Tribunal administratif N° 52575 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52575 5e chambre Inscrit le 24 mars 2025 Audience publique du 16 avril 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52575 du rôle et déposée le 24 mars 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Samira MABCHOUR, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Tunisie), de nationalité tunisienne, assigné à résidence à la maison retour sise à L-…, tendant, d’après le dispositif de la requête introductive d’instance auquel le tribunal est seul tenu, à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 7 mars 2025 de le transférer vers l’Allemagne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er avril 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Samuel BECHATA, en remplacement de Maître Samira MABCHOUR, et Monsieur le délégué du gouvernement Luca ESTGEN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.
Le 16 janvier 2025, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par la police grand-ducale, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à une recherche effectuée le même jour dans la base de données EURODAC, que l’intéressé avait introduit des demandes de protection internationale en Italie, en date du … août 2022, en Allemagne, en date du … avril 2023, ainsi qu’aux Pays-Bas, en date du … octobre 2024. Il s’avéra encore que le 27 juin 2024, l’intéressé avait été signalé dans le Système d’information Schengen (SIS) par l’Allemagne au motif suivant : « Ressortissant d’un pays tiers en vue d’une décision de retour ».
1 Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après le « règlement Dublin III », Monsieur (A) fut convoqué, par courrier du 16 janvier 2025, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, à un entretien auprès du ministère le 25 février 2025, entretien auquel il ne se présenta pas.
Le 25 février 2025, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues allemands en vue de la reprise en charge de l’intéressé sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par lesdites autorités en date du 27 février 2025 sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du même règlement.
Par arrêté du 7 mars 2025, notifié à l’intéressé en mains propres le jour même, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », ordonna l’assignation à résidence de Monsieur (A) à la maison retour pour une durée de trois mois à partir de la notification dudit arrêté.
Par décision du même jour, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre informa Monsieur (A) de sa décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers l’Allemagne sur le fondement des dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de celles de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 16 janvier 2025 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »).
En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Allemagne qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains le rapport de Police Judiciaire du 16 janvier 2025 établi dans le cadre de votre demande de protection internationale.
1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 16 janvier 2025, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.
La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Italie en date du 2 … août 2022, ainsi qu’une demande en Allemagne en date du … avril 2023 et une demande aux Pays-Bas en date du … octobre 2024.
Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, vous avez été convoqué à un entretien Dublin III qui était prévu pour le 25 février 2025. Cet entretien n’a pas eu lieu, étant donné que vous ne vous êtes pas présenté au rendez-vous prévu.
Sur base des informations à notre disposition, une demande de reprise en charge en vertu de l’article 18(1)b du règlement DIII a été adressée aux autorités allemandes en date du 25 février 2025, demande qui fut acceptée par lesdites autorités allemandes en date du 27 février 2025 en vertu de l’article 18(1)d.
2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.
Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point d) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge — dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 — le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.
Par ailleurs, un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).
3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que vous avez introduit une demande de protection internationale en Italie en date du … août 2022, ainsi qu’une demande en Allemagne en date du … avril 2023 et une demande aux Pays-Bas en date du … octobre 2024.
3 Selon vos déclarations auprès du Service de Police Judiciaire, vous auriez quitté votre pays d’origine en 2022 à bord d’une embarcation clandestine en direction de l’Italie. En Italie, vous avez introduit une demande de protection internationale, mais selon vos dires vous ne seriez pas resté étant donné que vous n’auriez pas reçu de soins médicaux adéquats. Vous seriez donc parti en Allemagne où vous avez introduit une demande de protection internationale. À la suite de problèmes personnels, vous auriez décidé de quitter l’Allemagne en direction des Pays-Bas où vous avez également introduit une demande de protection internationale. Vous déclarez qu’on aurait pris vos médicaments lors de votre séjour aux Pays-Bas et pour cela, vous auriez décidé de venir au Luxembourg.
Monsieur, vous indiquez auprès de la police judiciaire que vous souffrez de problèmes psychiques. Cependant vous n’avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Allemagne qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Rappelons à cet égard que l’Allemagne est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).
Il y a également lieu de soulever que l’Allemagne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Soulignons en outre que l’Allemagne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.
Par conséquent, l’Allemagne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.
Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Allemagne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
En l’occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires allemandes.
Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que l’Allemagne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.
4 Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d’analyser les risques d’être soumis à des traitements inhumains au sens de l’article 3 CEDH dans votre pays d’origine, mais dans l’Etat de destination, en l’occurrence l’Allemagne. Vous ne faites valoir aucun indice que l’Allemagne ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l’article 13 CEDH ou que vous n’aviez ou n’auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions allemandes, notamment en vertu de l’article 46 de la directive « Procédure ».
Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Allemagne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.
Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles, Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l’exécution du transfert vers l’Allemagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers l’Allemagne, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction générale de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers l’Allemagne en informant les autorités allemandes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités allemandes n’ont pas été constatées. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 mars 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant, d’après son dispositif auquel le tribunal est seul tenu, à la réformation de la décision ministérielle, précitée, du 7 mars 2025.
5 Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en l’espèce, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Prétentions des parties A l’appui de son recours et en fait, le demandeur réitère, en substance, les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée du 7 mars 2025, en expliquant qu’il aurait auparavant déposé plusieurs demandes de protection internationales en Italie, en Allemagne et aux Pays-Bas, alors qu’il serait à la recherche d’un système de soins lui permettant une prise en charge de la pathologie appelée névralgie du trijumeaux de laquelle il souffrirait et qui nécessiterait l’intervention de divers spécialistes en médecine. Il précise à cet égard qu’il serait allergique au « traitement de première intention » généralement prescrit pour cette maladie et que « les médecins » envisageraient dès lors une intervention chirurgicale par des neurochirurgiens spécialisés. Il se réfère, à cet égard, aux pièces médicales versées en cause, à savoir un compte-rendu de sortie des urgences du 20 février 2025 du docteur (D1), une ordonnance médicale du 21 février 2025 du docteur (D2) et une ordonnance médicale du 29 janvier 2025 du docteur (D3).
En droit, tout en soulignant qu’en cas de transfert vers l’Allemagne son état de santé risquerait, faute d’accès à des soins appropriés, de s’aggraver et de lui causer de fortes douleurs, le demandeur soulève une erreur manifeste d’appréciation du ministre au regard de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après la « CEDH », en ce qu’il n’aurait pas pris en compte le risque réel et sérieux de traitement inhumain et dégradant auquel il serait exposé à la suite de son transfert vers l’Allemagne. Il se réfère, dans ce contexte, à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par la « CourEDH », du 13 décembre 2016, rendu dans une affaire Paposhvili c. Belgique ainsi qu’à un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par la « CJUE », du 16 février 2017, rendu dans une affaire C.K.
e.a. c. Republika Slovenija pour faire valoir que la rupture d’une prise en charge médicale essentielle constituerait un traitement inhumain et dégradant.
Il explique, à cet égard, qu’il relèverait d’un protocole thérapeutique spécifique et bénéficierait d’un accès à des soins spécialisés au Luxembourg adaptés à sa pathologie complexe et soutient que son transfert vers l’Allemagne ne lui garantirait, sous le régime de l’ « Asylbewerberleistungsgesetz », en renvoyant à une brochure du « Flüchtlingsrat » intitulée « Les soins médicaux d’après la loi appelée « Asylbewerberleistungsgesetz » », pas un accès à une neurochirurgie fonctionnelle ni aux consultations spécialisées nécessaires à l’évaluation de sa pathologie, alors que ledit régime limiterait l’accès aux soins liés aux urgences vitales ou « aux douleurs aiguës » et que ce régime aurait été renforcé en 2024, laissant les demandeurs d’asile soumis à ce régime restrictif pendant une durée de trente-six mois avant de pouvoir accéder à la couverture de santé publique ordinaire allemande. L’intéressé précise encore, tout en se référant à l’arrêt de la CJUE du 16 février 2017, précité, que même en l’absence de défaillances systémiques dans le système d’asile allemand, son transfert vers l’Allemagne l’exposerait à des conditions de vie contraires à l’article 3 de la CEDH.
6 Toujours dans le cadre de son moyen tendant à la violation de l’article 3 de la CEDH, le demandeur estime encore que son transfert vers l’Allemagne serait contraire au principe de non-refoulement, dans la mesure où il aurait vécu en Allemagne dans des conditions de vie prohibées par l’article précité, de sorte qu’il courrait un risque réel d’être exposé de nouveau à l’absence d’un traitement médical approprié.
Par ailleurs, le demandeur soulève une erreur manifeste d’appréciation du ministre au regard de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III alors que son transfert vers l’Allemagne constituerait une mise en danger manifeste de sa santé physique et psychique, compromettant la stabilité de son état médical qui serait d’ores et déjà marqué par un risque suicidaire élevé. Il en conclut que son maintien sur le territoire luxembourgeois assurerait l’effectivité des droits fondamentaux consacrés par les articles 1er, 4 et 35 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dénommée ci-après la « Charte », et serait conforme aux principes de précaution, de prévention et de protections des personnes vulnérables.
Au vu de l’ensemble de ces considérations, la décision ministérielle déférée devrait encourir la réformation.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Appréciation du tribunal A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par le demandeur, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.
Le tribunal relève ensuite qu’en vertu de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de l’examen de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités allemandes pour reprendre en charge Monsieur (A), prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de […] reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».
7 Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui où le demandeur a déposé une demande de protection internationale, laquelle a fait l’objet d’une décision de refus.
Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers l’Allemagne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, précités, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur (A) était l’Allemagne où il a déposé une demande de protection internationale le 20 avril 2023, laquelle a été refusée le 17 mai 2024, et que les autorités allemandes ont accepté sa reprise en charge le 27 février 2025, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat membre comme étant responsable pour connaître de sa demande de protection internationale, respectivement des suites à y donner et de ne pas l’examiner.
Il y a ensuite lieu de constater que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de l’Allemagne, respectivement, l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois pour connaître de sa demande de protection internationale, mais soutient que son transfert en Allemagne violerait l’article 3 de la CEDH, le principe de non-refoulement ainsi que l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.
A cet égard, le tribunal précise que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, non invoqué en l’espèce, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1), précité, du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.
En l’espèce, le tribunal constate que le demandeur n’invoque pas l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III pour faire valoir l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Allemagne, mais se prévaut exclusivement des dispositions de l’article 3 de la CEDH et du principe de non-refoulement, d’une part, et de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, d’autre part.
En ce qui concerne le moyen tendant à la violation par la décision ministérielle litigieuse de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, le tribunal relève que l’Allemagne est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ou la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ci-après désignée par la « Convention contre la torture », ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par la « Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.
8 Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard1. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes dans tant l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants2.
Eu égard à la santé du demandeur, il échet de constater qu’aux termes de l’arrêt de la CJUE du 16 février 20173, l’article 4 de la Charte, et partant également l’article 3 de la CEDH, doit être interprété en ce sens que même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur de protection internationale dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert a pour conséquence un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de cet article4, étant précisé qu’il ressort de l’arrêt de la CJUE du 19 mars 20195, qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant6.
Néanmoins, il ne se dégage pas de cette jurisprudence que l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable pour l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur de protection internationale doit, en tout état de cause et préalablement à la prise d’une décision de transfert et par avis médical, s’assurer automatiquement que le transfert n’entraîne pas une détérioration significative et irrémédiable de l’état de santé de l’intéressé pour toute personne déclarant avoir un quelconque problème de santé.
En effet, dans l’arrêt en question, la CJUE a d’abord mis en évidence le fait, en ce qui concerne les conditions d’accueil et les soins disponibles dans l’Etat membre responsable du traitement de la demande de protection internationale, que les Etats membres liés par la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, ci-après désignée par la « directive Accueil », sont tenus, y compris dans le cadre de la procédure au titre du règlement Dublin III, conformément aux articles 17 à 19 de cette directive, de fournir aux 1 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform, pt.
78.
2 Ibidem, pt. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.ja.etat.lu.
3 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16.
4 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, points 65 et 96.
5 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland.
6 Ibidem, point 88.
9 demandeurs d’asile les soins médicaux et l’assistance médicale nécessaires comportant, au minimum, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves : « Dans ces conditions, et conformément à la confiance mutuelle que s’accordent les États membres, il existe une forte présomption que les traitements médicaux offerts aux demandeurs d’asile dans les États membres seront adéquats […] ». Elle a retenu ensuite que « […] dans des circonstances dans lesquelles le transfert d’un demandeur d’asile, présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave, entraînerait le risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens [de l’article 4 de la Charte]. En conséquence, dès lors qu’un demandeur d’asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l’article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l’État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments. Elles sont, au contraire, tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de la légalité d’une décision de transfert, dès lors que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-ci. […] »7.
Dans une telle situation, il appartiendra aux autorités concernées « […] d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur l’état de santé de l’intéressé, en prenant les précautions nécessaires pour que son transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de cette personne. Dans l’hypothèse où, compte tenu de la particulière gravité de l’affection du demandeur d’asile concerné, la prise desdites précautions ne suffirait pas à assurer que son transfert n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, il incombe aux autorités de l’État membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de l’intéressé, et ce aussi longtemps que son état ne le rend pas apte à un tel transfert […] » 8.
Cette jurisprudence vise dès lors l’hypothèse particulière suivant laquelle un demandeur de protection internationale produit des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, hypothèse dans laquelle les autorités de l’Etat membre procédant au transfert doivent prendre les précautions spécifiques afin de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de la personne concernée, telles que, par exemple, l’obtention, de la part de l’Etat membre responsable, de la confirmation que les soins indispensables seront disponibles à l’arrivée9.
La CJUE a encore relevé la coopération entre l’Etat membre devant procéder au transfert et l’Etat membre responsable afin d’assurer que le demandeur d’asile concerné reçoive des soins de santé pendant et à l’issue du transfert, l’Etat membre procédant au transfert devant s’assurer que le demandeur d’asile concerné bénéficie de soins dès son arrivée dans l’Etat membre responsable, les articles 31 et 32 du règlement Dublin III imposant, en effet, à l’Etat membre procédant au transfert de communiquer à l’Etat membre responsable les informations concernant l’état de santé du demandeur d’asile qui sont de nature à permettre à cet Etat 7 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, points 74 et 75.
8 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, point 96.
9 Ibidem, point 83.
10 membre de lui apporter les soins de santé urgents indispensables à la sauvegarde de ses intérêts essentiels.
Ainsi, ce n’est que dans l’hypothèse où la prise de précautions de la part de l’Etat membre procédant au transfert ne suffirait pas, compte tenu de la gravité particulière de l’affection du demandeur d’asile concerné, à assurer que le transfert de celui-ci n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, qu’il incomberait aux autorités de l’Etat membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de cette personne, et ce aussi longtemps que son état ne la rend pas apte à un tel transfert.
Il appartient dès lors au tribunal, compte tenu des développements du demandeur à cet égard, de vérifier si l’état de santé de celui-ci présente une gravité telle qu’il ne peut sérieusement être exclu que son transfert entraînerait pour lui un risque réel de traitements inhumains et dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte et de l’article 3 de la CEDH10.
En l’espèce, force est de constater que s’il ressort des pièces médicales versées en cause et plus particulièrement d’une ordonnance médicale du 29 janvier 2025 du docteur (D3) et d’un compte-rendu de sortie des urgences du 20 février 2025 du docteur (D1) que Monsieur (A) souffre d’une névralgie du trijumeau depuis 2022.
Force est par ailleurs de constater que par l’ordonnance médicale précitée du 29 janvier 2025, le docteur a demandé un examen et une thérapie plus approfondis, tout en constatant que (i) Monsieur (A) « a refusé de se faire traiter à la carbamazépine car celle-ci avait entrainé des complications pendant le traitement », (ii) que son traitement « nécessite des injections » mais que (iii) « Le neurologue lui a expliqué qu’au Luxembourg il n’existe pas d’injections pour ce problème ».
Il ne ressort toutefois pas des pièces médicales versées en cause établissant que le demandeur nécessiterait une intervention chirurgicale par des neurochirurgiens spécialisés au Luxembourg, tel qu’affirmé par ce dernier dans sa requête introductive d’instance.
Il ne ressort pas non plus des pièces versées au dossier que le demandeur n’avait pas d’accès à des soins spécifiques en Allemagne.
A cet égard, le tribunal relève que l’intéressé reste en défaut d’établir qu’il serait privé des soins adéquats en Allemagne en raison du régime restrictif de l’ « Asylbewerberleistungsgesetz » en se référant à une brochure du « Flüchtlingsrat » intitulée « Les soins médicaux d’après la loi appelée « Asylbewerberleistungsgesetz » », étant donné que, mise à part le constat que le concerné reste en défaut de spécifier les passages pertinents de cette brochure par rapport à sa situation particulière, cette brochure mentionne une panoplie de traitements disponibles et indique par ailleurs : « Si vous avez le sentiment de ne pas recevoir un traitement auquel vous pourriez avoir le droit, adressez-vous s’il vous plaît à un centre d’aide ou au Flüchtlingsrat ».
Ce constat est, d’ailleurs, conforté par le compte-rendu de sortie des urgences précité du 20 février 2025, lequel indique que Monsieur (A) a affirmé qu’il est suivi par un neurologue en Allemagne, ainsi que par l’ordonnance médicale précitée du 29 janvier 2025, indiquant que 10 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.
11 Monsieur (A) aurait affirmé ne pas souhaiter retourner en Allemagne pour des « raisons de personnel », affirmation qui ressort encore du rapport de police du 16 janvier 2025, l’intéressé y ayant indiqué « Nach einem Jahr und fünf Monaten verließ ich Deutschland aufgrund persönlicher Probleme, über die ich nicht sprechen möchte ».
Ce constat s’impose d’autant plus que le demandeur reste en défaut de verser une quelconque pièce, voire de soumettre un quelconque élément concret, susceptible de laisser conclure qu’il ne pourrait pas bénéficier en Allemagne des soins médicaux dont il pourrait, le cas échéant, avoir besoin, respectivement que ce même pays ne respecterait pas les obligations lui imposées à travers la CEDH, la Charte ou encore le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966 et entré en vigueur le 3 janvier 1976.
A défaut d’autres éléments soumis à l’appréciation du tribunal, le demandeur est resté en défaut d’établir que son transfert vers l’Allemagne pourrait avoir des conséquences significatives et irrémédiables sur son état de santé, respectivement que son état de santé s’opposerait à son transfert vers l’Allemagne.
Enfin, et même à admettre que le demandeur ne puisse pas accéder, en tant que demandeur de protection internationale débouté de sa demande, au système de santé allemand, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit internes, voire devant les instances européennes adéquates.
A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32 (1), premier alinéa une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin, il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers l’Allemagne par le biais de la communication aux autorités allemandes des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard.
Pour le surplus, il convient de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’asile allemand était à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates ; il en va de même si le demandeur devait estimer que le système allemand n’était pas conforme aux normes européennes ; dans ce cas, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits sur base de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, ainsi que de la directive Accueil directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates.
12 Partant, le tribunal est amené à retenir qu’il ne se dégage pas des éléments lui soumis que le demandeur se trouve dans une situation de vulnérabilité particulière s’opposant à son transfert vers l’Allemagne.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il n’est pas démontré qu’il existe un risque réel et avéré que le transfert du demandeur s’opère en violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte.
En ce qui concerne ensuite le moyen du demandeur tiré, dans ce contexte, d’une violation, par le ministre, du principe de non-refoulement prévu à l’article, non invoqué en l’espèce, 33 de la Convention de Genève, au motif que son transfert vers l’Allemagne constituerait un refoulement au sens de ladite disposition et contraire à l’article 3 de la CEDH, il y a tout d’abord lieu de préciser que suivant un arrêt de la CJUE du 30 novembre 202311, la juridiction de l’Etat membre requérant, saisie d’un recours contre une décision de transfert, ne peut examiner s’il existe un risque, dans l’Etat requis, d’une violation du principe de non-refoulement auquel le demandeur de protection internationale serait soumis à la suite de son transfert vers cet Etat, ou par suite de celui-ci, lorsque, tel que c’est le cas en l’espèce, cette juridiction ne constate pas l’existence, dans l’Etat requis, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’une protection internationale.
Des divergences d’opinion entre les autorités et les juridictions de l’Etat membre requérant, d’une part, et celles de l’Etat requis, d’autre part, en ce qui concerne l’interprétation des conditions matérielles de la protection internationale n’établissent pas l’existence de défaillances systémiques.
Par ailleurs, et en tout état de cause, le tribunal se doit de relever que la décision ministérielle déférée n’implique pas un retour vers le pays d’origine du demandeur mais désigne uniquement l’Etat responsable pour le traitement de sa demande de protection internationale, étant souligné que ledit Etat, en l’occurrence l’Allemagne, a reconnu être compétent pour reprendre le demandeur en charge.
A titre superfétatoire, pour autant que le demandeur, à travers son moyen de la violation du principe de non-refoulement, ait entendu faire état du risque d’être renvoyé arbitrairement dans son pays d’origine par les autorités allemandes, force est au tribunal de constater que le demandeur reste en défaut d’étayer concrètement l’existence, dans son chef, d’un tel risque. Il ne fournit plus particulièrement aucun élément de nature à démontrer que l’Allemagne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à son égard et faillirait dès lors à ses obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie, son intégrité physique ou sa liberté seraient sérieusement en danger ou encore qu’il risquerait d’être forcé de se rendre dans un tel pays.
Par ailleurs, il n’appert de toute façon pas que la mise en œuvre d’une décision définitive de refus de protection internationale et de renvoi vers le pays d’origine constituerait en soi une violation du principe de non-refoulement, le règlement Dublin III visant, tel que relevé ci-dessus, précisément à lutter contre les demandes d’asile multiples (« asylum shopping ») en retenant le principe de l’examen de la demande par un seul Etat membre (« one chance only », le règlement Dublin III cherchant, en effet, à pallier aux mouvements secondaires des demandeurs d’asile qui souhaitent, pour différentes raisons, notamment au vu d’une jurisprudence nationale plus favorable, faire leur demande dans l’Etat de leur choix.
11 CJUE, 30 novembre 2023, affaires jointes C-228/21, C-254/21, C-297/21, C-315/21 et C-328/21.
13 A cela s’ajoute qu’il ne se dégage pas des éléments produits par le demandeur que si les autorités allemandes devaient néanmoins décider de le rapatrier en violation de l’article 3 de la CEDH, respectivement de l’article 33 de la Convention de Genève, alors même que dans son pays d’origine, il serait exposé à un risque concret et grave pour sa vie et son intégrité physique, il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates12. Par ailleurs, même si toutes les voies de recours devaient être épuisées, il serait possible au demandeur de saisir la CourEDH pour lui demander, sur base de l’article 39 de son règlement intérieur, de demander aux autorités allemandes de surseoir à l’exécution du rapatriement jusqu’à l’issue de la procédure devant cet organe.
Au vu des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que compte tenu de sa situation personnelle, le demandeur serait exposé, en cas de transfert vers l’Allemagne à un risque réel de subir des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH respectivement de faire l’objet d’un refoulement. Ainsi, l’argumentation afférente est à rejeter dans son ensemble.
En ce qui concerne finalement le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […]. », il y a lieu de relever que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres13, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201714.
Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge15, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration16.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision ministérielle déférée par rapport à l’article 3 de la CEDH, que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées, y compris en ce qu’il est resté en défaut d’établir qu’il risquerait des traitements inhumains ou dégradants en cas de transfert en Allemagne, plus particulièrement au regard de son état de santé, et que c’est sur base de cette même argumentation que le demandeur semble estimer que le ministre aurait dû appliquer la clause 12 Voir article 26 de la directive Accueil.
13 CJUE, grande chambre, 21 décembre 2011, N.S. e.a., affaires jointes C-411/10 et C-493/10, point 65.
14 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16 PPU, points 88 et 97.
15 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 64 (3e volet) et les autres références y citées.
16 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en réformation, n°12 (2e volet) et les autres références y citées.
14 discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale du demandeur alors même que cet examen incombe aux autorités allemandes.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 avril 2025 par :
Laura Urbany, premier juge, Felix Hennico, attaché de justice délégué, Izabela Golinska, attaché de justice délégué, en présence du greffier Lejila Adrovic.
s. Lejila Adrovic s. Laura Urbany Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 avril 2025 Le greffier du tribunal administratif 15