Tribunal administratif N° 52586 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52586 3e chambre Inscrit le 26 mars 2025 Audience publique du 1er avril 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52586 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mars 2025 par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Nigéria) et être de nationalité nigériane, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 20 mars 2025 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 mars 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yannick GENOT en sa plaidoirie à l’audience publique de ce jour, Maître Eric SAYS s’étant excusé.
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Il ressort de deux rapports journaliers du Centre pénitentiaire d’Uerschterhaff, que Monsieur (A) y fut placé en détention préventive du chef d’infractions à la législation relative aux stupéfiants du 18 au 21 février 2025.
Par arrêté du 21 février 2025, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », constata le séjour irrégulier de Monsieur (A) sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, en l’occurrence le Nigéria ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner et lui interdit l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans.
Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre ordonna encore le placement de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :
1« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Considérant que l’intéressé se trouvait en détention préventive au Centre pénitentiaire depuis le 18 février 2025 ;
Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;
Considérant que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».
Il ressort d’une recherche effectuée par le Centre de Coopération Policière et Douanière en date du 24 février 2025 que Monsieur (A) n’est connu ni en Allemagne, ni en Belgique et qu’une attestation de demande d’asile, valable jusqu’au 20 août 2021, lui avait été délivrée par les autorités françaises.
Par courrier électronique du 21 février 2025, l’agent ministériel en charge du dossier de Monsieur (A) s’adressa à la police grand-ducale afin d’obtenir les empreintes digitales du concerné, demande à laquelle il a été donné suite le 25 février 2025.
Une recherche effectuée dans la base de données EURODAC en date du 25 février 2025 révéla que Monsieur (A) avait introduit une demande de protection internationale en Autriche le 16 janvier 2016, ainsi qu’une demande de protection internationale en France en date du 20 juillet 2021.
Le 27 février 2025, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues français une demande d’informations fondée sur l’article 34 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Par arrêté ministériel du 20 mars 2025, notifié à l’intéressé le 21 mars 2025, ladite mesure de placement en rétention fut prorogée pour une durée d’un mois à partir de sa notification.
Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :
« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mon arrêté du 21 février 2025, notifié le même jour, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement;
2Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 21 février 2025 subsistent dans le chef de l'intéressé ;
Considérant que les démarches en vue de l'éloignement ont été engagées ;
Considérant que toutes les diligences en vue de l'identification de l'intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;
Considérant qu'Il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure de l'éloignement ; […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mars 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 20 mars 2025.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Moyens des parties A l’appui de son recours et quant à la légalité externe de la décision déférée, le demandeur se rapporte à prudence de justice quant à la compétence du ministre pour prendre l’arrêté litigieux.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision déférée, et après avoir cité l’article 120, paragraphes (1) et (3) de la loi du 29 août 2008, le demandeur conteste que les démarches requises pour exécuter son éloignement dans les meilleurs délais auraient été entamées par le ministre.
Il donne à cet égard à considérer qu’il se trouverait placé en rétention depuis le 21 février 2025 et que depuis lors, aucun « rapatriement par quelque moyen de transport » ne lui aurait été proposé et ce en dépit de sa volonté de retourner en France par ses propres moyens, pays dans lequel il affirme être demandeur de protection internationale.
Il en conclut qu’il n’existerait aucune chance raisonnable pour que son éloignement puisse être mené à bien.
Le demandeur conteste, par ailleurs, qu’il existerait, dans son chef, un risque de fuite ou qu’il empêcherait la préparation de son retour ou de l’exécution de la procédure d’éloignement.
Il estime finalement que ni le manque de démarches nécessaires des autorités, ni l’absence de vols ne sauraient justifier un placement en rétention.
Le demandeur est partant d’avis que son maintien au Centre de rétention ne serait pas justifié.
3Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Appréciation du tribunal C’est de prime abord à tort que le demandeur conteste, par le fait de s’être rapporté à prudence de justice, la compétence du ministre ayant pris la décision déférée, étant donné qu’en vertu de l’article 3, point g) de la loi du 29 août 2008, le ministre visé dans les dispositions de cette loi est le membre du gouvernement ayant l’immigration dans ses attributions, soit, conformément à l’annexe B du règlement interne du gouvernement tel qu’approuvé par arrêté grand-ducal du 27 novembre 2023 portant approbation et publication du règlement interne du Gouvernement, le ministre des Affaires intérieures.
Le moyen de légalité externe afférent est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation 4irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien » S’agissant d’abord des contestations de Monsieur (A) quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, le tribunal constate qu’il est constant en cause que le demandeur, qui a fait l’objet d’une décision de retour en date du 21 février 2025 se trouve en situation de séjour irrégulier au Luxembourg.
Etant donné qu’à cette même date, il a encore fait l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans, il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.
Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1) précité de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement, le demandeur n’ayant soumis aucun élément pertinent de nature à renverser la présomption de risque de fuite qui subsiste dans son chef.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation du demandeur suivant laquelle il souhaiterait retourner volontairement et par ses propres moyens en France, cette argumentation étant, au contraire, de nature à renforcer le risque de se soustraire à la mesure d’éloignement et partant le risque de fuite dans le chef du concerné.
Quant à l’argumentation du demandeur selon laquelle il n’empêcherait pas la préparation de son retour ou de l’exécution de la procédure d’éloignement, le tribunal retient que la mesure litigieuse n’est pas expressément motivée par une telle considération, de sorte que l’argumentation en question est à rejeter pour défaut de pertinence.
En ce qui concerne finalement les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, il ressort des 5développements faits ci-avant qu’en date du 24 février 2025, le Centre de coopération policière et douanière avait été saisi d’une demande de recherche concernant le demandeur, suite à laquelle il s’est avéré que ce dernier n’était connu ni des autorités allemandes, ni des autorités belges et qu’il avait bénéficié d’une attestation de demande d’asile, valable jusqu’au 20 août 2021, laquelle lui avait été délivrée par les autorités françaises. Il en ressort, par ailleurs, qu’une recherche effectuée dans la base de données EURODAC en date du 25 février 2025, avait révélé que l’intéressé avait introduit des demandes de protection internationale en Autriche le 16 janvier 2016, ainsi qu’en France en date du 20 juillet 2021, et qu’en date du 27 février 2025, les autorités luxembourgeoises ont adressé une demande d’information sur base de l’article 34 du règlement Dublin III à leurs homologues français, afin de se voir transmettre « […] toutes informations disponibles sur [le demandeur] notamment sur :
1. l’identité déclarée, 2. les membres de famille connus ainsi que leur lieu de séjour 3. les documents remis en France 4. la prise de décision et la suite donnée à sa demande 5. [sa] situation administrative actuelle […] » en France.
Force est ensuite de constater qu’il ressort du dossier administratif que par courrier électronique du 27 mars 2025, les autorités luxembourgeoises ont adressé un rappel concernant cette demande d’information à leurs homologues français.
Dans ces conditions, le tribunal retient que les démarches engagées par les autorités luxembourgeoises ainsi dépeintes doivent être considérées, à l’heure actuelle, comme étant suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, de sorte que c’est à tort que le demandeur, d’une part, reproche un manque de diligences aux autorités luxembourgeoises, et, d’autre part, estime en substance qu’il n’y aurait pas de chance raisonnable de croire que son éloignement puisse être mené à bien, étant précisé qu’il ne s’agit que de la première prorogation du placement de Monsieur (A).
Eu égard aux développements qui précèdent, en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
6Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er avril 2025 par :
Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s.Judith Tagliaferri s.Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1er avril 2025 Le greffier du tribunal administratif 7