Tribunal administratif N° 49802 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49802 3e chambre Inscrit le 14 décembre 2023 Audience publique du 1er avril 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49802 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 décembre 2023 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Tunisie), de nationalité tunisienne, demeurant actuellement à L-…, tendant, d’après le dispositif de la requête introductive d’instance, auquel le tribunal est seul tenu, à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 novembre 2023 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de la décision portant ordre de quitter le territoire contenue dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 février 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Elena FROLOVA, en remplacement de Maître Michel KARP, et Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 février 2025.
Le 30 mai 2022, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
En date des 3 juin 2022 et 8 juin 2023, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 15 novembre 2023, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée en date du 16 novembre 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le 1ministre », rejeta la demande de protection internationale de Monsieur (A), tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :
« […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 30 mai 2022 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant à vos motifs de fuite En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 30 mai 2022, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes sur les motifs sous-
tendant votre demande de protection internationale du 3 juin 2022, le rapport d'entretien complémentaire du 8 juin 2023 ainsi que le document versé à l'appui de votre demande.
Vous déclarez être de nationalité tunisienne, d'ethnie Arabe, célibataire et originaire de…, qui se situe dans le … et où vous auriez vécu avec votre famille. Vous auriez quitté la Tunisie avec votre petit-ami, le dénommé (B) en raison de votre orientation sexuelle. En effet, vous seriez en couple avec ce dernier, vous aimeriez vous marier et vous ne pourriez pas vivre votre relation dans votre pays d'origine, raison pour laquelle vous auriez tous les deux introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.
Vous affirmez avoir pris conscience de votre homosexualité à l'âge de quinze ans. Vous seriez aujourd'hui en couple avec Monsieur (B), lequel vous auriez connu « à une occasion » (p.3 de votre rapport d'entretien), plus précisément depuis que « J'avais 18 ans […] en 2018, 2019» (p.4 de votre rapport d'entretien). Nonobstant, lors de votre entretien complémentaire, vous précisez qu'« On s'est connu chez notre grand-mère pendant l'Aïd […] En 2017» (p.2 de votre rapport d'entretien complémentaire), tout en confirmant qu'il s'agirait de votre cousin.
Vous expliquez qu'« On sortait ensemble, on ne pouvait pas le montrer devant les gens, mais on marchait ensemble normalement. C'est tout. On vivait librement » (p.4 de votre rapport d'entretien).
Vous précisez que l'homosexualité serait interdite par la loi en Tunisie car « c'est interdit dans un pays musulman » (p.4 de votre rapport d'entretien). En cas de retour dans votre pays d'origine, vous expliquez également que si votre famille l'apprenait, elle vous tuerait. Vous ajoutez que votre famille ne serait pas au courant mais qu'« ils nous soupçonnaient moi et (B) » (p.3 de votre rapport d'entretien complémentaire).
A l'appui de votre demande de protection internationale, vous ne présentez aucune pièce d'identité en précisant auprès du Service de la Police Judiciaire que vous auriez « perdu » tous vos documents en Tunisie avant de déclarer lors de l'entretien sur les motifs sous-tendant votre demande que votre carte d'identité serait « restée en Serbie avec mon passeport » (p.2 de votre rapport d'entretien). Nonobstant, suite à l'entretien complémentaire du 8 juin 2023, vous avez transmis une photo de votre passeport tunisien.
22. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.
• Quant à la crédibilité de votre récit Monsieur, il sied de porter à votre attention que la sincérité de vos propos est réfutée au vu du caractère incohérent, contradictoire et mensonger de vos dires et du fait que vous n'êtes pas en mesure de prouver vos affirmations par des preuves objectives ou concrètes.
Il y a lieu de rappeler qu'il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits, craintes et persécutions par lui alléguées, sur base d'un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre l'administration en mesure de saisir l'intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l'analyse d'une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d'évaluation fondamental dans l'appréciation du bien-fondé d'une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.
En effet, il échet de constater que vous n'êtes pas en mesure de prouver ne serait-ce qu'une infime partie de vos dires. En effet, depuis votre séjour au Luxembourg en 2021, vous n'avez pas jugé utile de verser une pièce quelconque susceptible de prouver vos dires en lien avec vos prétendues craintes concernant un retour en Tunisie, votre prétendue homosexualité et vos relations homosexuelles passées, votre situation familiale ou vos problèmes familiaux, votre situation personnelle, respectivement, concernant votre vécu en Tunisie. Vous n'avez d'ailleurs même pas jugé utile de verser une pièce quelconque permettant de vous identifier, tout en précisant que vos documents d'identités seraient restés en Serbie.
Eu égard à ce qui précède, il est donc impossible de se faire une idée de la réalité de votre passé ainsi que d'établir votre identité de sorte votre récit est d'ores et déjà remis en cause.
Force est également de constater que vos motifs de fuite doivent être réfutés alors que vos réponses sont totalement incohérentes et mensongères, incompatibles avec ceux d'une personne réellement persécutée ou à risque d'être persécutée et qui serait en besoin réel d'une protection.
Il convient en premier lieu de relever un bon nombre d'incohérences et de contradictions concernant vos dires au sujet de vos documents d'identité. En effet, il n'est déjà pas clair si vous auriez perdu vos documents en Turquie ou si vous les avez laissés en Serbie, étant donné que vos propos changent entre votre entretien du 30 mai 2022 auprès le Service de la Police Judiciaire et votre entretien du 3 juin 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.
3D'ailleurs, lorsque l'agent en charge de l'entretien vous confronte à cette contradiction, vous niez complètement les faits en répondant que « Non ! Je n'ai jamais dit ça ! Ils sont en Serbie » (p.2 de votre rapport d'entretien).
A cet égard, il est important de noter que votre prétendu petit-ami, (B), présente une contradiction similaire lors de ses entretiens alors qu'il prétend tout d'abord, lors de son entretien auprès du Service de la Police Judiciaire, avoir perdu ses documents d'identité en Serbie, avant d'expliquer qu'ils seraient « restés en Serbie ».
Lors de l'entretien complémentaire du 8 juin 2023, il explique également qu'il aurait pu se faire envoyer ses documents mais que ça ne serait désormais plus possible. Dans ce contexte, il convient de relever que cela aurait donc également été possible pour vous mais que vous n'avez pas jugé utile de faire une démarche quelconque.
Cependant, cette inaction est totalement incompréhensible, alors que vous remettez une photo de votre passeport tunisien en date du 8 juin 2023. Or, il convient, d'une part, de conclure que vous auriez donc été en possession de ces documents depuis le début de l'introduction de votre demande, de sorte que vous auriez donc clairement pu remettre ces copies directement au lieu d'adopter un comportement complétement non-collaboratif. Au contraire, vous avez préféré attendre plus d'un an avant de transmettre ladite photo.
Il y a lieu de noter qu'un demandeur de protection internationale a l'obligation de coopérer avec le Ministre en vue d'établir son identité et la réalité des motifs de fuite invoqués à l'appui de sa demande. Ainsi, il doit remettre ses documents d'identité, ainsi que toute pièce utile à l'examen de sa demande, ceci aussi rapidement que possible. Or, je dois constater que vous ne coopérez pas et que vous n'entreprenez pas les moindres démarches afin de me remettre les documents nécessaires à l'appui de votre demande.
En deuxième lieu, il échet de relever certaines incohérences qui ne permettent pas d'établir que vous seriez réellement homosexuel. En effet, vous précisez que l'homosexualité serait interdite en Tunisie. Malgré le fait que vous citez la loi 230, il est d'ores et déjà clair que vous ne vous êtes pas renseigné plus que ça alors que cette loi n'interdit pas l'homosexualité en tant que telle mais interdit les relations intimes entre personnes de même sexe, plus précisément la sodomie. Il est d'autant plus vrai que vous ne vous êtes nullement renseigné alors que vous ne connaitriez pas le terme LGBT, ce qui prouve que vous n'avez fait aucune recherche concernant les personnes qui pourrait être dans la même situation que vous dans votre pays d'origine et que vous n'avez fait aucun effort afin de chercher de l'aide auprès de quelconque institution en Tunisie. Cela est d'autant plus vrai alors que vous prétendez que LGBT serait « une association pour les homosexuels » (p.4 de votre rapport d'entretien) en date du 3 juin 2022 avant de confirmer, en date du 8 juin 2023, ne pas savoir ce que cela signifie. Encore une preuve incontestable que vous ne montrez aucun intérêt ni quant à votre situation ni quant à votre demande de protection internationale, surtout qu'il s'est écoulé plus d'une année entre ces deux entretiens et que vous auriez pu vous renseigner un minimum.
Concernant votre soi-disant relation avec (B), de nombreux doutes persistent également alors qu'il est totalement confus de savoir depuis quand vous vous connaîtriez, si vos familles seraient au courant et depuis quand ou encore si vous auriez eu une relation quelconque.
4En effet, (B) affirme que vous seriez cousin et que vous vous connaitriez « depuis tout petit » (p.4 de votre rapport d'entretien). Néanmoins, vous, déclarez l'avoir connu «A une occasion » (p.3 de votre rapport d'entretien), plus précisément lorsque vous auriez l'âge de « 18 ans […] en 2018, 2019 » (p.4 de votre rapport d'entretien) et que vous auriez le même nom de famille car « on a tous le même nom de famille dans ce village » (p.3 du rapport d'entretien).
Vous changez d'ailleurs encore de version pendant votre entretien complémentaire lors duquel vous affirmez, après hésitation, avoir connu (B) chez votre grand-mère en 2017 (p.2 de votre rapport d'entretien complémentaire) donc lorsque vous auriez été âgé de 19 ans. Ayant tous les deux une version des faits totalement différente et étant donné qu'il n'est pas possible que vous puissiez omettre de préciser que vous seriez cousin démontre que vos propos sont totalement mensongers.
Il échet encore de préciser que vous êtes totalement incohérent concernant la période à laquelle vos familles auraient été au courant de votre relation. En effet, force est d'ailleurs de noter qu'en raison de vos propos totalement contradictoires, il n'est pas évident de se faire une idée réelle des faits. (B) explique que sa famille serait au courant alors que vous, en revanche, vous précisez que votre famille ne serait pas au courant de votre homosexualité mais qu'elle l'aurait soupçonné. Or, il convient de préciser que si vous étiez réellement cousin et que vos mères seraient soeurs, il est clair que vos deux familles auraient été au courant de votre relation, surtout que selon vos propos vous auriez vécu librement votre relation en Tunisie.
Votre propos selon lequel vous n'auriez qu'une seule photo avec (B) ne saurait pas non plus convaincre alors que vous prétendez qu'« On en avait sur nos téléphones, mais les téléphones ont été cassés par la police en Hongrie. On avait une seule photo ensemble, c'était quand on était en Serbie » (p.2 de votre rapport d'entretien complémentaire) et que lui précise n'avoir aucune photo avec vous. De plus, comme vous avez pu le prétendre, vous vous connaîtriez depuis des années et vous auriez passé beaucoup de temps ensemble. Force est alors de noter que vous seriez en possession de photos mais que vous tentez une fois de plus d'induire les autorités luxembourgeoises en erreur.
Il y a donc lieu de constater que votre relation avec (B) est inventée de toute pièce alors que vous vous contredisez dans vos entretiens respectifs et que vos récits sont totalement incompatibles.
Partant, aucune crédibilité ne saurait être accordé à votre récit ou encore à votre orientation sexuelle, de sorte qu'aucune protection internationale ne vous est accordée.
Quand bien même une once de crédibilité devrait être accordée à vos dires, quod non, il s'avère que vous ne remplissez pas les conditions pour l'octroi du statut de réfugié, respectivement pour l'octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.
• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée la « Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.
Aux termes de l'article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifiée de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa 5religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».
L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.
Même si votre relation, respectivement votre homosexualité était établie, ce qui n'est nullement le cas, il n'est alors clairement pas établi que vous seriez en danger en Tunisie alors que le seul fait de se trouver sur le territoire tunisien en tant qu'homosexuel ne suffit pas pour se voir octroyer une protection internationale d'autant plus que vous dites vous-même que vous auriez vécu votre homosexualité de manière tout à fait normale et sans problème, alors que vous dites « On sortait ensemble, on ne pouvait pas le montrer devant les gens, mais on marchait ensemble normalement. C'est tout. On vivait librement » (p.4 de votre rapport d'entretien).
Toujours dans ce même contexte, vous expliquez que vous n'auriez jamais essayé de quitter votre domicile familial afin de vous installer dans une autre région car : « Ce n'était pas possible. J'avais peur que ma famille apprenne mon homosexualité, dans ce cas-là, ma famille me tuerait » (p.5 de votre rapport d'entretien), ce qui ne constitue d'ailleurs pas une raison concrète car si vous aviez réellement peur que votre famille vous tue, vous ne seriez certainement pas resté vivre chez eux le temps de quitter la Tunisie, d'autant plus que vous dites qu'ils vous « soupçonnaient » et que vous auriez vécu votre relation avec (B) « normalement ». Il est donc très clair vous n'avez pas essayé de chercher une protection dans votre pays d'origine et que vous ne vous êtes même pas renseigné concernant votre situation liée à votre orientation sexuelle, ce qui prouve que vous ne vous trouviez pas dans une situation dans laquelle vous auriez été à risque.
Dans ce contexte, il s'agit aussi de constater que, bien que l'homosexualité reste punie par la loi en Tunisie, des progrès réels ont été réalisés au cours de ces dernières années, comme démontré par exemple par le lancement de la première radio destinée aux homosexuels dans le monde arabe. De plus, la situation pour la communauté LGBTI continue à évoluer favorablement : « increased local LGBTQ+ activism and acceptance has risen up since the 2011 revolution, making Tunisia one of the better places in the Arab world to be gay. The Tunisia gay scene is not easy to define but, thanks to the internet, it's become ever easier to tap into its varying levels. From 'straight' unhappy husbands to 'same-sex-not-gay' liaisons between friends, the gay network certainly exists, allowing for discreet (yet cruisy) connections at any time. The lack of organisation and outward institutions however means it's hard to form a legitimate gay community, but ongoing work from organisations like 'Association Shams' and 'Mawjoudin' helps present a proud face for gay Tunisia. Of the handful of queer events usually hosted in Tunis, the Mawjoudin Queer Film Festival was the biggest, as the country's first public LGBTQ film festival held back in 2018 ».
6De même, « Tunisia has gained a positive reputation amongst the LGBTQ community of the Arab world, particularly due to the strong activism of organizations like "Association Shams" and "Mawjoudin", who have been campaigning hard for LGBTQ minorities' rights.
On 18 May 2015, "Association Shams" even received government recognition as an official organization. More recently, an openly gay man, Mounir Baatour, is seeking to run for President! Whether or not he'll succeed, the very fact that he is able to run says a lot! In terms of gay events in Tunisia, small discreet Pride receptions have taken place in private, mainly in the capital, Tunis. Most impressive is the Mawjoudin's Queer Film Festival, which successfully took place in January 2018. This was a big deal because it was the first-ever public film festival in Tunisia to celebrate the country's LGBTQ community ». Il existe en outre pas moins de cinq organisations non gouvernementales en Tunisie qui s'occupent du soutien de la communauté LGBTI et de la défense de ses droits, dont SHAMS.
Il convient surtout d'ajouter, pour être complet sur ce sujet qu'encore tout récemment, un tribunal de grande instance tunisien a jugé que la loi sur l'homosexualité serait anticonstitutionnelle et que la décision finale sur ce sujet revient désormais à la Cour constitutionnelle, dont la création a été prévue dans la Constitution de 2014. En effet, « Mounir Baatour, founder of the LGBTQ rights organization Shams, explained the situation: "Article 230 remains in force, but what has changed is that now any defendant who is tried under Article 230 can cite the ruling of the Court of Cassation to the court before which he is tried. … There is a great chance that people will be acquitted of charges of homosexuality because the Court of Cassation has undercut Article 230." ».
Au vu de tout ce qui précède, il n'est en tout cas nullement établi qu'il ne vous serait pas possible de vivre en Tunisie. Il convient également de soulever que vous expliquez simplement que vous craindriez être emprisonné car la loi tunisienne interdirait l'homosexualité mais vous ne faites état d'aucun fait qui pourrait être assimilé à une persécution personnellement ou individuellement.
Finalement, il échet de préciser qu'en tant qu'adulte, vous ne seriez manifestement pas non plus obligé de retourner vivre à votre ancienne adresse, ou ne serait-ce que dans votre ancien quartier ou votre ancienne ville, respectivement, près de votre famille. En effet, vous pouvez vous installer où bon vous semble, notamment à Tunis, capitale du pays et métropole plus libérale, respectivement un des centres touristiques du pays, où il vous serait notamment possible de vivre de façon plus anonyme, tout en y pouvant profiter des cafés et des clubs fréquentés par les homosexuels.
Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.
• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.
7L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi. Or, en l'espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.
Outre les conclusions ci-dessus retenues quant aux doutes évidents relatives à la crédibilité de vos déclarations, il y a encore lieu de retenir qu'il n'existe manifestement pas davantage d'éléments susceptibles d'établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu'il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que courriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 de la loi de 2015.
En effet, vous omettez d'établir qu'en cas de retour en Tunisie, vous risqueriez la peine de mort ou l'exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre votre vie ou votre personne en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. Vos allégations selon lesquelles vous auriez peur que votre père vous tue ou que vous soyez emprisonné, ne saurait en tout cas clairement pas suffire pour retenir que vous seriez victime d'une telle atteinte grave en cas d'un retour chez vous. En effet, vos craintes, à les supposer réelles, sauraient tout au plus être définies comme étant totalement hypothétiques. A cela s'ajoute qu'il ne serait donc manifestement pas non plus établi que vous n'ayez pas pu compter sur l'aide et la protection offertes par les autorités tunisiennes.
Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.
Suivant les dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la Tunisie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2023, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant, d’après le dispositif de la requête introductive d’instance, auquel le tribunal est seul tenu, à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du ministre du 15 novembre 2023 portant rejet de sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
1) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection 8internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé à titre principal contre la décision du ministre du 15 novembre 2023, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours et en fait, le demandeur rappelle en premier lieu être né à … et être de nationalité tunisienne et d’ethnie arabe.
Il explique ensuite avoir quitté son pays d’origine, la Tunisie, avec son compagnon, en raison des persécutions et des traitements inhumains et dégradants qu’il aurait risqué de subir de la part de la population tunisienne et plus particulièrement des autorités tunisiennes du fait de son homosexualité et de la relation amoureuse qu’il entretiendrait avec Monsieur (B).
Il indique être attiré par les hommes depuis l’âge de 15 ans. Il fait valoir que Monsieur (B) serait son cousin, plus précisément le fils de sa tante. L’intéressé explique qu’ils se seraient souvent vus à l’occasion de diverses fêtes et qu’ils auraient commencé leur relation amoureuse quand il était âgé de 18 ans. Il explique qu’ils se seraient promenés, seraient allés à la plage et seraient allés manger. Leur relation amoureuse aurait été discrète dans la mesure où l’homosexualité serait interdite en Tunisie.
En droit, quant au volet de la décision portant refus du statut de réfugié dans son chef, le demandeur considère tout d’abord que les actes invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale seraient motivés par l’un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, dès lors que ce serait en raison de son appartenance à un certain groupe social, à savoir la communauté « LGBTI » tunisienne, qu’il craindrait avec raison d’être persécuté dans son pays d’origine sans pouvoir réclamer la protection des autorités en place alors que l’article 230 du code pénal tunisien punirait les relations intimes entre personnes de même sexe.
Dans ce contexte, il se réfère à un rapport de la « Friedrich Ebert Stiftung », de « EuroMed Droits » et de « Mawjoudîn », intitulé « Rapport Alternatif de la Société Civile Tunisienne », publié en août 2022, et à un article de la revue ILCEA, numéro 46, intitulé « Surexposition numérique et stratégies de médiatisation des LGBT en Tunisie », publié en 2022, desquels il ressortirait que les rapports sexuels entre personnes de même sexe seraient punis en vertu de l’article 230 du code pénal tunisien d’une peine d’emprisonnement de trois années, qu’entre 2017 et 2021, 206 personnes auraient été arrêtées sur base dudit article du code pénal tunisien, et que les autorités tunisiennes recourraient à un « test anal » dans le chef des personnes soupçonnées d’homosexualité afin de prouver les rapports sexuels entre personnes de même sexe, lequel constituerait une forme de torture. Le concerné se réfère encore à des extraits d’un rapport de l’« Observatoire pour la Défense du Droit à la Différence en Tunisie », intitulé « Rapport d’analyse de données cas de discriminations collectés par les pôles de l’Observatoire pour la défense du droit à la différence », publié en avril-juin 2023, lequel ferait état de discriminations et de violences à l’encontre des membres de la communauté « LGBT » de la part de la population tunisienne, des autorités tunisiennes et des membres de leurs familles.
9L’intéressé estime que les faits rapportés seraient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, dès lors qu’il ferait l’objet de persécutions et d’une menace de traitements inhumains et dégradants par la population tunisienne, les autorités tunisiennes et les lois et règlements tunisiens.
Par ailleurs, il donne à considérer que les persécutions qu’il aurait subies émaneraient de personnes qui seraient à qualifier comme acteurs au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, à savoir l’Etat tunisien, compte tenu de l’article 230 du code pénal tunisien et compte tenu du mode de preuve auquel les autorités tunisiennes auraient recours pour établir l’homosexualité des personnes gays qui constituerait une forme de torture.
Il en conclut que toutes les conditions seraient remplies dans son chef pour l’octroi du statut de réfugié, tout en ajoutant que sa vie serait en danger en cas de retour dans son pays d’origine et que le ministre aurait tiré des mauvaises conclusions et n’aurait pas analysé à suffisance son cas particulier.
Subsidiairement, quant au volet de la décision portant refus du statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur fait valoir, en citant les articles 2, point g) et 39 de la loi du 18 décembre 2015, que les faits invoqués à la base de sa demande de protection internationale constitueraient des atteintes graves au sens de l’article 48 de la même loi dès lors qu’il risquerait une atteinte à son intégrité physique et morale en cas de retour dans son pays d’origine et compte tenu notamment des dispositions de l’article 230 du code pénal tunisien lequel serait toujours en vigueur, tout en renvoyant, concernant la seconde condition sous-
tendant l’octroi dudit statut, à savoir que les auteurs des actes précités puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, à ses développements portant sur l’octroi du statut de réfugié.
Il explique qu’il aurait « établi une crainte fondée d’être "persécuté" dans son pays d’origine au sens de l’article 1er, section 1, paragraphe (2) de la Convention de Genève ainsi que des articles 41 et 42 de la loi précitée du 18 décembre 2015, respectivement une crainte d’être victime de traitements inhumains et dégradants, de sorte qu’il a dû prendre la fuite afin de se protéger son état de santé et sa survie sans qu’il ne puisse se prévaloir d’une protection auprès des autorités albanaises qui laissent en liberté un condamné à 18 ans de prison sous réserves d’autres condamnations ».
Il estime encore que le ministre aurait violé l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
Il en conclut que toutes les conditions seraient remplies dans son chef pour l’octroi du statut de la protection subsidiaire.
Au regard de ses développements résumés ci-dessus, la décision déférée devrait dès lors, de l’avis du concerné, être réformée en conséquence.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.
Appréciation du tribunal 10Suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, il appartient d’abord au tribunal de vérifier la légalité extrinsèque de l’acte lui déféré, avant de se livrer, par le biais de l’examen de la légalité des motifs, au contrôle de la légalité intrinsèque.
Au titre de la légalité externe, le demandeur reproche au ministre une mauvaise instruction de son dossier, au motif qu’il n’aurait pas analysé à suffisance son cas particulier, ce qui s’apparente à un moyen de violation de l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015.
Ledit article dispose que « […] (2) Lors de l’examen d’une demande de protection internationale, le ministre détermine d’abord si le demandeur remplit les conditions d’octroi du statut de réfugié et, si tel n’est pas le cas, détermine si le demandeur remplit les conditions pour pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire.
(3) Le ministre fait en sorte que les décisions sur les demandes de protection internationale soient prises à l’issue d’un examen approprié. A cet effet, il veille à ce que :
a) les demandes soient examinées et les décisions soient prises individuellement, objectivement et impartialement ; […] ».
En l’espèce, contrairement à ce que soutient le demandeur, force est de constater que celui-ci a amplement été entendu lors de ses auditions respectives des 3 juin 2022 et 8 juin 2023 et que le ministre s’est fondé sur l’ensemble de ses déclarations faites à cette occasion pour examiner le bien-fondé de sa demande. La seule circonstance que le ministre a considéré que les déclarations du demandeur n’étaient pas de nature à convaincre de la réalité de la crainte de persécution ou du risque de subir des atteintes graves invoqués ne permet pas de retenir que le ministre n’aurait pas procédé à un examen approprié de la demande de protection internationale en méconnaissance de l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015.
Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015 comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir [d]es atteintes graves […], et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des 11persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Par ailleurs, l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que :
« (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».
Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :
« […] a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».
Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :
« […] a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».
Aux termes de l’article 40 de la même loi :
« (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou 12b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués soient motivés par l’un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées ci-dessus.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’un « réfugié » est une personne qui « craint avec raison d’être persécuté[e] », tandis que l’article 2, point g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption simple que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption peut être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en 13prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
Il se dégage à ce propos du libellé de la décision déférée que le ministre est arrivé à la conclusion que le récit du demandeur ne serait pas crédible dans son ensemble et qu’il lui a, en conséquence, refusé l’octroi d’un statut de protection internationale, le délégué du gouvernement ayant confirmé cette approche dans le cadre de son mémoire en réponse.
A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves1.
En l’espèce, le tribunal partage toutefois les doutes du ministre quant à la crédibilité du récit du demandeur, dans la mesure où celui-ci, dans son ensemble, ne saurait laisser conclure à la véracité de ses dires, le constat général s’imposant, à l’instar des développements du délégué du gouvernement, que l’intéressé tente sciemment d’induire les autorités luxembourgeoises en erreur au sujet de ses motifs de fuite.
Il échet tout d’abord de souligner que dans sa requête introductive d’instance, l’intéressé se limite à discuter la pertinence des faits allégués sans à aucun moment prendre position par rapport au reproche et aux explications circonstanciées du ministre que son récit ne serait pas crédible, question qu’il convient pourtant d’analyser au préalable.
En effet, le demandeur prétend avoir quitté son pays d’origine, la Tunisie, avec son prétendu compagnon, en raison des persécutions et des traitements inhumains et dégradants qu’il aurait risqué de subir de la part de la population tunisienne et plus particulièrement des autorités tunisiennes du fait de sa prétendue homosexualité et de sa prétendue relation amoureuse qu’il entretiendrait avec Monsieur (B).
Or, force est de constater que l’intéressé ne fournit aucun élément de preuve tangible à l’appui de ses affirmations, mais se limite à soutenir (i) qu’il aurait « un penchant pour les hommes. Depuis que j’ai 15 ans, j’aime les hommes, ils me plaisent. »2 et (ii) que « On sortait ensemble, on ne pouvait pas le montrer devant les gens, mais on marchait ensemble normalement. C’est tout. On vivait librement. »3, sans fournir le moindre détail.
Quant à la prétendue homosexualité du concerné, le tribunal relève en outre, à l’instar de la partie étatique, que celui-ci n’a pas de connaissances précises sur les associations de 1 Trib. adm., 16 avril 2008, n° 23855 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 142 et les autres références y citées.
2 Page 3 du rapport d’entretien du 3 juin 2022, ci-après désigné par « le rapport d’entretien ».
3 Page 4 du rapport d’entretien : « En Tunisie, comment viviez-vous votre homosexualité avec M. (B) ? ».
14défense des droits et intérêts de la communauté « LGBT » tunisienne à laquelle il déclare appartenir, le concerné ne connaissant en effet aucun nom d’une association œuvrant dans ce domaine et ignorant en outre la signification voire l’existence même du terme « LGBT »4/5, ce qui laisse douter de la véracité de ses dires.
Quant à sa prétendue relation amoureuse avec Monsieur (B), le tribunal rejoint encore la partie étatique dans son constat d’incohérences entre le récit de l’intéressé et celui de son prétendu compagnon, concernant notamment leur relation familiale et le moment où ils se seraient rencontrés. En effet, le demandeur a indiqué lors de ses entretiens auprès du ministère qu’il porterait le même nom de famille que son prétendu compagnon en raison du fait que toute personne provenant de leur village aurait ce même nom6 et qu’ils se connaîtraient depuis qu’il aurait l’âge de 18 ans7, voire qu’ils se seraient rencontrés pour la première fois en 20178, donc au moment où le concerné aurait eu 18 ou 19 ans. Or, il ressort des explications circonstanciées et non contestées de la partie étatique, que Monsieur (B) aurait, quant à lui, déclaré qu’ils porteraient le même nom de famille dans la mesure où ils seraient cousins, et qu’ils se connaîtraient depuis leur jeune enfance. Le tribunal note que le demandeur ne prend aucunement position quant à ces incohérences manifestes entre ses propres déclarations et celles de son prétendu compagnon, ce qui renforce les doutes quant à la crédibilité de son récit.
A cela s’ajoute qu’alors même que, selon les dires du concerné, il entretiendrait une relation amoureuse avec Monsieur (B) depuis ses 18 ou 19 ans, à savoir depuis 2017, il ne dispose pourtant d’aucune photo les montrant ensemble - l’intéressé ayant déclaré qu’il aurait possédé une seule photo avec son prétendu compagnon quand ils auraient été en Serbie mais que son téléphone aurait ensuite été cassé par la police hongroise9 - ni n’a-t-il pu fournir aucun autre élément de preuve tangible de leur prétendue relation amoureuse.
Le manque de crédibilité général du récit de l’intéressé se trouve encore conforté par le fait que l’intéressé a menti aux autorités luxembourgeoises au sujet de ses documents d’identité. En effet, et après avoir indiqué qu’il aurait perdu ses documents d’identité en Tunisie lors de son entretien auprès de la police grand-ducale, il a expliqué lors de son entretien auprès du ministère qu’il les aurait laissés volontairement en Serbie dans un endroit près de la frontière hongroise. Il ressort, par ailleurs, du dossier administratif qu’à la suite de son entretien complémentaire auprès du ministère, l’intéressé a finalement remis une photo de son passeport au ministre en date du 8 juin 2023, soit plus d’un an après l’introduction de sa demande de protection internationale, ce qui témoigne non seulement d’un manquement de la part du concerné à son obligation de coopérer avec le ministre prévue à l’article 12, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, mais ce qui démontre également que ce dernier ne s’est nullement efforcé d’étayer sa demande de protection internationale.
Au regard de ce qui précède et compte tenu de l’absence d’une quelconque explication du demandeur face aux incohérences soulevées par le ministre en ce qui concerne son récit à la base de sa demande de protection internationale, et au-delà même des autres éléments 4 Page 4 du rapport d’entretien : « En Tunisie, est-ce qu’il existe une ONG ou association qui œuvre pour l’inclusion et la défense des minorités dont la communauté LGBT ? Non, je n’en connais pas.
Connaissez-vous le terme LGBT ? Oui je connais le nom, c’est une association pour les homosexuels. ».
5 Page 3 du rapport d’entretien complémentaire du 8 juin 2023, ci-après désigné par « le rapport d’entretien complémentaire » : « Que veut dire LGBT ? Je ne connais pas. ».
6 Page 3 du rapport d’entretien.
7 Page 4 du rapport d’entretien.
8 Page 2 du rapport d’entretien complémentaire.
9 Page 4 du rapport d’entretien.
15d’incohérence et de contradiction encore pointés par le délégué du gouvernement, le tribunal se doit de constater que le récit du demandeur n’est pas crédible dans sa globalité et que celui-
ci tente sciemment d’induire les autorités luxembourgeoises en erreur au sujet de son vécu.
Il y a partant lieu de confirmer la décision déférée en ce qu’elle a déclaré le récit du demandeur comme étant non crédible, de sorte qu’à défaut de faits avérés permettant de vérifier le bien-fondé de la demande de protection internationale soumise à son analyse, le tribunal ne saurait invalider le rejet de la demande de protection internationale présentée par le demandeur.
Il s’ensuit que le recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle de refus d’octroi d’une protection internationale dans le chef de Monsieur (A) est à déclarer non fondé.
2) Quant au recours visant la décision du ministre portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal à l’encontre de la décision du ministre du 15 novembre 2023 portant ordre de quitter le territoire, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Moyens et arguments des parties Le demandeur sollicite la réformation de la décision du ministre en ce qu’elle porte sur l’ordre de quitter le territoire en tant que conséquence de la réformation de la décision de refus d’octroi d’un statut de protection internationale dans son chef.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.
Appréciation du tribunal Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « [u]ne décision du ministre vaut décision de retour […] » et en vertu de l’article 2, point q) de la même loi, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Bien que le législateur n’ait pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2) précité est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre en matière de protection internationale. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire constitue la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Etant donné qu’il vient d’être retenu ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder au demandeur l’un des statuts conférés par la protection internationale, le ministre a valablement assorti sa décision de refus d’une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire.
16Il s’ensuit que le recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire est également à déclarer non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 15 novembre 2023 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 15 novembre 2023 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er avril 2025 par :
Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Felix Hennico, attaché de justice délégué, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1er avril 2025 Le greffier du tribunal administratif 17