Tribunal administratif N° 52582 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52582 5e chambre Inscrit le 25 mars 2025 Audience publique du 16 avril 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52582 du rôle et déposée le 25 mars 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Algérie) et de nationalité algérienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 25 février 2025 de le transférer vers l’Allemagne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 avril 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jenna LIFA, en remplacement de Maître Sanae IGRI, et Monsieur le délégué du gouvernement Luca ESTGEN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 avril 2025.
Le 9 janvier 2025, Monsieur (A), connu sous différents alias, introduisit auprès du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait auparavant introduit une demande de protection internationale en Allemagne le 9 juillet 2020, aux Pays-Bas en dates des 11 et 13 février 2021 et 19 septembre 2023, ainsi qu’en Suisse en date du 21 novembre 2023. Une recherche effectuée dans le système d’information Schengen (SIS) révéla par ailleurs que l’intéressé faisait l’objet d’un signalement de la part des autorités allemandes du 23 avril 2024 pour le motif de recherche « Ressortissant d’un pays tiers en vue d’une décision de retour ». Une demande de 1renseignements via le Centre de coopération policière et douanière (CCPD) révéla, par ailleurs, que Monsieur (A) était connu des autorités allemandes pour « […] Zurückweisung, Diebstahl, als Asylbewerber und unerlaubtem Aufenthalt. Person hat inaktive Haftdateien wegen Diebstahl/gewerbsmäßigem Diebstahl in den JVA … und … Haftbeginn: 22.09.2022 Haftende:
24.02.2023 Person hat Eintrag im Ausländerzentralregister bei Ausländeramt … Ersteinreise (unerlaubter Aufenthalt) am: 09.07.2020 Asylantrag gestellt am: 27.11.2020 Asylantrage abgelehnt am: 09.03.2021 Person wurde mit einem Einreise-Aufenthaltsverbot belegt am:
07.07.2023 bis zum 06.07.2025 wegen Ausweisung/Zurückschiebung oder Abschiebung- in die Niederlande mit gleichem Datum. Meldestatus: Person hält sich nicht mehr im Bundesgebiet auf seit: 07.07.2023 », ainsi que des autorités françaises pour « Vente à la sauvette, exercice non autorisé d’une profession dans un lieu public en vue d’une violation des dispositions règlementaires sur la Police de ce lieu le 26/04/2023. ».
Par courrier du 9 janvier 2025, notifié en mains propres à l’intéressé le même jour, Monsieur (A) fut convoqué à se présenter au ministère afin d’être entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III », rendez-vous auquel il ne se présenta pas.
En date du 6 février 2025, les autorités luxembourgeoises adressèrent aux autorités allemandes une demande de reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par ces dernières en date du 10 février 2025 sur base du même article.
Il ressort ensuite d’un rapport de la police grand-ducale, Commissariat …, référencé sous le numéro …, du 12 février 2025, que Monsieur (A) fut interpellé par les agents de la police à cette même date dans le cadre d’un vol à l’étalage dans un centre commercial, de même que d’un rapport de la police grand-ducale, Commissariat …, référencé sous le numéro …, du 15 février 2025, que le concerné fut interpellé par les agents de police dans le cadre d’un vol.
Par décision du 25 février 2025, notifiée à l’intéressé par affichage public le 26 février 2025 et ensuite en mains propres le 11 mars 2025, le ministre des Affaires intérieures, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur (A) du fait que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 9 janvier 2025 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après e le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l'Allemagne qui est l'État membre responsable pour traiter cette demande.
2Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains le rapport de Police Judiciaire du 9 janvier 2025 établi dans le cadre de votre demande de protection internationale.
1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 9 janvier 2025, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.
La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 9 juillet 2020, trois demandes aux Pays-Bas en date des 11 février 2021, 13 février 2021 et 19 septembre 2023 et une demande en Suisse en date du 21 novembre 2023.
Il ressort également de la base de données Eurodac que vous avez été transféré vers l'Allemagne dans le cadre d'une procédure Dublin III en date du 14 novembre 2023.
Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, vous avez été convoqué à un entretien Dublin III pour le 13 février 2025. Cet entretien n'a pas eu lieu, étant donné que vous ne vous êtes pas présenté au rendez-vous prévu.
Sur base du rapport de Police Judiciaire, une demande de reprise en charge sur base de l'article 18(1)d du règlement DIII a été adressée aux autorités allemandes en date du 6 février 2025, demande qui fut acceptée par lesdites autorités allemandes en date du 10 février 2025.
2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.
Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point d) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge — dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 — le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande 3a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.
Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).
3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, la comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 9 juillet 2020, trois demandes aux Pays-Bas en date des 11 février 2021, 13 février 2021 et 19 septembre 2023 et une demande en Suisse en date du 21 novembre 2023.
Il ressort également de la base de données Eurodac que vous avez été transféré vers l'Allemagne dans le cadre d'une procédure Dublin III en date du 14 novembre 2023.
Selon vos déclarations auprès du Service de Police judiciaire, vous auriez quitté votre pays d'origine en 2016 à bord d'une embarcation clandestine en direction de l'Espagne. Au fil des années, vous avez introduit plusieurs demandes de protection internationale en Allemagne et aux Pays-Bas, cependant chacune de vos demandes aurait été rejetée. En 2023, les autorités néerlandaises vous auraient transféré vers l'Allemagne dans le cadre d'une procédure Dublin.
Etant donné que vous n'auriez pas souhaité rester en Allemagne, vous auriez décidé de vous rendre en Suisse. Alors que vous y avez introduit une nouvelle demande de protection internationale, vous auriez décidé de quitter la Suisse afin de rejoindre votre copine en France où vous auriez séjourné à Marseille jusqu'à votre départ au Luxembourg. Vous seriez arrivé au Luxembourg en train, le 8 janvier 2025.
Lors de votre entretien auprès de la Police Judiciaire, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l'Allemagne qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Rappelons à cet égard que l'Allemagne est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).
Il y a également lieu de soulever que l'Allemagne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
4Soulignons en outre que l'Allemagne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.
Par conséquent, l'Allemagne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.
Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Allemagne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires allemandes.
Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que l'Allemagne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.
Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d'analyser les risques d'être soumis à des traitements inhumains au sens de l'article 3 CEDH dans votre pays d'origine, mais dans l'Etat de destination, en l'occurrence l'Allemagne. Vous ne faites valoir aucun indice que l'Allemagne ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l'article 13 CEDH ou que vous n'aviez ou n'auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions allemandes, notamment en vertu de l'article 46 de la directive « Procédure ».
Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Allemagne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.
torture.
Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou 5exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l'exécution du transfert vers l'Allemagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Allemagne, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Allemagne en informant les autorités allemandes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités allemandes n'ont pas été constatées. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 mars 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 25 février 2025.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal en l’espèce, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours et en fait, le demandeur réitère, en substance, les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée du 25 février 2025, tout en expliquant qu’eu égard aux conditions dans lesquelles il se serait trouvé en Allemagne où il n’aurait pas été donné suite à sa demande de protection internationale, il se serait rendu en Suisse pour ensuite venir au Luxembourg. Il donne, par ailleurs, à considérer qu’il ne se serait pas rendu à son entretien Dublin III, alors qu’il n’aurait pas eu connaissance du rendez-vous fixé à cette fin au ministère. Le demandeur précise encore qu’en date du 11 mars 2025, le ministre l’aurait placé au Centre de rétention pour une durée de trois mois.
En droit, le demandeur se prévaut d’abord d’une méconnaissance de son droit à une bonne administration prévu à l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, désignée ci-après par « la Charte », ainsi que des articles 4 et 5 du règlement Dublin III, suivant lesquels un entretien devrait être organisé avec le demandeur de protection internationale avant la prise d’une décision de transfert afin de permettre une détermination effective de l’Etat membre responsable, ce qui n’aurait pas été le cas en l’espèce, alors qu’il n’aurait pas reçu de convocation à son entretien Dublin III, respectivement qu’il n’aurait pas compris le contenu de la convocation du 9 janvier 2025 lui notifiée en mains propres le même 6jour l’invitant à se présenter au ministère le 13 février 2025 pour un entretien en vue de la détermination de l’Etat responsable de sa demande de protection internationale, alors qu’il ne maîtriserait pas la langue française et que sa langue maternelle serait l’arabe. Dans ce contexte, il donne à considérer que si certes la convocation en question comporterait une traduction en arabe, cette traduction figurerait sur une deuxième page qui ne comporterait pas de signature de sa part, de sorte qu’il incomberait d’abord à la partie étatique d’établir « de manière irréfutable » qu’il se serait effectivement vu notifier, à l’instar de la version française, la version arabe de la convocation également, le demandeur estimant encore qu’une simple présomption de notification serait insuffisante à cet égard. A défaut d’une telle preuve, il serait, à son avis, manifeste qu’il n’aurait pas pu saisir le contenu de la convocation litigieuse, raison qui justifierait qu’il ne se serait pas présenté à l’entretien fixé, le demandeur estimant qu’une incertitude relative à cette notification devrait du moins lui profiter pour établir que les garanties fondamentales des articles 4 et 5 du règlement Dublin III, ensemble son droit à une bonne administration prévue à l’article 41 de la Charte, n’auraient pas été respectées en l’espèce et que la décision déférée encourrait l’annulation de ces chefs.
Après avoir cité les articles 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, l’article 4 de la Charte, lequel correspondrait, d’après l’article 52, paragraphe (3) du même instrument, à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, désignée ci-après par « la CEDH », l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ainsi que des extraits de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, désigné ci-après par « la CourEDH », relative audit article 3 de la CEDH, le demandeur fait ensuite valoir qu’il risquerait, en cas de transfert en Allemagne, de subir des traitements inhumains et dégradants.
A cet égard, il donne à considérer que dans la pratique, les policiers allemands forceraient les personnes en situation irrégulière interceptées à donner leurs empreintes sans leur expliquer les conséquences, sinon sans interprète et à l’aide d’une gestuelle menaçante et « par bribes de mots à peine audibles », ce comportement s’inscrivant, d’après le demandeur, dans une situation de crise d’accueil des réfugiés en Allemagne. Il cite dans ce contexte un article publié sur le site internet de « Euronews » le 2 février 2024, intitulé « L’Allemagne restreint l’accueil des migrants : stratégie politique ou nécessité ? », duquel il ressortirait que les structures d’hébergement en Allemagne seraient saturées et que de nombreux réfugiés y vivraient dans des conditions indignes, situation qui aurait conduit le chancelier allemand à adopter une position plus stricte en matière d’immigration visant à intensifier les expulsions des personnes en situation irrégulière. Il ressortirait, par ailleurs, d’un article de presse publié sur le site internet de « Reuters » le 12 février 2025, intitulé « Germany extends temporary border controls, says Scholz », que l’Allemagne aurait prolongé sa mesure de contrôles aux frontières terrestres en février 2025, le demandeur précisant que cette mesure viserait notamment des demandeurs de protection internationale en provenance de pays voisins de l’Union européenne et aurait conduit à 47.000 rejets aux frontières allemandes, ce qui démontrerait la volonté de l’Etat allemand de ne pas accorder l’asile aux demandeurs de protection internationale. Il s’y ajouterait, tel qu’il ressortirait d’un article de presse publié sur le site internet de « The Guardian » le 29 janvier 2025, intitulé « « Un jour historique pour l’Allemagne », a déclaré Alice Weidel, cheffe de file de l’extrême droite de l’AfD, après l’adoption de la motion sur l’immigration. », qu’une motion soutenue par l’ « Alternative für Deutschland » appelant à un renforcement des règles d’immigration et d’asile aurait été adoptée par le parlement allemand en janvier 2025, ce qui renforcerait le constat d’un durcissement actuel de la politique d’immigration en Allemagne.
7Le demandeur ajoute que la discrimination raciale serait actuellement très marquée en Allemagne, tel qu’il ressortirait d’un rapport de l’organisation non-gouvernementale « Human Rights Watch » publié le 10 janvier 2019 au sujet de l’Allemagne, lequel ferait état d’une hausse des attaques racistes à l’encontre d’étrangers dans ledit pays, de même que d’une affaire d’un ressortissant tunisien qui aurait fait l’objet d’une expulsion vers son pays d’origine en dépit d’une ordonnance d’un tribunal bloquant son transfert en raison d’un risque de torture dans son chef, le demandeur ajoutant que cette hausse d’attaques à caractère raciste serait également constatée dans le rapport sur l’Allemagne de l’organisation non-gouvernementale « Amnesty International » publié pour l’année 2023. Un tel comportement à caractère raciste proviendrait, par ailleurs, de la part des agents policiers allemands également, tel qu’il résulterait d’un rapport publié par la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance le 17 mars 2020.
Le demandeur en conclut qu’en cas de transfert en Allemagne il serait exposé à une situation de vulnérabilité accrue et risquerait des traitements inhumains et dégradants, d’une part, par les autorités allemandes, lesquels ne respecteraient pas les normes minimales prévues par la CEDH et procéderaient à un profilage racial à l’encontre des demandeurs de protection internationale, notamment à l’égard de ressortissants de pays africains tels que lui-même, et, d’autre part, par la population allemande, alors qu’il risquerait d’y être tué lors d’une attaque d’extrême droite, de sorte qu’il risquerait d’être exposé à de graves violations de ses droits fondamentaux prévus aux articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH, respectivement à des traitements inhumains et dégradants et que la décision déférée encourrait la réformation pour une violation desdits articles.
Finalement, le demandeur reproche encore au ministre de ne pas avoir fait application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III pour se déclarer compétent pour connaître de sa demande de protection internationale. Tout en admettant que ledit article prévoirait un pouvoir discrétionnaire dans le chef du ministre, l’intéressé donne à considérer que l’Allemagne aurait, auparavant, déjà rejeté sa demande de protection internationale, ce qui laisserait présager, qu’en cas de transfert, sa demande y serait de nouveau rejetée. Tout en réitérant ses développements quant au risque dans son chef de subir des traitements inhumains et dégradants en cas de transfert en Allemagne, le demandeur conclut à la réformation de la décision déférée, alors que ce serait à tort que le ministre ne lui a pas appliqué ledit article 17, paragraphe (1).
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Analyse du tribunal A titre liminaire, il convient de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par les parties, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, l’examen de la légalité externe précédant celui de la légalité interne.
En ce qui concerne la légalité externe de la décision litigieuse, et plus particulièrement la prétendue violation des articles 4 et 5 du règlement Dublin III, ensemble l’article 41 de la Charte, le tribunal relève qu’aux termes dudit article 4 : « 1. Dès qu’une demande de protection internationale est introduite au sens de l’article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l’application du présent règlement, et 8notamment: […] c) de l’entretien individuel en vertu de l’article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations; […] 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu’il la comprend. […] », tandis que l’article 5 du règlement Dublin III prévoit que « 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l’État membre responsable, l’État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l’article 4. […] ».
L’article 41 de la Charte prévoit, quant à lui, que « 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l'Union. […] ».
Il échet tout d’abord de constater que le demandeur ne saurait utilement invoquer l’article 41 de la Charte, qui assure le droit à une bonne administration, étant donné que la Cour de justice de l’Union européenne, désignée ci-après par « la CJUE », a elle-même rappelé, dans un arrêt du 5 novembre 20141, que cette disposition s’adresse non pas aux Etats membres, mais uniquement aux institutions, aux organes et aux organismes de l’Union, de sorte que le moyen tendant à une violation dudit article est d’ores et déjà à rejeter pour ne pas être fondé En ce qui concerne ensuite le reproche du demandeur selon lequel la lettre de convocation à son entretien au ministère le 13 février 2025 ne lui aurait pas été notifiée dans une langue qu’il comprend, il échet de constater qu’il ressort du dossier administratif qu’en date du 9 janvier 2025 un courrier l’informant en langue française qu’il serait prié de se présenter au ministère en date du 13 février 2025, l’objet dudit courrier étant « […] application du Règlement n° 604/2013 (Dublin III) en vue de la détermination de l’Etat responsable de votre demande de protection internationale », lui a été notifié en mains propres, étant relevé que ledit courrier comporte également l’information française suivant laquelle « En cas d’absence non excusée à la date fixée ci-dessus, la Direction générale de l’Immigration pourra prendre une décision sur base des éléments figurant dans votre dossier ». Il échet, par ailleurs, de constater que, tel que relevé par le demandeur, seulement la première page dudit courrier, en langue française, a été signée par ce dernier, tandis que la deuxième page comportant une traduction arabe ne porte pas de signature de sa part.
Le tribunal constate, par ailleurs, que le demandeur a affirmé sur sa fiche manuscrite au moment de l’introduction de sa demande de protection internationale que sa langue maternelle serait l’arabe et qu’il a marqué « Non » au niveau de la case « autres langues parlées », de sorte que pour satisfaire aux exigences de l’article 4 du règlement Dublin III et plus particulièrement celle prévue au paragraphe (2) dudit article, l’information relative à son entretien Dublin III devrait en effet lui être notifiée en langue arabe afin d’assurer son information à cet égard conformément à l’article 4, paragraphe (1), point c) du règlement Dublin III.
S’il ne ressort d’ailleurs, tel que soutenu par le demandeur, pas du dossier administratif que la traduction arabe de la convocation litigieuse lui aurait été notifiée ensemble avec la version française de celle-ci, faute de comporter en deuxième page une signature établissant une telle notification au demandeur, le tribunal relève toutefois que les garanties procédurales 1 CJUE, 5 novembre 2014, Mukarubega, C-166/13, pt. 44.
9prévues aux articles 4 et 5 du règlement Dublin III ne constituent pas une fin en soi, mais ont pour finalité, dans le cadre de la détermination de l’Etat compétent de l’examen de sa demande de protection internationale, d’une part, de permettre aux autorités de l’Etat dans lequel une demande de protection internationale est déposée de « faciliter le processus de détermination de l’État membre responsable », tel que prévu à l’article 5 du règlement Dublin III, et d’autre part, au demandeur de protection internationale de faire valoir tout élément susceptible d’influencer ledit processus de détermination, de sorte qu’une décision de transfert dans le cadre du règlement Dublin III, prise en méconnaissance plus particulièrement des articles 4, paragraphes (1), point c) et (2), et 5 dudit règlement encourt l’annulation uniquement dans l’hypothèse dans laquelle le demandeur de protection internationale concerné établit que la méconnaissance desdits articles l’a effectivement empêché de faire valoir des éléments susceptibles d’influencer le processus de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale.
A cet égard, le tribunal constate que pour retenir l’Allemagne comme Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur, le ministre a pris en compte (i) le résultat de recherche dans la base de données EURODAC duquel il ressort que l’intéressé a introduit une demande de protection internationale en Allemagne le 9 juillet 2020 et qu’il a été transféré dans ce même Etat en date du 14 novembre 2023, ainsi que (ii) l’acceptation de reprise en charge des autorités allemandes sur base de l’article 18, paragraphe (1) point d) du règlement Dublin III par courrier du 10 février 2025.
Il échet ensuite de constater que le demandeur ne fait, dans le cadre de sa requête introductive d’instance, pas valoir un quelconque élément personnel susceptible d’influencer le processus de détermination de l’Etat membre responsable de sa demande, celui-ci se limitant à affirmer qu’il se serait présenté à l’entretien Dublin III s’il s’était vu notifier ladite convocation en langue arabe et ne mettant plus particulièrement pas en cause la responsabilité de principe de l’Etat allemand pour connaître de sa demande sur base de l’article 18, paragraphe 1), point d) du règlement Dublin III. Il en va de même de sa situation personnelle, alors qu’il reste en défaut d’apporter des éléments concrets et personnels que le ministre aurait été dans l’impossibilité de prendre en compte lors du processus de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale à défaut de l’avoir entendu dans le cadre d’un entretien à cet égard, étant relevé que les critiques généralisées du demandeur à l’encontre du système d’asile allemand et de la situation en général des demandeurs de protection international dans ledit pays, ne constituent, à défaut de tout élément relatif au vécu de l’intéressé dans ledit pays, pas d’éléments personnels et concrets qui auraient dû être portés à la connaissance du ministre par le biais d’un entretien personnel avec l’intéressé.
A défaut dès lors pour le demandeur de faire valoir un élément concret et personnel susceptible d’influencer le processus de détermination de l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale qu’il aurait été empêché de porter à la connaissance des autorités ministérielles faute de s’être vu notifier la convocation à son entretien Dublin III dans une langue qu’il comprend et faute ainsi de s’être présenté audit entretien, ses moyens tendant à l’annulation de la décision déférée du chef d’une violation des articles 4 et 5 du règlement Dublin III sont à rejeter pour ne pas être fondés.
En ce qui concerne ensuite la légalité interne de la décision litigieuse, il convient d’abord de rappeler qu’en vertu de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre 10est responsable de l’examen de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités allemandes pour reprendre en charge Monsieur (A), prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de: […] reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».
Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui où le demandeur a déposé une demande de protection internationale, laquelle a fait l’objet d’une décision de refus.
Le tribunal constate de prime abord qu’il est, tel que relevé ci-avant constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers l’Allemagne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, précités, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur (A) était l’Allemagne où il a déposé une demande de protection internationale le 9 juillet 2020 laquelle a été refusée et que les autorités allemandes ont accepté sa reprise en charge le 10 février 2025, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat membre comme étant responsable pour connaître de sa demande de protection internationale, respectivement des suites à y donner et de ne pas l’examiner.
Il y a ensuite lieu de rappeler que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de l’Allemagne, respectivement, l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois pour connaître de sa demande de protection internationale, mais soutient que son transfert en Allemagne violerait les articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, ainsi que les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
Il y a lieu de rappeler que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, corollaire de l’article 3 de la CEDH, et auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même 11règlement, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale en passant outre la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.
En ce qui concerne d’abord l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le tribunal relève que celui-ci prévoit que : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».
Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte - corollaire de l’article 3 de la CEDH - , une telle situation empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers cet Etat membre2.
A cet égard, le tribunal relève que l’Allemagne est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ou la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ci-après désignée par « la Convention contre la torture », ainsi que du principe de non-
refoulement prévu par la Convention relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, désignée ci-après par « la Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard3. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes dans l’intérêt tant des demandeurs d’asile que des Etats participants4.
2 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16 PPU, pt. 92.
3 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-
493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform, pt. 78.
4 Ibidem, pt. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.
12Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption -
réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées5.
Dans son arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile6, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.
Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise ou reprise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives7, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE8, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20179.
Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201910 que, pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine11. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant12.
5 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.
6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16 PPU, pt. 95.
7 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.jurad.etat.lu.
8 CJUE, grande chambre, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, pt. 62.
9 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16 PPU.
10 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt. 91.
11 Ibid., pt. 92.
12 Ibid., pt. 93.
13 En l’espèce, le demandeur remettant en question cette présomption du respect par l’Allemagne des droits fondamentaux, puisqu’il fait état de défaillances systémiques dans ce pays, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de retenir que la situation en Allemagne, telle que décrite par lui, atteint le degré de gravité tel que requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et par les principes dégagés ci-avant, étant, à cet égard, relevé que sa situation est celle d’un demandeur de protection internationale débouté, de sorte que c’est sur cette toile de fond que ses contestations sont examinées Or, force est de constater que pareilles défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité ne résultent pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal.
Il ressort, en effet, des développements du demandeur que ce dernier fonde l’existence de défaillances graves dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Allemagne entraînant pour lui un risque réel et avéré d’y subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte en substance, d’une part, sur l’existence, sur le territoire allemand, en général, et dans les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, en particulier, de discriminations raciales et de violences à l’égard des migrants contre lesquelles aucune protection ne serait accordée de la part des autorités allemandes, et, d’autre part, sur le durcissement duquel ferait l’objet la politique migratoire allemande, notamment sous forme de contrôles aux frontières renforcés, expulsions forcées et une saturation des structures d’hébergement.
Il échet à cet égard de rappeler que l’ensemble des critiques ainsi émises par le demandeur à l’égard de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Allemagne, constituent des critiques généralisées, sans que ce dernier ne fasse, ni dans le cadre de son audition auprès de la police grand-ducale le 9 janvier 2025, ni dans le cadre de sa requête introductive d’instance état de son vécu personnel en Allemagne.
En ce qui concerne, tout d’abord, les prétendues discriminations raciales sur le territoire allemand et plus particulièrement les violences et agressions physiques qui viseraient les centres d’accueil des personnes réfugiées dans ce pays, force est au tribunal de constater que le demandeur ne produit aucun élément probant qui permettrait d’appuyer son argumentation à cet égard, alors que s’il verse, certes, deux rapports de l’organisation non-gouvernementale « Human Rights Watch », respectivement de l’organisation non-gouvernementale « Amnesty International » au sujet de l’Allemagne de l’année 2019, respectivement de l’année 2023, desquels il ressort que les actes de violences à l’encontre de personnes non allemandes auraient augmenté, lesdits rapports, tout en renseignant le pourcentage d’augmentation de crimes de haine, de racisme et de xénophobie, restent muets sur le chiffre global desdites infractions en Allemagne. Il s’ensuit qu’il n’est pas établi que tout demandeur de protection internationale serait, indépendamment de sa situation personnelle et plus particulièrement ceux transférés dans le cadre du règlement Dublin III, systématiquement confrontés en Allemagne à une discrimination ou à des violences à cause de leur nationalité, ethnie ou religion, engendrant des traitements inhumains ou dégradants contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, étant encore relevé que le demandeur reste, par ailleurs, en défaut de mettre lesdits rapports en relation avec sa situation personnelle et plus particulièrement avec son vécu en Allemagne.
14Il en va de même des développements du demandeur relatifs à des pratiques de profilage racial et de comportement violent de la part des autorités policières allemandes. En effet, il ne ressort d’aucun élément versé en cause que les forces de l’ordre allemandes s’adonneraient de manière systématique à un comportement irrespectueux et violent à l’égard des demandeurs de protection internationale ou des immigrants de manière généralisée, notamment en procédant à des auditions sans la présence d’un interprète ou à l’aide d’une gestuelle menaçante, les affirmations y relatives du demandeur restant à l’état de pures allégations. Si, en ce qui concerne les développements de l’intéressé relatifs à une pratique de profilage racial de la part des policiers allemands, il ressort certes des rapports versés en cause qu’une telle pratique est présente au sein de la police allemande, il n’en ressort pas pour autant que cette pratique prendrait une ampleur telle que tout demandeur de protection internationale serait, indépendamment de sa situation personnelle et plus particulièrement ceux transférés dans le cadre du règlement Dublin III, systématiquement confrontés en Allemagne à de telles pratiques.
En ce qui concerne ensuite les critiques du demandeur à l’égard du système d’accueil des demandeurs de protection internationale en Allemagne, en ce que les structures d’accueil y seraient saturées et que les conditions de vie y seraient indignes, il échet de constater que s’il ressort certes des pièces versées en cause, et notamment des rapports et publications précités, que les autorités allemandes ont connu des problèmes quant à leurs capacités d’accueil des demandeurs de protection internationale, impliquant que ceux-ci risqueraient de se voir confrontés, suivant les situations, à des difficultés en termes d’hébergement, de conditions de vie et d’accès aux soins, il ne s’en dégage néanmoins pas que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Allemagne soient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets pour tout demandeur de protection internationale d’être systématiquement exposé à une situation de précarité et de dénuement matériel et psychologique au point que son transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte. Ainsi, lesdits rapports et publications ne permettent pas au tribunal de conclure à l’existence, en Allemagne, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, qui seraient de nature à empêcher tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays.
Il échet, en tout état de cause, de constater que le demandeur a été débouté de sa demande de protection internationale en Allemagne, cet Etat membre ayant accepté sa reprise en charge sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, précité.
En cas de transfert vers l’Allemagne, il devra, dans ces conditions, soit y être considéré comme un migrant en situation irrégulière, à défaut d’y introduire une nouvelle demande de protection internationale, et, partant en sa qualité de demandeur d’asile débouté comme sortant du champ d’application de la Convention de Genève, soit, dans l’hypothèse de l’introduction d’une nouvelle demande, comme demandeur ayant formulé une demande ultérieure au sens de la législation européenne, de sorte à pouvoir, théoriquement, se voir opposer la limitation, voire le retrait de l’accès aux conditions matérielles d’accueil.
En effet, la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte), ci-après dénommée « la directive Accueil » prévoit explicitement la faculté de « limiter les possibilités d’abus du système d’accueil en précisant les circonstances 15dans lesquelles le bénéfice des conditions matérielles d’accueil pour les demandeurs peut être limité ou retiré, tout en garantissant un niveau de vie digne à tous les demandeurs »13. L’article 20 de cette directive prévoit, pour sa part, explicitement la possibilité pour les Etats membres notamment de limiter, voire de retirer, le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, notamment lorsqu’un demandeur « a) abandonne le lieu de résidence fixé par l’autorité compétente sans en avoir informé ladite autorité ou, si une autorisation est nécessaire à cet effet, sans l’avoir obtenue » ou encore « c) a introduit une demande ultérieure telle que définie à l’article 2, point q), de la directive 2013/32/UE ».
De même, si le 11ème considérant du règlement Dublin III prévoit explicitement que la directive Accueil est applicable aux demandeurs d’asile soumis à une procédure Dublin, il admet également explicitement l’application des limitations figurant dans cette même directive.
Le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, y compris l’hébergement, ne constitue ainsi pas un droit absolu, de sorte que la limitation de ce bénéfice ne saurait per se constituer une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
En ce qui concerne les critiques du demandeur à l’égard d’un durcissement de la politique d’asile en Allemagne, le tribunal constate que s’il ressort certes des documents invoqués par le demandeur, tels qu’énumérés ci-avant, que les autorités allemandes connaissent certains problèmes quant à leur politique actuelle d’asile, dans la mesure où il y est fait référence à la situation de certains demandeurs de protection internationale qui n’ont pas eu accès à la procédure d’asile, mais qui ont fait l’objet de « pushbacks » à la frontière allemande, lesdites situations concernent des personnes ayant illégalement franchi la frontière allemande de pays voisins, ce qui n’est pas le cas du demandeur lequel fait l’objet d’une décision de transfert vers l’Allemagne sur base d’une acceptation explicite de reprise en charge des autorités allemandes du 10 février 2025. Il échet à cet égard de relever que la précision dans l’article de presse de « Reuters », prémentionné, suivant laquelle « The controls primarily target asylum seekers coming from neighbouring EU countries, who are subject to the EU’s Dublin rules that require asylum applications to be processed in the first EU country of arrival », n’établit, contrairement aux développements du demandeur, pas que des demandeurs de protection internationale transférés en application du règlement Dublin III vers l’Allemagne seraient contrôlés aux frontières et empêchés d’entrer dans ledit pays, les contrôles aux frontières visant, au contraire, les personnes souhaitant illégalement enter en Allemagne en méconnaissance des règles de compétence établies par le règlement Dublin III. Si, pour le surplus, il ressort des rapports versés en cause une volonté politique de mieux contrôler l’immigration en Allemagne, il n’en ressort pas pour autant que les autorités allemandes auraient adopté une législation en matière de protection internationale qui méconnaîtrait les droits des demandeurs de protection internationale, le demandeur restant plus particulièrement en défaut de préciser concrètement une législation allemande en la matière qui méconnaîtrait lesdits droits.
En ce qui concerne finalement la crainte du demandeur de faire l’objet d’un nouveau refus de sa demande de protection internationale, sinon d’être expulsé vers son pays d’origine, développements qui s’apparentent, de l’entendement du tribunal à un moyen relatif à une violation par le ministre du principe de non-refoulement prévu à l’article 33 de la Convention de Genève, il échet d’abord de rappeler que cet article s’applique à la situation d’expulsion ou 13 Considérant n° 25.
16de refoulement d’un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, situation dans laquelle le demandeur ne se trouve pas, alors que la décision de transfert prise à son encontre s’analyse en un transfert vers un autre Etat membre, bénéficiant, qui plus est, de la présomption du respect des droits fondamentaux, présomption qui n’est pas, tel que relevé ci-avant, renversée par le demandeur en l’espèce.
En tout état de cause, il échet de relever que le demandeur reste en défaut de prouver qu’il n’aurait pas eu la possibilité d’attaquer en justice la décision lui refusant la protection internationale en Allemagne, étant précisé que le fait de ne pas avoir saisi cette possibilité ne saurait aboutir à la conclusion qu’il y aurait des défaillances systémiques dans la procédure d’asile en Allemagne. Par ailleurs, le demandeur est, en tout état de cause, en défaut d’étayer concrètement l’existence d’un tel risque dans son chef du fait de ne pas fournir d’éléments probants - tels que des rapports internationaux relatifs à la situation particulière des demandeurs de protection internationale déboutés en Allemagne - susceptibles de démontrer qu’en cas de rejet définitif de sa demande de protection internationale par les autorités allemandes, l’Allemagne ne respecterait pas le principe du non-refoulement prévu par l’article 33 de la Convention de Genève et faillirait dès lors à ses obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie, son intégrité physique ou sa liberté seraient sérieusement en danger ou encore qu’il risquerait d’être forcé de se rendre dans un tel pays sans avoir pu faire valoir ses droits.
Ce constat n’est pas énervé par le rapport de l’organisation non gouvernementale « Human Rights Watch » de 2019, lequel, outre de ne pas être suffisamment précis en ce qui concerne « […] une série de cas où des demandeurs d’asile [aur]aient été renvoyés dans leurs pays d’origine alors que leurs dossiers étaient encore en instance […] », date d’il y a six ans et n’est ainsi, à défaut de tout autre élément récent en ce sens versé en cause par le demandeur, plus de nature à refléter la situation actuelle en Allemagne.
Partant, le tribunal se doit de conclure qu’il ne se dégage pas à suffisance des éléments soumis à son appréciation que le transfert d’un demandeur de protection internationale vers l’Allemagne serait contraire au principe de non-refoulement ancré dans l’article 33 de la Convention de Genève.
Il ne ressort, par ailleurs, d’aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal qu’à l’heure actuelle, l’Allemagne connaîtrait de manière générale des défaillances systémiques en ce sens que la procédure d’asile et les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale y seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure, d’emblée et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait un traitement prohibé par l’article 4 de la Charte, respectivement 3 de la CEDH.
17Il échet encore de relever que le demandeur n’invoque par ailleurs aucune jurisprudence de la CourEDH, relative à une suspension générale des transferts vers l’Allemagne, voire une demande en ce sens de l’UNHCR. Il ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers l’Allemagne dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile allemande qui exposerait les demandeurs de protection internationale à un traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
Il convient, par ailleurs, de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’accueil allemand était à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes compétentes. Il en va de même si le demandeur devait estimer que le système allemand n’était pas conforme aux normes européennes. Dans ce cas, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits sur base de la directive Accueil directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que le demandeur n’a pas rapporté la preuve de l’existence, en Allemagne, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraîneraient pour lui un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeurs de protection internationale vers ce pays.
Le moyen tiré d’une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III encourt dès lors le rejet.
Néanmoins, il convient encore de relever dans ce cadre que si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements de l’Union européenne, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable14.
Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte15, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat 14 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12, pt. 103 ; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.
15 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16 PPU, pts. 65 et 96.
18membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain ou dégradant16.
Il appartient dès lors au tribunal de vérifier s’il existe, dans le chef du demandeur, un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de gravité, l’examen de ce seuil minimal étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, telles que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, le sexe, l’âge et l’état de santé de l’intéressé17.
Or, tel que relevé ci-avant, le demandeur reste en défaut de démontrer qu’au cours de son séjour en Allemagne, ses conditions d’existence aient atteint un degré de gravité tel qu’elles puissent être qualifiées de traitement inhumain et dégradant. Il n’établit pas non plus qu’en cas de transfert, il serait personnellement exposé au risque que ses besoins existentiels minimaux ne soient pas satisfaits et ce, de manière durable, sans perspective d’amélioration, au point qu’il aurait fallu renoncer à son transfert, ou bien demander des garanties individuelles auprès des autorités allemandes avant de le transférer.
Partant, le tribunal est amené à retenir qu’il ne se dégage pas des éléments lui soumis que le demandeur se trouve dans une situation de vulnérabilité particulière s’opposant à son transfert vers l’Allemagne.
Au vu des considérations qui précèdent, il n’est pas non plus établi que compte tenu de sa situation personnelle, le demandeur serait exposé à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, en cas de transfert en Allemagne, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, dans ce pays, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III.
Il s’ensuit que l’argumentation du demandeur basée sur une violation par la décision ministérielle litigieuse des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, pris isolément, est à rejeter.
En ce qui concerne finalement le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […]. », il y a lieu de relever que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres18, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201719.
Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la 16 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, C-163/17, pt. 88.
17 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12, pt. 94 ; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09, pt. 219.
18 CJUE, grande chambre, 21 décembre 2011, N.S. e.a., affaires jointes C-411/10 et C-493/10, point 65.
19 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16 PPU, points 88 et 97.
19satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge20, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration21.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision ministérielle déférée par rapport aux articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, 4 de la Charte et 3 de la CEDH, que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées, y compris en ce qu’il est resté en défaut d’établir qu’il risquerait de subir des traitements inhumains ou dégradants en cas de transfert en Allemagne, et que c’est sur base de cette même argumentation que le demandeur semble estimer que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17 du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale du demandeur alors même que cet examen incombe aux autorités allemandes.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Au vu de l’issue du litige, il y a finalement lieu de rejeter la demande de Monsieur (A) de se voir octroyer une indemnité de procédure de 1.000 euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
déboute le demandeur de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 avril 2025 par :
Laura Urbany, premier juge, Felix Hennico, attaché de justice délégué, Izabela Golinska, attaché de justice délégué, 20 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 64 (3e volet) et les autres références y citées.
21 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en réformation, n°12 (2e volet) et les autres références y citées.
20 en présence du greffier Lejila Adrovic.
s. Lejila Adrovic s. Laura Urbany Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 avril 2025 Le greffier du tribunal administratif 21