Tribunal administratif N° 52391 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52391 4e chambre Inscrit le 18 février 2025 Audience publique du 18 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52391 du rôle et déposée le 18 février 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Lukman ANDIC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Nigéria) et être de nationalité nigériane, demeurant actuellement assigné à résidence à la maison retour à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures, erronément attribué au ministre de l’Immigration et de l’Asile, du 4 février 2025, de le transférer vers la France, comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 février 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yannick GENOT en sa plaidoirie à l’audience publique du 11 mars 2025, Maître Lukman ANDIC s’étant excusé.
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Le 4 décembre 2024, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la Police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur (A) avait auparavant introduit des demandes de protection internationale en Italie les 10 mai et 22 juin 2016, en Allemagne le 4 octobre 2016, en France les 20 janvier 2020 et 2 mars 2023, aux Pays-Bas le 27 juillet 2022 et en Suisse le 1er juillet 2024.
Le 6 janvier 2025, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissantles critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Le 6 janvier 2025, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues français une demande de reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, qui fut acceptée par ces derniers par un courrier daté du 20 janvier 2025, sur le même fondement.
Par un arrêté du 29 janvier 2025, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », assigna à résidence Monsieur (A) à la maison retour, sise à L-… pour une durée de trois mois.
Par décision du 4 février 2025, expédiée à l’intéressé par courrier recommandé le lendemain, le ministre informa Monsieur (A) du fait que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers la France sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :
« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 4 décembre 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »).
En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et de l’article 18(1) d) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la France qui est l’Etat membre tenu de vous reprendre en charge.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains le rapport de Police Judiciaire du 4 décembre 2024 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 6 janvier 2025.
1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 4 décembre 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.
La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Italie en date des 10 mai 2016 et 22 juin 2016, une demande en Allemagne en date du 4 octobre 2016, deux demandes en France en date des 20 janvier 2020 et 2 mars 2023, une demande aux Pays-Bas en date du 27 juillet 2022 et une demande en Suisse en date du 1er juillet 2024.
Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 6 janvier 2025.
Sur base des informations à notre disposition, une demande de reprise en charge en vertu de l’article 18(1)d du règlement DIII a été adressée aux autorités françaises en date du 6 janvier 2 2025, demande qui fut acceptée par lesdites autorités françaises en date du 20 janvier 2025.
2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.
Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point d) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge – dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 – le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.
Un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).
3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 4 décembre 2024 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit une demande de protection internationale en Italie en date des 10 mai 2016 et 22 juin 2016, une demande en Allemagne en date du 4 octobre 2016, deux demandes en France en date des 20 janvier 2020 et 2 mars 2023, une demande aux Pays-Bas en date du 27 juillet 2022 et une demande en Suisse en date du 1er juillet 2024.
Selon vos déclarations, vous auriez quitté le Nigeria le 28 janvier 2016 en direction de la Libye en passant par le Niger. Vous auriez séjourné trois mois en Libye avant de vous rendre à bord d’une embarcation clandestine en direction de l’Italie. Vous auriez passé six mois dans un foyer de réfugiés à Crotone et à Turin, en Italie, et vous y avez introduit deux demandes de protection internationale. Vous auriez quitté l’Italie sans attendre de réponse à votre demande.
Vous avez ensuite introduit des demandes de protection internationale en Allemagne, en Suisse, aux Pays-Bas et en France. Les autorités néerlandaises vous auraient transféré vers la France dans le cadre d’une procédure Dublin. Avant de venir au Luxembourg, vous auriez séjourné en Suisse dans un centre de réfugiés.
3 Lors de votre entretien Dublin III en date du 6 janvier 2025, vous avez mentionné avoir des problèmes de santé mentale et un problème avec votre pied droit. Il y a cependant lieu de soulever que vous n’avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé actuel ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la France qui est l’Etat responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Monsieur, Vous dites ne pas vouloir retourner en France, parce que votre patron de l’époque serait à votre recherche suite à une bagarre.
Rappelons à cet égard que la France est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).
Il y a également lieu de soulever que la France est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Soulignons en outre que la France profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.
Par conséquent, la France est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.
Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la France sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
En l’occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires françaises.
Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la France ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.
Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d’analyser les risques d'être soumis à des traitements inhumains au sens de l’article 3 CEDH dans votre pays d'origine, mais dans l’Etat de destination, en l’occurrence la France. Vous ne faites valoir aucun indice que la France ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l’article 13 CEDH ou que vous n’aviez ou n’auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions belges, notamment en vertu de l’article 46 de la directive « Procédure ».
4 Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en France revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.
Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l’exécution du transfert vers la France, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers la France, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction générale de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers la France en informant les autorités françaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités françaises n’ont pas été constatées. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 février 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle, précitée, du 4 février 2025.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telle que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation introduit en l’espèce, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en expliquant qu’il serait arrivé en Europe via l’Italie, pour y introduire une demande de protection internationale, mais avoir quitté ledit territoire sans attendre de réponse à sa demande. Il indique s’être ensuite rendu en Allemagne, en France et aux Pays-Bas, où ilaurait à chaque fois formulé une demande de protection internationale, demandes qui auraient toutes été rejetées. La demande de protection internationale introduite en Suisse n’aurait pas pu être traitée du fait qu’il aurait déjà été en procédure Dublin III en France.
En droit, le demandeur fait plaider que la décision déférée serait entachée d’une violation de l’article 13 du règlement Dublin III, d’une violation de l’article 3 paragraphe (2) du règlement Dublin III, d’une violation de l’article 17 du règlement Dublin III, d’une violation des articles 3 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH ».
En ce qui concerne la violation de l’article 13 du règlement Dublin III, le demandeur estime qu’il aurait séjourné plus de cinq mois en Suisse, de sorte que cet Etat serait désormais responsable du traitement de sa demande de protection internationale, devant entraîner ainsi l’annulation du transfert vers la France pour erreur manifeste d’appréciation.
En deuxième lieu, le demandeur estime que son transfert vers la France violerait l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, alors que le ministre se serait manifestement abstenu d’examiner de manière rigoureuse et approfondie la situation y prévalant, dans la mesure où il y aurait de sérieuses raisons de croire qu’il existerait des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, entraînant un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dénommée ci-après « la Charte ».
Il cite, dans ce contexte, un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, dénommée ci-après « la CJUE », du 21 décembre 2011, dans les affaires jointes C-411/10 et C-493/10 , N.
S. e.a., qui aurait souligné que la présomption posée par la confiance mutuelle ne serait pas irréfragable, de sorte qu’il incomberait aux Etats de ne pas transférer un individu lorsque des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans l’Etat d’accueil constitueraient des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur y courrait un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte.
Si la CJUE aurait, dans son arrêt du 19 mars 2019, dans une affaire Abubacarr Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, rappelé l’importance de la confiance mutuelle, elle aurait également confirmé que celle-ci ne serait pas absolue.
Ce serait à tort que le ministre aurait, dans ce contexte, affirmé, de manière non circonstanciée et sans aucune preuve, que la France serait présumée respecter ses obligations tirées du droit international public.
Selon la jurisprudence de la CJUE, les Etats membres seraient tenus, face à des informations contraires, d’examiner dans chaque cas d’espèce dans quelle situation se retrouverait la personne si elle était transférée vers l’Etat membre concerné et renoncer à un transfert vers l’Etat responsable s’il ne pourrait être ignoré que les défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil dans ce pays constitueraient des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur de protection internationale courrait un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, ce qui impliquerait que, lorsque des rapports et articles de presse feraient état d’une situation problématique, les autorités nationales chargées de l’examen de la demande de protection internationale auraient l’obligation de s’assurer que les droits fondamentaux du demandeur concerné ne seraient pas mis à mal après son transfert.
En se prévalant de deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », dans les affaires M.S.S. c. Belgique et Grèce et N.H. et autres c.
France, ayant retenu une violation de l’article 3 de la CEDH concernant les conditions d’accueil et plus précisément d’hébergement des réfugiés, le demandeur donne à considérer qu’il aurait demeuré plusieurs mois dans la rue en France, alors même qu’il souffrirait de problèmes psychiatriques, sans que ces éléments n’auraient été pris en compte par le ministre, tout en affirmant qu’il pourrait raisonnablement être présumé qu’il se retrouvera dans des centres dont les conditions matérielles d’accueil seraient dénoncées par les organismes actifs dans le domaine.
En troisième lieu, le demandeur conclut encore à une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, au motif qu’à son arrivée au Luxembourg, il aurait mentionné des problèmes d’ordre psychiatrique, qu’il serait désormais suivi par un psychiatre et recevrait un traitement médicamenteux, tout en précisant qu’il ressortirait d’un certificat médical du Dr. … qu’il souffrirait d’hallucinations auditives, d’anxiété et de troubles majeurs du sommeil.
Il s’empare d’un arrêt de la CJUE du 16 février 2017, dans une affaire C.K.H. A.S. c.
Republika Slovenija, selon lequel il serait possible de s’opposer au transfert d’un demandeur de protection internationale en cas de problèmes médicaux graves, si le transfert risquait d’entraîner une détérioration substantielle de son état de santé.
En effet, les Etats procédant au transfert devraient vérifier et garantir que des soins de santé seraient également disponibles dans le pays de destination directement après le transfert.
Dans l’hypothèse où, compte tenu de la particulière gravité de l’affection du demandeur d’asile concerné, la prise desdites précautions ne suffirait pas à assurer que son transfert n’entraînerait pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, il incomberait aux autorités de l’Etat membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de l’intéressé, aussi longtemps que son état le rendrait inapte à un tel transfert.
Le demandeur souligne que s’il était renvoyé en France, et compte-tenu de la politique de durcissement des conditions d’accueil y en vigueur, outre la pénurie de médecins psychiatres, il y serait exposé à des traitements inhumains et dégradants et mis dans des conditions difficilement acceptables, de sorte que le ministre aurait dû se déclarer compétent pour traiter sa demande au fond pour des « raisons humanitaires ou exceptionnelles ».
En quatrième lieu, le demandeur estime encore que l’article 3 de la CEDH se trouverait violé, alors que la compétence de la France serait contestée et qu’il se dégagerait clairement des informations de sources publiques qu’il y existerait des motifs raisonnables de croire qu’il encourrait, en cas de transfert vers la France, un risque réel et sérieux d’être exposé à des traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 3 de la CEDH.
Il cite, à cet effet, un arrêt du 2 juillet 2020 de la CourEDH, dans l’affaire, précitée, N.H.
et autres c. France, pour faire valoir, qu’en l’espèce, en cas de retour au Nigeria, il craindrait des traitements inhumains, voire de se faire tuer, et qu’au vu de son vécu en France, il serait indéniable qu’il se verrait renvoyer au Nigéria par les autorités françaises.
Il cite encore l’arrêt précité de la CJUE du 16 février 2017 pour soutenir qu’au vu du caractère absolu de l’interdiction de l’article 4 de la Charte, les Etats membres ne pourraient méconnaitre un risque réel et avéré de traitements inhumains ou dégradants affectant un demandeur d’asile même s’il n’existerait pas de défaillances systémiques dans l’Etat membre responsable.
Or, en l’espèce, la probabilité pour lui de se retrouver en France dans des conditions inhumaines et d’être renvoyé au Nigéria immédiatement après son transfert vers la France ne serait pas hypothétique mais réelle.
Finalement, le demandeur conclut à une violation de l’article 13 de la CEDH et plus particulièrement du principe à un recours effectif, alors qu’il estime, en s’appuyant sur deux arrêts de la CJUE, dans des affaires Ghezelbash c. Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie et Karim c. Migrationsvertet, que le ministre n’aurait pas effectué une analyse circonstanciée de sa situation et des conséquences pour lui d’un retour sur le territoire français, ce dernier s’étant borné à affirmer que la France serait présumée respecter les dispositions de la CEDH et de la Convention de Genève, tout en s’étant encore prévalu de l’absence de preuve rapportée par lui des traitements inhumains subis lors de son passage en France, plus particulièrement à Bordeaux.
Le demandeur affirme, à cet égard, que la France manquerait cruellement de médecins, que les demandeurs d’asile y seraient particulièrement mal logés, que ledit pays présenterait actuellement une instabilité gouvernementale, l’extrême droite y ayant le vent en poupe, et qui aurait pris des mesures visant à restreindre l’accueil des demandeurs d’asile en France et de façon plus générale qui restreindraient l’immigration en France.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Le tribunal n’est pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie mais, dans l'intérêt d’une bonne administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, peut les traiter suivant un ordre différent1.
Aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités françaises pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur (A) prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de (…) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande dans un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».
1 Trib. adm. 21 novembre 2001, n° 12921 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 545 (1er volet) et les autres références y citées.En l’espèce, le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer Monsieur (A) vers la France et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale serait la France, en ce qu’il y avait introduit deux demandes de protection internationale les 20 janvier 2020 et 2 mars 2023 et que les autorités françaises ont accepté de le reprendre en charge en date du 20 janvier 2025.
C’est, dès lors, a priori à bon droit que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers cet Etat membre et de ne pas examiner sa demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’affirmation du demandeur suivant laquelle la décision ministérielle litigieuse serait intervenue en violation de l’article 13 du règlement Dublin III aux termes duquel : « 1. Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) no 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière.
2. Lorsqu’un État membre ne peut pas, ou ne peut plus, être tenu pour responsable conformément au paragraphe 1 du présent article et qu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, que le demandeur qui est entré irrégulièrement sur le territoire des États membres ou dont les circonstances de l’entrée sur ce territoire ne peuvent être établies a séjourné dans un État membre pendant une période continue d’au moins cinq mois avant d’introduire sa demande de protection internationale, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.
Si le demandeur a séjourné dans plusieurs États membres pendant des périodes d’au moins cinq mois, l’État membre du dernier séjour est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. » En effet, si le demandeur affirme que la Suisse serait devenue responsable pour connaître de l’examen de sa demande de protection internationale au motif qu’il y aurait séjourné pendant cinq mois, il reste cependant en défaut de préciser dans quel cas de figure dudit article 13 il se trouverait pour arriver à ce constat, de sorte que le moyen afférent manque manifestement non seulement en droit, mais aussi en fait et encourt dès lors le rejet.
Ensuite, il y a lieu de rappeler que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande, sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale qui entraînent un risque de traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte – corollaire à l’article 3 CEDH –, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe(1) du même règlement, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.
En ce qui concerne l’invocation par le demandeur de défaillances systémiques en France, le tribunal relève que l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III prévoit que :
« Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».
Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, une telle situation empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers cet Etat membre.
La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé.2 A cet égard, le tribunal relève que la France est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard3. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants4. Dès lors, comme ce système 2 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.
3 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.
4 Ibidem, point. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur ww.jurad.etat.lu. européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient aux demandeurs de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées5.
Dans un arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile6, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.
Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise ou de reprise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives7, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE8, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20179.
Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201910 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, précité, du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine11. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant12.
5 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.
6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.
7 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.jurad.etat.lu.
8 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.
9 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.
10 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt. 91.
11 Ibid., pt. 92.
12 Ibid., pt. 93.En l’espèce, le demandeur estime que les défaillances systémiques en France résulteraient des conditions d’accueil et d’hébergement dégradées auxquelles devraient faire face les demandeurs de protection internationale et qui le mettraient à risque de se retrouver à la rue dans ce pays et donc de devoir vivre dans des conditions contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
Il incombe au demandeur de fournir des éléments concrets permettant de retenir que la situation en France, telle que décrite par lui, atteindrait le degré de gravité tel que requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et par les principes dégagés ci-avant, étant à cet égard relevé que sa situation est celle d’un demandeur de protection internationale débouté, de sorte que c’est sur cette toile de fond que ses contestations doivent être examinées.
Or, force est de constater que pareilles défaillances systémiques atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité ne résultent pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal.
Dans ce contexte, il importe tout d’abord de constater que le demandeur n’a, lors de son entretien Dublin III en date du 6 janvier 2025, pas soutenu que les autorités françaises lui auraient refusé l’accès à la procédure d’asile ou aux conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale. Il résulte au contraire du rapport dudit entretien qu’il s’est limité à invoquer des problèmes personnels qu’il y avait rencontrés13 tout en indiquant lors de son entretien auprès de la Police grand-ducale qu’il n’avait pas souhaité rester en France et décidé de venir au Luxembourg « pour tenter ma chance »14.
Le tribunal se doit, ensuite, de constater que le demandeur n’ayant plus la qualité de demandeur de protection internationale depuis le refus définitif de sa demande de protection internationale en France, il ne saurait se prévaloir de l’existence de prétendues défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil desdits demandeurs de protection internationale dans ce pays pour contester son transfert vers celui-ci. Mais à part son allégation non autrement établie selon laquelle il aurait vécu dans la rue en France, il ne démontre pas que ses conditions d’existence en France auraient revêtu un degré de pénibilité et de gravité tel qu’elles seraient à qualifier de traitements inhumains ou dégradants au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, respectivement qu’il n’aurait pas été en mesure de faire valoir ses droits à cet égard devant les autorités compétentes, ce d’autant plus qu’il a déclaré lors de son entretien Dublin III avoir pu exercer en France, avec l’assistance d’un avocat, le recours contentieux contre la décision de rejet de sa demande de protection internationale. Enfin il reste, en tout état de cause, en défaut de mettre d’une quelconque manière en relation la documentation dont il se prévaut pour invoquer l’existence de défaillances systémiques en France avec sa situation personnelle de demandeur de protection internationale débouté.
S’agissant ensuite de la crainte du demandeur de se retrouver à la rue en cas de transfert vers la France, force est de constater que cette crainte n’est sous-tendue par aucun élément tangible. En effet, le demandeur n’a pas pris position par rapport aux conditions de vie minimales auxquelles il pourrait prétendre en tant que demandeur de protection internationale débouté repris en charge par les autorités françaises sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, ni fourni d’indices concordants permettant de retenir qu’en cas de transfert vers la France, il risquerait d’y être confronté à des difficultés d’accueil atteignant un degré de gravité tel qu’elles pourraient être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au 13 Rapport d’entretien Dublin III du 6 janvier 2025, p.6.
14 Rapport de police du 4 décembre 2024, p.2.sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, tels qu’interprétés à la lumière de la jurisprudence de la CJUE.
A cet égard, il convient encore de préciser que la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte), ci-après dénommée « la directive Accueil », prévoit explicitement la faculté de « limiter les possibilités d’abus du système d’accueil en précisant les circonstances dans lesquelles le bénéfice des conditions matérielles d’accueil pour les demandeurs peut être limité ou retiré, tout en garantissant un niveau de vie digne à tous les demandeurs »15. L’article 20 de cette directive prévoit, pour sa part, explicitement la possibilité pour les Etats membres notamment de limiter, voire de retirer, le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, notamment lorsqu’un demandeur « a) abandonne le lieu de résidence fixé par l’autorité compétente sans en avoir informé ladite autorité ou, si une autorisation est nécessaire à cet effet, sans l’avoir obtenue » ou encore « c) a introduit une demande ultérieure telle que définie à l’article 2, point q), de la directive 2013/32/UE », c’est-à-dire une nouvelle demande de protection internationale « présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel l’autorité responsable de la détermination a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite, conformément à l’article 28, paragraphe 1 ».
De même, si le 11ème considérant du règlement Dublin III prévoit explicitement que la directive Accueil est applicable aux demandeurs d’asile soumis à une procédure Dublin, il admet également explicitement l’application des limitations figurant dans cette même directive Accueil.
Tel que relevé ci-avant, il est constant en cause que le demandeur a été débouté de sa demande de protection internationale en France, cet Etat membre ayant accepté sa reprise en charge sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, précité.
En cas de transfert vers la France, il devra, dans ces conditions, soit y être considéré comme un migrant en situation irrégulière, à défaut d’y introduire une nouvelle demande de protection internationale, et, partant en sa qualité de demandeur d’asile débouté comme sortant du champ d’application de la Convention de Genève, soit, dans l’hypothèse de l’introduction d’une nouvelle demande, comme demandeur ayant formulé une demande ultérieure au sens de la législation européenne, de sorte à pouvoir, théoriquement, se voir opposer la limitation, voire le retrait de l’accès aux conditions matérielles d’accueil.
Le tribunal relève encore que la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire, législation régissant les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale au Luxembourg, s’applique à tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle aucune décision finale n’a encore été prise, de sorte à exclure les demandeurs ayant formulé une « demande ultérieure », tandis que l’article 22 de la même loi permet au directeur de l’Office national de l’Accueil de limiter ou de retirer le bénéfice des conditions matérielles d’accueil lorsque le demandeur a notamment déjà introduit une demande de protection internationale au Grand-Duché de Luxembourg.
Dès lors, le fait même de limiter ou de restreindre totalement ou partiellement l’accès aux conditions matérielles d’accueil à des migrants ayant quitté sans autorisation leur lieu d’hébergement ou ayant introduit une demande ultérieure après avoir essuyé un premier refus 15 Considérant 25.définitif à leur demande de protection internationale est autorisé tant par la législation européenne que, à titre de mise en perspective, par la législation nationale luxembourgeoise.
Ainsi, même à admettre que la France ait adopté une politique visant à restreindre l’accès au système d’accueil à certaines catégories de personnes et notamment à celles y ayant déjà été définitivement déboutées de leur demande de protection internationale, une telle politique ne saurait s’analyser per se en un traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
Le tribunal relève encore qu’outre de ne pas fournir de précisions quant à la situation des demandeurs de protection internationale définitivement déboutés et transférés vers la France dans le cadre du règlement Dublin III, le demandeur n’invoque pas non plus une jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers la France, voire une demande en ce sens de la part du Haut-Commissariat des Nations Unies (« UNHCR »). Il ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant du UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers la France de ressortissants nigérians dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile française qui l’exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
Le demandeur reste, en tout état de cause, en défaut de rapporter la preuve que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale déboutés en France risqueraient systématiquement de ne pas être respectés, ou encore que les demandeurs de protection internationale déboutés n’auraient en France aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir, étant encore relevé que la France est signataire de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève, ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions. Le demandeur reste, par ailleurs, en défaut d’avancer des raisons concrètes permettant de penser que les autorités françaises n’auraient pas analysé correctement sa demande de protection internationale avant de l’en débouter, étant rappelé qu’il a déclaré lui-même avoir introduit, avec l’assistance d’un avocat, plusieurs recours, devant les juridictions françaises compétentes, contre la décision de rejet de sa demande de protection internationale.
En tout état de cause, même à admettre que le demandeur ne puisse pas accéder au système d’aide français - que ce soit celui offert aux demandeurs de protection internationale ou celui accessible à tous les résidents français -, respectivement si le demandeur devait estimer que le système d’aide français serait à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités françaises en usant des voies de droit adéquates. Il en va de même si le demandeur devait estimer que le système français ne serait pas conforme aux normes européennes.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que le demandeur n’a pas rapporté la preuve de l’existence, en France, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays.
Cependant, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut êtreexclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable.16 Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte17, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant.18 S’agissant de l’argumentation du demandeur ayant trait à une violation du principe de non-refoulement, le tribunal relève que suivant un arrêt de la CJUE du 30 novembre 202319, la juridiction de l’Etat membre requérant, saisie d’un recours contre une décision de transfert, ne peut examiner s’il existe un risque, dans l’Etat membre requis, d’une violation du principe de non-refoulement auquel le demandeur de protection internationale serait soumis à la suite de son transfert vers cet Etat membre, ou par suite de celui-ci, lorsque, tel que c’est le cas en l’espèce, cette juridiction ne constate pas l’existence, dans l’Etat membre requis, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’une protection internationale. Des divergences d’opinion entre les autorités et les juridictions de l’Etat membre requérant, d’une part, et celles de l’Etat membre requis, d’autre part, en ce qui concerne l’interprétation des conditions matérielles de la protection internationale n’établissent pas l’existence de défaillances systémiques.
Par ailleurs, et en tout état de cause, la décision déférée n’implique pas un retour vers le pays d’origine de Monsieur (A), mais désigne uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de sa demande de protection internationale, étant souligné que ledit Etat membre, en l’occurrence la France, a reconnu en date du 20 janvier 2025, être compétent pour reprendre le demandeur en charge.
Le tribunal relève ensuite que le demandeur reste en défaut d’étayer concrètement l’existence, dans son chef, d’un risque d’être renvoyé dans son pays d’origine par les autorités françaises. Il ne fournit plus particulièrement aucun élément de nature à démontrer que la France ne respecterait pas le principe de non-refoulement à son égard et faillirait dès lors à ses obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie, son intégrité physique ou sa liberté seraient sérieusement en danger ou encore qu’il risquerait d’être forcé de se rendre dans un tel pays.
De plus, si par impossible les autorités françaises devaient néanmoins décider d’éloigner le demandeur, même le cas échéant en violation de l’article 33 de la Convention de Genève, non explicitement invoqué par le demandeur, à supposer que l’intéressé soit effectivement exposé à 16 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.
17 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.
18 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt. 88.
19 CJUE, 30 novembre 2023, affaires jointes C-228/21, C-254/21, C-315/21 et C328/21.un risque concret et grave en cas de retour au Nigéria, il lui appartiendrait, tous recours internes éventuellement épuisés - le demandeur devant d’abord faire valoir ses droits directement auprès des autorités françaises compétentes en usant des voies de droit adéquates20 - de saisir la CourEDH et de lui demander, sur base de l’article 39 de son règlement intérieur, de prier les autorités françaises de surseoir à l’exécution du rapatriement jusqu’à l’issue de la procédure devant cet organe.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’arrêt rendu par la CourEDH du 2 juillet 2020 dans l’affaire N.H. et autres c. France, que le demandeur invoque, alors qu’il laisse d’établir qu’il se serait trouvé dans une situation comparable lorsqu’il s’était trouvé en France. Outre le fait qu’il relate avoir connu des problèmes personnels lorsqu’il se trouvait à Bordeaux, le demandeur n’a aucunement mis en avant des problèmes qu’il aurait connus en France, ce dernier ayant même déclaré avoir eu accès à un conseil juridique par le biais duquel il aurait pu faire appel des décisions de refus des autorités françaises.
Il ne se dégage dès lors pas non plus des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que le transfert du demandeur vers la France l’exposerait à un risque réel et sérieux de faire l’objet d’un refoulement en violation de l’article 33 de la Convention de Genève.
Au vu des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que, compte tenu de sa situation personnelle, le demandeur serait exposé, en cas de transfert vers la France, et nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, dans ce pays, de défaillances systémiques, à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, respectivement de faire l’objet d’un refoulement en violation de l’article 33 de la Convention de Genève. Ainsi, le moyen tenant, dans ce contexte, à une violation de l’article 3 de la CEDH, pris isolément, est à rejeter.
En ce qui ensuite le moyen fondé sur une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, il y a lieu de relever que celui-ci dispose comme suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement.
(…) ».
A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres21, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la CJUE du 16 février 201722.
Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge23, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge 20 Voir article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.
21 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.
22 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.
23 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 64 (3e volet) et les autres références y citées.d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration24.
En ce qui concerne l’état de santé du demandeur, tel que mis succinctement en avant, dans ce contexte, par celui-ci dans son recours, le tribunal se doit tout d’abord de relever qu’il ne se dégage pas de la jurisprudence de la CJUE25 que l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable pour le traitement de la demande de protection internationale d’un demandeur de protection internationale doit, en tout état de cause et préalablement à la prise d’une décision de transfert et par avis médical, s’assurer automatiquement que le transfert n’entraîne pas une détérioration significative et irrémédiable de l’état de santé de l’intéressé, lorsque ce dernier déclare avoir un quelconque problème de santé.
En effet, suivant la jurisprudence de la CJUE, ce n’est que si un demandeur de protection internationale produit des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, que les autorités de l’Etat membre procédant au transfert doivent prendre les précautions spécifiques afin de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de la personne concernée, telles que, par exemple, l’obtention, de la part de l’Etat membre responsable, de la confirmation que les soins indispensables seront disponibles à l’arrivée26.
La CJUE a encore relevé la coopération entre l’Etat membre devant procéder au transfert et l’Etat membre responsable afin d’assurer que le demandeur d’asile concerné reçoive des soins de santé pendant et à l’issue du transfert, l’Etat membre procédant au transfert devant s’assurer que le demandeur d’asile concerné bénéficie de soins dès son arrivée dans l’Etat membre responsable. Les articles 31 et 32 du règlement Dublin III imposent, en effet, à l’Etat membre procédant au transfert de communiquer à l’Etat membre responsable les informations concernant l’état de santé du demandeur d’asile qui sont de nature à permettre à cet Etat membre de lui apporter les soins de santé urgents indispensables à la sauvegarde de ses intérêts essentiels.
Ainsi, ce n’est que dans l’hypothèse où la prise de précautions de la part de l’Etat membre procédant au transfert ne suffirait pas, compte tenu de la gravité particulière de l’affection du demandeur d’asile concerné, à assurer que le transfert de celui-ci n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, qu’il incomberait aux autorités de l’Etat membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de cette personne, et ce aussi longtemps que son état ne la rend pas apte à un tel transfert.
Le tribunal se doit de constater qu’en l’espèce, le demandeur indique qu’il souffrirait de troubles psychiatriques, qu’il serait suivi par deux médecins et qu’il bénéficierait d’un traitement médicamenteux, le concerné se prévalant, dans ce contexte, d’un certificat médical et d’une ordonnance de prescription de médicaments à l’appui de ses affirmations.
A cet égard, il convient de constater, en ce qui concerne le certificat médical versé en la cause, que Monsieur (A) est effectivement suivi par un psychiatre pour souffrir « d’hallucinations auditives, anxiété et troubles majeurs de sommeil », ledit certificat indiquant 24 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en réformation, n°12 (2e volet) et les autres références y citées.
25 Voir en ce sens CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 74 et 75.
26 Trib. adm., 8 janvier 2020, n° 43800 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu, ayant repris ces principes.également que son état de santé se serait amélioré partiellement grâce au traitement médicamenteux, tout en restant muet sur une quelconque conséquence dommageable que pourrait avoir le transfert du demandeur vers la France.
Ainsi force est de constater qu’il ne ressort pas des pièces sous examen qu’un transfert du demandeur vers la France pourrait avoir des conséquences significatives et irrémédiables sur son état de santé, respectivement que son état de santé s’opposerait à tout transfert vers la France.
De même le demandeur ne soumet aucun élément, voire même un quelconque indice concret susceptible de laisser conclure qu’il ne pourrait pas être transféré vers la France, respectivement y accéder aux soins médicaux dont il pourrait, le cas échéant, avoir besoin, respectivement que ce même pays ne respecterait pas les obligations lui imposées à travers la CEDH, la Charte ou encore le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966 et entré en vigueur le 3 janvier 1976.
Ce constat n’est pas énervé par l’affirmation selon laquelle la France connaîtrait une pénurie de médecins, alors que c’est à juste titre que le délégué du gouvernement a indiqué que le Grand-Duché de Luxembourg est confronté à la même problématique.
Enfin, et même à admettre que le demandeur ne puisse pas accéder, en tant que demandeur de protection internationale débouté de sa demande, au système d’aide français, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités françaises compétentes en usant des voies de droit internes, voire devant les instances européennes adéquates.
Partant, le tribunal est amené à retenir qu’il ne se dégage pas des éléments lui soumis que l’état de santé du demandeur s’oppose à son transfert vers la France.
A toutes fins utiles et en tout état de cause, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1), alinéa 1er une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin, il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers la France par le biais de la communication aux autorités françaises des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard.
Au vu de ces considérations, il doit être retenu que l’état de santé du demandeur ne saurait s’analyser en un élément humanitaire ou exceptionnel qui aurait dû amener le ministre à appliquer la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, de sorte que ce moyen laisse également d’être fondé, faute de tout autre élément mis en avant qui pourrait s’analyser en des raisons humanitaires ou exceptionnelles justifiant le recours à la clause discrétionnaire.
Le demandeur conclut finalement à une violation de l’article 13 de la CEDH aux termes duquel « (…) Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention 18 ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. », alors qu’il estime que le ministre n’aurait pas effectué une analyse circonstanciée de sa situation et des conséquences pour lui d’un retour sur le territoire français.
Or, force est au tribunal de constater qu’il vient d’être retenu qu’un transfert du demandeur vers la France n’est pas de nature à l’exposer à un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants, alors que, d’une part, la preuve de défaillances systémiques en France dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, n’a pas été rapportée en l’espèce et, d’autre part, le demandeur n’a pas non plus établi que compte tenu de sa situation personnelle, un transfert vers la France l’exposerait à un tel risque, nonobstant le constat de l’absence de défaillances systémiques, au sens de cette dernière disposition du règlement Dublin III, de sorte qu’aucune violation de ses droits ne saurait être retenue. Il y a encore lieu de préciser, à cet égard, que le demandeur a pu introduire le présent recours contentieux en réformation à l’encontre de la décision litigieuse et valablement défendre sa cause, de sorte à avoir dès lors pu bénéficier d’un recours effectif devant une instance nationale, tel que prescrit par l’article 13 de la CEDH.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres moyens que le recours en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 mars 2025 par :
Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 mars 2025 Le greffier du tribunal administratif 19