné à l’existence, au niveau de la Chambre des Députés, d’un cadre spécifique destiné à garantir la confidentialité des documents concernés. D’autre part, l’obligation de confidentialité partagée pèse personnellement sur le député concerné, en sa qualité de confident nécessaire, de sorte qu’il est tenu de la respecter, indépendamment de l’existence d’un tel cadre, étant relevé que dans l’intérêt partagé également du député demandeur, toutes les garanties usuelles sont à prendre lors de la communication des documents sollicités.

Par ailleurs, l’argumentation vague et non autrement étayée de la partie étatique, selon laquelle une communication des documents sollicités à Monsieur (A) aboutirait potentiellement à permettre un accès à ces documents que le règlement 1049/2001 pourrait ne pas autoriser, n’est pas non plus de nature à justifier la décision de refus litigieuse, étant souligné, dans ce contexte, qu’il n’appartient pas au tribunal administratif de suppléer à la carence de la partie étatique et de rechercher les conclusions qui auraient pu se trouver à la base du refus ministériel.

La même conclusion s’impose en ce qui concerne l’affirmation de la partie étatique selon laquelle le droit national d’un Etat membre de l’Union européenne ne saurait aboutir à la violation d’une clause de confidentialité et à l’accès à un document de la Commission européenne dont elle-même n’aurait pas admis la divulgation sur base du règlement 1049/2001.

En effet, et contrairement à la demande adressée par cinq députés européens à la Commission européenne, à laquelle la partie étatique a fait allusion dans ce contexte, la demande de Monsieur (A) ne porte pas sur les APA, mais sur les VOF, tel que précisé ci-avant.

Or, le tribunal rappelle que contrairement à ce qui est le cas pour les APA, la Commission européenne n’est pas partie aux VOF, conclus directement entre les différents Etats membres et les producteurs de vaccins, ce que cette dernière a, d’ailleurs, elle-même rappelé, à travers le susdit courrier du directeur général de la HERA du 27 mars 2023, en précisant expressément qu’il appartiendrait à chaque Etat membre d’évaluer si les VOF doivent être divulgués ou non.

Il suit de l’ensemble des développements faits ci-avant que c’est à tort que le ministre a refusé de faire droit à la demande de Monsieur (A), sans que cette conclusion soit énervée par les développements de la partie étatique quant à la volonté de l’Etat d’inscrire son action dans le respect de ses engagements, du principe de coopération loyale inscrit à l’article 4 (3) du TUE et de la confiance que les autres Etats membres et ses cocontractants devraient avoir en sa signature.

La décision déférée encourt, dès lors, l’annulation.

IV) Quant à la demande de Monsieur (A) tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure Le demandeur sollicite l’octroi d’une indemnité de procédure de 3.000 euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, aux termes duquel « Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine. ».

Cette demande est cependant à rejeter, étant donné qu’il n’est pas établi qu’il serait inéquitable de laisser à la charge du demandeur les sommes exposées par lui et non comprises dans les dépens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant annule la décision implicite de refus du ministre de la Santé, telle que déférée ;

renvoie l’affaire devant ledit ministre en prosécution de cause ;

déboute le demandeur de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 avril 2025 par :

Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Annemarie THEIS, premier juge, en présence du greffier Luana POIANI.

s. Luana POIANI s. Daniel WEBER 32


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 48535
Date de la décision : 28/04/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 03/05/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-04-28;48535 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award