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16/04/2025 | LUXEMBOURG | N°52667

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 avril 2025, 52667


Tribunal administratif N° 52667 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52667 5e chambre Inscrit le 7 avril 2025 Audience publique du 16 avril 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous différents alias, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52667 du rôle et déposée le 7 avril 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Clémence REMIER, avocat à la Cour, assistée de Maître Violette JUNCKER, avocat

, les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de...

Tribunal administratif N° 52667 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52667 5e chambre Inscrit le 7 avril 2025 Audience publique du 16 avril 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous différents alias, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52667 du rôle et déposée le 7 avril 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Clémence REMIER, avocat à la Cour, assistée de Maître Violette JUNCKER, avocat, les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Libye) et être de nationalité libyenne, connu sous différents alias, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 20 mars 2025 ayant prorogé son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Clémence REMIER et Monsieur le délégué du gouvernement Luca ESTGEN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 avril 2025.

___________________________________________________________________________

Il ressort d’un rapport portant la référence … de la police grand-ducale, région …, …, du 16 octobre 2020 qu’en date du même jour, Monsieur (A) fut interpellé sans être en possession de documents d’identité valables.

Par un arrêté ministériel du même jour, notifié à l’intéressé en mains propres également le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile déclara irrégulier le séjour de Monsieur (A) sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter ledit territoire sans délai et prononça une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans à son encontre.

Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, région …, commissariat …, référencé sous le numéro …, du 27 octobre 2020, que Monsieur (A) fut à nouveau interpellé le même jour sans avoir été en mesure de présenter des documents d’identité ou de voyage valables.

Par arrêté du 27 octobre 2020, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile décida de placer ce dernier au Centre de rétention, d’où il fut libéré le 11 novembre 2020.

1 Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, … référencé sous le numéro … et daté du 4 novembre 2021, que Monsieur (A), déclarant alors se nommer (B), fit l’objet d’un contrôle d’identité lors duquel il ne put présenter de documents d’identité et de séjour valables.

Par arrêté du 4 novembre 2021, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre de l’Immigration et de l’Asile déclara irrégulier le séjour sur le territoire luxembourgeois de Monsieur (A), sous le nom (B), lui ordonna de quitter ledit territoire sans délai et prononça une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans à son égard.

Il ressort d’un rapport du 15 novembre 2021 de la police grand-ducale, commissariat …, référencé sous le numéro … que Monsieur (A), déclarant alors se nommer (C), fut à nouveau interpellé sans être en mesure de présenter un document d’identité ou de voyage valable.

Il ressort d’un relevé journalier du Centre pénitentiaire de Luxembourg du 15 mai 2022 que Monsieur (A) fut placé en détention préventive, dont il fut libéré le 13 janvier 2023 selon un relevé journalier du jour en question.

Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, région …, référencé sous le numéro …, du 22 juin 2024, ainsi que d’un rapport du 31 août 2024 de la police grand-ducale, région …, référencé sous le numéro …, que Monsieur (A), tout en déclarant se nommer (D), fut à nouveau interpellé par les forces de l’ordre sans être en mesure de présenter des documents d’identité ou de voyage valables.

Il ressort du dossier administratif qu’en date du 18 octobre 2024, une recherche dans la base de données EURODAC pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III », révéla que Monsieur (A) avait introduit deux demandes de protection internationale en Allemagne, respectivement le 24 novembre 2015 et le 12 avril 2023, ainsi qu’une demande de protection internationale aux Pays-Bas le 9 juillet 2018.

Une recherche dans le système d’information Schengen (SIS) en date du 6 décembre 2024 informa les autorités ministérielles que Monsieur (A), connus sous 16 alias, a été signalé par les autorités allemandes afin de lui refuser l’entrée sur le territoire depuis le 14 mars 2024.

Il ressort finalement d’un rapport de la police grand-ducale, région …, du 25 février 2025, référencé sous le numéro …, qu’à cette même date, Monsieur (A) fut à nouveau interpellé sans être en possession de documents d’identité ou de voyage valables.

Par arrêté du même jour, notifié en mains propres à l’intéressé le même jour, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, dénommé ci-après le « ministre », décida de placer Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification dudit arrêté, ledit arrêté étant basé sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

2Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport no … du 25 février 2025 établi par la Police grand-ducale, unité Région … ;

Vu la décision de retour du 16 octobre 2020, lui notifiée le même jour, assortie d’une interdiction d’entrée de 3 ans ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’identification et de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Le recours contentieux introduit par Monsieur (A) en date du 12 mars 2025 contre la décision ministérielle du 25 février 2025 ayant ordonné son placement au Centre de rétention fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 18 mars 2025, inscrit sous le numéro 52512 du rôle.

Par arrêté du 20 mars 2025, notifié à l’intéressé le 25 mars 2025, le ministre prorogea le placement en rétention de Monsieur (A) pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question.

Ledit arrêté est fondé sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 100, 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté du 16 octobre 2020, notifié en date du même jour, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 25 février 2025 subsistent dans le chef de l’intéressé ;

Considérant que les démarches en vue de l’éloignement ont été engagées ;

Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 avril 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de l’arrêté ministériel, précité, du 20 mars 2025 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par la « loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le 3tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Arguments et moyens des parties A l’appui de son recours et en fait, le demandeur, tout en rappelant certains des rétroactes passés en revue ci-avant, explique avoir quitté son pays d’origine, la Libye, pour l’Europe à un moment où il aurait encore été mineur. Ne disposant pas de papiers d’identité, il aurait été sans domicile fixe en passant de pays à pays et en essayant de subvenir à ses besoins les plus élémentaires en travaillant au noir, ceci principalement en Belgique, en France et au Luxembourg.

En droit, le demandeur donne à considérer qu’en général le placement au Centre de rétention devrait toujours être considéré comme une atteinte à la liberté et ne devrait partant être utilisé qu’en ultime recours.

Plus particulièrement, le demandeur conclut à l’absence de risque de fuite dans son chef, alors qu’il n’aurait aucune intention de se soustraire à la mesure l’éloignement.

Il donne à considérer qu’il aurait la possibilité, après sa mise en liberté, de se présenter à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, anciennement la SHUK, afin d’y résider, si besoin, jusqu’à son éloignement.

Le demandeur estime également qu’il n’éviterait ni n’empêcherait la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement, en déclarant qu’il souhaiterait coopérer avec les autorités compétentes en vue de son éloignement, tout en relevant qu’il les aurait informées de son souhait de quitter le Luxembourg.

Le demandeur met ensuite en exergue une incertitude quant à l’aboutissement des démarches entreprises en vue de son éloignement vers la Libye. Il fait valoir que, depuis son placement en rétention, la première étape de la procédure de l’éloignement, à savoir la phase d’identification, n’aurait toujours pas abouti dans la mesure où la première relance effectuée par le ministre auprès de l’ambassade de Libye, du 26 mars 2025, serait restée sans réponse, en précisant que d’expérience l’identification des personnes des pays de l’Afrique prendrait beaucoup de temps, comme l’admettrait le commissaire-adjoint du service de la police judiciaire, section criminalité organisée, dans un courriel adressé aux autorités ministérielles du 20 mars 2025. Le demandeur souligne encore dans ce contexte que la situation géopolitique en Libye demeurerait instable, tel que cela ressortirait d’un article publié sur internet de l’« ONU » du 19 février 2025.

Il fait valoir, dans ce contexte, que l’éloignement d’une personne retenue devrait constituer une perspective réelle et que, lorsqu’il apparaitrait qu’il n’existerait plus de perspective raisonnable d’éloignement, la personne concernée devrait être immédiatement remise en liberté, tel que prévu à l’article 15, paragraphe (4) de la directive 2008/115/CE du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dénommée ci-après la « directive 2008/115 ».

Le demandeur conclut, à cet égard, qu’à défaut de toute perspective concrète de retour dans son pays d’origine à ce jour, sa rétention prolongée s’avèrerait inappropriée.

4 Le demandeur invoque encore un caractère disproportionné de la prolongation de son placement en rétention, étant donné que les seules démarches entreprises par le ministre auraient été un premier courrier adressé aux autorités libyennes le 7 mars 2025, ainsi qu’une relance adressée à l’ambassade de Libye le 26 mars 2025, le demandeur soutenant que toute mesure de rétention devrait en principe être aussi courte que possible.

Le demandeur conclut à la réformation de la décision du ministre et à sa mise en liberté.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Appréciation du tribunal Aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, sur le fondement duquel l’arrêté ministériel litigieux a été pris : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

5En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien, voire à cinq reprises au cas où l’une des conditions de l’alinéa 2 de l’article 120, paragraphe (3) se trouve remplie.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

En l’espèce, tel que d’ores et déjà retenu par le tribunal dans son jugement prémentionné du 18 mars 2025, il est constant que le demandeur est en séjour irrégulier au Luxembourg, étant relevé qu’une décision de retour, comportant une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de trois ans, a été prise à son encontre le 16 octobre 2020, décision qui ne fait pas l’objet de la présente instance contentieuse, et qu’il ne dispose ni d’un passeport, ni d’un visa en cours de validité, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.

Il s’ensuit qu’il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), sous 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant encore précisé, à cet égard, que, parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Au vu du renversement de la charge de la preuve résultant de cette présomption et contrairement à ce qui est soutenu par le demandeur, il lui aurait alors appartenu de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption, en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite présumé dans son chef, ce qu’il reste en défaut de faire. Ses développements quant à la possibilité de se voir héberger dans une structure d’accueil d’urgence, respectivement quant à sa disposition à ne pas vouloir s’opposer à son éloignement, ne sauraient suffire à cet égard, étant relevé que le risque de fuite est, au contraire, encore corroboré par les éléments de la cause, en ce que le demandeur se trouve depuis plusieurs années en Europe, passant de pays à pays, en utilisant un nombre d’alias important, changeant ainsi constamment non seulement de nom, mais également de nationalité, ce qui, comme il le fait souligner lui-même, est de nature à compliquer, en l’absence de tout document d’identité, son identification en vue de son éloignement, toute collaboration active de la part du demandeur à cet égard laissant par ailleurs d’être établie.

Les contestations du demandeur quant à l’existence d’un risque de fuite dans son chef 6sont dès lors à rejeter.

Le ministre pouvait dès lors a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.

S’agissant encore plus particulièrement de l’argumentation du demandeur selon laquelle il pourrait être hébergé dans une structure d’accueil d’urgence, de sorte à sous-entendre que le ministre aurait dû lui appliquer une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention, et notamment une assignation à résidence, le tribunal relève qu’à cet égard, l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

7 Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes1.

Or, en l’espèce, tel que relevé ci-avant, le tribunal est amené à constater que le demandeur ne lui a pas fourni le moindre élément de nature à renverser la présomption du risque de fuite pesant sur lui. Plus particulièrement, le demandeur ne peut pas se prévaloir d’une attache particulière, voire d’un domicile fixe déclaré au Luxembourg, étant relevé qu’une structure d’hébergement d’urgence, telle que la maison retour, anciennement la SHUK, ne saurait être considérée ni comme domicile stable ni comme fournissant à elle seule une garantie de représentation suffisante, de sorte qu’une telle mesure n’est pas concevable.

Par ailleurs, au regard de ce qui a été retenu plus haut, le demandeur n’a présenté aucun autre élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes, au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux autres mesures moins contraignantes s’impose, de sorte que c’est à juste titre que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, en ce compris l’assignation à résidence, ne sont pas envisageables en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur encourent le rejet.

Il s’ensuit que le moyen afférent tiré du caractère prétendument disproportionné de la mesure de placement en rétention litigieuse, respectivement d’une application erronée et arbitraire des dispositions légales applicables, encourt le rejet pour ne pas être fondé.

S’agissant, ensuite des démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, le tribunal relève que dans son jugement, précité, du 18 mars 2025, il a constaté que (i) en date du 28 février 2025, le service de police judiciaire avait été chargé d’enquêter sur le demandeur et d’effectuer des recherches auprès d’Europol et d’Interpol et (ii) en date du 7 mars 2025, le ministre avait contacté encore l’ambassade de Libye à Bruxelles afin d’identifier le demandeur, en y joignant un jeu d’empreintes digitales, ainsi qu’une photo d’identité de ce dernier, de même que la liste des 16 alias que le demandeur avait utilisé les dernières années. Dans ce même jugement, le tribunal a conclu que les démarches entreprises par l’autorité ministérielle étaient, à ce stade, suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008.

Cette décision de justice ayant autorité de chose jugée, l’analyse du tribunal se limitera aux démarches accomplies à la suite du jugement en question. A cet égard, il échet de constater qu’il ressort du dossier administratif, que par courrier électronique du 20 mars 2025, un agent du ministère des Affaires intérieures s’est renseigné auprès du service de police judicaire sur l’avancement des recherches auprès d’Europol et d’Interpol. Ce service a répondu le même 1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 972 et les autres références y citées.

8jour que l’identité du demandeur n’a pas pu être confirmée à ce jour, certains bureaux d’Interpol n’ayant pas encore répondu à la demande qui leur avait été envoyée au sujet de l’identification du demandeur.

Par ailleurs, en date du 26 mars 2025, un agent du ministère des Affaires intérieures a relancé l’ambassade de Libye à Bruxelles afin d’identifier le demandeur.

Au regard des diligences accomplies à ce jour par le ministre, actuellement tributaire de la collaboration des autorités étrangères - étant relevé qu’il ne saurait être nui aux relations diplomatiques par un nombre exagéré de rappels adressés aux autorités étrangères compétentes -, force est de retenir que les démarches concrètement entreprises en l’espèce par l’autorité ministérielle doivent être considérées comme étant, à ce stade, suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008.

S’il ressort certes d’un courrier électronique du service de la police judiciaire que les demandes d’identification auprès d’Interpol concernant les pays d’Afrique prennent beaucoup de temps, le tribunal ne saurait à ce stade, étant rappelé que le demandeur fait présentement l’objet d’une première prorogation de la mesure de rétention à son encontre, déceler des éléments du dossier que l’éloignement du demandeur serait d’ores et déjà voué à l’échec, contrairement à ce que sous-entend le demandeur dans sa requête introductive d’instance.

Ce constat n’est pas énervé par la référence par le demandeur à la situation prétendument instable en Libye, étant donné qu’il ne ressort pas des pièces versées en cause que les autorités libyennes refuseraient systématiquement l’identification des ressortissants libyens et la délivrance d’un laissez-passer dans leur chef, étant encore relevé que les autorités consulaires libyennes sont tenues par le droit international de réadmettre leurs ressortissants.

Quant à la référence faite par le demandeur à l’article 15, paragraphe (4) de la directive 2008/115, le tribunal précise que cette directive a été transposée en droit luxembourgeois par le biais de la loi du 1er juillet 2011 modifiant la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration et la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après la « loi du 18 décembre 2015 ».

Or, les directives ne peuvent être directement applicables et invoquées par les seuls justiciables que si leurs dispositions sont inconditionnelles et suffisamment précises et que l’Etat n’a pas transposé dans les délais ladite directive ou s’il en a fait une transposition incorrecte2.

Dans la mesure où, en l’espèce, le demandeur ne démontre pas que l’Etat luxembourgeois aurait été en défaut de transposer ladite directive dans les délais impartis ou en aurait fait une transposition incorrecte, il y a lieu de retenir qu’il n’est pas fondé à se prévaloir directement des dispositions communautaires invoquées, mais qu’il lui aurait appartenu d’invoquer à la base de ses prétentions les dispositions de la loi du 29 août 2008. Par ailleurs, il y a lieu de souligner qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer la carence du demandeur et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base 2 Trib. adm., 9 octobre 2003, n°15375 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Lois et règlements, n° 116 (2e volet) et les autres références y citées.

9de ses conclusions, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

Eu égard aux développements qui précèdent, en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait, utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 avril 2025 par :

Laura Urbany, premier juge, Felix Hennico, attaché de justice délégué, Izabela Golinska, attaché de justice délégué, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s. Lejila Adrovic s. Laura Urbany Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 avril 2025 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 52667
Date de la décision : 16/04/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 26/04/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-04-16;52667 ?

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