La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/04/2025 | LUXEMBOURG | N°52616

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 avril 2025, 52616


Tribunal administratif Numéro 52616 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52616 5e chambre Inscrit le 1er avril 2025 Audience publique du 9 avril 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52616 du rôle et déposée le 1er avril 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Sanae IGRI, avocat Ã

  la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieu...

Tribunal administratif Numéro 52616 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52616 5e chambre Inscrit le 1er avril 2025 Audience publique du 9 avril 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52616 du rôle et déposée le 1er avril 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Maroc) et être de nationalité marocaine, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 12 mars 2025 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de ladite décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 avril 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marina LIFA, en remplacement de Maître Sanae IGRI, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

___________________________________________________________________________

Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, région Capitale, commissariat Luxembourg C3R portant le numéro de référence … dit « Fremdennotiz », du 22 décembre 2024, qu’en date de ce même jour, Monsieur (A) fut interpellé à la suite d’un incident ayant eu lieu à la gare centrale de Luxembourg et qu’il ne fut, à cette occasion, pas en mesure de présenter des documents d’identité ou de voyage valables.

Par arrêté du 23 décembre 2024, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », déclara irrégulier le séjour de Monsieur (A) sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter le territoire sans délai et prononça une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans à son encontre.

Par un arrêté ministériel séparé du même jour, également notifié à l’intéressé à la même date, le ministre ordonna le placement de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question.

En date du 24 décembre 2024, une recherche initiée dans la base de données EURODAC pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application du 2 1règlement (UE) N° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après dénommé « le règlement Dublin III », révéla que Monsieur (A) avait déposé des demandes de protection internationale en Bulgarie en date du 12 février 2024 et en Slovénie en date du 8 mars 2024.

Le 2 janvier 2025, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités bulgares en vue de la reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée en date du 6 janvier 2025 par lesdites autorités sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du même règlement.

Par arrêté du 10 janvier 2025, notifié à l’intéressé en mains propres le 13 janvier 2025, le ministre rapporta la décision de retour du 23 décembre 2024 prise à l’égard de Monsieur (A), tout en décidant de transférer l’intéressé vers la Bulgarie.

Par arrêté séparé du 10 janvier 2025, notifié à l’intéressé en mains propres le 13 janvier 2025, le ministre ordonna la mainlevée du placement en rétention de Monsieur (A) décidé en date du 23 décembre 2024, tout en ordonnant, dans la même décision et dans l’attente de l’exécution de son transfert, le placement en rétention de ce dernier pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question. Ledit arrêté est fondé sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 100, 120 à 123 et 125, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport n° … du 23 décembre 2024 établi par la Police Grand-Ducale, Région Capitale - Commissariat Luxembourg ;

Vu l’accord de reprise en charge des autorités bulgares du 6 janvier 2025 sur base de de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

Vu ma décision de transfert du 10 janvier 2025 ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans la chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue du transfert de l’intéressé vont être engagées ;

Considérant que l’exécution de la mesure de son transfert est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Le recours contentieux introduit à l’encontre de l’arrêté ministériel, précité, du 10 janvier 2025 fut déclaré non fondé par jugement du tribunal administratif du 27 janvier 2025, inscrit sous le numéro 52252 du rôle.

2Par arrêté du 11 février 2025, notifié à l’intéressé en mains propres le 13 février 2025, le ministre prorogea le placement en rétention de Monsieur (A) pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question.

Le recours contentieux introduit à l’encontre de l’arrêté ministériel du 11 février 2025, prémentionné, fut déclaré non fondé par jugement du tribunal administratif du 25 février 2025, inscrit sous le numéro 52396 du rôle.

Par arrêté du 12 mars 2025, notifié à l’intéressé le 13 mars 2025, le ministre prorogea le placement en rétention de Monsieur (A) pour une durée supplémentaire d’un mois à partir de la notification de la décision en question. Ledit arrêté est fondé sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 100 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mes arrêtés des 10 janvier 2025 et 11 février 2025, notifiés le 13 janvier 2025 et 13 février 2025, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;

Vu l’accord de reprise en charge des autorités bulgares du 6 janvier 2025 sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement (UE) n° 604/2011 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

Vu ma décision de transfert du 10 janvier 2025, notifiée le 14 janvier 2025 ;

Considérant que le transfert vers la Bulgarie prévu en date du 4 mars 2025 n’a pas pu être réalisé en raison des motifs évoqués dans le rapport de la Police Grand-Ducale - Unité de garde et d’appui opérationnel du 4 mars 2025 ;

Considérant que les démarches en vue de la réorganisation du transfert vers la Bulgarie ont été engagées ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 10 janvier 2025 subsistent dans le chef de l’intéressé ;

Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure du transfert ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er avril 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 12 mars 2025, ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification dudit arrêté.

1) Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

32) Quant au fond Arguments et moyens des parties A l’appui de son recours, après avoir repris, en substance, les faits et rétroactes tels qu’exposés ci-dessus, le demandeur fait plaider que la légalité d’une mesure de rétention administrative devrait s’inscrire dans un contexte permettant d’établir l’existence d’un risque non négligeable de fuite, apprécié à la lumière de la situation individuelle de l’étranger, ainsi que du caractère proportionné d’un placement en rétention basé sur ce premier critère et de l’inexistence de mesures adéquates moins coercitives.

Tout en citant l’article 120, paragraphes (1) et (3) de la loi du 29 août 2008, le demandeur fait relever que le recours au placement de l’étranger au Centre de rétention devrait être écarté lorsqu’il n’existerait aucun risque de fuite dans le chef de celui-ci, du fait notamment de l’existence de garanties de représentation, soumise à l’appréciation souveraine du juge.

Le demandeur soutient encore que le placement en rétention devrait rester une mesure exceptionnelle en raison de l’entrave à sa liberté d’aller et de venir qui serait garantie par la Constitution et par l’article 5, paragraphe (1) de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après par « la CEDH ». A cet égard, il se réfère à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », du 6 novembre 1980, dans une affaire Guzzardi c. Italie, et précise qu’un placement en rétention devrait rester une ultima ratio. A ce titre, il fait encore valoir que le ministre serait resté en défaut d’envisager d’autres solutions « plus adaptées et moins dommageables en termes de privation de liberté ».

Après avoir cité l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, il donne à considérer que le placement en structure fermée d’un étranger qui présenterait des garanties de représentation propres à limiter sinon à exclure tout risque de fuite dans son chef serait à considérer comme illégal, tel que cela ressortirait de l’article 15 paragraphes (2) et (4) de la directive 2008/115/CE du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après désignée par « la directive 2008/115 », selon lequel le ressortissant concerné d’un pays tiers devrait être immédiatement remis en liberté si sa rétention n’est pas légale, article qui serait suffisamment clair et inconditionnel, de sorte qu’il devrait, faute de transposition suffisante en droit luxembourgeois, être d’application directe.

Le demandeur souligne dans ce contexte qu’il n’existerait aucun risque de fuite dans son chef. Il affirme qu’il aurait démontré sa volonté de coopérer avec les autorités luxembourgeoises, qu’il aurait déposé une demande de protection internationale en Italie et qu’il aurait fait preuve d’un comportement irréprochable au Centre de rétention. Il explique qu’il serait une personne responsable et particulièrement respectueuse.

Il se réfère à un jugement du tribunal administratif du 19 février 2009, inscrit sous le numéro 25374 du rôle, qui aurait souligné l’importance de vérifier, par rapport à la situation d’un étranger, si une structure particulière répond aux critères posés par le principe de proportionnalité en tenant compte de l’opportunité du principe de l’enfermement et du type de structure fermée retenu par le ministre, pour conclure que son assignation à résidence à la 4maison retour serait plus adapté à sa situation personnelle, ce qui constituerait ainsi une garantie de représentation suffisante dans son chef.

En se prévalant d’un arrêt de la CourEDH du 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique, il soutient ensuite qu’il serait maintenu dans des conditions inhumaines et dégradantes qui compromettaient gravement sa santé physique et mentale en violation des articles 2 et 3 de la CEDH. Il fait à cet égard valoir qu’il aurait été victime de violences physiques qui lui auraient été infligées par le personnel du Centre de rétention, tel que cela se dégagerait de courriers adressés par son litismandataire au Consulat Général du Royaume du Maroc à Liège en date du 6 mars 2025 et au Centre de rétention en date du 12 mars 2025. Il met en avant que cet incident aurait eu des conséquences sérieuses sur son état de santé alors que plusieurs de ses dents auraient été cassées, sa clavicule endommagée tout en se plaignant de douleurs persistantes à la main le laissant craindre la présence d’une fracture. Il conclut à une violation manifeste de ses droits à la sécurité et à l’intégrité physique, ainsi qu’à une atteinte directe à sa dignité humaine en violation de l’article 3, paragraphe (1) de la loi du 28 mai 2009 portant création et organisation du Centre de rétention, ci-après désignée par « la loi du 28 mai 2009 ».

Dans ce contexte, il fait encore valoir que malgré ses demandes répétées d’examen médical et de soins appropriés, il n’aurait reçu aucun suivi médical adéquat, tout en insistant sur le fait qu’en dépit des blessures visibles et des douleurs persistantes qu’il ressentirait, sa demande de radiographie aurait été rejetée par le médecin du Centre de rétention. Or, le refus de lui fournir les soins médicaux requis constituerait une violation de l’article 9, paragraphe (2) de la loi du 28 mai 2009.

Il estime que les courriers des 12 et 14 mars 2025 reflèteraient « une négation systématique » de la part du directeur du Centre de rétention concernant les événements rapportés par lui et un refus de reconnaître toute responsabilité du personnel du Centre de rétention en ignorant les reproches soulevés par lui. Cette « attitude de dénégation » illustrerait le manque flagrant de considération pour les droits et la sécurité des retenus et démontrerait un manquement préoccupant au principe de transparence.

Le demandeur donne ensuite à considérer qu’il aurait été placé en isolement pendant le mois de Ramadan, ce qui aurait directement impacté sa liberté religieuse consacrée par l’article 9 de la CEDH, de même que sa santé alors qu’il n’aurait pas pu prendre ses repas aux horaires appropriés, soit avant l’aube et après le coucher du soleil. Il met en avant qu’un courrier de son litismandataire aurait été adressé au Centre de rétention le 5 mars 2025 afin de solliciter auprès de celui-ci l’adoption d’une approche plus flexible durant cette période afin de lui permettre de prendre ses repas à des horaires adaptés.

Au vu de ces considérations, il estime que la prorogation de son placement au Centre de rétention constituerait une violation grave de ses droits fondamentaux, notamment de son droit à la dignité, à la sécurité et à l’intégrité physique et psychique, alors qu’il se retrouverait dans une situation de vulnérabilité extrême qui résulterait des conditions de sa rétention.

Il en conclut que son placement au Centre de rétention ne respecterait pas l’équilibre entre les objectifs d’une rétention et la protection de ses droits fondamentaux, de sorte que son placement au sein de la maison retour, sinon dans tout établissement hospitalier approprié devrait être envisagé. Tout en se prévalant d’un jugement du tribunal administratif du 6 mai 2024, inscrit sous le numéro 50351 du rôle, il fait valoir que son placement dans un foyer, respectivement à la maison retour constituerait une garantie de représentation suffisante, étant 5entendu que seule une garantie de représentation serait exigée afin de s’assurer que l’étranger ne se soustrait pas à la mesure d’éloignement.

Il donne à considérer qu’en droit commun, le juge aurait « une certaine habitude de formules permettant à un justiciable d’indiquer qu’il sera présent à une audience sans qu’il soit nécessaire de recourir à son emprisonnement jusque-là » et que « [l]e risque de volatilité p[ourrai]t être contré à partir du moment où la personne n’a pas enfreint ses obligations et vit dans un cadre qui permet de rendre compte de sa présence. ».

Le demandeur s’appuie encore sur les jurisprudences de la Cour de Cassation française en vertu desquelles « la loi n’exige[rait] pas que l’étranger qui sollicite le bénéfice d’une assignation à résidence invoque des circonstances à caractère exceptionnel de nature à justifier cette mesure » et « l’absence de domicile ne constitue[rait] pas une raison suffisante pour refuser une assignation à résidence ».

En se référant à l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 et à la jurisprudence de la CourEDH relativement à l’article 5 de la CEDH en matière de rétention administrative, ainsi qu’à un jugement du tribunal administratif du 21 novembre 2024, inscrit sous le numéro 51824 du rôle, le demandeur soutient finalement que les perspectives de son éloignement seraient vouées à l’échec alors qu’à ce jour aucune date n’aurait été arrêtée par les autorités luxembourgeoises en vue de son transfert vers la Bulgarie. Dans ce même contexte, il reproche encore au ministre de ne pas avoir accompli les démarches nécessaires à son éloignement avec la diligence requise, dans la mesure où les autorités compétentes ne poursuivraient pas activement, de manière continue et non-interrompue, leurs efforts en vue de son éloignement et ne l’auraient pas fait bénéficier de mesures moins coercitives prévues à l’article 125 de la loi du 29 août 2008.

Au vu de l’ensemble de ces considérations, le demandeur conclut à la réformation de la décision litigieuse et à sa mise en liberté immédiate.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Appréciation du tribunal En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

Aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être 6reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de la rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

S’agissant d’abord des contestations du demandeur quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, il convient de constater qu’en l’espèce, à l’instar de ce qui a été retenu dans le cadre des jugements prémentionnés des 27 janvier et 25 février 2025, il est constant en cause que le demandeur est en séjour irrégulier au Luxembourg, alors qu’il ne possède ni un passeport en cours de validité, ni a fortiori un visa en cours de validité, ni une autorisation de voyage en cours de validité.

Il s’ensuit qu’il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne 7remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle d’être en possession d’un passeport en cours de validité et d’un visa en cours de validité ou d’une autorisation de voyage en cours de validité, telle que prévue au paragraphe (2), point 1. de la disposition légale en question.

Il aurait, par conséquent, appartenu à Monsieur (A) de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser la présomption de risque de fuite dans son chef, en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite, ce qu’il reste, toutefois, toujours en défaut de faire.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement.

S’agissant ensuite de l’argumentation du demandeur selon laquelle le ministre aurait dû lui appliquer une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention, et notamment une assignation à résidence au sein de la maison retour ou dans un foyer, le tribunal relève, à cet égard, que l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un 8 émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne. La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est 8restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes1.

En l’espèce, le tribunal constate que le demandeur ne lui a, tel que retenu ci-avant, toujours pas soumis d’éléments de nature à renverser la présomption du risque de fuite qui existe dans son chef. En effet, il est constant en cause que Monsieur (A) ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré ni d’attaches au Luxembourg et qu’il n’a présenté aucun autre élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes, au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes, et notamment celle visée au point b) dudit article, s’impose.

C’est, dès lors, à juste titre que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, en ce compris l’assignation à résidence, ne sont pas envisageables en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur encourent le rejet.

Cette conclusion n’est pas énervée par les développements du demandeur tendant à son assignation à résidence dans une structure d’hébergement d’urgence, telle que la maison retour, alors qu’une telle structure ne saurait être considérée comme domicile stable, ni comme fournissant à elle seule une garantie de représentation suffisante, de sorte qu’une telle mesure n’est pas concevable.

Il en est de même en ce qui concerne l’affirmation du demandeur selon laquelle il aurait coopéré avec les autorités luxembourgeoises et selon laquelle son comportement au Centre de rétention serait irréprochable, respectivement qu’il se considérerait comme une personne responsable et respectueuse, un tel comportement n’étant, en effet, pas per se de nature à laisser conclure à une garantie de représentation suffisante et à renverser la présomption de risque de fuite dans le chef du requérant. A cet égard, le tribunal constate qu’il se dégage, au contraire, des éléments du dossier administratif et plus particulièrement de comptes-rendus d’incidents établis par des agents du Centre de rétention, qu’au cours de sa rétention, Monsieur (A) a adopté à plusieurs reprises un comportement condamnable, alors qu’il ressort notamment d’un compte-rendu d’incident établi le 1er avril 2025, que le demandeur avait été surpris dans sa 1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 972 et les autres références y citées.

9cellule en train de fumer du cannabis ensemble avec un autre retenu, incident à la suite duquel il a été placé en isolement. Il se dégage par ailleurs d’un compte-rendu établi le 1er mars 2025, de même que d’un transmis de la police grand-ducale, Unité de garde et d’appui opérationnel - Service de garde et de protection, ci-après désignée par l’« UGAO », du 4 mars 2025, que Monsieur (A) avait tenté de s’évader du Centre de rétention le weekend du 1er et 2 mars 2025, qu’il avait proféré des insultes et des menaces envers les agents du Centre de rétention et qu’il avait vandalisé sa cellule, de sorte que les affirmations quant au comportement prétendument irréprochable du demandeur sont de toute façon à rejeter pour être contredites par les éléments contenus dans le dossier administratif.

La conclusion faite ci-avant suivant laquelle les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, en ce compris l’assignation à résidence, ne sont pas envisageables en l’espèce s’impose encore quant à l’invocation par le demandeur de jurisprudences de la Cour de cassation française alors que, d’une part, des décisions de justice étrangères ne s’imposent pas au tribunal administratif et, d’autre part, le demandeur reste en défaut d’expliquer dans quelle mesure lesdites jurisprudences seraient pertinentes par rapport à sa situation personnelle.

Il s’ensuit que le moyen afférent tiré du caractère prétendument disproportionné de la mesure de placement litigieuse, respectivement d’une application erronée des dispositions légales applicables, encourt le rejet pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne ensuite les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, le tribunal relève tout d’abord qu’il n’est saisi que de la décision ministérielle du 12 mars 2025 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention en vue de son transfert vers la Bulgarie mais non point de la décision de transfert ou d’éloignement se trouvant à sa base, de sorte que les considérations du demandeur selon lesquelles il aurait déposé une demande de protection internationale en Italie sont d’ores et déjà à écarter pour défaut de pertinence.

En ce qui concerne le transfert du demandeur vers la Bulgarie, il convient d’abord de rappeler que dans ses jugements, prémentionnés, des 27 janvier et 25 février 2025, le tribunal a retenu que les démarches accomplies par les autorités luxembourgeoises jusqu’à cette date, devraient être considérées comme suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008.

Ces décisions de justice ayant autorité de chose jugée, l’analyse du tribunal se limitera aux démarches accomplies à la suite du jugement du 25 février 2025. A cet égard, il échet de constater qu’il ressort du dossier administratif et plus précisément d’un transmis de l’UAGO du 4 mars 2025 adressé du ministère que le transfert de Monsieur (A) prévu pour le même jour avait été annulé suite à une tentative d’évasion de l’intéressé, ledit courrier précisant encore que le transfert de Monsieur (A) ne pourrait plus avoir lieu sans escortes. Le même jour, par courrier électronique envoyé via la plateforme Dublinet, les autorités luxembourgeoises ont informé les autorités bulgares de l’annulation du transfert prévu pour le même jour. Le 6 mars 2025, un nouveau plan de vol a été établi, fixant la date prévisionnelle du transfert vers la Bulgarie au 13 mars 2025. Le même jour, un nouveau plan de vol a été établi, fixant la date prévisionnelle du transfert vers la Bulgarie au 24 mars 2025. Toujours le 6 mars 2025, un plan de vol modifié a été établi fixant toujours la date prévisionnelle du transfert vers la Bulgarie au 24 mars 2025. Par courrier électronique envoyé via la plateforme Dublinet le 10 mars 2025, les autorités luxembourgeoises ont communiqué aux autorités bulgares la date prévue pour le 10transfert du demandeur, à savoir le 24 mars 2025. Le 13 mars 2025, un nouveau plan de vol a été établi, fixant la date prévisionnelle du transfert vers la Bulgarie au 25 mars 2025. Le 14 mars 2025, par courrier électronique envoyé via la plateforme Dublinet, les autorités luxembourgeoises ont communiqué aux autorités bulgares la date de transfert prévue. Il ressort d’un courrier électronique du 14 mars 2025 émis par l’UGAO que le transfert prévu pour le 25 mars 2025 a dû être annulé parce ce que le transit n’avait pas été accordé. Le 17 mars 2025, par courrier électronique envoyé via la plateforme Dublinet, les autorités luxembourgeoises ont informé les autorités bulgares de l’annulation de ladite date de transfert. Le 31 mars 2025, un nouveau plan de vol a été établi, fixant la date prévisionnelle du transfert vers la Bulgarie au 22 avril 2025. Par courrier électronique envoyé via la plateforme Dublinet le 1er avril 2025, les autorités luxembourgeoises ont communiqué aux autorités bulgares la date de transfert prévue.

Compte tenu de ces considérations et dans la mesure où il ne se dégage pas du dossier administratif que l’éloignement de l’intéressé ne puisse pas être mené à bien dans les plus brefs délais, mais que, bien au contraire, un vol avec escale à Amsterdam et destination finale à Sofia est prévu pour le 22 avril 2025, le maintien en rétention n’encourt aucune critique.

Dans ces conditions, le tribunal est amené à retenir qu’en l’état actuel du dossier et au vu des éléments soumis à son appréciation, le dispositif d’éloignement du concerné est toujours en cours et poursuivi avec la diligence nécessaire au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, de sorte que les contestations afférentes sont à rejeter.

En ce qui concerne encore l’invocation par le demandeur d’une atteinte au droit à sa liberté de mouvement, consacrée notamment par l’article 5 de la CEDH, il y a lieu de relever qu’aux termes de cette disposition : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : […] f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] ».

Il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe (1), point f), précité, de la CEDH, que celui-ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays2.

Dans un arrêt du 15 décembre 20163 , la CourEDH a encore retenu que : « […] L’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir.

Cependant, une privation de liberté fondée sur le second membre de phrase de cette disposition ne peut se justifier que par le fait qu’une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

Si celle-ci n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de l’article 5 § 1 f) […] ».

En l’espèce, étant donné que le demandeur a fait l’objet d’une demande de reprise en charge de la part des autorités luxembourgeoises aux autorités bulgares en application de 2 Trib. adm. 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 826, 1er volet, et les autres références y citées.

3 CourEDH, 15 décembre 2016, grande chambre, Affaire Khlaifia et autres c. Italie, requête n° 16483/12, § 90.

11l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande acceptée par les autorités bulgares le 6 janvier 2025 sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du même règlement, et que le demandeur fait l’objet, comme il vient d’être retenu ci-avant, d’une procédure de transfert vers la Bulgarie menée avec la diligence requise, la décision déférée n’est pas contraire à l’article 5 de la CEDH, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.

Au vu des développements faits ci-avant, le tribunal conclut que les contestations du demandeur quant à la légalité, à la nécessité, au caractère justifié et à la proportionnalité de la mesure de prorogation du placement en rétention sont à rejeter dans leur ensemble.

Quant à la référence faite par le demandeur à l’article 15, paragraphes (2) et (4) de la directive 2008/1154 , il y a lieu de relever, d’une part, qu’il vient d’être retenu ci-avant que la mesure de prorogation du placement en rétention est légale - le tribunal ayant, plus particulièrement, retenu qu’une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention n’est pas envisageable, que le demandeur n’a pas renversé la présomption d’un risque de fuite dans son chef et que le dispositif d’éloignement est en cours et est exécuté avec toute la diligence requise - et, d’autre part, que le demandeur n’a ni allégué ni a fortiori prouvé qu’il n’existerait en l’espèce pas de perspective raisonnable d’éloignement. Dans ces circonstances, une remise en liberté, telle que prévue aux paragraphes (2) et (4) de l’article 15 de la directive 2008/115 ne se conçoit en tout état de cause pas, indépendamment de la question de l’effet direct de ces derniers.

En ce qui concerne ensuite l’argumentation du demandeur ayant trait à une violation alléguée de l’article 2 de la CEDH, aux termes duquel « 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

2. La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire:

a. pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale;

b. pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue;

4 Article 15 de la directive 2008/115: « 1. À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque: a) il existe un risque de fuite, ou b) le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. 2. La rétention est ordonnée par les autorités administratives ou judiciaires. La rétention est ordonnée par écrit, en indiquant les motifs de fait et de droit. Si la rétention a été ordonnée par des autorités administratives, les États membres: a) soit prévoient qu’un contrôle juridictionnel accéléré de la légalité de la rétention doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du début de la rétention, b) soit accordent au ressortissant concerné d’un pays tiers le droit d’engager une procédure par laquelle la légalité de la rétention fait l’objet d’un contrôle juridictionnel accéléré qui doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du lancement de la procédure en question. Dans ce cas, les États membres informent immédiatement le ressortissant concerné d’un pays tiers de la possibilité d’engager cette procédure.

Le ressortissant concerné d’un pays tiers est immédiatement remis en liberté si la rétention n’est pas légale. […] 4. Lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres ou que les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté. […] ».

12c. pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. », respectivement de l’article 3 de la CEDH, aux termes duquel « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. », force est au tribunal de constater que les critiques formulées par le demandeur concernant les conditions de vie inhumaines et dégradantes auxquelles il serait confronté dans le Centre de rétention respectivement à l’égard du personnel de cette structure qui lui aurait infligé des violences physiques, ne sont sous-tendues par aucun élément probant, de sorte à rester à l’état de pures allégations. En effet, le fait que le litismandataire du demandeur ait adressé deux courriers au Consulat Général du Royaume du Maroc à Liège en date du 6 mars 2025 ainsi qu’au Centre de rétention en date du 12 mars 2025 dans le cadre desquels il fait état d’un incident qui se serait déroulé avec le personnel de sécurité du Centre de rétention lors duquel Monsieur (A) aurait reçu des coups, ce qui aurait eu pour conséquence que les dents de celui-ci seraient cassées, sa clavicule endommagée et qu’il se plaindrait de douleurs persistantes à la main le laissant craindre la présence d’une fracture, ne permet en tout état de cause pas de retenir, à défaut de preuves concrètes et face aux contestations quant à la réalité de ces faits tant de la part du personnel du Centre de rétention que de la partie étatique, que les droits fondamentaux du demandeur et plus particulièrement ceux ayant trait au respect et à la protection de sa vie, de sa dignité ou de son intégrité physique et psychique auraient été violés lors de sa rétention, le demandeur ne fournissant en effet aucun élément permettant de démontrer ni les circonstances de survenance de ces prétendues blessures, ni même leur existence. Il se dégage, au contraire, du courrier du 14 mars 2025 adressé par le directeur du Centre de rétention au litismandataire du demandeur que « […] la dentition du sieur (A) était déjà dans un état plus que douteux lors de son admission et que les dents qui lui font prétendument défaut maintenant lui manquaient déjà alors. Il est pareillement patent que le concerné ne souffre d’aucune fracture puisqu’il est suivi régulièrement par les services médicaux et qu’il voit l’infirmière régulièrement […] ».

De surcroît, ledit courrier mentionne encore que le demandeur n’a jamais fait état d’une quelconque violence qu’il aurait subie par le personnel du Centre de rétention, ni auprès de son assistant social, ni auprès de la direction du Centre de rétention, ni auprès des services médicaux. Or, à défaut d’éléments probants, les allégations du demandeur relatives à des prétendus traitements inhumains et dégradants qu’il aurait subis au Centre de rétention en violation des articles 2 et 3 de la CEDH, et de l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 28 mai 2009 sont à rejeter.

En ce qui concerne ensuite l’affirmation du demandeur selon laquelle il se serait vu refuser l’accès à un suivi médical adéquat, il convient de relever que l’article 9, paragraphe (1) de la loi du 28 mai 2009 dispose que : « (1) Dans les 24 heures suivant leur admission au Centre, les retenus sont examinés par un médecin.

Tout au long de leur séjour au Centre, les retenus ont droit aux soins médicaux requis dans l’intérêt de leur santé et au traitement indispensable de leurs maladies.

Les retenus profitent de la gratuité des soins. Les soins dentaires sont toutefois limités aux soins urgents et indispensables. ».

5 Article 3, paragraphe (1) de la loi du 28 mai 2009 : (1) Les personnes placées dans le Centre, ci-après dénommées «les retenus», ont droit au respect et à la protection de leur dignité, de leur intégrité physique et psychique et de leurs convictions religieuses et philosophiques.

(2) L’exercice des droits des retenus ne peut être restreint que dans la stricte limite des exigences tenant à la vie collective dans le Centre ou nécessaires pour assurer le bon fonctionnement du Centre. Les mesures de restriction doivent être rationnellement justifiées, adéquates et proportionnées au but poursuivi. ».

13 En vertu de l’article 12 du règlement du 17 août 2011 fixant les conditions et les modalités pratiques du régime de rétention du Centre de rétention, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 17 août 2011 », : « Le retenu est examiné et soigné par le médecin mandaté par le membre du Gouvernement ayant l’immigration dans ses attributions, ci-après dénommé le ministre.

L’initiative d’une consultation médicale est prise par le retenu ou par un responsable du Centre.

Le directeur peut inviter le service médical du Centre à soumettre un retenu à un contrôle médical, dans l’intérêt de celui-ci, des autres retenus ou des agents du Centre.

Le médecin appelé par le Centre décide du traitement à réserver au retenu. Si la nécessité en est constatée par le médecin traitant, le directeur fait transférer le retenu dans un établissement hospitalier.

Sur demande du médecin traitant, les médicaments prescrits ne sont pas conservés par le retenu concerné, mais distribués par le service médical du Centre conformément à l’ordonnance établie par le médecin traitant. » Il se dégage des dispositions qui précèdent que les personnes retenues ont droit, pendant la durée de leur rétention, aux soins médicaux requis dans l’intérêt de leur santé et aux traitements indispensables en cas de maladie. Or, si le demandeur affirme qu’il n’aurait reçu aucun traitement médical adéquat au Centre de rétention, le tribunal se doit de relever qu’il se dégage d’un compte-rendu d’incident du 1er mars 2025 que seules certaines égratignures ont pu être constatées par le personnel du Centre de rétention et par un ambulancier à la main de Monsieur (A) suite à la tentative d’évasion, étant rappelé, tel que relevé ci-avant, qu’il ressort du courrier du directeur du Centre de rétention du 14 mars 2025 adressé au litismandataire du demandeur que l’intéressé ne souffre d’aucune fracture et qu’il est suivi quotidiennement par les services médicaux et notamment par une infirmière. Par ailleurs, il se dégage d’un compte-

rendu d’incident du 2 mars 2025 que l’intéressé avait été emmené à l’hôpital en raison de maux d’estomac qu’il aurait eu après avoir prétendument avalé un objet métallique et des morceaux de béton et qu’en date du 3 mars 2025, une radiographie de l’abdomen a été réalisée, radiographie ayant, suivant un rapport médical du docteur …, conclu qu’aucun corps étranger ne serait visible dans l’abdomen du demandeur. Au vu de ce qui précède, les allégations non autrement étayées du demandeur suivant lesquelles il n’aurait pas accès à des soins médicaux sont rejetées.

En ce qui concerne encore le reproche selon lequel le médecin aurait refusé à Monsieur (A) sa demande de radiographie de sa main, il convient de constater que le directeur du Centre de rétention a affirmé dans son courrier, prémentionné, du 14 mars 2025 qu’il aurait transmis la demande en ce sens au service médical pour attribution, étant relevé que si l’initiative d’une consultation peut être prise par le retenu lui-même, seul le médecin appelé par le Centre de rétention décide du traitement à réserver au retenu. Dès lors, aucun reproche ne peut être adressé au directeur du Centre de rétention dans ce contexte.

Le moyen tiré d’une prétendue violation de l’article 9 de loi du 28 mai 2009 est partant également à rejeter.

14En ce qui concerne enfin le moyen relatif à une prétendue violation de la liberté religieuse du demandeur, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 9 de la CEDH relative à la liberté de pensée, de conscience et de religion : « 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ».

Force est dès lors de constater que si toute personne a droit à la liberté de religion et à la liberté de manifester cette religion individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites, ce droit peut toutefois faire l’objet de restrictions légales lorsque celles-ci constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

A cet égard, il convient de constater que le Centre de rétention a mis en place certaines dérogations au déroulement quotidien habituel en unité afin de faciliter le jeûne aux personnes qui souhaitent faire le Ramadan. Il ressort ainsi du document intitulé « Ramadan 2025 », signé par le demandeur en date du 25 février 2025, que le Centre de rétention a mis en place certaines dispositions afin de faciliter la pratique de leurs convictions religieuses auxdites personnes, y compris la possibilité d’acheter certains produits alimentaires au greffe du Centre de rétention et d’emmener des repas halals en chambre pour les manger après le coucher du soleil. Il résulte encore dudit document que les chambres desdites personnes seront ouvertes avant le « Fajr » et qu’après le « Fajr » celles-ci sont tenues de retourner en chambre afin de respecter le repos nocturne. Il se dégage enfin du même document que, par sa signature, le demandeur s’est engagé à avoir un comportement exemplaire pendant le mois du Ramadan et que tout écart de conduite comme le non-respect des consignes, des insultes, des menaces, des agressions physiques ou verbales et généralement tout acte contraire à la loi régissant le Centre de rétention, entraîne d’office une annulation des dispositions énoncées ci-avant.

Or, tel que cela a été relevé ci-avant, il se dégage d’un compte-rendu d’incident du 1er mars 2025, de même que d’un courrier de l’UGAO du 4 mars 2025 et d’un courrier du directeur du Centre de rétention adressé au Consulat général du Royaume de Maroc le 14 mars 2025, que le demandeur avait tenté de s’évader du Centre de rétention le weekend du 1er et 2 mars 2025 et qu’il avait insulté et menacé le personnel du Centre de rétention et vandalisé sa cellule, de sorte qu’il ne saurait être reproché au personnel du Centre de rétention d’avoir retiré au demandeur le bénéfice des dispositions prémentionnés et de l’avoir placé en chambre à aménagements réduits suite à cet incident, étant à cet égard relevé que suivant l’article 2 de la loi du 28 mai 2009, « [l]es retenus circulent librement dans l’enceinte de l’unité du Centre dans laquelle ils séjournent, sauf les restrictions à établir par le directeur du Centre.

(2) Le directeur peut ordonner la rétention isolée, soit pour assurer la protection du retenu, du personnel du Centre ou celle des tiers, soit à titre de sanction disciplinaire. ».

15 Au vu du comportement manifestement répréhensible qu’a adopté le demandeur lors de sa rétention, aucune ingérence injustifiée et disproportionnée au droit à sa vie privée, respectivement à sa liberté de religion ne peut être retenue en l’espèce.

Il s’ensuit que les développements relatifs à une prétendue violation de l’article 9 de la CEDH sont, à leur tour, à rejeter pour ne pas être fondés.

Eu égard aux développements qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait, en l’état actuel du dossier, utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Au vu de l’issue du litige, il y a finalement lieu de rejeter la demande de Monsieur (A) de se voir octroyer une indemnité de procédure de 1.000 euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure de 1.000 euros, telle que formulée par le demandeur ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

Alexandra Bochet, vice-président, Caroline Weyland, premier juge, Nicolas Griehser Schwerzstein, juge, et prononcé à l’audience publique du 9 avril 2025 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Bochet Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 avril 2025 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 52616
Date de la décision : 09/04/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 24/05/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-04-09;52616 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award