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22/04/2025 | LUXEMBOURG | N°48086

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 avril 2025, 48086


Tribunal administratif N° 48086 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48086 4e chambre Inscrit le 25 octobre 2022 Audience publique du 22 avril 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48086 du rôle et déposée le 25 octobre 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au

tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né ...

Tribunal administratif N° 48086 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48086 4e chambre Inscrit le 25 octobre 2022 Audience publique du 22 avril 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48086 du rôle et déposée le 25 octobre 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Géorgie) et être de nationalité géorgienne, ayant, au moment de l’introduction du recours, été retenu au Centre de rétention au Findel, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 9 septembre 2022 constatant son séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois, lui ordonnant de quitter ledit territoire sans délai et prononçant à son encontre une interdiction d’entrée sur le même territoire pour une durée de cinq ans ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 janvier 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yannick GENOT en sa plaidoirie à l’audience publique du 14 janvier 2025.

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Il se dégage d’un rapport, référencé sous le numéro …, établi par la Police grand-ducale, unité de la police de l’aéroport, service de contrôle à l’aéroport UPA-SCA, du 10 août 2022, que le même jour, Monsieur (A) fut interpellé par la police aéroportuaire alors qu’il avait essayé de quitter le pays. Il s’avéra à cette occasion, suite à une recherche effectuée dans le système d’information Schengen II (SISII), que l’intéressé faisait l’objet d’un signalement pour refus d’entrée sur le territoire français. Il ressort encore du même rapport de police que l’intéressé prit la fuite le même jour et que le document de voyage de Monsieur (A) fut confisqué.

Il se dégage ensuite d’un rapport, référencé sous le numéro …, établi par la Police grand-

ducale, Région Nord, C2R Turelbaach, du 9 septembre 2022, que l’intéressé fut arrêté le même jour pour vol de bouteilles d’alcool dans une station d’essence.

Par arrêté du 9 septembre 2022, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par le « ministre », déclara irrégulier le séjour de Monsieur (A) sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter ledit territoire sans délai et prononça à son encontre une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans. Ledit arrêté est libellé comme suit :

« (…) Vu les articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu le procès-verbal n° … du 9 septembre 2022 établi par la Police, Région Nord, C2R Turelbaach ;

Attendu que l’intéressé n’est pas en possession d’un passeport en cours de validité ;

Attendu que l’intéressé n’est pas en possession d’un visa en cours de validité ;

Attendu que l’intéressé n’est ni en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail ;

Attendu que l’intéressé ne justifie pas l’objet et les conditions du séjour envisagé ;

Attendu que l’intéressé ne justifie pas de ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d’origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel son admission est garantie ;

Que par conséquent il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé ;

Arrête :

Art. 1er.- La personne, déclarant se nommer (A), être née le … à …, être de nationalité géorgienne, est en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois.

Art. 2.- L’intéressé devra quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, la Géorgie, ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité, ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner.

Art. 3.- Une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans est prononcée à l’égard de l’intéressé à partir de la sortie du territoire luxembourgeois ou à partir de la sortie de l’Espace Schengen. (…) ».

Par arrêté séparé du 9 septembre 2022, notifié à l’intéressé en mains propres également à la même date, le ministre décida de placer Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision.

Suite à une comparaison des empreintes digitales de l’intéressé avec la base de données EURODAC effectuée le 16 septembre 2022, il s’avéra que Monsieur (A) avait précédemment introduit des demandes de protection internationale en Allemagne le 7 août 2017, en Suisse le 23 septembre 2018, aux Pays-Bas le 14 février 2019, en France le 27 octobre 2021 et en Belgique le 28 juillet 2022.

En réponse à un courrier électronique de l’autorité ministérielle luxembourgeoise du 16 septembre 2022, les autorités belges confirmèrent le 19 septembre 2022 que Monsieur (A) y avait introduit une demande de protection internationale et qu’il aurait un entretien le lendemain, tout en expliquant qu’ils n’avaient pas encore envoyé de demande de réadmission à d’autres Etats membres. Le même jour, les autorités françaises informèrent les autorités luxembourgeoises que la demande de protection internationale de Monsieur (A) introduite en France avait été définitivement rejetée en date du 6 avril 2022.

Toujours le 19 septembre 2022, les autorités luxembourgeoises introduisirent auprès des autorités géorgiennes une demande de réadmission de l’intéressé en vertu de l’article 7 de l’Accord du 22 novembre 2010 entre l’Union européenne et la Géorgie concernant la réadmission des personnes en séjour irrégulier.

Le même jour, l’autorité ministérielle informa le litismandataire de Monsieur (A) qu’elle allait faire application de l’article 24, paragraphe (4) du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après le « règlement Dublin III », et d’engager une procédure de retour conformément à la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après désignée par « la directive 2008/115/CE ».

Par courrier du 20 septembre 2022, les autorités géorgiennes confirmèrent à l’autorité ministérielle luxembourgeoise que Monsieur (A) est un ressortissant géorgien, tout en approuvant la demande de réadmission du 19 septembre 2022.

Le 21 septembre 2022, le ministre chargea le service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, d’organiser le départ de l’intéressé vers la Géorgie.

Suite à une demande de la part des autorités luxembourgeoises du 22 septembre 2022, les autorités géorgiennes délivrèrent le 26 septembre 2022 un document de voyage dans le chef de Monsieur (A), valable jusqu’au 24 décembre 2022.

Par courrier du 3 octobre 2022, le service de police judicaire, section criminalité organisée - police des étrangers, transmit au ministre un plan de vol à destination de Tbilissi prévu pour le 26 octobre 2022.

Par arrêté du 5 octobre 2022, notifié à l’intéressé le 7 octobre 2022, le ministre prorogea le placement de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée d’un mois avec effet au 9 octobre 2022.

Par courrier de son litismandataire du 19 octobre 2022, Monsieur (A) introduisit un recours gracieux à l’encontre de la décision de retour et de la mesure de placement initial prémentionnées prises à son égard le 9 septembre 2020, recours dont il fut débouté par courrier du ministre du 24 octobre 2022.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 octobre 2022, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision ministérielle précitée du 9 septembre 2022 portant décision de retour et interdiction d’entrée sur le territoire dans son chef.

Quand bien même une partie a formulé un recours en annulation à titre principal et un recours en réformation à titre subsidiaire, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée. En effet, l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte qu’en présence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision, il n’y a plus lieu de statuer sur un recours en annulation contre la même décision.

Etant donné qu’aucune disposition légale ne prévoit de recours en réformation en la présente matière, l’article 113 de la loi du 29 août 2008 prévoyant expressément un recours en annulation à l’encontre des décisions visées aux articles 109 et 112 de la même loi, renvoyant àl’article 101 sur le fondement duquel la décision a été prise, seul un recours en annulation a pu être introduit en l’espèce. Il s’ensuit que le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre subsidiaire contre la décision déférée du 9 septembre 2022.

En ce qui concerne la recevabilité du recours en annulation introduit à titre principal, il convient de souligner que le tribunal administratif a été informé par courrier électronique du 17 mars 2023 que Maître Michel KARP avait déposé son mandat en date du 6 mars 2023.

Par courrier du 20 mars 2023, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, Monsieur (A) a été informé par les soins du greffe du tribunal administratif que son litismandataire avait déposé mandat, de sorte à ne plus défendre sa cause et qu’il était en conséquence invité à confier la défense de ses intérêts à un autre avocat à la Cour. De même, il a été rendu attentif au fait que l’affaire paraîtrait pour fixation à l’audience publique du 31 mars 2023 et qu’à défaut d’instructions de sa part, son recours risquait d’être rejeté pour défaut d’intérêt.

A l’audience publique du 31 mars 2023, l’affaire fut fixée pour plaidoiries à l’audience publique du 14 janvier 2025.

A l’audience publique du 14 janvier 2025, au vu du constat que le tribunal n’avait aucune nouvelle de la part de Monsieur (A) et qu’aucun nouvel avocat ne s’était constitué pour le représenter, le tribunal a soulevé d’office la question du maintien de l’intérêt à agir de ce dernier, conformément à l’article 30 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée « la loi du 21 juin 1999 », l’intérêt à agir conditionnant la recevabilité d’une demande s’analysant en effet en question d’ordre public1.

Le délégué du gouvernement s’est rapporté à prudence de justice quant à la question ainsi soulevée par le tribunal.

Le tribunal relève que, si stricto sensu l’intérêt à agir est à apprécier au moment de l’introduction du recours, il n’en reste pas moins que le maintien d’un intérêt à agir, ou plus précisément d’un intérêt à poursuivre une action doit être vérifié au jour du jugement2 sous peine de vider ce dernier de tout effet utile, les juridictions administratives n’ayant pas été instituées pour procurer aux plaideurs des satisfactions purement platoniques ou leur fournir des consultations3, ainsi que sous peine, le cas échéant, outre d’encombrer le rôle des juridictions administratives, d’entraver la bonne marche des services publics en imposant à l’autorité compétente de se justifier inutilement devant les juridictions administratives et en exposant, le cas échéant, ses décisions à la sanction de l’annulation ou de la réformation sans que l’administré ayant initialement introduit le recours ne soit encore intéressé par l’issue de ce dernier.

Or, la première personne à pouvoir justifier s’il existe effectivement dans son chef un intérêt concret et personnel suffisant pour intenter un procès et pour le poursuivre ensuite, est le justiciable lui-même qui a saisi le tribunal administratif d’une demande : non seulement, il estime qu’il a été porté atteinte à ses droits ou que ses intérêts ont été lésés, mais il considère que le redressement obtenu au moyen d’une décision juridictionnelle apportera à sa situation une amélioration qui compense les frais qu’entraîne et les désagréments que comporte un procès. La 1 Cour adm., 29 mai 2008, n° 23728C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 5 et les autres références y citées.

2 Michel Leroy, Contentieux administratif, 3e édition, p. 494.

3 Trib. adm., 14 janvier 2009, n° 22029 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 71 (1er volet) et les autres références y citées.volonté du justiciable, manifestée par l’introduction d’une demande en justice, de défendre ce qu’il considère comme un intérêt le concernant est donc le premier élément qui est nécessaire pour rendre possible la constatation que ce justiciable justifie effectivement de l’intérêt concret et personnel requis en droit pour être recevable à intenter un procès.

Si cette volonté vient à disparaître en cours de procès, il n’est potentiellement plus satisfait à la condition qui doit être remplie en tout premier lieu pour que l’on puisse admettre que la partie litigante conserve effectivement un intérêt concret et personnel à faire statuer sur la demande qu’elle a introduite. Cette première condition n’étant plus remplie, il y a lieu d’en conclure que le recours n’est plus recevable en raison de la disparition de l’intérêt requis en droit.

Or, le défaut de volonté de maintenir une demande peut résulter de la persistance avec laquelle le justiciable s’abstient de toute marque d’intérêt pour le déroulement du procès qu’il a engagé4. Cette absence de toute marque d’intérêt constitue dès lors un motif suffisant pour décider que l’intérêt requis en droit pour obtenir une décision sur la demande n’existe plus et qu’à défaut de cet intérêt, le recours doit être rejeté comme n’étant plus recevable5.

En l’espèce, force est tout d’abord de relever, d’une part, que le mandataire ad litem ayant introduit le recours sous analyse au nom et pour le compte de Monsieur (A) a informé le tribunal en date du 17 mars 2023 qu’il avait déposé son mandat dans cette affaire en date du 6 mars 2023, avant l’audience de fixation du 31 mars 2023, de sorte à ne plus avoir pu défendre les intérêts de ce dernier, et, d’autre part, qu’il n’y a, par la suite, jamais eu de reprise de mandat, ni de constitution de nouvel avocat à la Cour en conformité avec les articles 5, paragraphe (5) et 10 de la loi du 21 juin 1999. A cela s’ajoute que le courrier envoyé à Monsieur (A) le 20 mars 2023 lui a été notifié en mains propres le même jour alors que ce dernier se trouvait à l’époque retenu au Centre de rétention.

Il s’ensuit que Monsieur (A) n’a plus témoigné le moindre intérêt pour le déroulement et le maintien de l’instance qu’il a introduite par sa requête du 25 octobre 2022, de sorte qu’il convient de rejeter son recours pour défaut d’intérêt à agir.

Bien que le dernier avocat constitué ait, en l’espèce, déposé son mandat après l’introduction de la requête introductive d’instance pour compte du destinataire de l’acte administratif attaqué, le présent jugement est néanmoins rendu contradictoirement entre parties6.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation ;

déclare irrecevable le recours principal en annulation introduit contre la décision ministérielle du 9 septembre 2022 ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

4 Voir notamment Conseil d’Etat belge, 6 avril 1982, n° 22183.

5 Trib. adm. 11 mai 2016, n° 35579 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 37 et les autres références y citées.

6 En ce sens : trib. adm., 24 janvier 2000, n° 11558 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 1022 (2e volet) et les autres références y citées.Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 avril 2025 par :

Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 avril 2025 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 48086
Date de la décision : 22/04/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 26/04/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-04-22;48086 ?

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