Tribunal administratif N° 50269 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:50269 2e chambre Inscrit le 29 mars 2024 Audience publique du 31 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50269 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 mars 2024 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Cameroun) et être de nationalité camerounaise, demeurant actuellement à L-…, tendant suivant son dispositif à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures, erronément attribuée au ministre de l’Immigration et de l’Asile, du 11 mars 2024 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 mai 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Elena FROLOVA, en remplacement de Maître Michel KARP, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries à l’audience publique du 27 janvier 2025.
Le 25 juillet 2022, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait auparavant introduit une demande de protection internationale en Italie en date du 2 novembre 2016.
Le 27 juillet 2022, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Le même jour, les autorités luxembourgeoises adressèrent aux autorités françaises une demande d’information sur base de l’article 34 du règlement Dublin III.
Le 2 septembre 2022, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues italiens une demande de reprise en charge de Monsieur (A), sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III.
Par courrier du 13 septembre 2022, les autorités italiennes informèrent les autorités luxembourgeoises qu’elles avaient octroyé un permis de séjour humanitaire à Monsieur (A) en 2017, permis qui n’aurait pas été renouvelé en 2019, étant donné que « de l’an 2017 au 2022 il y a bien 5 ans sans nouvelles de la personne en objet. ». Les autorités italiennes précisèrent par ailleurs que « […] la dernière trace de la personne remontant à l’an 2017 » tout en demandant « […] un minimum des preuves qui démontrent que la personne n’a pas quitté le territoire Dublin ».
Le 20 septembre 2022, les autorités françaises informèrent les autorités luxembourgeoises que Monsieur (A) avait sans succès introduit une demande tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour en France et indiquèrent à cette occasion que l’intéressé avait déjà bénéficié d’une autorisation de séjour en Italie.
Par courrier du 22 septembre 2022, les autorités luxembourgeoises informèrent les autorités italiennes qu’il n’y avait pas de raisons de douter de la présence de l’intéressé sur le territoire des Etats membres depuis 2017.
Par courrier du 26 septembre 2022, les autorités italiennes acceptèrent la reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.
Par décision du 15 novembre 2022, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile informa l’intéressé du fait que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 novembre 2022, Monsieur (A) fit introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 15 novembre 2022, lequel fut déclaré non fondé par jugement du tribunal administratif du 19 décembre 2022, inscrit sous le numéro 48219 du rôle.
Par courrier du 20 juin 2023 notifié en mains propres à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile l’informa que le Grand-Duché de Luxembourg était devenu responsable pour l’examen de sa demande de protection internationale, introduite en date du 25 juillet 2022, sur base de l’article 29, paragraphe (2) du règlement Dublin III.
En dates des 8 et 23 août 2023, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 11 mars 2024, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le 12 mars 2024, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur (A) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée et lui ordonna de quitter le territoire dans un délai de 30 jours, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 25 juillet 2022 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant aux faits et rétroactes procéduraux Il résulte du rapport « Eurodac » du 25 juillet 2022 ainsi que du rapport d'entretien « Dublin III » du 27 juillet 2022 que vous avez introduit une demande de protection internationale en Italie en date du 2 novembre 2016.
A cet égard, vous expliquez avoir obtenu une « protection humanitaire » à votre arrivée, valable pendant deux ans. Vous n'auriez pas obtenu de renouvellement de cette protection alors que la condition aurait été d'avoir un emploi. Vous seriez tout de même resté en Italie de manière illégale jusqu'en 2022 tout en effectuant plusieurs séjours à Paris et en Alsace entre 2019 et 2021 (p.5 du rapport Dublin III).
Par conséquent, les autorités luxembourgeoises ont adressé, le 27 juillet 2022, une demande d'information aux autorités françaises sur base de l'article 34 du règlement Dublin.
Elles ont également adressé, le 2 septembre 2022, une demande de reprise en charge aux autorités italiennes conformément aux dispositions de l'article 18, paragraphe 1, point b) du règlement (UE) n°604/2013.
Le 13 septembre 2022, les autorités italiennes ne se sont pas prononcées sur votre demande de reprise en charge mais ont demandé aux autorités luxembourgeoises de leur fournir plus de détails concernant votre présence sur le territoire italien à partir de 2017.
Le 20 septembre 2022, les autorités françaises ont informé les autorités luxembourgeoises que vous aviez fait une demande en obtention d'un titre de séjour sur leur territoire, lequel vous aurait été refusé alors que vous étiez déjà en possession d'un titre de séjour italien. Elles ont complété leur réponse en affirmant que vous n'aviez jamais introduit une demande de protection internationale en France.
Le 22 septembre 2022, les autorités luxembourgeoises ont alors fourni les preuves supplémentaires demandées aux autorités italiennes attestant bien de votre présence sur le territoire italien jusqu'en 2022 et le 26 septembre 2022, elles ont finalement accepté votre reprise en charge.
Le 15 novembre 2022, une décision de non-examen de votre demande de protection internationale et de transfert vers l'Italie a été prise, décision contre laquelle vous avez, le 29 novembre 2022, introduit un recours contentieux par le biais de votre mandataire et pour lequel vous avez été définitivement débouté par le Tribunal administratif en date du 19 décembre 2022.
Le 2 janvier 2023, les autorités luxembourgeoises ont alors entamé les préparatifs pour l'exécution de votre transfert vers l'Italie, lequel a cependant échoué alors que le délai a expiré.
De ce fait, le Luxembourg est devenu responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Il convient également de mentionner qu'un compte-rendu a été dressé le 22 octobre 2022, au sujet d'un incident survenu dans votre foyer et dans lequel vous étiez impliqué. Selon ce rapport d'incident vous auriez adopté un comportement agressif envers les agents du foyer et envers les agents de police après avoir consommé de l'alcool. Pareil constat doit être fait pour le rapport d'incident dressé le 31 mars 2023, pour des raisons similaires.
2. Quant aux motifs de fuite invoqués à la base de votre demande de protection internationale Monsieur, vous déclarez être né le … à …, être de nationalité camerounaise, d'ethnie Ewondo et ne pas être religieux mais croire « en Dieu, au créateur du ciel et de la terre » (p.2/21 du rapport d'entretien). Vous indiquez encore avoir grandi et vécu toute votre vie à … et dernièrement avoir habité dans le quartier « … » (p.2/21 du rapport d'entretien).
Lors de votre entretien « Dublin III », vous ne précisez aucun motif de fuite qui expliquerait les raisons pour lesquelles vous auriez quitté votre pays d'origine. En revanche, vous expliquez avoir quitté l'Italie car vous n'auriez pas réussi à vous intégrer, vous n'auriez pas pu travailler, ni pu recevoir des soins médicaux (p.5 du rapport Dublin III), alors que votre protection humanitaire aurait expiré. De plus, vous indiquez ne pas avoir souhaité introduire une demande de protection internationale en France « car je ne voulais pas que mon histoire soit connue de la communauté camerounaise en France » (p.6 du rapport Dublin III), sans pour autant préciser de quelle histoire il s'agirait.
Lors de votre entretien avec le Service de Police Judiciaire vous déclarez avoir quitté votre pays d'origine, le Cameroun, étant donné que votre vie y serait en danger en raison de votre « homosexualité » (p.2 du rapport de police).
Lors de votre entretien individuel sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, vous affirmez cependant ne pas savoir concrètement ce que vous craindriez en cas de retour dans votre pays d'origine. En effet, vous dites « je ne sais pas, sans vous mentir, je ne sais pas (…) » tout en précisant quand bien même par après « (…) c'est compliqué quand vous n'avez pas la sexualité comme tout le monde. Peut-être on se rend compte que vous êtes homosexuel, c'est la sorcellerie, c'est maudit, et personne ne veut s'approcher de quelqu'un de maudit » (p.12/21 du rapport d'entretien).
Quelques lignes plus tard, vous revenez sur votre déclaration initiale citée ci-avant en affirmant cette fois-ci être « bisexuel » et en expliquant « je peux être attiré par une femme, mais aussi un homme. Mais juste les hommes qui se considèrent comme des femmes. Je ne sais pas vraiment vous dire plus, je ne m'intéresse pas à ça » (p.12/21 du rapport d'entretien).
Vous complétez également ces propos en déclarant avoir découvert votre orientation sexuelle « très jeune [vers] 5 ou 6 ans » (p.15/21 du rapport d'entretien).
Vous relatez également avoir été accusé, en 2012, de « pratiques d'homosexualité » par des « gars » de l'association de la jeunesse estudiantine du … (ci-après dénommé « … »), dont vous auriez été membre. En effet, certains membres de l'association auraient lancé ladite « rumeur » sur le chemin du retour d'un voyage organisé par l'association. En 2013, lors des préparatifs d'un autre voyage organisé par l'association, vous expliquez avoir été agressé par des inconnus en rentrant chez vous, lesquels vous supposez être des personnes de l'association ou encore des personnes mandatées par l'association (p.13-15/21 du rapport d'entretien).
Lesdits éléments auraient été déclencheur pour que vous décidiez de quitter votre pays d'origine.
Vous dites finalement qu'il ne vous aurait pas été possible de vous installer dans une autre région ou ville de votre pays d'origine. Cependant, vous affirmez également que « la ville la plus sûre est …, il y a plus de cultures [et] les mentalités sont plus développées et ouvertes » (p.19/21 du rapport d'entretien). Pour donner suite à cette réponse, l'agent ministériel vous a donc interrogé dans quelle mesure vous n'auriez dans ce cas pas pu rester vivre à …, ce à quoi vous avez répondu « Rien c'est vrai. Mais peut-être les gens peuvent dire de moi que je suis un sataniste (…) parce que c'est marqué dans la Bible » (p.19/21 du rapport d'entretien).
A l'appui de votre demande de protection internationale, vous ne présentez aucun document d'identité et aucun autre document qui permettrait d'appuyer vos déclarations.
3. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Il y a lieu de rappeler qu'il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits ainsi que des craintes d'être victime de persécutions ou d'atteintes par lui alléguées, sur base d'un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre les autorités en mesure de saisir l'intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l'analyse d'une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d'évaluation fondamental dans l'appréciation du bien-fondé d'une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.
Or, la question de crédibilité se pose avec acuité dans votre cas alors qu'il y a lieu de constater que vous ne faites pas état de manière crédible qu'il existerait des raisons sérieuses de croire que vous encourriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la Loi de 2015.
En effet, la sincérité de vos propos et la crédibilité de votre récit et de votre motif de fuite sont considérablement remises en cause pour les raisons suivantes.
Premièrement, il convient de constater que vous vous adonnez à des mensonges et contradictions tout au long des différents entretiens de votre demande de protection internationale, contradictions qui touchent à des informations basiques et essentielles de votre vie et sur lesquelles vous devriez incontestablement avoir une version unanime. Or, cela n'est pas votre cas en l'espèce.
En effet, tout d'abord, force est de constater que vous ne semblez pas savoir à quelle date précisément vous auriez quitté votre pays d'origine puisque vous déclarez, d'une part, être parti en 2013 (p.4 du rapport Dublin III et p.2 du rapport de police), puis, d'autre part, être parti en 2017 (p.2/21 du rapport d'entretien). Lorsque l'agent ministériel vous fait remarquer cette contradiction lors de votre entretien individuel, vous déclarez de manière totalement désintéressée « Euh oui, peut-être en 2014 ou 2017, je ne me rappelle plus » en changeant donc de version puisqu'il n'a jamais été question de l'année 2014 et 2017, mais au contraire de l'année 2013 et 2017. De ce fait, l'agent ministériel a essayé de creuser le sujet en vous interrogeant de manière plus précise sur votre réelle date de départ, ce à quoi vous lui répondez être arrivé en Italie en 2015. Or, lorsque l'agent ministériel vous fait alors remarquer que vous ne pourriez pas être arrivé en Italie en 2015 en ayant quitté votre pays d'origine en 2017, vous lui répondez « Oui c'est vrai. (…) j'ai quitté en 2013 », ce qui ne correspond manifestement pas à vos déclarations précédentes. Force est également de relever que vous mentionnez finalement avoir quitté votre pays d'origine en « 2014 » (p.8/21 du rapport d'entretien). Or, il s'agit d'une énième date de départ différente de toutes celles que vous avez mentionné au cours de votre entretien, ce qui de facto ne favorise ni la sincérité de vos déclarations ni la crédibilité de votre récit.
Or, Monsieur, il est légitime d'attendre de votre part, en tant que personne prétendument persécutée dans son pays d'origine et dont la vie aurait été chamboulée que vous soyez en mesure de vous rappeler exactement du jour, du mois et de l'année de votre départ, alors qu'il s'agirait de l'évènement le plus important de votre vie. Quand bien même tel ne devrait pas être le cas, il convient néanmoins d'attendre de votre part que vous gardiez un semblant de logique et d'uniformité et que vous n'avanciez pas des dates différentes de manière aléatoire.
Force est de constater que vos contradictions ne s'arrêtent pas là puisque vous êtes également incapable d'être cohérent en ce qui concerne votre situation familiale. En effet, d'une part, vous affirmez être célibataire et n'avoir qu'un seul fils, le dénommé (D) (p.3 du rapport Dublin III). D'autre part, lorsque les agents du Service de Police Judiciaire ont procédé à la fouille de votre smartphone ils ont découvert une conversation Whatsapp avec une dénommée (B), conversation lors de laquelle vous auriez demandé comment vont « les enfants », ce qui sous-entend donc clairement que vous auriez plusieurs enfants et non pas uniquement un seul fils. Questionné à cet égard, vous expliquez aux agents de police qu'en effet vous auriez un fils avec la dénommée (B), mais que vous ne seriez pas le père du deuxième enfant. Il convient cependant de noter que cette explication ne coïncide pas avec la version avancée lors de votre entretien individuel, qui ne coïncide d'ailleurs également pas avec votre première version, puisque vous y dites avoir « deux enfants en France (…) mon fils est né en … … non en … ! Et ma fille est née il y a … ans » (p.4/21 du rapport d'entretien). Ainsi, vous seriez donc bel et bien le père de deux enfants contrairement à ce que vous avez pu affirmer auparavant. A cet égard, vous expliquez d'ailleurs également encore avoir vécu avec la dénommée (B) en Italie et en France jusqu'en 2020, déclaration qui contredit une nouvelle fois le fait que vous soyez célibataire. A toutes fins utiles, vous faites un dernier revirement à un moment inopportun de votre entretien individuel en déclarant en fait avoir encore « deux enfants en Afrique » (p.13/21 du rapport d'entretien), lesquels vous n'auriez pas jugé nécessaire de mentionner aux autorités luxembourgeoises étant donné qu'elles ne vous auraient pas posé la question.
Or, Monsieur, vos tentatives de justifications ne sauraient aucunement être convaincantes à cet égard alors que vous êtes censé collaborer avec les autorités luxembourgeoises et être de bonne foi dès l'introduction de votre demande de protection internationale. Or, ceci n'est clairement pas votre cas en l'espèce alors que vous ne cessez de mentir ouvertement auxdites autorités et d'omettre délibérément de partager certaines informations.
Toujours dans cette même lignée, il convient de noter que pareil constat s'impose en ce qui concerne votre situation familiale et plus précisément votre fratrie, alors que vous dites, d'une part, n'avoir qu'un seul frère (p.3 du rapport Dublin III), mais d'autre part, avoir « six sœurs » et un frère (p.6/21 du rapport d'entretien), dont quatre sœurs seraient issues du remariage de votre mère.
Or, il convient de relever que même si vous aviez omis de mentionner vos quatre demi-
sœurs lors de votre entretien Dublin III, le compte n'est toujours pas bon, puisque vous affirmez avoir six sœurs, de sorte que vous avez donc manifestement deux sœurs biologiques, lesquelles vous n'avez mentionné à aucun moment de votre entretien Dublin III. Dans cette même logique, il peut être relevé que vous indiquez n'avoir aucun membre de famille en Europe (p.4/21 du rapport d'entretien) alors qu'au contraire vous auriez un cousin qui vit en France en Alsace et auprès duquel vous auriez vécu une partie de votre temps (p.9/21 du rapport d'entretien).
Dès lors, il est clair et non-équivoque que vous mentez ouvertement aux autorités luxembourgeoises et que vous ne dites pas la vérité concernant des informations pourtant basiques et linéaires et pour lesquelles vous devriez incontestablement avoir une version unanime. Un semblant de cohérence au sujet de telles informations peut d'autant plus être attendu de votre part alors que vous êtes une personne instruite ayant fait des études universitaires de sciences juridiques et politiques pendant deux et de comptabilité pendant un an à ….
Deuxièmement, il convient de constater que vous vous adonnez à d'autres mensonges et contradictions qui touchent cette fois-ci à votre vécu et trajet depuis votre arrivée en Europe.
En effet, force est de relever que vous indiquez n'avoir jamais séjourné dans un pays européen autre que l'Italie et la France (p.11/21 du rapport d'entretien). Or, l'agent ministériel a retrouvé de nombreuses photos de vous sur votre profil Facebook (C), lequel vous confirmez explicitement être le vôtre (p.17/21 du rapport d'entretien), lesquelles témoignent de l'inverse et qui contredisent manifestement vos affirmations précédentes. En effet, sous un premier cliché retrouvé sur votre profil Facebook, vous vous trouvez dans un train en direction de la Belgique, alors qu'un commentaire de votre part y a également été inscrit mentionnant « je passe mes congés en Belgique question de changer d'idées » (p.17/21 du rapport d'entretien et cliché FB2). Un deuxième cliché a pu être retrouvé où vous posez fièrement devant un lac en Suisse (p.18/21 du rapport d'entretien et cliché FB3). Toujours en ce sens, un troisième cliché affiche un commentaire de votre part mentionnant « Direction Hollande pour un séjour entre amis » (p.18/21 du rapport d'entretien et cliché sans numéro). Interrogé puis confronté avec lesdits clichés par l'agent ministériel, force est de constater que vous essayez en vain de vous justifier en vous bornant à affirmer que cela ne serait pas le cas. Or, vos tentatives de justifications sont totalement dérisoires puisque les différents clichés prouvent clairement le contraire, de sorte que vous ne savez plus exactement quoi répondre. En ce sens, plusieurs autres clichés (p.18/21 du rapport d'entretien et clichés P2-P6) ont également permis d'infirmer le fait que vous auriez vu vos deux enfants pour la dernière fois en 2018, déclaration que vous avez d'ailleurs confirmé à plusieurs reprises de manière explicite, alors que tous les clichés retrouvés ont été publiés à des dates ultérieures à 2018. Vous sentant très certainement rattrapé par les évènements, vous avouez finalement avoir vu vos enfants pour la dernière fois en 2022, ce qui ne saurait pour autant excuser vos mensonges précédents.
Lors de votre entretien individuel, vous vous contredisez également sur les raisons d'absence d'introduction d'une demande de protection internationale en France. En effet, d'une part, vous n'auriez pas souhaité introduire une demande de protection internationale en France parce que vous n'auriez pas voulu que « votre histoire soit connue de la communauté camerounaise en France ». Or, d'autre part, vous dites ne pas avoir introduit de demande en France parce que vous n'auriez pas trouvé de travail avec votre titre de séjour italien (p.6 du rapport Dublin III). Vous vous recontredisez en affirmant cette fois-ci ne pas y avoir introduit de demande étant donné que vous vouliez « rester seul, rester discret » en confirmant cependant que rien ne vous aurait empêché de le faire, mais que vous n'auriez « juste pas essayer (sic) » (p.9/21 du rapport d'entretien). Une énième fois votre version est changeante et ne correspond pas aux versions précédentes puisque vous n'auriez pas souhaité rester en France parce que votre situation n'y aurait pas été bonne, que vous auriez voulu vous intégrer et tout recommencer à zéro dans un autre pays. A noter que ces dernières affirmations sont également votre motif de départ de l'Italie vers la France (p.10-11/21 du rapport d'entretien).
Monsieur, vos contradictions continuelles emportent manifestement aucune conviction quant à vos réelles craintes. Au contraire, celles-ci appuient tout au plus le fait que vous êtes guidé dans vos démarches par des motifs économiques et personnels, puisqu'une personne réellement persécutée dans son pays d'origine en raison de son orientation sexuelle aurait tout mis en œuvre pour obtenir une protection dans un quelconque autre pays européen sûr. Ce constat est d'autant plus vrai alors que vous aviez initialement obtenu une protection humanitaire en Italie, mais que vous n'avez pas voulu la renouveler. Or, le fait que vous ne semblez pas vous satisfaire de cette protection obtenue en Italie en essayant de trouver mieux ailleurs en Europe laisse les autorités luxembourgeoises très dubitatives quant à vos réels motifs de départ à savoir vos prétendus problèmes liés à votre orientation sexuelle.
Troisièmement et pas des moindres, il convient de constater qu'il est d'autant plus difficile de considérer votre principal motif de fuite comme avéré, respectivement le fait que vous auriez fui votre pays d'origine en raison de votre orientation sexuelle, puisqu'effectivement vous vous adonnez à des contradictions incontestables à cet égard au sein de votre récit.
En effet, lors de l'ouverture de votre demande de protection internationale en juillet 2022 vous semblez être intimement persuadé d'avoir quitté votre pays d'origine en raison de votre homosexualité (cf. fiche de motif et p.2 du rapport de police). Or, lors de votre entretien individuel en août 2023, soit un an plus tard, vous semblez plutôt opter pour l'option de la bisexualité, orientation sexuelle que vous n'avez cependant pas jugé nécessaire de mentionner jusque-là (p.12/21 du rapport d'entretien). Ce constat est d'autant plus avéré, alors que dans votre entretien individuel vous vous perdez dans vos mensonges en parlant d'une part d'homosexualité, d'autre part de bisexualité, pour à nouveau dire que vous seriez homosexuel et cela alors même qu'initialement vous aviez affirmé ne pas savoir pour quelles raisons concrètement vous auriez quitté le Cameroun. Ainsi, Monsieur, vous ne semblez définitivement pas être clair et unanime à cet égard, de sorte que les autorités luxembourgeoises sont dans l'impossibilité de vous croire.
Il semblerait en effet que vous avez cru que les autorités luxembourgeoises allaient prendre pour argent comptant votre orientation sexuelle, or, en vain, puisque l'agent ministériel vous a posé des questions précises à ce sujet, questions auxquelles vous ne vous êtes aucunement efforcé de répondre ou encore de fournir des détails et exemples cruciaux. Au contraire, il ressort de votre entretien individuel que vous semblez vous braquer en adoptant un comportement non-collaboratif et en affirmant répétitivement « Je ne sais pas quoi vous dire (…) je ne sais pas (…) je ne me souviens pas » (p.15-16/21 du rapport d'entretien). Or, il est dès lors évident que votre prétendue homosexualité, respectivement bisexualité, repose que sur vos simples allégations, qui ne sauraient être crédibles alors qu'elles sont non-
constructives, vagues et impersonnelles et ce qui ne saurait également pas refléter la situation d'une personne qui serait réellement homosexuelle, respectivement bisexuelle. Ce constat est notamment encore soutenu par le fait que vous ne savez manifestement pas faire la différence entre ces deux termes, de sorte que vous n'êtes très certainement ni homosexuel ni bisexuel. La facette fictive de votre orientation sexuelle s'impose aussi alors qu'il ressort à aucun moment de la lecture de votre entretien ministériel que vous auriez eu une relation amoureuse et sentimentale stable avec un homme au cours de votre vie, mais uniquement avec une femme, la dénommée (B).
En dehors de ces informations compromettantes pour votre crédibilité concernant votre orientation sexuelle, il y a également lieu de noter que vos connaissances concernant le cadre législatif en vigueur au Cameroun ne sauraient emporter conviction compte tenu de vos allégations vagues. En effet, il est complètement inconcevable qu'une personne qui se prétend être homosexuelle voire bisexuelle depuis ses cinq ou six ans ne connaisse pas le cadre législatif en vigueur et la situation des personnes LGBTQI+ dans son pays d'origine et se borne à affirmer « Euh non, mais je sais que c'est interdit » ou encore « je ne me suis jamais renseigné » (p.17/21 du rapport d'entretien). Pareille conclusion s'impose concernant le fait de ne pas savoir si différentes associations sont actives ou non sur le terrain au sujet de la protection des droits des personnes LGBTQI+.
Toujours concernant votre supposée orientation sexuelle, force est de noter que vous expliquez vaguement au sujet de l'incident qui vous aurait poussé à quitter votre pays d'origine, qu'une rumeur aurait été lancée à votre égard, rumeur qui aurait ensuite causée cette prétendue agression. Or, Monsieur, cet incident est également sérieusement à remettre en doute, alors que vous ne savez pas qui vous aurait réellement agressé, puisque vous supposez uniquement qu'il s'agirait des « gars » de l'association, sans certitude et sans réellement les identifier. Dans cette même optique, vous ne sauriez également pas dire avec certitude si cette agression aurait été liée à votre prétendue orientation sexuelle et de facto à la rumeur, étant donné qu'il aurait également pu s'agir d'une simple agression banale pour une tout autre raison. Quand bien même cet incident devrait être avéré, quod non, vous auriez manifestement pu porter plainte auprès des autorités policières camerounaises, ce que vous n'avez pas jugé nécessaire de faire. Par conséquent, il convient sérieusement de s'interroger si vous ne cherchez pas tout simplement à vous faire passer pour une victime, ce qui n'est pas le cas, afin d'augmenter vos chances d'obtenir une protection internationale.
Monsieur, dès lors, il convient réellement de s'interroger si vous n'essayez pas sciemment de manipuler les autorités desquelles vous souhaitez obtenir une protection, en répondant de la manière la plus vague possible comme « je ne sais plus », respectivement « je ne sais pas » ou encore « je ne me rappelle pas », « j'ai pas envie de demander » et « je ne suis pas concentré » et cela dans un but précis de ne pas devoir répondre clairement aux questions alors que vous vous êtes enlisé dans des mensonges. Ce comportement est d'ailleurs de front avec l'attitude que vous adoptez tout au long de la procédure de votre demande, notamment le fait de ne pas vouloir collaborer, d'être totalement passif, d'être sur la réserve ou encore de ne pas vous être présenté à votre entretien sans aucune raison. Dès lors, il va de soi que les autorités luxembourgeoises s'interrogent alors également sur les raisons pour lesquelles elles devraient croire à votre histoire et à vos craintes liées à votre prétendue orientation sexuelle étant donné que votre récit n'est pas crédible. Au contraire, les autorités luxembourgeoises sont persuadées que vos tromperies démontrent clairement que votre récit est inventé de toutes pièces et que votre prétendue orientation sexuelle n'est qu'un subterfuge fallacieux de plus que vous utilisez afin d'augmenter la probabilité de vous voir octroyer une protection internationale au Luxembourg, respectivement de vous trouver une alternative vous permettant de régulariser votre situation administrative en Europe.
A toutes fins utiles, le manque de crédibilité de votre récit est une dernière fois accentué par le comportement que vous avez adopté depuis votre arrivée en Europe, tel que déjà relevé succinctement en amont. En effet, vous n'avez pas jugé utile de renouveler votre titre de séjour obtenu en Italie et vous n'avez pas non plus jugé nécessaire de faire une demande de protection internationale ni en France, ni en Belgique, ni en Suisse, ni au Pays-Bas. Vous dites également ne pas avoir demandé un nouveau passeport à l'ambassade camerounaise parce que vous auriez été « occupé dans ma tête. Je pensais à autre chose » (p.3/21 du rapport d'entretien), or, un tel comportement ne correspond pas à une affirmation qu'on attendrait d'une personne réellement en danger dans son pays d'origine en raison de son orientation sexuelle. En effet, une telle personne aurait tout simplement répondu qu'elle ne pourrait pas trouver une protection auprès des autorités de son pays, contrairement à ce que vous avez répondu. Pareil constat s'impose lorsque vous dites que rien ne vous aurait empêché de rester vivre à … étant donné qu'il s'agirait, selon vous, de la ville la plus sûre, la plus cultivée et la plus développée (p.19/21 du rapport d'entretien). Or, une telle affirmation ne saurait à nouveau être avancée par une personne homosexuelle, respectivement bisexuelle, qui aurait réellement craint d'être persécutée dans son pays d'origine, où son orientation sexuelle est clairement interdite et pénalisée.
Ainsi, au vu de tous les éléments qui précèdent, il découle clairement de l'analyse de votre dossier administratif que vous n'êtes pas homosexuel, respectivement bisexuel contrairement à ce que vous tentez de faire croire aux autorités luxembourgeoises, de sorte qu'il est évident que vous avez inventé ce motif de fuite dans le but d'aggraver votre situation dans votre pays d'origine et d'augmenter vos chances d'obtenir une protection internationale.
De plus, vous mentez ouvertement aux autorités luxembourgeoises tout au long de votre demande de protection internationale, comportement qui ne saurait être toléré.
Partant, votre récit n'étant pas crédible, aucune protection internationale ne vous est accordée.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.
Suivant les dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination du Cameroun, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 mars 2024, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant suivant son dispositif à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle du 11 mars 2024 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre la décision de refus d’une demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision ministérielle du 11 mars 2024, prise en son double volet, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
1) Quant au recours visant la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours et au-delà des faits et rétroactes relatés ci-dessus, le demandeur renvoie de manière générale à ses déclarations consignées dans le rapport d’entretien des 8 et 23 août 2023, et expose qu’après avoir quitté le Cameroun en 2013, il aurait traversé plusieurs pays de l’Afrique du Nord avant d’embarquer en Lybie sur un bateau clandestin qui l’aurait amené en Italie où un titre de séjour lui aurait été délivré pour raisons humanitaires de 2016 à 2018. Il explique encore qu’il aurait travaillé au noir en tant que coiffeur jusqu’en 2022 et que bien qu’il ait séjourné à plusieurs reprises en France en 2019 et 2021, il n’y aurait pas demandé de protection internationale.
En droit, le demandeur reproche au ministre d’avoir « tiré des conclusions hâtives concernant [s]a situation », en faisant valoir que s’il n’avait pas été en mesure de renouveler son titre de séjour en Italie, ce serait dû au fait qu’il n’y serait pas parvenu à trouver du travail ce qui constituerait, selon les autorités italiennes, qui ne lui auraient d’ailleurs fourni aucune assistance dans sa quête d’un emploi, un prérequis nécessaire au renouvellement de son titre de séjour.
Le demandeur critique la décision litigieuse en ce qu’elle aurait remis en cause la crédibilité de son récit, alors qu’il se serait pourtant efforcé de « rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits, ses craintes et les persécutions dont il a[urait] fait l’objet au Cameroun, sur base d’un récit crédible et cohérent, même si parfois, compte tenu de son parcours chaotique, principalement en Italie et en France, il a[urait] perdu la notion des dates ». Il en conclut que l’analyse de sa demande de protection internationale ne devrait pas se limiter à la pertinence des faits rapportés par lui, mais devrait également être appréciée à l’aune des éléments de preuve et de la crédibilité de ses déclarations.
En se prévalant de l’article 37, paragraphe (3), points a) et c) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur estime que le ministre aurait fait une mauvaise analyse de sa situation dans son pays d’origine en ce qu’il n’aurait pas procédé à l’évaluation individuelle de sa demande de protection internationale conformément au prédit article, et en ce qu’il n’aurait pas tenu compte de tous les faits pertinents concernant son pays d’origine, y compris les lois et règlements en vigueur dans celui-ci et la manière dont ils y sont appliquées.
Il serait en l’occurrence évident que la décision litigieuse reposerait sur une situation qui ne correspondrait aucunement aux réalités sécuritaires, politiques et institutionnelles du Cameroun, a fortiori pour les personnes issues de la communauté LGBT à laquelle il appartiendrait.
A ce sujet, le demandeur donne à considérer qu’au Cameroun, le fait d’avoir des rapports sexuels avec une personne du même sexe serait passible d’une peine de six mois à cinq ans de prison et d’une amende allant jusqu’à deux cent mille francs, conformément à l’article 347-1 du Code pénal camerounais. Il explique que si la Constitution du Cameroun prévoyait certes l’égalité des droits pour tous les citoyens et la protection des minorités, il n’en demeurerait pas moins qu’aucune loi n’interdirait explicitement la discrimination des personnes LGBT. Le demandeur rappelle ensuite que lors des entretiens des 8 et 23 août 2023, il aurait déclaré à plusieurs occasions que sa bisexualité serait considérée comme « de la sorcellerie ou du satanisme » et affirme dans ce contexte s’être fait agresser par des membres d’une association appelée « … », pour laquelle il aurait travaillé, après la découverte par ceux-
ci de son orientation sexuelle. Comme la loi interdirait « son genre sexuel », il ne lui aurait pas été possible de porter plainte pour cette agression.
Dans un même ordre d’idées, le demandeur reproche au ministre de s’être limité « à détourner et à minimiser [s]es propos […] et à douter de leur sincérité », plutôt que d’analyser en toute objectivité le bien-fondé du risque de persécution dont il ferait l’objet en raison de son orientation sexuelle.
Le demandeur soutient ensuite qu’il satisferait aux trois conditions cumulatives auxquelles est soumis l’octroi du statut de réfugié, à savoir que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, revêtent une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la prédite loi et émanent de personnes qualifiées comme acteurs conformément à l’article 39 de la même loi.
Le demandeur invoque encore à son profit la présomption prévue à l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, laquelle trouverait application en l’espèce dans la mesure où (i) il aurait été agressé et menacé en raison de son appartenance à un certain groupe social, à savoir la communauté LGBT, (ii) le code pénal camerounais condamnerait son orientation sexuelle et (iii) aucune loi n’interdirait expressément la discrimination à l’encontre de personnes LGBT, si bien que le ministre ne saurait contester qu’il existerait « de bonnes raisons de penser que ces persécutions ou ces atteintes graves pourraient se reproduire ».
En ce qui concerne le refus ministériel de faire droit à sa demande de protection subsidiaire, le demandeur cite les articles 48 et 39 de la loi du 18 décembre 2015 et fait valoir, en substance, que les faits invoqués par lui seraient à qualifier d’atteintes graves « aux droits fondamentaux de l’homme », ce qui serait à suffisance rapporté par le fait qu’il aurait dû fuir en Europe, qu’il craindrait de rentrer au Cameroun de peur de subir des traitements dégradants et humiliants sous forme de menaces d’agressions et d’emprisonnement, et que l’auteur de ces « persécutions » serait l’Etat camerounais à travers sa législation, et plus précisément à travers son code pénal. Il en conclut que les conditions cumulatives pour l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire se trouveraient réunies dans son chef.
Etant donné que l’ensemble des conditions relatives à l’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire seraient remplies dans son chef, ce serait à tort que sa demande de protection internationale aurait été refusée, de sorte qu’il y aurait lieu de réformer la décision sous analyse.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.
Suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, il appartient d’abord au tribunal de vérifier la légalité extrinsèque de l’acte lui déféré, avant de se livrer, par le biais de l’examen de la légalité des motifs, au contrôle de la légalité intrinsèque.
Au titre de la légalité externe, le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir procédé à une évaluation individuelle de sa demande en violation de l’article 37, paragraphe (3), points a) et c) de la loi du 18 décembre 2015, qui dispose ce qui suit : « […] (3) Le ministre procède à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale en tenant compte des éléments suivants :
a) tous les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande, y compris les lois et règlements du pays d’origine et la manière dont ils sont appliqués ; […] c) le statut individuel et la situation personnelle du demandeur, y compris des facteurs comme son passé, son sexe et son âge, pour déterminer si, compte tenu de la situation personnelle du demandeur, les actes auxquels le demandeur a été ou risque d’être exposé pourraient être considérés comme une persécution ou une atteinte grave ; […] ».
En l’espèce, il ressort de la décision ministérielle déférée qu’elle contient un résumé des déclarations du demandeur et indique de manière détaillée les raisons ayant amené le ministre à refuser la demande de protection internationale de l’intéressé, à savoir le manque de crédibilité dont serait affectée l’intégralité de son récit en relation avec son vécu dans son pays d’origine sans que le demandeur n’explique dans quelle mesure exactement l’évaluation individuelle qui a été faite de sa demande ne serait pas conforme aux dispositions des points a) et c) de l’article 37, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015. La seule circonstance que l’instruction de la demande de protection internationale de Monsieur (A), respectivement l’appréciation que le ministre a faite de ses déclarations lors de ses auditions, n’ait pas abouti à l’octroi d’une protection internationale ne permet, en tout état de cause, pas au demandeur de soutenir valablement que l’article 37 précité de la loi du 18 décembre 2015 aurait été violé. Le moyen tiré d’une violation de l’article 37, paragraphe (3), points a) et c) de la loi du 18 décembre 2015 est dès lors à rejeter.
Par ailleurs, il ne résulte d’aucun élément soumis en cause que le ministre n’aurait pas pris en compte les contextes sécuritaire, politique et institutionnel réels du Cameroun, tel que le fait plaider le demandeur.
Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, point g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».
Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :
« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :
a) l’Etat;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».
Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. L’article 2, point g), précité, définit, quant à lui, la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que […], si elle était renvoyée dans son pays d’origine […], courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. En revanche, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les persécutions et les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas.
Il s’ensuit que l’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
Par ailleurs, le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves1.
En l’espèce, il se dégage du dossier administratif que le demandeur avait indiqué dans sa fiche de motifs le motif suivant pour sous-tendre sa demande de protection internationale introduite en date du 25 juillet 2022 : « A cause de ma sexualité différente, si tu es homosexuel dans mon pays, tu risque ta vie chaque jour. Moi j’ai besoin de vivre libre, malgré ma sexualité différente », tout en cochant le même jour, à la deuxième page du document intitulé « Données personnelles déclarées », la case « Non » à la question de savoir si des membres de sa famille résident au Luxembourg, respectivement dans l’Union européenne, et en renseignant encore l’année 2013 comme date de départ de son pays d’origine.
Le même jour, le demandeur a été entendu par un policier de la section criminalité organisée – police des étrangers, qui a consigné les déclarations suivantes du demandeur dans le rapport y afférent : « Ich musste den Kamerun verlassen, da mein Leben in Gefahr ist. Ich bin homosexuell ». Comme le demandeur n’avait pas de documents d’identité sur lui, il a été procédé à une vérification de son téléphone portable dans lequel le policier a pu découvrir une 1 Trib. adm. 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2024, Etrangers, n° 142 et les autres références y citées.
conversation dans l’application Whatsapp dans laquelle le demandeur s’était renseigné sur ses enfants auprès d’une dénommée (B), dans les termes suivants : « (B), les enfants vont bien s’il te plaît je veux les parler dis à (D) de m’appeler ». Interrogée à ce sujet, le demandeur a reconnu avoir eu un seul rapport sexuel avec une femme et qu’un enfant serait né de cette relation, tout en soutenant que l’autre enfant ne serait pas de lui et que « [d]ie Frau würde ihm das Kind anhängen wollen ».
Lors d’un deuxième entretien qui s’est tenu en date du 27 juillet 2022, soit deux jours plus tard et dont l’objectif était de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, le demandeur a, avant de répondre de nouveau par la négative à la question de savoir si d’autres membres de sa famille se trouvent sur le sol luxembourgeois, respectivement sur celui d’un autre pays de l’Union européenne, reconnu être le père d’un enfant prénommé (D), en précisant toutefois qu’il ne serait plus en couple avec la mère de l’enfant2. Quant à la question de savoir pour quelle raison il n’avait pas déposé de demande de protection internationale en France, le demandeur a répondu « J’ai cru pouvoir travailler en France grâce à mon titre italien [lire titre de séjour pour raisons humanitaires], mais les autorités françaises m’ont dit que non. Je n’ai pas introduit de demande, car je ne voulais pas que mon histoire soit connue de la communauté camerounaise en France. »3.
Ensuite, à l’occasion des entretiens des 8 et 23 août 2023 – le Luxembourg étant dans l’intervalle devenu responsable pour l’examen de la demande de protection internationale du demandeur, introduite en date du 25 juillet 2022, en raison du fait que le transfert vers l’Italie de celui-ci n’a pas pu être effectué dans les délais prévus par l’article 29, paragraphe (2) du règlement Dublin III –, le demandeur a indiqué l’année 2017 comme date de départ de son pays d’origine. À la suite de la remarque de l’agent ministériel lui rappelant qu’il avait pourtant initialement indiqué avoir quitté le Cameroun déjà en 2013, le demandeur a répondu « Et oui, peut-être en 2014 ou 2017, je ne m’en rappelle plus. »4 et ensuite, questionné sur sa date d’arrivée en Europe, il a indiqué « En 2015…fin 2015 comme ça, en Italie »5. L’agent ministériel a dans ce contexte pointé la contradiction résultant des déclarations du demandeur, à savoir qu’il ne pourrait pas avoir quitté le Cameroun seulement en 2017 et être arrivé en Italie en 2015, ce qui a amené le demandeur à revenir sur ses déclarations précédentes, en précisant « […] Non, j’ai quitté en 2013 »6. Force est ainsi de constater que le demandeur a fait des déclarations contradictoires sur une question aussi simple qui est celle de la date départ de son pays d’origine et dont la réponse ne devrait, en principe, pas poser de difficultés, a fortiori pour quelqu’un qui affirme avoir traversé plusieurs pays de l’Afrique du Nord pour finalement embarquer en Lybie sur un bateau clandestin en partance pour l’Italie, un périple des plus périlleux qui ne devrait pas avoir manqué de marquer profondément celui qui l’a vécu.
L’explication fournie à ce sujet par le demandeur consistant à dire que « compte tenu de son parcours chaotique […] il a[urait] perdu la notion des dates » n’est en tout état de cause pas de nature à emporter la conviction du tribunal.
Le tribunal se doit ensuite de constater que les contradictions et incohérences continuent d’être un fil rouge tout au long des différents entretiens du demandeur. Ainsi, si lors de son entretien Dublin III en date du 27 juillet 2022, le demandeur avait encore indiqué qu’il aurait séjourné en Italie de 2016 à 2022 en précisant que « [d]e 2020 à 2022, je travaillais en tant que 2 page 3 du rapport d’entretien Dublin III du 27 juillet 2022.
3 Ibid. page 6.
4 page 2 du rapport d’entretien des 8 et 23 août 2023.
5 Ibid.
6 Ibid.
coiffeur (au noir) pour pouvoir payer mon appartement et l[a] vie en Italie », il a ensuite, environ une année plus tard lors de ses entretiens des 8 et 23 août 2023, changé de version en déclarant cette-fois-ci : « En 2020. J’ai quitté l’Italie en fait, car je ne pouvais plus avoir le séjour humanitaire […] Donc j’ai dû quitter l’Italie. Et je suis venu en France, entre 2019 et 2020, j’ai vécu à … chez un ami […]. Je suis resté là quelques temps, jusqu’en 2020, je sais plus exactement. Après […] je suis allé à … chez un cousin à moi. […] J’ai vécu à …. »7.
A la question de l’agent ministériel de savoir ce qui l’aurait empêché de demander une protection internationale en France, le demandeur a déclaré « Rien, rien. Mais ne n’ai juste pas essayer »8, tandis qu’il avait auparavant affirmé ne pas avoir voulu y introduire une demande de protection internationale afin d’éviter que la communauté camerounaise, qui serait très présente sur le territoire français, n’apprenne sa situation et sa présence en France.
Quant aux questions posées au demandeur au sujet de ses enfants et de son orientation sexuelle, force est au tribunal de constater que là encore le demandeur a constamment adapté ses réponses en fonction des informations que les agents ministériels avaient entre-temps pu recueillir. Ainsi, s’il avait encore dans un premier temps soutenu être homosexuel et n’avoir eu qu’une seule relation sexuelle avec une femme qui serait tombée enceinte et aurait donné naissance à son fils (D) – ce dont il n’a cependant uniquement fait état qu’après la découverte par le policier de la conversation sur l’application Whatsapp dans laquelle il demandait des nouvelles de ses enfants –, il a, dans un deuxième temps, lors de ses entretiens des 8 et 23 août 2023, affirmé être bisexuel et avoir deux enfants en France qui y vivraient ensemble avec leur mère, une dénommée (B). A la question de l’agent ministériel pour quelle raison il n’avait pas mentionné sa fille (E) lors de l’entretien Dublin III du 27 juillet 2022, le demandeur a simplement répondu « Bon, ça je ne sais pas »9. Ensuite, il a encore déclaré spontanément avoir deux autres enfants, (F) et (G), qui seraient cependant restés en Afrique et qui seraient également issus de sa relation avec la dénommée (B)10 qui aurait entre-temps « eu des papiers en France »11 et qui serait « en train de les ramener en France »12. Force est ainsi au tribunal de constater qu’en l’espace de trois entretiens seulement, le demandeur a plusieurs fois changé de récit, en affirmant d’abord être un homme homosexuel sans enfants pour ensuite concéder être le père d’un enfant qu’il aurait eu suite à un relation sexuelle qu’il aurait eue avec une femme, pour enfin se révéler bisexuel et père de quatre enfants tous issus d’une relation avec la dénommée (B), avec laquelle il aurait entretenu une relation – avec quelques interruptions – de 2005 jusqu’à leur séparation il aurait eu lieu il y a « un an et demi »13.
Le tribunal est, dès lors, amené à constater que toutes les incohérences et contradictions décrites ci-avant sont de nature à jeter un doute considérable sur la crédibilité de l’intégralité du récit du demandeur et a fortiori également sur son motif de fuite tenant à son orientation sexuelle.
Le manque de crédibilité du récit du demandeur, pris dans son ensemble, se trouve encore corroboré par le défaut de collaboration dont il a fait preuve tout au long du traitement de sa demande de protection internationale et qui se dégage notamment du rapport d’entretien 7 page 3 du rapport d’entretien des 8 et 23 août 2023.
8 Ibid, page 9.
9 Ibid, page 6.
10 Ibid, page 13.
11 Ibid, page 14.
12 Ibid.
13 page 5 du rapport d’entretien des 8 et 23 août 2023.
des 8 et 23 août 2023 et plus particulièrement de ses réponses aux questions lui posées par l’agent ministériel. A titre d’exemple, à la question de l’agent ministériel de savoir quels documents le demandeur serait en mesure de lui remettre concernant les motifs invoqués à la base de sa demande de protection internationale, celui-ci a répondu que « Non, je n’ai pas de documents. Mais j’avais un avocat à Brescia. C’était l’avocat d’une association qui s’appelle … »14 et à la question de savoir pourquoi il ne lui serait pas possible de contacter ledit avocat pour recevoir communication de toute la documentation et des pièces relatives à sa demande de protection internationale en Italie, il a répondu « Je ne sais pas, j’ai pas envie de demander »15. Après que l’agent ministériel lui a rappelé que ce serait pourtant dans son intérêt de le faire, il a simplement déclaré « Non, je sais pas…ce n’est pas important pour moi »16.
Ces réponses dénotent ainsi sans aucune équivoque le manque d’intérêt que Monsieur (A) a porté à sa demande de protection internationale, lequel est encore accentué par la manière dont il a répondu à certaines questions lui posées par l’agent ministériel. Ainsi, par exemple, ce dernier a-t-il remarqué que « Monsieur semble désintéressé »17 lorsqu’il s’agissait d’apporter des précisions au sujet de son orientation sexuelle – laquelle constitue pourtant le seul motif invoqué par le demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale et dont la bonne compréhension par l’agent ministériel revêt ainsi une importance capitale pour le sort à réserver à son dossier – et que « Monsieur soupire »18 à la question de savoir ce qui l’aurait empêché de demander une protection internationale en France. Son désintérêt s’est encore traduit par le fait qu’il ne s’est pas présenté à l’heure convenue pour la continuation de son entretien en date du 23 août 2023, qui a partant dû être reporté19 et qu’il n’a fait aucun effort pour se procurer les documents dont il était censé se munir pour l’entretien du 23 août 2023, à savoir des documents officiels prouvant son identité et l’acte de naissance de ses enfants en Afrique, en expliquant son inaction par le fait qu’il était fatigué, respectivement qu’il n’y avait pas pensé20.
Or, une telle attitude nonchalante et indifférente n’est aucunement compatible avec celle d’une personne réellement en quête de protection internationale, en ce qu’elle laisse transparaître un manque total de sérieux dans la démarche du demandeur qui a, de par son comportement, jeté un voile de doute sur l’ensemble de son récit et qu’il n’est d’ailleurs pas parvenu, même partiellement, à lever à travers sa requête introductive d’instance, faute par lui d’avoir soumis à l’appréciation du tribunal ne serait-ce que le moindre début d’explication aux nombreuses contradictions et déclarations lacunaires relevées par le ministre, si ce n’est celle aucunement convaincante de dire qu’il « aurait perdu la notion des dates en raison de son parcours chaotique ».
A cela s’ajoute encore le fait qu’à la suite de son arrivée en Italie en 2016, le demandeur a attendu plus de six ans avant d’introduire sa demande de protection internationale au Luxembourg et n’avait ainsi songé, dans l’intervalle, ni à régulariser sa situation en Italie, ni à introduire une demande de protection internationale en France lorsqu’il séjournait pendant plusieurs mois à Vitry-sur-Seine, respectivement à Illhaeusern, ni dans aucun des pays qu’il 14 Ibid, page 11.
15 Ibid.
16 Ibid, page 12.
17 Ibid, page 15.
18 Ibid, page 9.
19 Ibid, page 15.
20 Ibid, pages 4 et 14.
avait entre-temps visités, que ce soit en Belgique, aux Pays-Bas ou encore en Suisse où il aurait été de passage.
Le comportement du demandeur témoigne ainsi plutôt de celui d’une personne cherchant, par le biais d’une demande de protection internationale, à régulariser sa situation administrative après avoir séjourné pendant plus de six ans de manière irrégulière sur le territoire de divers Etats membres de l’Union européenne, ce qui n’est cependant en adéquation ni avec l’esprit, ni avec la finalité de l’instrument de la protection internationale. Que tel semble en effet avoir été le dessein du demandeur se trouve confirmé par la réponse qu’il a donnée à la question de l’agent ministériel de savoir pour quelle raison il aurait finalement décidé de venir au Luxembourg : « Je me suis renseigné quelques jours avant de quitter …. Je voulais aller Allemagne. Je voulais quitter la France, parce que je voulais m’intégrer dans un autre pays, où je recommence tout à zéro »21. A la question de savoir ce qu’il faudrait entendre par là, le demandeur a expliqué que « Je me rendais compte que depuis que je suis arrivé en France, je n’avais plus de travail, plus de séjour en France, Je voulais venir ici pour recommencer ma vie de zéro. Ça veut dire, revoir ce que j’ai mal fait au niveau des papiers, de l’intégration, du travail. »22.
Eu égard aux constatations qui précèdent et plus particulièrement aux incohérences dont est parsemé le récit du demandeur, telles que soulevées ci-avant, force est au tribunal de constater que les conditions visées à l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, pour pouvoir se prévaloir du bénéfice du doute sans avoir à étayer ses dires par des preuves probantes, à savoir que le demandeur s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, qu’il a livré tous les éléments dont il disposait et que ses déclarations sont cohérentes, ne sont pas remplies, de sorte que son récit doit être considéré comme n’étant pas crédible dans son intégralité, sans qu’il soit nécessaire de prendre position sur les autres points soulevés par le ministre.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent et des éléments à son appréciation, le tribunal est amené à conclure que le ministre a, à bon escient, refusé d’octroyer une protection internationale au demandeur, de sorte que le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle lui refusant ladite protection encourt le rejet pour être non fondé.
2) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire A l’appui de son recours contre l’ordre de quitter le territoire, le demandeur expose que comme il y aurait lieu de réformer la décision litigieuse en ce sens de lui conférer le statut de réfugié, sinon de bénéficiaire d’une protection subsidiaire, l’ordre de quitter le territoire serait alors dépourvu de fondement aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015.
A titre subsidiaire, il soutient que l’ordre de quitter le territoire serait contraire à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 concernant la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 ».
Le délégué du gouvernement conclut également au rejet de ce volet du recours.
21 page 10 du rapport d’entretien des 8 et 23 août 2023.
22 Ibid.
Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « […]Une décision du ministre vaut décision de retour […] », cette dernière notion étant définie par l’article 2 q) de la même loi comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », étant encore relevé, à cet égard, que si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, le ministre a a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
S’agissant de l’article 129, précité, de la loi du 29 août 2008, celui-ci dispose que:
« L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », renvoyant à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », aux termes duquel : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ». Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour au Cameroun, le tribunal a ci-avant conclu que comme le récit du demandeur est dépourvu de crédibilité, il ne saurait se voir octroyer l’un des statuts conférés par la protection internationale, de sorte que le tribunal ne saurait pas non plus se départir à ce niveau-ci de son analyse.
Ainsi, au vu de ce qui précède, force est de constater qu’il n’existe aucun risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH et l’article 129 de la loi du 29 août 2008, de sorte que le moyen y afférent est à rejeter.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter pour être également non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 11 mars 2024 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 11 mars 2024 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Caroline Weyland, premier juge, Melvin Roth, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 31 mars 2025 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 22