La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/03/2025 | LUXEMBOURG | N°52590

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 mars 2025, 52590


Tribunal administratif Numéro 52590 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52590 2e chambre Inscrit le 26 mars 2025 Audience publique du 31 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 22, L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52590 du rôle et déposée le 26 mars 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Yvette NGONO YAH, avoca

t à la Cour, assistée de Maître Hakan KAPLANKAYA, avocat, tous deux inscrits au ta...

Tribunal administratif Numéro 52590 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52590 2e chambre Inscrit le 26 mars 2025 Audience publique du 31 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 22, L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52590 du rôle et déposée le 26 mars 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, assistée de Maître Hakan KAPLANKAYA, avocat, tous deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Cameroun) et être de nationalité camerounaise, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 14 février 2025 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 mars 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Amadou NDIAYE, en remplacement de Maître Yvette NGONO YAH, et Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

En date du 20 août 2024, Monsieur (A) introduisit auprès du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent de la police grand-ducale - section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée le même jour dans la base de données Eurodac révéla un « no hit ».

Le 23 août 2024, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 1établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».

En date du 26 septembre 2024, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités françaises aux fins de la reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 13, paragraphe (2) du règlement Dublin III et ce, sur base de la considération que la dernière adresse connue de l’intéressé se trouverait en France et qu’il n’existerait pas de preuves ni d’indications suivant lesquelles il aurait quitté le territoire des Etats membres après avoir résidé pendant plusieurs années dans ledit pays.

Il se dégage ensuite du dossier administratif que par courrier électronique envoyé via la plateforme Dublinet en date du 3 décembre 2024, les autorités luxembourgeoises informèrent les autorités françaises que le délai de réponse à leur demande de prise en charge de l’intéressé avait expiré de sorte qu’elles étaient considérées comme ayant implicitement accepté celle-ci en date du 27 novembre 2024, en vertu de l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III.

Par décision du 18 décembre 2024, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », informa Monsieur (A) de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers la France sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de celles des articles 13, paragraphe (2) et 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III.

Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé en mains propres le jour même, le ministre assigna Monsieur (A) à résidence à la maison retour sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, pour une durée de trois mois à compter de la notification de l’arrêté en question, avec l’obligation de se présenter quotidiennement durant cette période au plus tard à 23 heures du soir ainsi qu’à 8 heures du matin au personnel de la structure en question.

Il se dégage du dossier administratif que toujours le 18 décembre 2024, l’intéressé fit l’objet d’une saisie de cannabis à la maison retour, de même qu’il ressort des éléments du dossier qu’il s’absenta à de nombreuses reprises de la maison retour.

Le tribunal relève ensuite qu’en date du 9 janvier 2025, les autorités luxembourgeoises informèrent leurs homologues français par courrier électronique envoyé via la plateforme Dublinet que le délai légal de transfert de l’intéressé était prolongé jusqu’au 27 mai 2026 suite à la disparition de celui-ci.

Il se dégage encore du dossier administratif que par arrêtés des 30 janvier et 4 février 2025, le ministre décida de placer Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée de trois mois à partir de la notification de la décision en question afin de préparer l’exécution de son transfert, mais que lesdits arrêtés ne purent être notifiés à l’intéressé en raison de sa disparition.

Parallèlement, le ministre chargea la police grand-ducale par courriers des 27 janvier et 4 février 2025 de procéder au signalement national de l’intéressé aux fins de trouver sa résidence et, en cas d’interception, d’en aviser le service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, en vue d’un placement en rétention.

Suivant un rapport de la police grand-ducale du 13 février 2025, référencé sous le numéro …, l’intéressé fut appréhendé par les forces de l’ordre à Luxembourg -Ville lors d’une 2intervention dans un magasin de vêtements à l’occasion de laquelle le personnel dudit magasin l’accusa d’avoir agressé verbalement les personnes y travaillant.

Suite à l’interpellation de Monsieur (A), le ministre pria le lendemain la police grand-

ducale de biffer le dernier signalement national de l’intéressé.

Par arrêté du 14 février 2025, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre décida de placer Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification de la décision. Cette décision repose sur les considérations et motifs suivants :

« […] Vu l'article 22 de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport n°… du 20 août 2024 établi par le Service de police judiciaire ;

Considérant que l’intéressé a introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 20 août 2024 ;

Vu mon arrêté du 18 décembre 2024, notifié le même jour, assignant l’intéressé à résidence à la maison retour sur base de l’article 22, paragraphe (3), point b) ;

Considérant que l’intéressé a disparu de la Maison retour à plusieurs reprises ;

Vu l’accord tacite de prise en charge des autorités françaises du 27 novembre 2024 sur base de l’article 22, paragraphe (7) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

Vu ma décision de transfert du 18 décembre 2024 ;

Considérant le non-respect des conditions de l’assignation à résidence du 18 décembre 2024 ;

Considérant que l’intéressé est dépourvu de tout document d’identité ou de voyage en cours de validité ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite non négligeable dans le chef de l’intéressé comme défini à l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 précitée ;

Considérant qu’afin de garantir l’exécution de la mesure d’éloignement de l’intéressé, il y a lieu de révoquer la mesure moins coercitive sur base de l’article 22, paragraphe (3), alinéa 3 et d’ordonner le placement en rétention ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mars 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à l’annulation sinon à la réformation de l’arrêté ministériel, précité, du 14 février 2025 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision en question.

Encore qu’un demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité entraînant qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit contre la même décision.

Etant donné que l’article 22, paragraphe (6) de la loi du 18 décembre 2015 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre subsidiaire, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre principal.

3 A l’appui de son recours, Monsieur (A) réitère, en substance, les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, tels que repris ci-dessus, tout en expliquant avoir quitté le Cameroun en 2015 en raison de l’intolérance envers l’homosexualité dans son pays d’origine. Il précise avoir risqué sa vie en embarquant à bord d’une embarcation clandestine à destination de l’Espagne où il aurait séjourné pendant six mois avant de se rendre en France où il aurait vécu à Paris de 2016 à 2024 et où sa demande en obtention d’un titre de séjour aurait été rejetée.

En droit, il fait valoir que ce serait à tort que le ministre avait décidé de le placer au Centre de rétention. Il reproche, dans ce contexte, à l’autorité ministérielle d’avoir avancé de manière abstraite et générale les motifs l’ayant amené à ordonner son placement au Centre de rétention. Le ministre n’aurait plus particulièrement pas fourni de justification concrète en lien avec les circonstances particulières de l’espèce et la mesure de placement prise à son encontre.

Au vu de ces considérations, il y aurait lieu d’admettre que l’arrêté ministériel litigieux souffrirait d’un manque de motivation claire et précise.

Ensuite, le demandeur fait valoir que le placement en rétention constituerait une privation de liberté ne pouvant être ordonnée que si elle est strictement nécessaire et proportionnée. Il s’ensuivrait que lorsqu’il existerait des alternatives moins coercitives, le placement en rétention ne devrait pas être ordonné. Or, il estime qu’en l’espèce, aucune nécessité impérieuse aurait justifié son placement en rétention. Il insiste, à cet égard, sur le fait que son dossier ne contiendrait aucun élément démontrant qu’il représenterait un danger pour l’ordre public, ni aucune preuve concrète d’un risque de fuite dans son chef. Ce constat s’imposerait d’autant plus qu’il serait toujours resté sur le territoire luxembourgeois alors même qu’il lui aurait été techniquement possible de traverser la frontière pour se rendre en France. Il ajoute que dans la mesure où la France n’aurait jamais donné son accord pour son transfert, sa situation resterait précaire et incertaine.

Il estime qu’en tout état de cause, à travers l’arrêté ministériel litigieux, il se verrait imposer un quasi-emprisonnement alors même qu’il n’aurait commis aucun acte répréhensible.

Au vu de toutes les considérations qui précèdent, il y aurait lieu de conclure que ce serait à tort que le ministre avait décidé de le placer au Centre de rétention.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne tout d’abord la légalité externe de l’arrêté ministériel litigieux, et plus particulièrement le reproche d’une insuffisance de la motivation fournie par le ministre, le tribunal relève que l’article 22, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, en vertu duquel : « La décision de placement en rétention indique les motifs de fait et de droit sur lesquels elle est basée […] », impose une obligation de motivation des décisions de rétention administrative fondées sur ledit article 221.

En l’espèce, force est toutefois au tribunal de constater que la décision déférée satisfait à l’exigence de motivation en ce qu’elle a indiqué les bases légales sur lesquelles elle est fondée, à savoir l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 et la loi modifiée du 28 mai 2009 1 En ce sens également : Trib. adm., 5 décembre 2018, n° 42004, disponible sur le site www.jurad.etat.lu.

4concernant le Centre de rétention, ainsi que les motifs et considérations gisant à la base de la mesure de placement en rétention, à savoir (i) l’introduction par le demandeur d’une demande de protection internationale au Luxembourg le 20 août 2024, (ii) la considération que ce dernier avait été assigné à résidence à la maison retour le 18 décembre 2024 sur base de l’article 22, paragraphe (3), point b) de la loi du 18 décembre 2015 et qu’il avait disparu de ladite structure à plusieurs reprises (iii) l’accord de prise en charge tacite des autorités françaises du 27 novembre 2024 sur base de l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III (iv) la décision de transfert du demandeur vers la France du 18 décembre 2024, (vi) le non-respect par le demandeur des conditions de l’assignation à résidence du 18 décembre 2024, (v) l’absence de tout document d’identité ou de voyage en cours de validité et (vi) l’existence d’un risque de fuite non négligeable au sens de l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 dans le chef du demandeur.

Il s’ensuit que le moyen fondé sur une insuffisance de motivation de l’arrêté litigieux est à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne ensuite la légalité interne de la décision déférée, il y a lieu de relever que l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 dispose notamment comme suit en ses paragraphes (1) à (3) pertinents en l’espèce :

« (1) On entend par rétention, toute mesure d’isolement d’un demandeur dans un lieu déterminé où le demandeur est privé de sa liberté de mouvement.

Le placement en rétention est effectué au Centre de rétention créé par la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention. […] (2) Un demandeur ne peut être placé en rétention que :

a) pour établir ou vérifier son identité ou sa nationalité ;

b) pour déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne pourraient pas être obtenus sans un placement en rétention, en particulier lorsqu’il y a un risque de fuite du demandeur ;

c) lorsque la protection de la sécurité nationale ou l’ordre public l’exige ;

d) conformément à l’article 28 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride (refonte) et lorsqu’il existe un risque non négligeable de fuite établissant que le demandeur a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement. Le risque non négligeable de fuite est présumé dans les cas suivants :

i. si le demandeur s’est précédemment soustrait, dans un autre État membre, à la détermination de l’État responsable de sa demande de protection internationale en vertu du droit de l’Union européenne ou à l’exécution d’une décision de transfert ou d’une mesure d’éloignement ;

ii. si le demandeur fait l’objet d’un signalement dans le SIS aux fins de non-admission et d’interdiction de séjour conformément au règlement (UE) 2018/1861 du Parlement européen et du Conseil du 28 novembre 2018 sur l’établissement, le fonctionnement et 5l’utilisation du système d’information Schengen (SIS) dans le domaine des vérifications aux frontières, modifiant la convention d’application de l’accord de Schengen et modifiant et abrogeant le règlement (CE) n ° 1987/2006, tel que modifié, ou d’un signalement aux fins de retour conformément au règlement (UE) 2018/1860 du Parlement européen et du Conseil du 28 novembre 2018 relatif à l’utilisation du système d’information Schengen aux fins du retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, tel que modifié ;

iii. si le demandeur a été débouté de sa demande de protection internationale dans l’État membre responsable ;

iv. si le demandeur est de nouveau présent sur le territoire luxembourgeois après l’exécution effective d’une mesure de transfert ou s’il s’est soustrait à l’exécution d’une précédente mesure de transfert ;

v. si le demandeur a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un document d’identité ou de voyage ou s’il a fait usage d’un tel document ;

vi. si le demandeur a dissimulé des éléments de son identité ou s’il est démontré qu’il a fait usage d’identités multiples soit sur le territoire luxembourgeois, soit sur celui d’un autre État membre ;

vii. si le demandeur qui a refusé le lieu d’hébergement proposé ne peut justifier du lieu de sa résidence effective ou si le demandeur qui a accepté le lieu d’hébergement proposé a abandonné ce dernier sans motif légitime ;

viii. si le demandeur a exprimé l’intention de ne pas se conformer à une décision de transfert vers l’État responsable de sa demande de protection internationale ou si une telle intention découle clairement de son comportement ;

ix. si le demandeur, sans motif légitime et bien que régulièrement convoqué ou informé, ne s’est pas soumis à une mesure préparatoire et nécessaire à l’exécution matérielle de son transfert vers l’État membre responsable ou s’il a antérieurement manifesté son intention de ne pas se conformer à une telle mesure ;

[…] (3) La décision de placement en rétention est ordonnée par écrit par le ministre sur la base d’une appréciation au cas par cas, lorsque cela s’avère nécessaire et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées.

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence dans les lieux fixés par le ministre, si le demandeur présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite ; l’assignation à résidence peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de 6surveillance électronique qui emporte pour le demandeur l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence du demandeur dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer au demandeur, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne. La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour le demandeur de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder si les motifs énoncés au paragraphe (2) ne sont plus applicables ou en cas de retour volontaire.

Les mesures moins coercitives sont ordonnées par écrit et peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. […] ».

Le paragraphe (1) dudit article 22 définit la mesure de la rétention et le paragraphe (2) du même article précise les hypothèses dans lesquelles une mesure de rétention peut être prise, dont celle pertinente en l’espèce d’une procédure de transfert en cours conformément au règlement Dublin III, visée au point d) de l’article 22, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, étant, en effet, relevé qu’il est constant en cause que le demandeur fait l’objet d’une procédure de transfert vers la France comme étant l’Etat membre responsable du traitement de sa demande de protection internationale. C’est dans le cadre de cette hypothèse que cette dernière disposition érige la vérification de l’existence d’un risque de fuite non négligeable établissant que le demandeur a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement comme condition de la validité d’une mesure de rétention prise en vue de garantir une procédure de transfert.

C’est par rapport à ces mêmes dispositions que le paragraphe (3) de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 impose au ministre, si l’un des cas d’ouverture du paragraphe (2) du même article se trouve vérifié, d’examiner si la mesure de rétention ne peut pas être remplacée par des mesures moins coercitives définies à l’alinéa 2 dudit paragraphe (3) qui pourraient être efficacement appliquées. Ainsi plus particulièrement le ministre doit vérifier si l’assignation à résidence peut être prononcée parce que le demandeur présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite.

Il s’ensuit que l’existence d’un risque de fuite non négligeable, tel que requis par l’article 28, paragraphe (2) du règlement Dublin III auquel renvoie l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 est une condition sous-jacente devant a priori être vérifiée dans le chef de demandeurs de protection internationale qui font l’objet d’une procédure de transfert vers un autre Etat membre compétent pour le traitement de leur demande 7de protection internationale pour permettre au ministre de prononcer à leur égard une mesure de rétention ou une mesure moins coercitive pouvant leur être efficacement appliquée2.

Il y a encore lieu de relever que le paragraphe (4) de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 dispose comme suit : « La décision de placement en rétention indique les motifs de fait et de droit sur lesquels elle est basée. Elle est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois. Sans préjudice des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 en matière de rétention, la mesure de placement en rétention peut être reconduite par le ministre chaque fois pour une durée de trois mois tant que les motifs énoncés au paragraphe 2, sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.

Les procédures administratives liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue. Les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne peuvent justifier une prolongation de la durée de rétention. ».

Cette disposition précise ainsi, par renvoi au règlement Dublin III, que la mesure de placement en rétention est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois et que les procédures liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue, sans que les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne peuvent justifier une prolongation de la durée de rétention, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter le transfert dans les meilleurs délais et que le placement ne se prolonge pas au-delà du délai raisonnable nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises. Cette mesure de placement en rétention peut être reconduite, chaque fois pour une durée de trois mois, tant que les motifs énoncés à l’article 22, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.

Tel que relevé ci-avant, la décision déférée est basée sur l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015, précité, qui renvoie à l’article 28 du règlement Dublin III, et qui permet de placer un demandeur de protection internationale en rétention administrative pour une durée maximale de trois mois en vue de garantir les procédures de transfert prévues par ledit règlement, sous condition (i) qu’il existe un risque non négligeable de fuite établissant que l’intéressé a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement, risque de fuite qui est présumé dans les cas de figure énumérés aux points i. à ix., (ii) que le placement en rétention soit proportionnel et (iii) que d’autres mesures moins coercitives ne puissent être effectivement appliquées.

La décision déférée est encore basée sur l’alinéa 3 du paragraphe (3) de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Les mesures moins coercitives sont ordonnées par écrit et peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. », et qui prévoit ainsi les cas de révocation de la mesure moins coercitive ordonnée par le ministre, à savoir (i) en cas de défaut du respect des obligations imposées par le ministre dans le cadre de la mesure moins coercitive ou (ii) en cas de risque de fuite.

2 Cour adm., 24 novembre 2017, n° 40390C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

8 Etant donné que cet alinéa prévoit les cas de révocation de la mesure moins coercitive de manière alternative, il suffit que l’une des conditions y énoncées soit remplie pour que la mesure moins coercitive ordonnée en lieu et place d’une mesure de placement en rétention soit révoquée.

Il ressort des éléments du dossier administratif que suite à la notification de la décision de transfert en date du 18 décembre 2024, l’intéressé a fait l’objet le même jour d’une assignation à résidence à la maison retour par arrêté ministériel du 18 décembre 2024, le ministre ayant considéré que la mesure moins coercitive prévue à l’article 22, paragraphe (3), point b) de la loi du 18 décembre 2015 pourrait lui être efficacement appliquée, étant relevé que la justification d’une mesure d’assignation à résidence est axée non pas sur l’existence d’un risque de fuite non négligeable, mais sur l’existence dans le cas d’espèce de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite, lesquelles garanties pouvant découler non seulement de mesures concrètes proposées par le demandeur de protection internationale ou imposées par le ministre, mais également de la situation personnelle existante du demandeur au moment de la prise de décision3.

Or, en l’espèce, il se dégage de l’arrêté ministériel du 18 décembre 2024 ayant ordonné l’assignation de Monsieur (A) à résidence à la maison retour que le ministre avait considéré qu’il existait dans le chef de l’intéressé un risque non négligeable de fuite établissant qu’il a l’intention de se soustraire aux autorités luxembourgeoises dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement vers la France, mais que la mesure moins coercitive prévue à l’article 22, paragraphe (3), point b) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir une assignation à résidence, pouvait lui être efficacement appliquée pour être de nature à prévenir le risque de fuite dans son chef.

Comme cette mesure a été révoquée par l’arrêté ministériel de placement en rétention du 14 février 2025, dans lequel le ministre a visé le non-respect des conditions de l’assignation à résidence prononcée dans le chef du demandeur, il appartient dès lors au tribunal de vérifier en premier lieu si le ministre pouvait valablement révoquer la mesure d’assignation à résidence prise à son encontre.

A cet égard, force est de constater que l’arrêté ministériel du 18 décembre 2024 prévoyait que Monsieur (A) était assigné à résidence à la maison retour pour une durée de trois mois sous « […] l’obligation de se présenter durant cette période quotidiennement au plus tard à 23h00 du soir ainsi qu’à 08h00 du matin au personnel de la structure prémentionnée […] », tout en l’avisant en son deuxième article « […] qu’en cas de défaut de respect de l’obligation imposée ou en cas de risque de fuite, la mesure pourra être révoquée et le placement en rétention pourra être ordonné comme prévu à l’article 22, paragraphe (2) d) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 précitée. ».

Il est constant en cause pour ressortir des éléments du dossier administratif et pour ne pas être contesté par le demandeur, que celui-ci s’est absenté à plusieurs reprises de manière non excusée de la maison retour, à savoir plus particulièrement du 21 au 27 décembre 2024, du 28 au 30 décembre 2024, du 30 décembre 2024 au 3 janvier 2025, du 3 au 23 janvier 2025, du 23 au 28 janvier 2025, du 4 au 11 février 2025 et du 11 au 14 février 2025.

3 idem.

9Dans la mesure où la seule et unique obligation imposée par le ministre au demandeur durant son assignation à résidence était celle de se présenter deux fois par jour à des heures déterminées à la réception de la maison retour, l’inobservation récurrente de cette obligation a valablement pu amener le ministre à révoquer l’assignation à résidence dans le chef de Monsieur (A).

Ensuite, comme relevé ci-avant, l’existence d’un risque de fuite non négligeable, tel que requis par l’article 28, paragraphe (2) du règlement Dublin III auquel renvoie l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 est une condition sous-jacente devant a priori être vérifiée dans le chef de demandeurs de protection internationale qui font l’objet d’une procédure de transfert vers un autre Etat membre compétent pour le traitement de leur demande de protection internationale, pour permettre au ministre de prononcer à leur égard une mesure de rétention4.

S’agissant de l’existence d’un risque de fuite non négligeable dans le chef du demandeur, il convient de rappeler que l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « […] Le risque non négligeable de fuite est présumé dans les cas suivants : […] viii. Si le demandeur a exprimé l’intention de ne pas se conformer à une décision de transfert vers l’Etat responsable de sa demande de protection internationale ou si une telle intention découle clairement de son comportement […] ».

Force est de constater qu’il ressort du dossier administratif et plus particulièrement du rapport d’entretien Dublin III que le demandeur a explicitement déclaré5 refuser de retourner en France qui est, en l’occurrence, l’Etat membre responsable de sa demande de protection internationale, refus qu’il a réitéré lors de son interpellation par les forces de l’ordre luxembourgeoises en date du 13 février 2025 puisqu’il se dégage du procès-verbal établi le même jour par la police grand-ducale qu’il a clairement répondu par la négative à la question de savoir s’il était prêt à quitter volontairement le Luxembourg6.

Il s’ensuit qu’un risque de fuite non négligeable est présumé dans le chef du demandeur, sans que ne se dégagent du dossier soumis au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption d’un risque de fuite dans son chef, de sorte que le ministre a valablement pu conclure à l’existence, dans le chef du demandeur, d’un risque de fuite non négligeable de se soustraire aux autorités luxembourgeoises dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement, tel qu’exigé par les articles 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 et 28 du règlement Dublin III.

En ce qui concerne ensuite l’application de mesures moins coercitives, le tribunal rappelle que le placement en rétention ne peut être ordonné que si aucune des mesures moins coercitives prévues aux points a), b) et c) de l’article 22, paragraphe (3), précités, de la loi du 18 décembre 2015 ne peut être efficacement appliquée.

Or, tel qu’il a été relevé ci-dessus, le demandeur a d’ores et déjà bénéficié de la mesure moins coercitive prévue au point b) de l’article 22, paragraphe (3), précité, mais n’a pas respecté les obligations y attachées. Il s’ensuit que les expériences du passé ont valablement permis au ministre d’écarter l’application de cette disposition.

4 ibidem.

5 Page 4 du rapport d’entretien Dublin III du 23 août 2024.

6 Page 3/4 du rapport de la police grand-ducale du 13 février 2025.

10Pour les mêmes considérations, le ministre a pu écarter l’application du point a) de l’article 22, paragraphe (3), précité, cette mesure ne pouvant être efficacement appliquée au vu du comportement que le demandeur a adopté dans le cadre de son assignation à résidence à la maison retour, étant relevé que, par ailleurs, l’intéressé ne dispose de toute façon d’aucun document d’identité ou de voyage valable.

S’agissant ensuite de la mesure moins coercitive prévue par l'article 22, paragraphe (3), point c), de la loi du 18 décembre 2015, force est au tribunal de constater que le demandeur n’a fourni aucune proposition d’une telle garantie financière.

Le moyen du demandeur tiré du caractère prétendument disproportionné de la mesure de placement litigieuse est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.

Enfin et pour être tout à fait complet, le tribunal relève qu’il se dégage du dossier administratif qu’en date du 20 mars 2025, les autorités françaises ont formellement accepté de prendre le demandeur en charge et qu’à la même date, la police grand-ducale, Unité de Garde et d’Appui opérationnel, a été chargée par les services du ministre de réorganiser le transfert du demandeur lequel avait initialement été prévu pour le 25 mars 2025. Il ressort, à cet égard, des éléments du dossier qu’en date du 24 mars 2025, un plan de vol a été établi et que le transfert du demandeur vers la France est actuellement prévu pour le 8 avril 2025, étant encore relevé que par courrier électronique envoyé via la plateforme Dublinet en date du 25 mars 2025, les autorités luxembourgeoises ont transmis à leurs homologues français les informations nécessaires concernant ledit transfert. Au vu de ces considérations, l’affirmation péremptoire du demandeur suivant laquelle, à défaut d’accord explicite des autorités françaises de le prendre en charge, sa situation resterait précaire et incertaine est à rejeter pour manquer de fondement.

Eu égard aux développements qui précèdent, en l’état actuel du dossier et en l’absence d’autres moyens, même à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours subsidiaire en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours principal en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, vice-président, Melvin Roth, attaché de justice délégué, 11et lu à l’audience publique du 31 mars 2025 par le vice-président Alexandra Castegnaro, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 12


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 52590
Date de la décision : 31/03/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 09/05/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-03-31;52590 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award