Tribunal administratif N° 48592 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48592 2e chambre Inscrit le 24 février 2023 Audience publique du 31 mars 2025 Recours formé par Madame (A), … (Chine), contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 48592 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 février 2023 par Maître Cédric SCHIRRER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le … à … (Chine), de nationalité chinoise, demeurant à … (Chine), tendant à l’annulation d’une décision implicite du ministre de l’Immigration et de l’Asile portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une autorisation de séjour pour raisons privées ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 mai 2023 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Cédric SCHIRRER déposé au greffe du tribunal administratif le 21 juin 2023 pour le compte de Madame (A), préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Catherine HUBER, en remplacement de Maître Cédric SCHIRRER, et Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 février 2025.
Par courrier de son litismandataire daté du 5 septembre 2022, Madame (A), de nationalité chinoise, sollicita une autorisation de séjour pour raisons privées sur base de l’article 78, paragraphe (1), point a) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 ». Par ce même courrier du 5 septembre 2022, elle introduisit également dans le chef de son époux, Monsieur (B), et de ses enfants mineurs (C) et (D), une demande de regroupement familial, sinon une demande d’autorisation de séjour pour raisons privées, sur base respectivement des articles 69 et 78, paragraphe (1), point b) de la même loi.
A défaut de réponse de la part du ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-
après par « le ministre », à la demande précitée dans un délai de trois mois, Madame (A) a fait introduire par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 février 2023, Madame (A) a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision implicite duministre portant refus de lui accorder une autorisation de séjour pour raisons privées, telle que sollicitée par courrier du 5 septembre 2022.
Il se dégage du dossier administratif que quatre jours plus tard, le ministre a, par décision du 28 février 2023, expressément refusé de faire droit à la demande d’autorisation de séjour pour raisons privées dans le chef de Madame (A), ainsi qu’à la demande d’un regroupement familial, sinon d’une autorisation de séjour pour raisons privées dans le chef de son époux et de ses enfants mineurs.
La décision ministérielle du 28 février 2023 est libellée comme suit :
« […] J’ai l’honneur de me référer à votre courrier du 8 septembre 2022 reprenant l'objet sous rubrique.
Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.
En effet, le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour raisons privées au ressortissant de pays tiers qui rapporte la preuve qu'il peut vivre de ses seules ressources conformément à l'article 78, paragraphe (1) point a) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration.
Les ressources du demandeur sont évaluées par rapport à leur nature et leur régularité en application de l'article 7 du règlement grand-ducal modifié du 5 septembre 2008 définissant les critères de ressources et de logement prévus par la loi du 29 août 2008 précitée.
En conséquence, les pièces versées doivent à elles seules être considérées comme preuves suffisantes au regard des dispositions légales précitées et doivent être examinées tant par rapport à leur nature que leur régularité.
Or, les avoirs bancaires d'un montant de … RMB et de … EUR sur des comptes bancaires auprès de la « (AA) » dont Madame (A) est titulaire représentent une situation financière momentanée et ne garantissent en rien la pérennité à l'avenir. En effet, vu l'arrêt N°46467C du rôle du 16 décembre 2021 prononcé par la Cour Administrative « un extrait bancaire relativement à des dépôts en compte, ne témoigne pas non plus ipso facto et définitivement de l'existence de ressources suffisantes ».
Il est par ailleurs de notoriété publique que les standards en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et contre le financement du terrorisme applicables en Chine diffèrent de ceux applicables au sein de l'Union européenne, de sorte que la légitimité de la provenance des fonds en question est, pour le moins, sujette à caution.
Votre mandante perçoit par ailleurs un revenu mensuel d'un montant de … RMB, équivalent à environ … Eur à ce jour de la société « (BB) » sur son compte en Chine. Toutefois, je donne à considérer que ce revenu est soumis à un cours de change qui peut varier à tout moment.
Les revenus pouvant être générés par les parts de Madame (A) dans la société « (BB) » ne sont pas à qualifier comme fiables et stables, étant donné qu'ils dépendent d'une activité commerciale dont les performances passées ne garantissent pas celles de l'avenir.
2 Au vu de ce qui précède et étant donné qu'il n'y pas de regroupant disposant d'un titre de séjour permettant de demander le regroupement familial, je ne peux pas non plus donner de suite favorable à votre demande de regroupement familial dans le chef Monsieur (B) et des enfants (C) et (D).
Par ailleurs, Monsieur (B) et les enfants (C) et (D) n'ont jamais bénéficié d'une autorisation de séjour en qualité de membre de famille qui pourrait leur permettre de tomber dans le champ d'application de l'article 78, paragraphe (1), point b) de la loi du 29 août 2008 précitée.
À titre subsidiaire, il n'est pas prouvé que vos mandants prouvent les conditions afin de bénéficier d'une autorisation de séjour à d'autres fins dont les différentes conditions sont fixées à l'article 38 de la loi du 29 août précitée.
Par conséquent, l'autorisation de séjour leur est refusée sur base de l'article 101, paragraphe (1) point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée. […] ».
A l’audience des plaidoiries du 10 février 2025, le tribunal a d’office soulevé la question de l’incidence de la décision ministérielle du 28 février 2023, précitée, sur l’objet du présent recours introduit en date du 24 février 2023 et dirigé contre une décision implicite de refus du ministre résultant du silence gardé pendant plus trois mois à la suite de l’introduction de la demande précitée du 5 septembre 2022 tendant, entre autres, à l’obtention dans le chef de la demanderesse d’une autorisation de séjour pour raisons privées sur base de l’article 78, paragraphe (1), point a) de la loi modifiée du 29 août 2008.
Le litismandataire de Madame (A) a conclu à la recevabilité du recours sous examen en se basant sur un jugement du tribunal administratif du 28 août 2003, inscrit sous le numéro 16841 du rôle, tandis que le délégué du gouvernement s’est rapporté à prudence de justice.
Aux termes de l’article 4, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », « Dans les affaires contentieuses qui ne peuvent être introduites devant le tribunal administratif que sous forme de recours contre une décision administrative, lorsqu’un délai de trois mois s’est écoulé sans qu’il soit intervenu aucune décision, les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée et se pourvoir devant le tribunal administratif. ».
L’article 4, paragraphe (1) de la loi du 7 novembre 1996 instaure une présomption de décision de refus non datée et non notifiée afin de permettre à l’administré de recourir à la justice pour contester l’inaction prolongée de l’autorité compétente. Cette présomption naît à l’expiration du délai de trois mois après l’introduction de la demande et elle n’est pas limitée dans le temps, entraînant que l’administré n’est forclos dans aucun délai pour déférer aux juridictions administratives une telle décision implicite de rejet. Cette présomption est toutefois anéantie par l’émission, même après l’expiration du délai de trois mois suite au dépôt de la demande, d’une décision expresse statuant sur la demande en cause par l’autorité compétente, laquelle doit alors être considérée comme traduisant seule la position de l’autorité compétente sur la demande lui soumise. Partant, un recours dirigé contre le silence de l’administration du fait par celle-ci de ne pas avoir pris de décision expresse dans un délai de trois mois à partir del’introduction de la demande doit être déclarée irrecevable si, après l’expiration de ce délai, l’autorité à qui la demande a été adressée, a pris une décision expresse en réponse à celle-ci1.
En effet, lorsqu’une décision négative constitutive d’une fiction juridique se dégageant de l’inaction de l’administration est suivie d’une décision négative expresse, la décision négative fictive a perdu sa consistance par le fait même de la prise de la décision explicite, étant entendu que c’est par rapport à une seule et même demande que ces deux décisions, respectivement fictive et expresse sont intervenues2.
En l’espèce, dans la mesure où la demanderesse a, par courrier de son litismandataire du 5 septembre 2022, introduit auprès du ministre une demande d’autorisation de séjour pour raisons privées dans son chef, ainsi que d’un regroupement familial, sinon d’une autorisation de séjour pour raisons privées dans le chef de son époux et de ses enfants mineurs, et qu’un délai de plus de trois mois s’est écoulé entre cette date et celle du 24 février 2023, date de l’introduction du recours, sans que la demande ait été rencontrée par une décision explicite du ministre, la demanderesse a valablement pu considérer, conformément à l’article 4, paragraphe (1) de la loi du 7 novembre 1996, sa demande comme implicitement refusée.
Il s’ensuit que la demanderesse a a priori valablement pu diriger son recours contre une décision implicite de refus s’étant dégagée du silence du ministre sur sa demande du 5 septembre 2022.
Cependant, tel que relevé ci-dessus, lorsqu’une décision négative constitutive d’une fiction juridique se dégageant de l’inaction de l’administration est suivie d’une décision négative expresse, la décision négative fictive perd sa consistance par le fait même de la prise de la décision explicite, de sorte que le recours dirigé contre la seule décision négative fictive perd son objet par l’effet de la décision explicite.
Or, en l’espèce, tel que relevé ci-avant, à travers son courrier du 28 février 2023, le ministre a expressément refusé de faire droit à la demande de Madame (A) visant, entre autres, à obtenir dans son chef une autorisation de séjour pour raisons privées sur base de l’article 78, paragraphe (1), point a) de la loi modifiée du 29 août 2008, telle qu’introduite le 5 septembre 2022.
Comme la décision implicite de refus résultant du silence gardé par le ministre pendant plus de trois mois après l’introduction de la demande de la demanderesse en date du 5 septembre 2022 a, dès lors, été suivie d’une décision négative expresse, faisant grief, la décision négative fictive a perdu sa consistance par le fait même de la prise de la décision négative expresse du 28 février 2023, laquelle doit être considérée comme traduisant seule la position du ministre sur la demande lui soumise.
Le recours en annulation en ce qu’il est dirigé contre une décision de refus implicite du ministre encourt partant le rejet faute d’objet.
Cette conclusion n’est pas ébranlée par la référence du litismandataire de la demanderesse au jugement du 28 août 2003, inscrit sous le numéro 16841 du rôle, dans lequel 1 Trib. adm. 10 juillet 2006, nos 20681, 20682 et 20683 du rôle, Pas. adm. 2024, Procédure contentieuse, n° 427 et les autres références y citées.
2 Trib. adm. 26 octobre 2005, nos 18396 et 19082 du rôle, Pas. adm. 2024, Procédure contentieuse, n° 304 et les autres références y citées.le tribunal administratif a déclaré recevable un recours en annulation dirigé contre la seule décision initiale de refus, et ce, nonobstant la décision confirmative de refus sur recours gracieux intervenue postérieurement à l’introduction dudit recours « [d]ans la mesure où même à défaut par l'autorité administrative d'avoir répondu au recours gracieux avant l'introduction du recours contentieux, le demandeur se trouvait dans le délai légal pour introduire un recours contentieux contre la première décision litigieuse, le simple fait par l'autorité d'avoir rendu la décision confirmative après le dépôt du recours contentieux n'est pas de nature à rendre irrecevable le recours contentieux dirigé contre la décision initiale »3.
En effet, la solution retenue dans cette affaire n’est manifestement pas transposable au cas d’espèce dans la mesure où le recours sous analyse est dirigé contre une décision implicite de refus résultant du silence gardé par le ministre pendant plus de trois mois à la suite d’une demande d’autorisation de séjour et où le dépôt de la requête introductive d’instance en date du 24 février 2023 a été suivi de la prise d’une décision de refus explicite par rapport à cette même demande.
Quant à la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure, telle que formulée par la demanderesse dans sa requête introductive d’instance, le tribunal précise qu’une demande en obtention d’une indemnité de procédure n’est pas atteinte par les effets de la disparition de l’objet du recours, puisqu’une telle demande, qui procède d’une cause juridique particulière et autonome, à savoir l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, a une individualité propre et doit être toisée à la demande de la partie l’ayant formulée4.
Il s’ensuit que la disparition de l’objet du présent recours n’empêche pas le maintien de la demande en allocation d’une indemnité de procédure.
Aux termes de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, « Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine. ».
Le tribunal relève que le fait même qu’un administré ait été obligé d’introduire un recours contentieux pour connaître le motif du refus implicite lui opposé ou pour obtenir une décision explicite faisant droit à ses prétentions ou bien les rejetant de manière motivée lui cause un préjudice qui fait naître dans son chef le droit à se faire allouer une indemnité de procédure destinée à compenser les frais engendrés par l’obligation de recourir à un avocat pour introduire un recours juridictionnel dont il aurait pu, le cas échéant, se dispenser si l’administration avait agi de manière plus diligente5.
En l’espèce, force est de constater que la demanderesse n’a pas autrement cherché à contacter le ministère pour se renseigner sur le sort réservé à sa demande et n’a pas non plus introduit de recours gracieux contre la décision implicite de refus litigieuse, démarches qui lui auraient, le cas échéant, permis d’obtenir les motifs à la base du refus opposé à sa demande.
3 Trib. adm. 28 août 2003, n°16841 du rôle, Pas. adm. 2024, Procédure contentieuse, n° 311.
4 Trib. adm., 15 juillet 2015, n° 34244 du rôle, Pas. adm. 2024, Procédure contentieuse, n° 1309 et les autres références y citées.
5 Cour adm. 7 octobre 2010, n° 26555C du rôle, Pas. adm. 2024, Procédure contentieuse, n° 1311 et l’autre référence y citée.Au regard de ces considérations, la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que présentée par la demanderesse est à rejeter, les conditions légales n’étant pas remplies dans son chef.
Quant à la demande de distraction des frais au profit du mandataire de la demanderesse, il convient de rappeler qu’il ne saurait être donné suite à la demande en distraction des frais posés par le mandataire d’une partie, pareille façon de procéder n’étant point prévue en matière de procédure contentieuse administrative6.
Enfin, la demande de Madame (A) tendant à voir ordonner l’exécution provisoire du présent jugement est également à rejeter, étant donné que le législateur n’a pas conféré au tribunal administratif le pouvoir d’ordonner l’exécution provisoire de ses jugements7.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours en annulation sans objet, partant le rejette ;
rejette la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la demanderesse ;
rejette la demande en distraction des frais telle que formulée par le mandataire de la demanderesse ;
rejette la demande tendant à voir ordonner l’exécution provisoire du jugement ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Caroline Weyland, premier juge, Melvin Roth, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 31 mars 2025 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 6 Trib. adm., 14 février 2001, n° 11607 du rôle, Pas. adm. 2024, Procédure contentieuse, n° 1363 et les autres références y citées.
7 Trib. adm., 12 mai 1998, n° 10266 du rôle, Pas. adm. 2024, Procédure contentieuse, n° 1070 et les autres références y citées.