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19/03/2025 | LUXEMBOURG | N°48284

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 mars 2025, 48284


Tribunal administratif N° 48284 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48284 1re chambre Inscrit le 19 décembre 2022 Audience publique du 19 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable en matière de protection de la nature

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48284 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 décembre 2022 par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES SA, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des

avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2146 Luxe...

Tribunal administratif N° 48284 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48284 1re chambre Inscrit le 19 décembre 2022 Audience publique du 19 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable en matière de protection de la nature

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48284 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 décembre 2022 par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES SA, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2146 Luxembourg, 63-65, rue de Merl, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B240929, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-…, tendant à l’annulation de la « décision de la ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable du 20 septembre 2022 concernant le refus de donner une suite favorable à son recours gracieux du 12 avril 2022 contre la décision du 30 mars 2022 » et de la « décision de la ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable du 30 mars 2022 par laquelle elle a refusé d’accorder l’autorisation pour la construction d’une cabane de chasse pour le lot (L1) sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de Wincrange, section … d’Allerborn (…) sous le numéro (P1) » ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 16 mars 2023 ;

Vu le mémoire en réplique de la société anonyme Krieger Associates SA déposé au greffe du tribunal administratif le 31 mars 2023, pour compte de Monsieur (A), préqualifié ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 avril 2023 ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment les décisions ministérielles attaquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sébastien COUVREUR, en remplacement de Maître Georges KRIEGER, et Madame le délégué du gouvernement Cathy MAQUIL en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 décembre 2024 ;

Vu l’avis du tribunal administratif du 3 mars 2025 informant les parties de la rupture du délibéré ;

1Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Sébastien COUVREUR, en remplacement de Maître Georges KRIEGER, et Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 mars 2025.

En date du 7 novembre 2020, Monsieur (A) conclut un contrat de bail de chasse pour la période du 1er avril 2021 au 31 mars 2030 portant sur le lot de chasse (L1), ce contrat de bail ayant été approuvé par le ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, dénommé ci-après par « le ministre », le 8 décembre 2020.

Par le biais d’un formulaire de demande daté au 11 octobre 2021 et réceptionné le 4 décembre 2021, Monsieur (A) introduisit auprès du ministère de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, ci-après désigné par « le ministère », une demande d’autorisation de construire une cabane de chasse sur la parcelle inscrite au cadastre de la commune de Wincrange, section … d’Allerborn, au lieu-dit « … », sous le numéro cadastral (P1), au sens de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, ci-après désignée par « la loi du 18 juillet 2018 ».

Le préposé de la nature et des forêts du triage de Wincrange rendit son avis en date du 2 décembre 2021, tandis que le chef d’arrondissement Nord de l’Administration de la nature et des forêts rendit le sien en date du 26 janvier 2022.

Par décision du 30 mars 2022, le ministre refusa de faire droit à la demande de Monsieur (A), ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Je me réfère à votre requête réceptionnée le 11 octobre 2021 par laquelle vous sollicitez l’autorisation pour la construction d’une cabane de chasse pour le lot (L1) sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de WINCRANGE: section … d’Allerborn (…), sous le numéro (P1).

Sachez que je ne m’oppose pas à la construction d’une cabane de chasse sur le lot de chasse (L1) sur le territoire de la commune de Wincrange.

Toutefois, dans l’intérêt de la protection de l’environnement naturel et de la conservation des paysages et forêts, je vous invite à trouver un emplacement pour la cabane en dehors de la forêt et desservi par un chemin existant.

Par ailleurs, je tiens d’ores et déjà à vous informer qu’une nouvelle cabane de chasse, comprenant tous les aménagements connexes tels qu’auvent, terrasse, remise pour bois de chauffage et similaires, ne pourra pas dépasser une emprise au sol rectangulaire maximale de 25 m2 et une hauteur de plafond du côté long bas de 2 mètres. La cabane sera réalisée en bois brut tel que le chêne, le douglas ou le mélèze. Le bois utilisé pour les portes sera le même que celui utilisé pour les parois. Et la cabane de chasse sera placée sur le sol nu ou sur une base perméable à l’eau. Les éventuelles fondations se limiteront à des fondations ponctuelles en béton. […] ».

Par courrier du 12 avril 2022, réceptionné le 22 avril 2022, Monsieur (A) introduisit auprès du ministre un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle, précitée, du 30 mars 2022.

2 Par décision du 20 septembre 2022, le ministre confirma sa décision du 30 mars 2022 faute d’élément nouveau.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 décembre 2022, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à l’annulation des décisions ministérielles, précitées, des 30 mars et 20 septembre 2022.

Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours En vertu de l’article 68 de la loi du 18 juillet 2018 « contre les décisions prises en vertu de la présente loi un recours en annulation est ouvert devant le Tribunal administratif. ».

Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation, qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit selon les formes et délai prévus par la loi, étant rappelé que si le fait de se rapporter à prudence de justice, tel que l’a fait le délégué du gouvernement en ce qui concerne la recevabilité du recours, équivaut certes à une contestation, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions.

Quant au fond Arguments des parties A l’appui de son recours et au-delà des faits et rétroactes exposés ci-dessus, le demandeur fait valoir que le fonds choisi pour la construction de la cabane de chasse ne serait pas à considérer comme forêt, en ce qu’il se présenterait comme « vaine couvert de quelques arbres et broussailles » et que la végétation s’y trouvant serait à considérer comme une friche.

Le demandeur insiste encore sur le fait que la parcelle concernée serait longée par un chemin macadamisé et que l’administration communale de Wincrange, bailleur du terrain en question, lui aurait imposé d’y planter des arbres sur 10 ares des 12,80 ares.

En droit, le demandeur reproche au ministre d’avoir violé les articles 6 et 62 de la loi du 18 juillet 2018, l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », les articles 10bis et 11bis de la Constitution, ainsi que les principes de proportionnalité et de collaboration procédurale.

Quant à la violation de l’article 62 de la loi du 18 juillet 2018, Monsieur (A) rappelle de prime abord que la conformité d’une cabane de chasse à l’affectation de la zone verte ne saurait être remise en question, étant donné qu’elle serait expressément prévue par l’article 6 de cette même loi et que son projet ne porterait atteinte ni au paysage ni aux valeurs écologiques. La cabane s’intégrerait dans le paysage et pourrait être implantée sur le terrain sans qu’il ne soit nécessaire d’abattre des arbres ou des haies.

Le demandeur soutient encore que ce serait à tort que le ministre exigerait que la cabane devrait être située en dehors de la forêt, alors qu’un tel critère de refus ne serait pas prévu par 3la loi, tout en rappelant que le terrain destiné à accueillir la construction litigieuse ne se trouverait, en tout état de cause, pas en forêt.

Le demandeur conclut ensuite à une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, en soutenant que la décision du 30 mars 2022 ne serait pas motivée à suffisance en ce qu’elle se limiterait à utiliser des formules générales et abstraites, sans indiquer de manière concrète dans quelle mesure le projet aurait des conséquences négatives pour la nature.

En troisième lieu, le demandeur soulève une violation de l’article 6 (1), point 7°, de la loi du 18 juillet 2018 et fait valoir que dans sa décision litigieuse, le ministre aurait énoncé des conditions-type du règlement grand-ducal prévu par cette dernière disposition légale, alors qu’un tel règlement n’aurait pas encore été mis en vigueur.

Le demandeur en conclut que ces conditions seraient dépourvues de valeur légale et que le ministre aurait fait une mauvaise application de la disposition de l’article 6 (1), point 7°, de sorte que la décision déférée serait à annuler.

Le demandeur reproche encore au ministre d’avoir violé les articles 10bis et 11bis de la Constitution, au motif que la plupart des cabanes de chasse autorisées dans le passé se trouveraient en forêt et que l’exercice de la chasse serait favorable au maintien d’un équilibre entre la conservation de la nature et les besoins de l’Homme, de sorte que cette activité serait, dans son ensemble, favorable à la nature, et partant protégée par la Constitution.

Quant au moyen ayant trait à la violation du principe de proportionnalité, Monsieur (A) donne à considérer que la cabane de chasse projetée ne serait qu’une petite construction en bois qui ne porterait pas préjudice à la nature ou au paysage, de sorte que le refus ministériel serait disproportionné par rapport au but recherché par la loi du 18 juillet 2018.

Il reproche finalement au ministre d’avoir violé le principe de collaboration procédurale en émettant une décision de refus, sans rechercher auparavant le dialogue avec lui pour trouver une solution pratique sur le terrain.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en contestant la version des faits, telle que présentée par le demandeur. En effet, la partie gouvernementale soutient que des photographies aériennes récentes disponibles sur « Géoportail », ainsi que des photos prises lors d’une visite des lieux en date du 27 janvier 2023, montreraient que la parcelle cadastrale (P1) serait à considérer comme fonds forestier. Ce serait à tort que le demandeur contesterait le caractère forestier de la parcelle en s’appuyant sur une photo aérienne de 1951, alors que seule la situation actuelle devrait être prise en considération, situation qui serait encore corroborée par l’inventaire forestier de la propriété de Wincrange datant de 2021. Il fait encore valoir que les photos aériennes démontreraient que le fonds forestier en question correspondrait à la notion de « forêt », telle que définie par la « Food and Agriculture Organization of the United Nations » (« FAO »).

En droit, la partie gouvernementale affirme que s’il est exact qu’un locataire d’un lot de chasse aurait droit à la construction d’une cabane de chasse par lot, conformément à l’article 6 de la loi du 18 juillet 2018, encore faudrait-il, pour être autorisable, que l’emplacement de cette cabane respecterait les autres articles de la loi du 18 juillet 2018, précitée. Or, la cabane devrait se trouver hors de la forêt pour être autorisable. Il renvoie à cet égard à la définition de la notion de « forêt » telle que prévue dans le projet de loi n° 7255, ainsi qu’à l’article 13 de la 4loi du 18 juillet 2018, en soutenant que la construction d’une cabane de chasse privée ne rentrerait dans aucun des deux cas de figures prévus à l’article 13, précité, relatif aux changements d’affectation de fonds forestiers.

Il donne également à considérer qu’une cabane de chasse ne serait pas strictement nécessaire pour l’exercice de la chasse, de sorte que son installation devrait se faire hors de la forêt. De surcroît, il fait valoir que le demandeur n’aurait pas rapporté la preuve d’une valorisation écologique qu’apporterait la cabane en forêt.

Quant au reproche d’un défaut de motivation de la décision déférée, il indique que la motivation aurait été claire et complète, et qu’elle pourrait, le cas échéant, être complétée au cours de la procédure contentieuse.

Il insiste encore sur le fait qu’en assortissant la décision de conditions relatives au revêtement, aux prescriptions dimensionnelles maximales selon le type de construction, aux prescriptions d’illumination maximale des constructions, à l’emprise au sol, aux matériaux, à la surface construite brute, aux teintes, à l’implantation et à l’intégration, le ministre se serait limité à appliquer l’article 61 de la loi du 18 juillet 2018. De plus, ces conditions auraient, à ce stade de la procédure, été indiquées dans le seul objectif de guider le demandeur à trouver un nouvel emplacement pour la cabane de chasse litigieuse.

Il réfute ensuite l’argumentation du demandeur suivant laquelle l’article 10bis de la Constitution aurait été violé, en soutenant, au-delà du fait que le demandeur serait resté en défaut de rapporter la preuve de ses affirmations, que certaines cabanes se trouvant en forêt auraient été érigées avant l’entrée en vigueur de la première loi sur la protection de la nature, tandis que d’autres seraient des constructions illégales.

Quant à la violation alléguée de l’article 11bis de la Constitution, le délégué du gouvernement réitère son argumentation suivant laquelle une cabane de chasse ne serait pas indispensable à l’exercice de la chasse, et que l’emplacement de la cabane ne devrait pas nuire à l’environnement naturel, dans la mesure où la protection de la forêt serait primordiale.

Quant au principe de proportionnalité, la partie gouvernementale fait valoir que toute construction sur un sol nu aurait un effet environnemental négatif. Dans le cas d’une cabane de chasse cet effet négatif se manifesterait par le scellement du sol, respectivement par l’enlèvement de cette surface à la forêt, tout en précisant que le demandeur n’aurait pas rapporté la preuve de l’effet favorable sur la nature dont il se prévaudrait.

Il fait, enfin, valoir que le principe de collaboration procédurale aurait été respecté en rappelant que la décision litigieuse aurait été rédigée d’une manière à aider le demandeur à trouver un nouvel emplacement. Il précise encore que les avis favorables du préposé forestier et du chef d’arrondissement reposeraient sur une appréciation erronée et que, nonobstant leurs avis, le pouvoir décisionnel appartiendrait au seul ministre.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur rappelle en substance ses développements contenus dans sa requête introductive d’instance, en précisant quant aux faits que tant le préposé forestier que le chef d’arrondissement auraient confirmé dans leurs avis respectifs le défaut de caractère forestier du terrain en question, ce qui se trouverait encore conforté par la photographie aérienne de 1951 publiée sur « Géoportail ». Depuis lors, le terrain n’aurait pas été reboisé, mais aurait été abandonné à l’évolution naturelle.

5 Le demandeur estime qu’il faudrait plutôt prendre en considération l’origine de la forêt au lieu de son état actuel et que les photos plus récentes versées par la partie étatique montreraient tout au plus des arbres en milieu ouvert et non pas une futaie, contrairement aux développements du délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse.

Le demandeur donne encore à considérer qu’il n’y aurait pas lieu d’apprécier le caractère forestier du terrain en question en appliquant la définition de la notion de « forêt » telle que retenue par la FAO, mais qu’il faudrait plutôt se référer aux lois forestières allemandes et suisses aux termes desquelles la végétation s’y trouvant ne serait pas à considérer comme forêt. Il rappelle qu’il ne serait, en tout état de cause, pas nécessaire d’abattre des arbres pour procéder à la construction de la cabane de chasse.

Par ailleurs, il réfute l’argumentation du délégué du gouvernement selon laquelle la construction d’une cabane de chasse ne serait pas strictement nécessaire pour l’exercice de la chasse, de sorte que son emplacement dans la forêt serait contraire à l’article 62 de la loi du 18 juillet 2018, en insistant sur le fait qu’une telle cabane serait nécessaire pour la gestion du lot de chasse englobant des travaux d’aménagement et d’entretien pour lesquels un espace de stockage s’avérerait indispensable, ainsi que pour des réunions en vue de la sensibilisation des citoyens à la nature.

Il fait encore valoir que ce serait également à tort que la partie étatique conclurait à un changement d’affectation d’un fonds forestier, étant donné que l’utilisation d’un fonds forestier pour la chasse n’en changerait pas l’affectation. Le demandeur insiste, dans ce contexte, sur le fait que la construction d’une cabane de chasse en zone verte serait expressément prévue par l’article 6 de la loi du 18 juillet 2018, de sorte qu’il aurait, en application du principe selon lequel la charge de la preuve serait partagée en matière de contentieux administratif, appartenu au ministre de prouver que le projet en question nuirait à la nature, ce qui n’aurait pas été fait en l’espèce. Le demandeur réitère à cet égard que l’implantation de la cabane ne nécessiterait pas l’abattage d’arbres ou de haies et que, bien au contraire, il se serait engagé auprès de la commune à planter des arbres sur le reste de la parcelle.

Quant à la violation alléguée de l’article 6 de la loi du 18 juillet 2018, le demandeur soutient que le ministre aurait énoncé dans sa décision des règles générales et abstraites, en interdisant toute construction d’une cabane de chasse en forêt, et que ce faisant, le ministre aurait exercé une prérogative réservée au pouvoir législatif.

Quant au reproche du délégué du gouvernement, formulé dans le cadre du moyen ayant trait à la violation de l’article 11bis de la Constitution, aux termes duquel le demandeur n’aurait pas rapporté la preuve de la nécessité absolue de la cabane de chasse, ce dernier rétorque que la loi n’exigerait pas une nécessité absolue, dans la mesure où l’article 6 de la loi du 18 juillet 2018 se limiterait à énoncer qu’une construction d’une cabane de chasse en zone verte serait autorisable.

S’agissant du principe de proportionnalité, le demandeur fait valoir que la loi du 18 juillet 2018 admettrait implicitement que certaines activités humaines pourraient avoir des effets positifs sur la nature et que la chasse en constituerait un exemple. La cabane de chasse pourrait engendrer une valorisation paysagère et devenir elle-même un habitat pour de nombreuses espèces de la faune sauvage.

6S’agissant de son moyen tiré de la violation du principe de collaboration procédurale, le demandeur fait observer que le délégué du gouvernement aurait concédé dans son mémoire en réponse que le préposé forestier et le chef d’arrondissement auraient émis des avis favorables, et qu’en affirmant que « ce constat est erroné », il aurait insinué que ces deux fonctionnaires n’auraient pas été objectifs dans leur prise de position, tout en précisant qu’il y aurait, en matière environnementale, lieu de faire une appréciation au cas par cas, contrairement à l’uniformisation du traitement des demandes souhaitée par la partie étatique.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement explique que, pour arriver à la conclusion selon laquelle le terrain en question ne serait pas à considérer comme forêt, les agents de l’Administration de la nature et des forêts se seraient erronément basés sur l’ancien inventaire forestier de la forêt communale de Wincrange, datant de 2010, au lieu de celui de 2021. Par ailleurs, il ressortirait sans équivoque de l’avis de l’ingénieur forestier responsable des inventaires forestiers au niveau national que le terrain en question ne serait pas une friche, mais une forêt, « plus précisément une futaie du type feuillue mélangée ». Il ajoute que contrairement aux développements du demandeur, la parcelle litigieuse serait également à considérer comme forêt en application des lois forestières allemandes et suisses.

Le délégué du gouvernement donne encore à considérer qu’il n’existerait que très peu de forêt sur le lot de chasse du demandeur, de sorte que l’implantation de la cabane de chasse au milieu du seul petit massif forestier aurait des conséquences néfastes pour le gibier en raison de la présence humaine accrue et de l’imperméabilisation du sol qui en découleraient, ce qui constituerait une violation de l’article 62 de la loi du 18 juillet 2018.

Enfin, il soutient que le ministre serait appelé à veiller à une application uniforme et cohérente de la législation sur tout le territoire luxembourgeois, de sorte qu’il serait préférable, en application du principe de la sécurité juridique, de soumettre toutes les cabanes de chasse aux mêmes conditions, au lieu de faire une application des exigences législatives et réglementaires au cas par cas.

Appréciation du tribunal A titre liminaire, le tribunal relève que lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation, le juge administratif est appelé à vérifier, d’un côté, si, au niveau de la décision administrative querellée, les éléments de droit pertinents ont été appliqués et, d’un autre côté, si la matérialité des faits sur lesquels l’autorité de décision s’est basée est établie. Au niveau de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation vérifie encore s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée. Le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de la proportionnalité1 de la mesure prise par rapport aux faits établis.

1 Cour adm., 9 novembre 2010, n° 26886C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 40 et les autres références y citées.

7Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que s’il est de principe que le tribunal n’est pas tenu de suivre l’ordre des moyens, tel que présenté par le demandeur2, il n’en reste pas moins que la logique juridique impose que les questions de légalité externe soient traitées avant celles de légalité interne3.

Quant à la légalité externe des décisions déférées, et s’agissant, d’abord, du moyen ayant trait à un défaut de motivation des décisions des 30 mars et 20 septembre 2022, en violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, le tribunal relève que celui-ci est rédigé comme suit :

« Toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux.

La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle :

- refuse de faire droit à la demande de l’intéressé ;

- révoque ou modifie une décision antérieure, sauf si elle intervient à la demande de l’intéressé et qu’elle y fait droit ;

- intervient sur recours gracieux, hiérarchique ou de tutelle ;

- intervient après procédure consultative, lorsqu’elle diffère de l’avis émis par l’organisme consultatif ou lorsqu’elle accorde une dérogation à une règle générale. […] ».

Il ressort de cette disposition réglementaire que toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et que certaines catégories de décisions, énumérées à l’alinéa 2 de ladite disposition, parmi lesquelles figurent celles qui refusent de faire droit à la demande de l’intéressé et celles qui interviennent sur recours gracieux, doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base.

En l’espèce, le tribunal constate que la motivation figurant dans les décisions déférées, qui se limitent à indiquer, en substance, que Monsieur (A) devrait, dans l’intérêt de la protection de l’environnement naturel et de la conservation des paysages et forêts, trouver un emplacement hors de la forêt et desservi par un chemin pour la construction litigieuse, sans d’autres précisions quant à la base légale de cette exigence, est pour le moins succincte.

Il n’en reste pas moins qu’il est de jurisprudence constante que la sanction de l’absence de motivation ne consiste pas dans l’annulation de l’acte visé, mais dans la suspension des délais de recours et celui-ci reste a priori valable, l’administration pouvant produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois pendant la phase contentieuse4.

2 Trib. adm., 27 octobre 1999, nos 11231 et 11232 du rôle, confirmés par Cour adm., 18 mai 2000, n° 11707C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 1024 et les autres références y citées.

3 Cour adm., 12 octobre 2006, n° 20513C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 1023 et les autres références y citées.

4 Cour adm., 8 juillet 1997, n° 9918C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 90 et les autres références y citées.

8 En l’espèce, le délégué du gouvernement a, à travers ses mémoires en réponse et en duplique, dûment motivé les décisions déférées tant en fait qu’en droit, en prenant position de manière détaillée quant aux différents moyens soulevés par le demandeur.

Cette motivation est suffisamment précise pour permettre au demandeur d’assurer la défense de ses intérêts en connaissance de cause et au tribunal d’exercer son contrôle de légalité, de sorte que le moyen de légalité externe sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Quant au moyen tiré de la violation du principe de collaboration procédurale, le tribunal relève que ce principe est énoncé à l’article 1er, alinéa 3 de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse et se trouve précisé à travers plusieurs dispositions du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, telles que l’article 3, imposant à toute autorité administrative d’appliquer le droit applicable à l’affaire dont elle est saisie, l’article 6, prévoyant une obligation de motivation des décisions administratives individuelles5, ou encore l’article 9, obligeant, sauf l’hypothèse d’un péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, d’informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir.

En l’espèce, le demandeur soutient, en substance et de l’entendement du tribunal, qu’en vertu de ce principe, le ministre aurait, au lieu de lui opposer sa décision de refus, dû l’inviter au préable à prendre position quant aux critiques qu’il aurait entendu formuler quant à sa demande et l’aider à adapter son projet.

Or, il est certes exact qu’il a été jugé, notamment, qu’en vertu du principe de collaboration procédurale, l’administration ne saurait s’abriter derrière le silence en présence d’une demande imprécise ou incomplète, mais doit activement inviter l’administré à compléter sa demande6 et que s’agissant, plus particulièrement, de la matière des autorisations de construire, l’administration doit demander les éléments d’information résiduels faisant défaut d’après elle7.

Il n’en reste pas moins qu’en l’absence d’une base normative expresse en ce sens, telle que l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, visant les hypothèses, non vérifiées en l’espèce, où l’administration se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, ce principe ne saurait être interprété comme imposant à l’administration, saisie d’une demande d’un administré, une obligation générale de permettre à l’administré concerné de prendre position, avant toute prise de décision, sur les éléments de fait et de droit justifiant, d’après elle, la décision négative à intervenir.

5 Voir, sur ce point : Cour adm., 20 décembre 2007, n° 22976C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 95 et les autres références y citées.

6 Trib. adm., 3 mai 2000, n° 11549 du rôle, confirmé par Cour adm., 5 décembre 2000, n° 12041C du rôle, Pas.

adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 24 et les autres références y citées.

7 Cour adm., 11 juillet 2019, n° 42480C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n°23.

9Le moyen sous analyse encourt, dès lors, le rejet.

S’agissant ensuite du bien-fondé des motifs de refus, force est de constater qu’il n’est pas contesté que le fonds sur lequel le demandeur entend construire une cabane de chasse se trouve classé en zone verte au sens de l’article 3, point 1° de la loi du 18 juillet 2018.

Il y a ensuite lieu de relever que la loi du 18 juillet 2018 poursuit, tel qu’indiqué en son article 1er, les objectifs suivants : « 1° la sauvegarde du caractère, de la diversité et de l’intégrité de l’environnement naturel ; 2° la protection et la restauration des paysages et des espaces naturels ; 3° la protection et la restauration des biotopes, des espèces et de leurs habitats, ainsi que des écosystèmes ; 4° le maintien et l’amélioration des équilibres et de la diversité biologiques ; 5° la protection des ressources naturelles contre toutes dégradations, 6° le maintien et la restauration des services écosystémiques ; et 7° l’amélioration des structures de l’environnement naturel. ».

Pour assurer le respect de ces objectifs, le législateur a, à travers l’article 6 (1), précité, de ladite loi, limitativement énuméré les constructions pouvant être érigées dans la zone verte.

L’article 6 est libellé comme suit : « (1) Sont conformes à l'affectation de la zone verte, des constructions ayant un lien certain et durable avec des activités d'exploitation qui sont agricoles, horticoles, maraîchères, sylvicoles, viticoles, piscicoles, apicoles, cynégétiques, ou qui comportent la gestion des surfaces proches de leur état naturel.

Seules sont autorisables les constructions indispensables à ces activités d'exploitation.

Il appartient au requérant d'une autorisation de démontrer le besoin réel de la nouvelle construction en zone verte.

Ne comptent pas comme activités d'exploitation au sens de la présente loi les activités économiques sans lien avec la production de matière première, notamment la location ou le prêt à usage de bâtiments, étables ou machines à des tiers.

Les activités d’exploitation visées à l’alinéa 1er et les constructions autorisables doivent répondre aux critères suivants :

[…] 5° Par exploitation cynégétique, on entend l’exercice du droit de chasse par un locataire de chasse en possession d’un contrat de bail de chasse d’un lot de chasse.

Seule est autorisée une cabane de chasse par lot de chasse et pour la durée du bail. […] ».

L’article 6 de la loi du 18 juillet 2018 limite ainsi la possibilité d’ériger une construction en zone verte aux seules constructions « ayant un lien certain et durable avec des activités d’exploitation qui sont agricoles, horticoles, maraîchères, sylvicoles, viticoles, piscicoles, apicoles, cynégétiques, ou qui comportent la gestion des surfaces proches de leur état naturel » et étant « indispensables à ces activités d’exploitation ».

Il découle du libellé même de l’article 6 (1), précité, que dans la mesure où seules les constructions y visées sont autorisables en zone verte par le ministre compétent, le texte légal 10consacre le principe de non-constructibilité pour ladite zone et rejoint ainsi les objectifs de la loi consistant notamment dans la sauvegarde du caractère, de la diversité et de l’intégrité de l’environnement naturel. Or, le principe même de la non-constructibilité applicable pour la zone verte appelle comme corollaire une interprétation stricte des exceptions légalement prévues. Ainsi, une construction ne saurait être autorisée que dans la mesure où il est vérifié dans son chef qu’elle sert à suffisance à l’une des activités limitativement énumérées à l’article 6 (1) de la loi du 18 juillet 20188.

A cet égard, le délégué du gouvernement a fait valoir dans son mémoire en réponse qu’une cabane de chasse ne serait pas strictement nécessaire pour l’exercice de la chasse, dans la mesure où une telle cabane serait souvent utilisée comme lieu de réunion des chasseurs, de sorte que son emplacement devrait se trouver en dehors de la forêt. Le tribunal est amené à constater que cette motivation complémentaire a été fournie pour la première fois dans le cadre de la procédure contentieuse.

Or, un tel raisonnement n’a clairement pas été à la base de la motivation du ministre qui a même indiqué dans sa décision du 30 mars 2022 qu’il « ne [s]’oppose pas à la construction d’une cabane de chasse sur le lot de chasse (L1) sur le territoire de la commune de Wincrange » sans mettre en cause la nécessité d’une telle cabane sur base de l’article 6 (1) de la loi du 18 juillet 2018.

Il s’ensuit que cette nouvelle argumentation est à écarter, la faculté pour l’administration de fournir des motifs complémentaires étant conditionnée par l’existence desdits motifs au jour de la prise de la décision litigieuse, ce qui, au regard des constatations faites ci-avant, n’est visiblement pas le cas en l’espèce9.

En tout état de cause, cette motivation complémentaire n’est pas fondée, étant donné (i) que la possibilité de construire une cabane de chasse en zone verte, dans la limite d’une cabane par lot de chasse pour la durée du bail de chasse, est expressément prévue par l’article 6 (1), précité, (ii) qu’il n’est contesté ni que le demandeur a conclu un contrat de bail de chasse pour la période du 1er avril 2021 au 31 mars 2030, ni qu’à l’heure actuelle, aucune cabane de chasse ne se trouve sur le lot de chasse en question, et (iii) que le prédit article 6 (1) ne prévoit aucune interdiction de construire une cabane de chasse en forêt.

Il se dégage ensuite, en substance, des explications fournies par le délégué du gouvernement que la demande d’autorisation de construire sollicitée par le demandeur aurait été refusée au motif que l’emplacement choisi pour la cabane de chasse se serait trouvé en forêt, ce qui constituerait à la fois une violation de l’article 13 et de l’article 62 de la loi du 18 juillet 2018.

Il y a lieu de relever, à cet égard, qu’aux termes de l’article 13 (1) de la loi du 18 juillet 2018, « tout changement d’affectation de fonds forestiers est interdit, à moins que le ministre ne l’autorise dans un but d’utilité publique ou en vue de la restructuration du parcellaire agricole permettant une amélioration de l’exploitation concernée. […] ».

Afin de pouvoir déterminer le sens de la notion de « changement d’affectation de fonds forestiers » et à défaut de définition dans la loi actuellement en vigueur et dans les travaux 8 Trib. adm. 21 mars 2018, n° 38750 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Environnement, n° 43.

9 En ce sens: trib. adm., 25 septembre 2020, n° 42091 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 96.

11parlementaires y relatifs, il y a lieu de se référer par analogie aux travaux parlementaires se trouvant à la base de l’élaboration de la loi du 27 juillet 1978 portant modification de la loi du 29 juillet 1965 concernant la conservation de la nature et des ressources naturelles, qui fournissent les précisions suivantes, à propos de la notion de « changement de l’affectation des bois et forêts » : « par changement de l’affectation des bois et forêts et des parc d’agrément, il faut entendre tout défrichement dans le sens le plus large du mot. Le fait d’enlever les souches n’est plus exclusivement critère pour l’application de la loi ; le changement d’affectation, c-à-

d. l’utilisation du terrain à une fin inconciliable avec la mission que les bois et forêts ainsi que les parcs d’agrément sont appelés à remplir, sera dorénavant déterminant. »10. En effet, la prédite notion a été reprise en grande partie d’abord dans la loi du 11 août 1982 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles11, puis dans la loi du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, et enfin dans celle du 18 juillet 2018.

En l’espèce, indépendamment du débat mené par les parties à l’instance sur la question de savoir si la partie de terrain choisie par le demandeur est à qualifier de fonds forestier ou non, il se dégage des explications fournies par le demandeur que la construction de la cabane de chasse ne requerra pas l’abattage d’arbres existants, constat qui n’est pas contesté par la partie étatique.

Force est également de constater que l’implantation d’une cabane en bois sur un lot de chasse n’est pas à considérer comme changement de l’utilisation du terrain à une fin inconciliable avec la mission que la forêt est appelée à remplir, dans la mesure où la chasse fait partie des mesures d’entretien du fonds forestier, tel que l’a soulevé à juste titre la partie demanderesse. Le tribunal est amené à constater, à cet égard, que l’utilisation du fonds demeurera la même avec ou sans cabane de chasse.

Au vu de ces éléments, le tribunal se doit de conclure que c’est à tort que la partie étatique qualifie la construction litigieuse de changement d’affectation d’un fonds forestier, de sorte que le ministre ne saurait valablement refuser de faire droit à la demande de construction d’une cabane de chasse à l’endroit choisi par le demandeur sur le fondement de l’article 13 (1) de la loi du 18 juillet 2018.

Il devient partant surabondant d’analyser si l’emplacement choisi pour la construction litigieuse est à qualifier de forêt ou non.

Le tribunal relève encore qu’aux termes de l’article 62 de la loi du 18 juillet 2018 :

« Les autorisations requises en vertu de la présente loi sont refusées lorsque les projets du requérant sont de nature à porter préjudice à la beauté et au caractère du paysage ou s’ils constituent un danger pour la conservation du sol, du sous-sol, des eaux, de l’atmosphère, de la flore, de la faune ou du milieu naturel en général ou lorsqu’ils sont contraires à l’objectif général de la présente loi tel qu’il est défini à l’article 1er. ».

Force est de relever que le législateur n’a pas entendu préserver, au travers de l’article 62, précité, le paysage de toute atteinte quelconque, étant entendu que toute construction nouvelle constitue objectivement une atteinte à un paysage existant. En effet, les dispositions de la loi 18 juillet 2018 ne doivent pas être interprétées comme interdisant ipso facto tout projet 10 Doc. parl. n°1729, commentaire des articles, ad article 3, page 2904.

11 En ce sens: trib. adm., 25 mai 2000, n° 11594 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Environnement, n° 206.

12qui serait de nature à affecter à court terme l’environnement existant, sous peine de paralyser toute activité humaine, mais doivent être appliquées au cas par cas, en fonction des caractéristiques propres de chaque projet ainsi que des mesures et obligations imposées à l’exploitant afin de préserver en définitive les objectifs poursuivis par la loi.

A cet égard, en ce qui concerne l’incidence in concreto de la construction d’une cabane de chasse sur le site choisi, les pouvoirs du ministre sont circonscrits dans ce contexte par l’article 62 de la loi précitée.

Il s’ensuit que le ministre statuant dans le cadre des compétences lui attribuées à travers la loi du 18 juillet 2018 est tenu d’opérer son contrôle par rapport aux dispositions des articles 1er et 62 de cette loi concernant ses objectifs, d’un côté, et la compatibilité du projet avec la beauté et le caractère du paysage, ainsi que son risque par rapport à l’environnement naturel y défini, de l’autre côté, ces critères devant être appliqués au cas par cas, en fonction des caractéristiques propres de chaque projet et de son environnement.

En l’espèce, force est de constater que la partie étatique se borne à avancer de manière essentiellement théorique et abstraite que la construction d’une cabane de chasse porterait préjudice à la beauté et au caractère du paysage et qu’elle serait contraire à l’objectif général de la loi tel que défini à l’article 1er, sans toutefois préciser, concrètement, dans quelle mesure la construction d’une cabane en bois, qui est un matériau naturel, serait de nature à avoir une influence sur l’environnement en général ou serait contraire à l’objectif de la loi, la seule affirmation non autrement sous-tendue par un élément tangible suivant laquelle le projet litigieux aurait des répercussions néfastes pour le gibier en raison de la présence humaine accrue et de l’imperméabilisation de la surface en raison de son implantation au milieu du seul petit massif forestier sur le lot de chasse de Monsieur (A) étant insuffisante à cet égard.

Au vu de ce qui précède, aucune atteinte à la beauté et au caractère du paysage, respectivement à la conservation du sol, du sous-sol, des eaux, de l'atmosphère, de la flore, de la faune ou du milieu naturel en général au sens de l’article 62 de la loi du 18 juillet 2018, ni aucune incompatibilité des travaux litigieux avec l’objectif général de la loi tel que défini à l’article 1er de la loi du 18 juillet 2018 ne peuvent être retenues en l’espèce.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le refus ministériel quant à l’emplacement de la cabane de chasse choisi par le demandeur n’est justifié par aucun des motifs invoqués. Le volet afférent des décisions déférées encourt, dès lors, l’annulation.

Cependant, le demandeur critique encore le volet de la décision déférée du 30 mars 2022 à travers lequel le ministre a fixé, en les termes suivants, les conditions à remplir par une nouvelle cabane de chasse :

« […] Par ailleurs, je tiens d’ores et déjà à vous informer qu’une nouvelle cabane de chasse, comprenant tous les aménagements connexes tels qu’auvent, terrasse, remise pour bois de chauffage et similaires, ne pourra pas dépasser une emprise au sol rectangulaire maximale de 25 m2 et une hauteur de plafond du côté long bas de 2 mètres. La cabane sera réalisée en bois brut tel que le chêne, le douglas ou le mélèze. Le bois utilisé pour les portes sera le même que celui utilisé pour les parois. Et la cabane de chasse sera placée sur le sol nu ou sur une base perméable à l’eau. Les éventuelles fondations se limiteront à des fondations ponctuelles en béton. […] ».

13A cet égard, le demandeur soutient qu’en imposant ces conditions, le ministre aurait, d’une part, violé l’article 6 (1), point 7° de la loi du 18 juillet 2018, au motif, en substance, que ces conditions devraient faire l’objet du règlement grand-ducal prévu par cette disposition légale, lequel n’aurait cependant pas encore été adopté et, d’autre part, empiété sur les prérogatives du législateur en énonçant des règles générales et abstraites pour l’avenir.

Le tribunal ne saurait cependant partager cette argumentation.

En effet, il est certes exact que l’article 6 (1), point 7°, précité, de la loi du 18 juillet 2018 prévoit qu’« Un règlement grand-ducal détermine les dispositions à respecter relatives aux dimensions, au nombre à la surface, à l’implantation, à la durabilité et à l’intégration des constructions. » et que le règlement grand-ducal ainsi annoncé n’existait pas au jour de la prise des décisions déférées.

Il n’en reste pas moins qu’aux termes de l’article 61 (1) de la loi du 18 juillet 2018, « Le ministre peut assortir les autorisations requises en vertu des articles qui précèdent de conditions telles que les ouvrages à réaliser et les opérations à exécuter ne puissent nuire à l’environnement naturel. En ce qui concerne les autorisations relatives aux constructions il peut les assortir de conditions et de mesures relatives au revêtement, aux prescriptions dimensionnelles maximales selon le type de construction, aux prescriptions d’illumination maximale des constructions, à l’emprise au sol, aux matériaux, à la surface construite brute, aux teintes, à l’implantation et à l’intégration dans le paysage, lesquelles peuvent être précisées par règlement grand-ducal. ».

En l’espèce, le tribunal rappelle que dans sa décision du 30 mars 2022, le ministre a expressément précisé qu’il ne s’« […] oppose pas à la construction d’une cabane de chasse sur le lot de chasse (L1) sur le territoire de la commune de Wincrange […] ». Ainsi, la décision en question s’analyse comme un accord de principe quant à la construction d’une cabane de chasse sur le lot de chasse du demandeur, l’emplacement concrètement choisi par Monsieur (A) ayant cependant été refusé.

En imposant les conditions litigieuses tenant aux dimensions, aux matériaux et à l’emprise au sol de la cabane de chasse, le ministre n’a pas imposé des normes générales et abstraites pour l’avenir, mais a, dans le strict cadre de la demande lui soumise, fixé les conditions assortissant la future autorisation à délivrer à Monsieur (A), en application de l’article 61 (1) de la loi du 18 juillet 2018, une fois qu’un nouvel emplacement aura été trouvé pour la cabane de chasse, autorisation pour la délivrance de laquelle il a d’ores et déjà donné son accord de principe, tel que relevé ci-avant.

Ce faisant, le ministre n’a ni violé l’article 6 (1), point 7°, précité, de la loi du 18 juillet 2018, ni empiété sur les prérogatives du législateur, de sorte que l’argumentation afférente du demandeur encourt le rejet.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’annuler partiellement les décisions déférées des 30 mars et 20 septembre 2022 dans la seule mesure où elles refusent d’accorder à Monsieur (A) l’autorisation pour la construction d’une cabane de chasse à l’endroit indiqué dans la demande d’autorisation.

S’agissant, enfin, de la demande d’octroi d’une indemnité de procédure d’un montant de 5.000 euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de 14procédure devant les juridictions administratives, telle que formulée par le demandeur, celle-ci est à rejeter, étant donné qu’il n’est pas établi qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur (A) les sommes exposées par lui et non comprises dans les dépens.

Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de faire masse des frais et dépens de l’instance et de les imposer pour moitié à chaque partie.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare partiellement justifié ;

partant annule les décisions du ministre des 30 mars et 20 septembre 2022 dans la seule mesure où elles refusent d’accorder à Monsieur (A) l’autorisation sollicitée le 11 octobre 2021 visant « la construction d’une nouvelle cabane de chasse » sur la parcelle (P1), inscrite au cadastre de la commune de Wincrange, section … d’Allerborn, au lieu-dit « … » ;

renvoie le dossier devant ledit ministre en prosécution de cause ;

pour le surplus, déclare le recours en annulation non justifié, partant en déboute ;

rejette la demande d’indemnité de procédure formulée par le demandeur ;

fait masse des frais et dépens de l’instance et les impose pour moitié à l’Etat et pour moitié au demandeur.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 mars 2025 par :

Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Annemarie THEIS, premier juge, en présence du greffier Luana POIANI.

s. Luana POIANI s. Daniel WEBER 15


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 48284
Date de la décision : 19/03/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 22/03/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-03-19;48284 ?

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