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18/03/2025 | LUXEMBOURG | N°49532

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 mars 2025, 49532


Tribunal administratif N° 49532 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49532 3e chambre Inscrit le 10 octobre 2023 Audience publique du 18 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49532 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 octobre 2023 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à

Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Turquie), de nationalité turque,...

Tribunal administratif N° 49532 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49532 3e chambre Inscrit le 10 octobre 2023 Audience publique du 18 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49532 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 octobre 2023 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Turquie), de nationalité turque, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 25 septembre 2023 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Shirley FREYERMUTH, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, et Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 janvier 2025.

Le 27 juin 2022, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, du même jour.

En date des 31 août, 30 septembre et 19 octobre 2022, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 25 septembre 2023, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée le 28 septembre 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le 1ministre », rejeta la demande de protection internationale de Monsieur (A), tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :

« […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 27 juin 2022, auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes, sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-

après.

1. Quant à vos déclarations En mains, le rapport du Service de Police Judiciaire du 27 juin 2022, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes sur les motifs sous-

tendant votre demande de protection internationale des 31 août, 30 septembre et 19 octobre 2022, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous seriez originaire d'… dans la province de … en Turquie, d'ethnie Kurde et de confession musulmane.

Vous avancez tout d'abord que vous auriez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg « Pour 3 raisons : à cause de mon identité Kurde, à cause de mon affiliation à l'HDP et à cause de mon travail » (p.6/23 de votre rapport d'entretien).

Ensuite, vous indiquez craindre de devoir travailler pour le compte des autorités turques en cas de retour dans votre pays d'origine, étant donné que vous seriez opérateur de pelleteuse voire d'excavateur de profession, en affirmant qu'il s'agit de votre motif de fuite.

Concernant les faits qui seraient survenus avant votre départ et qui auraient conduit à votre fuite de Turquie, vous déclarez que vous auriez été arrêté par trois policiers à un point de contrôle à … en août 2020 et que ces derniers vous auraient proposé de travailler pour le compte des autorités turques. Vous auriez alors attendu sur place avec les policiers jusqu'à ce que deux militaires vous auraient rejoints, ces derniers vous auraient demandé de travailler pour leur compte avec votre pelleteuse et vous auriez accepté de les suivre. Après avoir été informé plus en détail sur l'endroit et la nature des travaux à effectuer, vous auriez refusé de collaborer en avançant que le chantier se situerait dans une région dans laquelle l'organisation dénommée « Parti des travailleurs du Kurdistan » (ci-après dénommée « PKK ») serait active.

Vous indiquez cependant que les militaires auraient adopté un ton plus menaçant et vous laissez entendre que vous auriez finalement été contraint d'accepter.

Vous précisez que ce travail aurait consisté à « creuser » avec votre pelleteuse sur un chantier situé …, près de la frontière entre la Turquie et l'Irak. Vous ajoutez que vous auriez dû mettre des uniformes militaires et que vous auriez travaillé avec un dénommé (B). Vous indiquez ensuite que votre collègue serait décédé en … 2020 suite à une frappe menée par le « PKK » alors qu'il aurait été en train de manipuler un excavateur sur le chantier en question.

Vous indiquez également que vous n'auriez pas signé de contrat de travail et que vous n'auriez 2pas non plus été rémunéré durant ces travaux qui auraient duré environ deux mois. Après avoir finalisé le travail, vous auriez repris vos occupations professionnelles et journalières.

En date du 5 juin 2022, alors que vous auriez travaillé sur un chantier pour le compte d'une entreprise dénommée « … », des militaires se seraient rendus dans les logements des ouvriers afin de recruter des « opérateurs de chantier » (p.13/23 de votre rapport d'entretien).

Vous précisez que cette information vous aurait été rapportée par le « gardien du chantier » alors que vous auriez logé dans une pension différente que les autres ouvriers. Il vous aurait en outre rapporté « qu'il y avait des travaux d'ouverture de route prévus ailleurs dans des zones du PKK » (p.14/23 de votre rapport d'entretien) en vous incitant à partir, raison pour laquelle vous seriez allé chez votre oncle.

En date du 6 juin 2022, votre mère vous aurait appelé afin de vous informer que la police se serait rendue à votre domicile pour demander après vous. Vous seriez encore resté chez votre oncle pendant une dizaine de jours et vous auriez finalement quitté votre pays d'origine en date du 15 juin 2022.

Monsieur, vous faites en outre état de trois gardes à vue lesquelles seraient survenues en 2016, en 2020 et en 2022, sans néanmoins exprimer une quelconque crainte concrète dans ce contexte. Vous liez néanmoins ces incidents à votre « identité Kurde », respectivement à votre adhésion au Parti démocratique des peuples (ci-après dénommée « HDP »).

Concernant la première garde à vue, vous indiquez qu'elle serait survenue en 2016 un mois après « la levée de l'interdiction de sortir de chez soi », alors que les autorités turques auraient décrété l'état d'urgence dans la ville de … à cette époque, sans donner aucune autre information concrète à ce sujet. Vous expliquez que vous auriez été arrêté à votre domicile et emmené au commissariat d'…. Vous précisez que la police vous aurait interrogé, parce qu'elle aurait voulu savoir si vous aviez « participé à creuser les tranchées d'… » (p.7/23 de votre rapport d'entretien) et qu'elle vous aurait relâché une heure plus tard.

Pour ce qui est de la seconde garde à vue, vous mentionnez qu'elle serait survenue en janvier 2020 après que vous ayez participé à « une marche pour la libération de Selahattin Demirtas » (p.8/23 de votre rapport d'entretien). Vous précisez que vous auriez été arrêté lors d'un contrôle à l'entrée de la ville de … et que vous auriez été relâché après avoir été interrogé sur les raisons de vos participations à « certaines manifestations » alors que vous auriez participé « à tout type de manifestation » (p.9/23 de votre rapport d'entretien). Vous ajoutez encore que les policiers vous auraient intimidé afin que vous vous absteniez à participer à d'autres rassemblements de ce genre.

Quant à la troisième garde à vue, vous expliquez que vous auriez été arrêté en avril 2022 pour avoir « participé aux festivités de la Newroz » qui se seraient tenues dans la ville de … en date du 21 mars 2022. Vous expliquez que les agents de police vous auraient interrogé sur votre « rôle au sein du Parti HDP », auquel vous auriez adhéré en juin 2019, et qu'ils vous auraient « reproché d'avoir porté la tenue du PKK » (p.15/23 de votre rapport d'entretien).

Vous ajoutez que vous auriez été insulté, frappé et interrogé au sujet de votre oncle paternel.

Vous auriez ensuite été relâché après avoir signé un document, sans préciser la nature du document en question.

A l'appui de votre demande, vous présentez votre carte d'identité turque et votre permis de conduire turc. Vous remettez également une copie d'un formulaire d'adhésion du HDP, une 3copie de votre certificat de conducteur d'excavateur établi en langue turque et sans traduction, sept photos illustrant votre personne et deux vidéos qui aurait été publiées en 2020 voire 2022 par des « groupes de guérillas du PKK (…) sur leur chaine : Guérilla TV ».

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Avant tout progrès en cause, il convient de soulever qu'il ressort du rapport de police que vous auriez quitté la Turquie parce que vous auriez « subi des tortures » et « des menaces de mort ». Toutefois, lors de votre entretien sous-tendant les motifs de votre demande de protection internationale, vous ne faites nullement mention de tortures ou de menaces de mort à votre encontre et vous changez de version en avançant des motifs différents, de sorte que votre sincérité, et par conséquent vos craintes y relatives, doivent être relativisées.

Monsieur, lors de votre entretien vous déclarez que vous craindriez devoir travailler pour le compte des autorités turques sur des chantiers situés dans des régions où le groupement terroriste « PKK » serait actif, raison pour laquelle vous auriez quitté la Turquie.

En effet, convié à indiquer concrètement ce que vous craindriez en cas de retour dans votre pays d'origine, vous déclarez : « L'Etat de la République turque va m'obliger à travailler sur les chantiers dans les zones du PKK. Ils veulent que des Kurdes tuent les Kurdes. Je pourrais faire partie des faits divers, comme quoi le PKK a tué un civil kurde » (p.6/23 de votre rapport d'entretien).

4Force est toutefois de constater que votre crainte et les faits que vous relatez à ce sujet sont dénués de tout lien avec les dispositions prévues par la Convention de Genève et la Loi de 2015.

En effet, il appert que vous auriez quitté votre pays d'origine, étant donné que vous auriez été prétendument contraint de travailler pour le compte des autorités turques avec votre excavateur sur des chantiers que vous qualifiez de dangereux, alors que le groupement terroriste « PKK » serait actif dans ces régions. Or, contrairement à vos allégations voire spéculations que leur motivation serait liée à votre ethnie Kurde, il découle clairement de votre récit que vous auriez été sollicité par les autorités turques à effectuer cette tâche temporaire parce que vous auriez les qualifications nécessaires et que vous seriez le propriétaire de votre propre pelleteuse.

Vous confirmez cette conclusion en soumettant notamment une copie de ce qui serait votre certificat de conducteur d'excavateur, que vous auriez obtenu après avoir accompli les formations nécessaires à …, ville majoritairement Kurde. Il y a dès lors lieu de retenir que votre crainte n'est nullement liée à votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques, ou encore votre appartenance à un certain groupe social.

Même à supposer que votre crainte et les faits que vous avancez seraient liés à un des critères de fond énumérés par les prédits textes, il importe néanmoins de souligner qu'ils ne revêtent pas un caractère de gravité tels qu'ils puissent être assimilés à une persécution au sens de dispositions précitées de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

A cet égard, il convient tout d'abord de noter qu'il est certes regrettable que vous auriez été contraint de travailler de manière bénévole sur un chantier que vous qualifiez de dangereux durant une période de plus ou moins deux mois durant l'été 2020, mais il ressort clairement de votre récit qu'il s'agissait d'une mission isolée et que votre tâche consistait simplement à « creuser avec la pelleteuse ».

A cela s'ajoute qu'il ne vous est absolument rien arrivé durant ces travaux, de sorte que ce fait ne revête en conséquence pas un degré de gravité particulier et suffisant pour être qualifié d'acte de persécution au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

Concernant le prétendu décès du dénommé (B) en … 2020, il importe de souligner qu'il s'agit d'un fait non personnel.

Notons que des faits non personnels mais vécus par d'autres personnes ne sont susceptibles de constituer une crainte fondée de persécution au sens des prédits textes que si le demandeur de protection internationale établit dans son chef un risque réel d'être victime d'actes similaires en raison de circonstances particulières. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce.

En effet, vous tentez de relier le prétendu décès de cette personne à votre propre situation en avançant « (…) J'ai fait connaissance de mon ami (B) qui travaillait également sur les engins blindés de l'armée. Nous nous sommes rendus ensembles sur les terrains dans les montagnes. Notre but était de finir le chantier au plus vite pour rentrer chez nous. Quelques mois après le début du chantier, mon ami (B) qui était en tête du chantier a été victime d'une fusée du PKK alors que nous étions soit disant sous la protection de l'armée. A ce moment-là, je travaillais sur la même route que lui mais plus bas sur un virage (…) » (p.11/23 de votre rapport d'entretien) et vous soumettez deux vidéos pour étayer vos dires.

5 Il appert cependant qu'il s'agit en l'occurrence de pures allégations de votre part, alors que vous vous bornez simplement à indiquer qu'il aurait été victime d'un tir de roquette perpétré par des membres du « PKK » et qu'il serait « mort sur place » en affirmant que vous n'auriez « pas vu l'enterrement ni la dépouille » du défunt. Vous n'êtes pas en mesure de fournir la moindre information détaillée et concrète sur l'incident en question alors que vous prétendez avoir été à proximité, ni sur les personnes qui auraient commis cet acte, de sorte qu'aucun lien n'est établi entre vous et le décès de cette personne.

Le fait de remettre plusieurs photos vous illustrant seul à côté de pelleteuses ainsi que deux vidéos qui auraient été faites par des membres d'un groupement terroriste et publiées sur leur site internet ne saurait infirmer la conclusion que le prétendu décès du dénommé (B) n'a aucun lien avec votre propre situation.

Enfin, vous avancez qu'en date du 5 juin 2022 les autorités turques auraient à nouveau voulu recruter des ouvriers pour travailler sur des chantiers situés dans des zones fréquentées par des membres du « PKK » et que des agents de police se seraient rendus à votre domicile le lendemain pour demander après vous. Vous avancez que vous vous seriez caché chez votre oncle pour les éviter et que vous auriez quitté la Turquie après que le « gardien du chantier » vous aurait incité à partir.

Il convient de réitérer que ces faits n'ont aucun lien avec les dispositions prévues par les prédits textes et qu'ils ne sont pas non plus d'une gravité suffisante et particulière pour être qualifiés d'actes de persécution. Le constat du manque de gravité est renforcé par le fait que vous n'auriez pas personnellement fait le choix de partir, mais que vous y auriez été incité par le « gardien du chantier ».

A cela s'ajoute que vos propos dans ce contexte sont de pures spéculations de votre part alors que vous n'auriez pas été présent quand les agents de police se seraient rendus dans les logements des ouvriers, respectivement à votre domicile, étant donné que vous auriez séjourné ailleurs et que tous ces faits vous auraient été rapportés par des tiers.

Il y a lieu de conclure qu'on ne saurait retenir l'existence dans votre chef d'une persécution, respectivement d'une crainte fondée de persécution.

Monsieur, vous faites en outre état de trois gardes à vue qui seraient survenues endéans les huit dernières années, à savoir en 2016, en 2020 et en 2022. Vous liez ces incidents à votre « identité Kurde », respectivement à votre adhésion au « HDP ».

A titre liminaire, il sied de rappeler que vous n'exprimez aucune crainte concrète dans ce contexte alors que vous déclarez clairement que vos motifs de fuite seraient liés aux faits susmentionnés.

Si néanmoins ces faits devraient être analysés dans le cadre de votre demande de protection internationale, il échet de soulever qu'aucune crainte fondée de persécution ne saurait être retenue dans votre chef.

Premièrement, vous indiquez que vous auriez été arrêté à votre domicile et questionné au commissariat d'… en 2016, un mois après la fin du couvre-feu à …. Vous précisez que la police vous aurait interrogé, parce qu'elle aurait voulu savoir si vous étiez impliqué dans le 6creusage des tranchées voire l'établissement de barricades, érigées dans le but d'empêcher les forces de l'ordre d'accomplir leur mission.

Monsieur, il importe tout d'abord de souligner qu'il s'agissait de circonstances exceptionnelles dans des quartiers spécifiques de la ville de …, qui ont eu lieu lors des opérations menées dans le cadre de la lutte contre l'organisation terroriste « PKK » et qui se sont achevées depuis.

A cela s'ajoute que ce fait remonte à 2016 et il est ainsi trop éloigné dans le temps pour justifier l'octroi d'une protection internationale en 2023, alors qu'il ressort de façon claire et non équivoque de vos déclarations que vous n'auriez pas quitté votre pays d'origine suite à cet incident.

Force est également de constater que ce fait n'entre pas dans le champ d'application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015, étant donné qu'il n'existe aucun lien entre ces faits et votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques, ou encore votre appartenance à un certain groupe social. En effet, il ressort de vos propres dires que vous auriez été suspecté par la police alors que vous seriez connu en tant qu'opérateur de pelleteuse.

Vous confirmez ce constat par vos propres déclarations : « Tout le monde savait que j'étais un opérateur de pelleteuse. Depuis que je suis jeune, je conduis ce genre d'engins. Mon voisin avait une pelleteuse. Je passais mes étés à conduire une pelleteuse. En Turquie, on peut travailler très jeune et il suffit de savoir utiliser les engins. Les policiers voulaient savoir si j'avais participé à creuser les tranchées d'… » (p.7/23 de votre rapport d'entretien).

Même à supposer que ce fait serait lié à un des critères de fond énumérés par les prédits textes, il y a lieu de souligner qu'une simple garde à vue de plus ou moins une heure, durant laquelle vous auriez été questionné par deux policiers sans qu'aucun autre incident concret ne soit survenu, n'est pas d'une gravité suffisante pour la considérer comme un acte de persécution au sens des prédis textes.

Il sied dès lors de conclure qu'aucune crainte fondée de persécution, respectivement l'existence d'une persécution dans votre chef ne saurait être retenue dans ce contexte.

Deuxièmement, vous indiquez qu'en janvier 2020 vous auriez été arrêté et interrogé après que vous ayez participé à « une marche pour la libération de Selahattin Demirtas » et vous faites état de tentatives d'intimidation par les policiers.

Il convient de noter que ce fait pourrait a priori entrer dans le champ d'application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015, étant donné que vous avancez un fait à connotation politique.

Force est toutefois de constater que cet incident n'est pas d'un degré de gravité tel qu'il permette d'être considéré comme un acte de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que vous auriez été simplement questionné par deux agents de police sur les motifs de votre participation au rassemblement en question et que vous auriez ensuite été relâché sans rencontrer le moindre problème, à part le fait qu'ils vous auraient fait peur.

Il échet ainsi de constater qu'on ne saurait retenir dans votre chef l'existence d'une persécution, respectivement d'une crainte fondée de persécution.

7 Troisièmement, vous avancez avoir été arrêté en avril 2022 étant donné que vous auriez « participé aux festivités de la Newroz » le 21 mars 2022 à …. Vous précisez que vous auriez été interrogé sur votre « rôle au sein du Parti HDP », auquel vous auriez adhéré en juin 2019 et parce que vous auriez « porté la tenue du PKK » (p.15/23 de votre rapport d'entretien).

Il y a lieu de relever que ce fait pourrait a priori entrer dans le champ d'application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015, alors qu'il serait en lien avec vos opinions politiques.

Or, il échet tout d'abord de souligner que le HDP est un parti légal avec des députés élus au parlement turc. Il s'agit du deuxième plus grand parti d'opposition et troisième parti en importance au niveau national en Turquie. On ne peut dès lors pas conclure que toute personne de par sa seule adhésion au parti HDP est victime de persécutions en Turquie.

En ce qui concerne votre situation personnelle, il convient de noter que votre prétendue implication dans ce parti s'est limitée à une simple adhésion depuis 2019 et à la participation à des « meetings », que vous avez uniquement essayé d'étayer en remettant une copie d'un formulaire d'adhésion non traduit.

De plus, vous faites uniquement état d'un seul incident concret en lien avec votre adhésion, lors duquel vous auriez été placé en garde à vue par la police après avoir « participé aux festivités de la Newroz » en date du 21 mars 2022.

Dans ce contexte, il importe de préciser qu'une simple garde à vue de quelques heures n'est pas d'une gravité suffisante pour qu'elle puisse être assimilée à un acte de persécution au sens des dispositions précitées de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

Vous mentionnez également que vous auriez été maltraité lors de cet interrogatoire. Ce fait est certes condamnable, or le comportement regrettable d'un ou de certains policiers ne saurait être considéré comme représentatif du système policier et du fonctionnement de la police turque dans son ensemble.

Monsieur, il ressort clairement de vos déclarations que vous n'avez à aucun moment porté plainte, ni cherché à trouver de l'aide auprès d'une quelconque instance pour aucun des faits que vous avez mentionnés dans le cadre de votre entretien.

En effet, convié à expliquer si vous aviez porté plainte, vous répondez : « Non. Comment porter plainte contre l'Etat ? (…) » (p.19/23 de votre rapport d'entretien). Vous mentionnez à cet égard que durant votre service militaire que vous auriez effectué entre février et juillet 2020 vous vous seriez plaint sur « un site qui s'appelait … où les gens ont la possibilité de porter à la connaissance au président de la République des plaintes et des revendications pendant le service militaire » au sujet de prétendues discriminations que vous auriez subies, mais que le commandant qui aurait fait l'objet de vos doléances en aurait été informé et qu'il vous aurait « sanctionné » en conséquence (p.19&20/23 de votre rapport d'entretien).

Or, vos déclarations à ce sujet ne justifient en tout état de cause pas votre inaction dans le cadre de vos motifs de fuite. Dans ce contexte, il sied de porter à votre attention l'existence de l'Institution turque des droits de l'homme et de l'égalité (National Human Rights and Equality Institution, NHREI) qui est « compétente en matière de « protection des droits de 8l'Homme, de prévention des violations des droits de l'Homme, de lutte contre la torture et les mauvais traitements, de réception et de traitement des plaintes, d'éducation et de recherche sur les droits de l'Homme » » ou encore l'existence du Médiateur national de Turquie : « The purpose of the Turkish Ombudsman Institution is to establish an independent and efficient complaint mechanism regarding the delivery of public services and investigate, research and make recommendations about the conformity of all kinds of actions, acts, attitudes and behaviours of the administration with law and fairness under the respect for human rights.

Natural and legal persons including foreign nationals may lodge complaints to the Ombudsman Institution ».

De plus, vous auriez pu vous adresser au procureur d'Etat afin de déposer une plainte:

« In principle, prosecutors can and must investigate all allegations of torture and ill-treatment ex officio, regardless of an individual complaint, and the Public Prosecutor must follow up all complaints received. Complaints may be brought by victims themselves, by their family or lawyer, by civil society organisations, or by a monitoring mechanism such as the Ombudsman Institution ».

Il convient encore de rappeler que la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

A toutes fins utiles, notons que 19% de la population en Turquie est d'origine kurde qui y vit paisiblement, dont près de 3 millions à Istanbul, de sorte que la situation générale des Kurdes en Turquie n'est pas telle que tout membre de la minorité kurde puisse valablement se prévaloir d'une crainte fondée d'être persécuté du seul fait de sa présence sur le territoire turc.

Au vu de tout ce qui précède, force est de conclure qu'on ne saurait retenir l'existence dans votre chef d'une persécution, respectivement d'une crainte de persécution au sens des dispositions prévues par les prédits textes.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans 9son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi. Or, en l'espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.

Sied de souligner qu'à l'appui de votre demande de protection subsidiaire, vous invoquez en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de votre demande de reconnaissance du statut de réfugié. Or, sur base des développements et conclusions retenues qui précèdent dans le cadre du rejet du statut de réfugié, vous n'invoquez aucun autre élément additionnel susceptible de rentrer dans le champ d'application de l'article 48 précité.

Ainsi, tout en renvoyant aux arguments développés ci-dessus, force est de constater que vous ne risquez pas de devenir victime d'atteintes graves au sens des prédits textes dans le cas d'un retour dans votre pays d'origine.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.

Suivant les dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la Turquie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 octobre 2023, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 25 septembre 2023 portant rejet de sa demande de protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre la décision de refus d’une demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 25 septembre 2023, prise en son double volet, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

1) Quant au recours dirigé contre la décision ministérielle portant rejet de la demande de protection internationale A l’appui de son recours et au-delà des faits repris ci-avant, le demandeur expose être de nationalité turque, d’ethnie kurde et de confession musulmane. Il explique avoir introduit une demande de protection internationale en raison de son activité professionnelle, de son ethnie kurde et de son affiliation au parti politique « Parti démocratique des peuples », ci-après désigné par le « HDP », tout en mettant en exergue que sa vie aurait été menacée depuis 2015, et plus particulièrement depuis 2016, du fait de la pression exercée par l’Etat turc sur les Kurdes. Il explique plus particulièrement qu’en 2016, il aurait été soupçonné par les autorités 10turques d’avoir creusé des tranchées pour l’ennemi, et ce en raison de sa proximité avec son oncle, lequel bénéficierait actuellement d’une protection internationale au Luxembourg. Tout en se référant à ses déclarations faites dans le cadre de son entretien au ministère, il précise qu’il aurait été arrêté en 2020 pour avoir participé à la fête de Newroz, ainsi qu’à des réunions du HDP et qu’il aurait, toujours en 2020, été contraint à travailler pour l’armée turque en tant que conducteur de pelleteuse dans des zones de conflit où le Parti des travailleurs du Kurdistan, ci-après désigné par le « PKK », aurait été actif. Il ajoute qu’il aurait été torturé en 2020 et en 2022 en raison de son affiliation au HDP et de l’opposition politique de l’ensemble de sa famille, et plus particulièrement de celle de son oncle. Il continue en exposant qu’il aurait ensuite travaillé sur des chantiers sécurisés jusqu’au 5 juin 2022, date à laquelle il se serait enfui chez son oncle, alors que des militaires turcs seraient venus chercher des travailleurs du chantier afin qu’ils travaillent dans des zones de conflit où le PKK aurait été actif. Le lendemain, des militaires seraient venus à son domicile familial et auraient été à sa recherche, événement suite auquel il aurait quitté son pays d’origine en date du 15 juin 2022.

En droit, le demandeur fait valoir que le ministre aurait fait une appréciation erronée des faits de l’espèce en retenant que ces mêmes faits ne justifieraient pas l’octroi d’une protection internationale dans son chef, en relevant que, contrairement à l’argumentation ministérielle, une lecture même hâtive de son rapport d’entretien permettrait de retenir qu’il aurait fait état de traitements inhumains et dégradants dans le cadre de son récit. A cet égard, il conteste également le manque de crédibilité retenu par le ministre au motif qu’il aurait changé de version au cours de la procédure précontentieuse en avançant des motifs différents devant l’agent du service de police judiciaire et l’agent du ministère, le demandeur étant en effet d’avis que le fait d’avoir invoqué plusieurs motifs concomitants ne nuirait pas à la crédibilité de son récit.

Il reproche encore au ministre une instruction « incomplète, impersonnelle et non-

objective » de son dossier en violation de l’article 10, paragraphe (3), point a) de la loi du 18 décembre 2015, au motif que celui-ci n’aurait pas procédé à une analyse « globale et étayée » de sa demande, dans la mesure où plusieurs membres de sa famille, lesquels se trouveraient tous sur le territoire luxembourgeois, auraient pu bénéficier de la protection internationale, le demandeur estimant encore qu’il semblerait, dès lors, que le ministre aurait confondu son rapport d’entretien avec celui d’une autre personne.

Le demandeur fait ensuite valoir que la décision ministérielle sous analyse devrait être réformée pour violation de la loi et plus particulièrement de l’article 1er, section A, paragraphe 2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, ci-après désignée par « la Convention de Genève », respectivement pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

A cet égard, il rappelle que la notion de crainte prévue à ladite Convention de Genève devrait être qualifiée de raisonnable lorsqu’elle est basée sur une évaluation objective de la situation dans le pays d’origine du demandeur d’asile et que cette crainte découle du manquement de l’Etat d’origine dudit demandeur de remplir ses obligations de protection de ses citoyens, ces obligations de protection résultant de la Déclaration universelle des droits de l’Homme adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 10 décembre 1948, désignée ci-après par « la DUDH », obligations auxquelles le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, entré en vigueur le 23 mars 1976, désigné ci-après par « le PIDCP », aurait donné force obligatoire, de sorte que la mise en cause de ces droits civils et politiques constitueraient une persécution.

11 Dans la mesure où ses droits tels qu’énumérés dans la DUDH et le PIDCP auraient été violés, il y aurait lieu de conclure que le ministre, en retenant que ces mêmes faits ne justifieraient pas dans son chef une crainte fondée de persécution en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social vulnérable, aurait fait une appréciation erronée des faits d’espèce.

Concernant plus particulièrement son statut d’opposant politique, le demandeur donne à considérer qu’il aurait expliqué de manière cohérente qu’il ferait l’objet de persécutions en raison de son appartenance à un groupe social vulnérable et de ses opinions politiques opposées au régime turc actuellement en place. Tout en se référant à un article de presse, intitulé « Turquie : à l'approche des élections, une vague d'arrestations frappe le mouvement kurde », lequel aurait été publié le 25 avril 2023 sur le site « lesechos.fr », il fait valoir que les Kurdes feraient l’objet, en Turquie, de discriminations pouvant atteindre le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », le demandeur relevant que le fait pour lui d’être d’ethnie kurde aggraverait sa situation en tant qu’opposant politique.

Concernant son engagement politique, le demandeur soutient qu’il se serait engagé activement au sein du parti politique pro-kurde HDP, lequel serait, malgré le fait de constituer le troisième parti politique de Turquie, actuellement toujours accusé par le parti au pouvoir d’être la vitrine politique du PKK, tel que cela ressortirait d’un article publié le 18 avril 2023 sur le site « lefigaro.fr », intitulé « Turquie : le principal opposant d’Erdogan l’accuse d’associer les Kurdes au terrorisme », ainsi que d’un article publié sur le site internet du journal « Libération ». Il précise qu’il serait, d’une part, activement engagé dans le HDP pour (i) avoir essayé d’inciter d’autres personnes à intégrer le HDP, (ii) avoir participé aux évènements organisés par ledit parti, (iii) sa proximité avec les représentants dudit parti et (iv) ses missions ayant pour objet la sécurité lors des manifestations et qu’il serait, d’autre part, indirectement lié à ce parti en tant que membre d’une famille connue pour être partisane dudit parti. Il en conclut qu’il serait une « cible privilégiée » pour les autorités turques.

S’agissant ensuite de son activité professionnelle, le demandeur fait plaider qu’il aurait été contraint de travailler pour l’armée turque en tant que conducteur d’excavateur dans une zone militaire où le PKK aurait été actif et qu’il aurait notamment été contraint de porter une tenue militaire, de sorte à avoir été perçu comme un militaire turc par le PKK. Ne souhaitant pas risquer sa vie, ni contribuer à la guerre menée contre ses semblables, à savoir des personnes d’origine kurde, il aurait décidé de fuir son pays d’origine. En raison de son départ, le demandeur estime être désormais considéré comme un opposant politique, sinon un déserteur du fait d’avoir fui son pays d’origine en refusant une collaboration avec les autorités turques, notamment l’armée turque, et que lui-même et sa famille risqueraient dès lors de subir des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans ledit pays, traitements qu’il risquerait d’ailleurs également de subir s’il collaborait avec l’armée turque.

En s’appuyant sur un article publié le 14 novembre 2022 sur le site « journaldemontreal.com », intitulé « Cinq choses à savoir après l’attentat d’Istanbul », et deux rapports de l’Organisation suisse d’aides aux réfugiés (OSAR), intitulés « Factsheet Turquie » de juin 2023, respectivement « Turquie : profil des groupes en danger » du 19 mai 2017, le demandeur soutient que toute personne s’opposant au régime politique turc actuellement en place, et notamment les partisans du groupe politique HDP, seraient systématiquement considérés comme étant des opposants politiques. Dans la mesure où il 12soutiendrait publiquement le HDP et qu’il aurait refusé de combattre auprès des autorités turques en fuyant le pays, il y aurait lieu de conclure qu’il serait considéré en Turquie comme un opposant politique.

Par ailleurs, Monsieur (A) conclut à l’absence de toute protection juridictionnelle effective dans son pays d’origine, comprenant notamment l’accès à un tribunal indépendant et impartial, le droit d’être assisté par un avocat, les principes du procès équitable et du délai raisonnable, ainsi que le droit à un recours effectif, tels que prévus par les articles 6 et 13 de la CEDH et l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte ». Après avoir défini les notions d’indépendance et d’impartialité des juges et en se référant à la jurisprudence européenne en la matière, le demandeur fait valoir que l’indépendance des juges turcs pourrait être remise en question de manière générale, ce qui aurait d’ailleurs été retenu par le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe dans une publication du 19 février 2020, intitulée « Les autorités turques doivent rétablir l’indépendance de la justice et cesser de viser et de réduire au silence les défenseurs des droits de l’homme », de même que par le Barreau de Paris dans une publication du 27 avril 2021, intitulée « Pour le respect de l’état de droit en Turquie ».

Or, à défaut de toute protection dans son pays d’origine contre les actes qu’il estime subir du fait de son implication au sein du groupe politique HDP, de son refus de collaborer avec l’armée turque et de son ethnie kurde, le demandeur conclut qu’il remplirait les conditions de l’article 42, paragraphe (1), points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, tout en se référant encore dans ce contexte à un communiqué de presse de la Cour européenne des droits de l’Homme, dénommée ci-après « la CourEDH », du 3 octobre 2023, intitulé « La condamnation des requérants, assortie d’un sursis au prononcé du jugement dans des affaires de liberté d’expression, a violé la Convention ».

Le demandeur conteste, par ailleurs, l’argumentation ministérielle suivant laquelle il aurait fait état de faits non personnels, alors qu’il aurait fourni des preuves du décès de son ami qui aurait travaillé sur le même chantier que lui.

Il conclut de ce qui précède que son récit serait crédible et que les arguments ministériels seraient basés sur une appréciation erronée des faits.

Après avoir encore soutenu que les faits invoqués à la base de sa demande de protection internationale rentreraient, compte tenu de leur gravité et de leur accumulation, dans le champ d’application de l’article 42, paragraphe (1), points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur affirme en outre que ces mêmes faits seraient à qualifier d’actes de persécutions au sens de l’article 42, paragraphe (2), points b), c) et d) de la même loi.

En se basant sur la jurisprudence belge de la Commission permanente de recours des réfugiés en la matière, il souligne que pour établir si la persécution est inspirée par les opinions politiques d’un demandeur d’asile, il faudrait examiner si le comportement de celui-ci est perçu par les autorités comme un acte d’opposition contre le pouvoir et donc comme une expression politique, et que même une simple abstention, et non l’action positive dans le champ politique pourrait être retenue pour accepter qu’un demandeur de protection internationale pourrait craindre une persécution pour ses opinions politiques neutres. Etant donné qu’il aurait agi « continuellement et contrairement aux autorités turques », son comportement serait perçu comme un acte d’opposition par lesdites autorités turques et donc comme l’expression d’une conviction politique contre le régime en place.

13 Il conclut que ce serait à tort que le ministre lui a refusé le statut de réfugié, de sorte que la décision sous analyse serait à réformer de ce chef.

Le demandeur estime, par ailleurs, remplir les conditions d’octroi de la protection subsidiaire prévues à l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015. Il se prévaut, à cet égard, de la jurisprudence de la CourEDH relative à l’article 3 de la CEDH pour faire valoir que le fait de vivre dans la crainte constante que des atteintes graves se réalisent constituerait pour lui un véritable traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et qu’il s’exposerait, en cas de retour en Turquie, à des atteintes graves et plus particulièrement à des actes de harcèlement, de discrimination, de persécution, sinon à des traitements inhumains.

Il estime dès lors remplir toutes les conditions pour se voir accorder la protection subsidiaire, de sorte qu’il y aurait lieu de réformer la décision ministérielle en ce sens.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

A titre liminaire, en ce qui concerne la demande en communication de « la copie de la photo et des vidéos versés par le requérant à l’agent ministériel, lors de son audition en rapport avec sa demande de protection internationale concernant sa situation particulière quant à sa réquisition par l’armée turque afin qu’il preste des prestations en faveur de cette dernière dans des zones militaires en conflit avec PKK, en sa qualité de pelleteuse dans la localité montagneuse de … à la frontière de la Turquie et l’Irak », formulée exclusivement dans le dispositif de la requête introductive d’instance, le tribunal constate que la partie étatique a déposé, ensemble avec son mémoire en réponse, le dossier administratif de Monsieur (A) comprenant a priori l’ensemble des photos versées par ce dernier lors de son entretien sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, ainsi qu’une clé USB contenant a priori les vidéos communiquées par son mandataire ad litem au ministère par courrier électronique du 19 octobre 2022. A défaut pour le demandeur de remettre en question le caractère complet des pièces ainsi mises à disposition, la demande en communication desdites pièces est à rejeter comme étant devenue sans objet, étant encore relevé, tel que souligné à juste titre par la partie étatique, qu’il appartient tout d’abord au demandeur de verser les pièces dont il entend plus particulièrement se servir dans le cadre du litige porté devant le tribunal administratif.

S’agissant de la légalité externe de la décision déférée, à supposer qu’à travers la demande, formulée au dispositif de la requête introductive d’instance, d’« [o]rdonner à la partie étatique de communiquer au Tribunal Administratif conformément à l’article 10 (4) de la loi précitée de 2015, les informations visées au paragraphe 3, point b) […] », le demandeur ait entendu invoquer une violation de l’article 10, paragraphe (3), point b) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel : « […] (3) Le ministre fait en sorte que les décisions sur les demandes de protection internationale soient prises à l’issue d’un examen approprié. A cet effet, il veille à ce que : […] b) des informations précises et actualisées soient obtenues auprès de différentes sources, telles que le Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEAA) et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), ainsi que les organisations internationales compétentes en matière de droits de l’homme, sur la situation générale existant dans les pays d’origine des demandeurs et, le cas échéant, dans les pays par lesquels les demandeurs ont transité, et à ce que le personnel chargé d’examiner les demandes et de prendre les décisions ait accès à ces informations […] », force est de constater qu’il reste en 14défaut d’établir dans quelle mesure le ministre aurait omis d’obtenir des informations précises et actualisées auprès des différentes sources citées par l’article 10, paragraphe (3), point b) de la loi du 18 décembre 2015, un tel moyen n’étant, en effet, aucunement soutenu dans le corps de la requête. Or, il est de jurisprudence que les moyens formulés sont à circonscrire de façon à résulter de la requête introductive d’instance même1. Le moyen en question encourt partant le rejet.

Le même constat s’impose quant à la violation alléguée, dans le dispositif de la requête introductive d’instance, de l’article 37 de la loi du 18 décembre 2015, un tel moyen étant, à défaut d’être soutenu effectivement dans le corps de la requête, à rejeter pour être simplement suggéré, étant relevé qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions.

S’agissant ensuite de la violation alléguée de l’article 10, paragraphe (3), point a) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « […] Le ministre fait en sorte que les décisions sur les demandes de protection internationale soient prises à l’issue d’un examen approprié.

A cet effet, il veille à ce que :

a) les demandes soient examinées et les décisions soient prises individuellement, objectivement et impartialement ; […] », force est de constater qu’en l’espèce, il ne se dégage pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que la décision litigieuse n’ait pas été prise individuellement, objectivement et impartialement. En effet, la seule circonstance que le ministre, qui s’est basé sur l’ensemble des déclarations faites par le demandeur dans le cadre de son audition au ministère pour examiner le bien-fondé de sa demande, a considéré que les déclarations de celui-ci, et notamment sa déclaration selon laquelle plusieurs membres de sa famille bénéficieraient d’un statut de protection internationale au Luxembourg, ne sont pas de nature à aboutir à l’octroi d’un statut de protection internationale dans son chef ne permet pas de retenir qu’il n’aurait pas procédé à un examen objectif et impartial de sa demande. Il s’ensuit que le moyen afférent est rejeté pour ne pas être fondé, étant relevé qu’il ne se dégage d’aucun élément du dossier que le ministre aurait confondu le récit du demandeur avec celui d’une autre personne.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la même loi comme étant « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, point g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire 1 Trib. adm., 25 juin 2002, n° 14462 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 543 et les autres références y citées.

15que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphe (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« […] a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« […] a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou 16b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2, point g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

17En l’espèce, il échet de relever que la demande de protection internationale du demandeur repose sur sa crainte de faire l’objet de persécutions de la part des autorités turques en raison (i) de son refus de travailler pour l’armée turque, (ii) de ses convictions et activités politiques et (iii) de son ethnie kurde.

En ce qui concerne tout d’abord les développements du demandeur relatifs au prétendu défaut de crédibilité retenu par le ministre au motif qu’il aurait avancé des motifs différents devant l’agent du service de police judiciaire et l’agent du ministère, le tribunal constate que s’il est certes vrai que le ministre lui a reproché d’avoir changé de version en cours de procédure précontentieuse, il n’a toutefois pas autrement mis en cause la crédibilité générale de son récit, de sorte que les développements y afférents sont d’ores et déjà à rejeter pour manquer de pertinence.

Quant à la crainte du demandeur d’être exposé à des persécutions de la part des militaires turcs pour avoir refusé de continuer à leur servir de conducteur de pelleteuse, il échet de retenir que si les événements mis à cet égard en avant par le demandeur, à savoir le fait d’avoir été obligé, en août 2020, par des militaires turcs à les accompagner à … pour leur servir de conducteur de pelleteuse en creusant des tranchées dans une zone d’affrontement avec le PKK, le fait d’avoir été menacé et frappé pour avoir refusé de travailler sur le chantier en question, ainsi que le fait que son ami, un dénommé (B), a été tué par une fusée du PKK alors qu’il était en train de travailler sur le même chantier, sont certes fortement condamnables, il ne ressort toutefois pas des éléments du dossier que cette crainte du demandeur soit encore d’actualité.

En effet, d’une part, ces actes se sont produits sur une période relativement courte d’un à deux mois2, à savoir en août et septembre 2020 et, d’autre part, le demandeur n’a fait état d’aucun incident en relation avec les militaires turcs qui lui soit arrivé entre septembre 2020 et le 5 juin 20223, mais affirme avoir continué à travailler en tant qu’opérateur de pelleteuse sur d’autres chantiers « moins dangereux »4, sans qu’il ressorte de son récit qu’il aurait été forcé de travailler sur lesdits chantiers.

S’agissant précisément des événements du 5 juin 2022, le demandeur a, dans le cadre de son entretien au ministère, relaté qu’il aurait été averti par le gardien du chantier sur lequel il aurait travaillé à l’époque que des militaires seraient venus pour recruter des « opérateurs de pelleteuses » pour effectuer des « travaux d’ouverture de route prévus ailleurs dans des zones du PKK »5 et que ledit gardien du chantier l’aurait incité à fuir. Craignant d’être à nouveau recruté de force, le demandeur aurait pris la fuite et se serait réfugié chez son oncle. Il a encore affirmé que sa mère l’aurait appelé le lendemain pour l’informer que des policiers seraient « venus [l]e chercher » à son domicile, mais qu’ils ne lui auraient pas dit pour quel motif ils seraient à sa recherche.

Or, force est au tribunal de constater qu’il résulte de ces mêmes déclarations que les militaires n’ont, en date du 5 juin 2022, pas été à la recherche du demandeur en particulier, 2 Page 11 du rapport d’entretien.

3 Page 13 du rapport d’entretien : « S’est-il passé quelque chose en particulier à vous personnellement jusqu’au 05.06.2022 ? Non. ».

4 Page 13 du rapport d’entretien.

5 Page 14 du rapport d’entretien.

18mais qu’ils cherchaient des opérateurs disponibles6. Par ailleurs, l’argumentation du demandeur selon laquelle des policiers se seraient rendus à son domicile le 6 juin 2022 afin de le recruter et le contraindre à travailler en tant que conducteur de pelleteuse dans des zones de guerre ne constitue qu’une simple supposition, non appuyée par un quelconque élément concret7.

Il ne ressort dès lors, contrairement à ce que fait plaider le demandeur dans sa requête introductive d’instance, d’aucun élément du dossier que les autorités militaires auraient « expressément requis sa collaboration »8 ou qu’elles l’auraient spécialement ciblé en raison de son ethnie kurde, ni a fortiori qu’il serait considéré comme un déserteur par les autorités turques, ce d’autant plus qu’il affirme avoir déjà accompli son service militaire obligatoire9.

Le tribunal arrive partant à la conclusion que les craintes afférentes du demandeur, qu’elles soient liées à un prétendu recrutement forcé en tant qu’opérateur de pelleteuse ou à sa prétendue désertion, sont essentiellement hypothétiques et ne sauraient dès lors suffire pour fonder la reconnaissance du statut de réfugié.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande formulée par le demandeur dans le dispositif de sa requête introductive d’instance tendant à voir instituer une mesure d’instruction complémentaire en vue de « déterminer le sort réservé par les autorités turques aux personnes désertant les missions militaires informelles exercées contre le PKK », étant encore relevé qu’une mesure d’instruction ne saurait, en tout état de cause, être ordonnée en vue de suppléer à la carence d’une partie dans l’administration de la preuve.

Quant à la crainte du demandeur de faire l’objet de persécutions en raison de son engagement politique, force est de constater que celui-ci justifie cette crainte (i) par le fait qu’il serait activement engagé au sein du HDP, dont il serait membre depuis 2019, en incitant d’autres personnes à intégrer ledit parti et en participant à des réunions et à des manifestations du HDP contre le régime en place, l’intéressé soutenant que cette participation aurait eu comme conséquence qu’il aurait été placé en garde à vue à deux reprises par la police, une fois en 2020 et une fois en 2022, et (ii) par le fait qu’il serait membre d’une famille « connue pour être partisane du HDP ».

A cet égard, il échet tout d’abord de relever, à l’instar du délégué du gouvernement, que la seule qualité de membre du parti HDP est insuffisante pour caractériser une crainte fondée de persécution en cas de retour en Turquie10, la majorité des sympathisants du parti HDP visés par les autorités étant des membres occupant une fonction officielle dans le parti, des élus et des membres d’assemblées locales ou alors des personnes qui ont une certaine visibilité ou notoriété. Or, en l’espèce, il ne ressort pas des déclarations du demandeur qu’il aurait occupé un poste si exposé au sein du parti HDP que sa qualité de membre dudit parti 6 Page 14 du rapport d’entretien : « Si je comprends bien, les militaires ne sont pas venus vous chercher vous en particulier mais tout opérateur disponible ? Oui c’est ça. Ils cherchaient des opérateurs de pelleteuses. Sur mon chantier, il n’y avait que 2 personnes qui savaient faire cela : … et moi. […] ».

7 Page 14 du rapport d’entretien : « Selon vous, pour quelles raisons les policiers seraient venus vous chercher chez vous ? Les militaires et les policiers sont régulièrement en contact. A mon avis, ils voulaient m’amener sur les chantiers comme avant. […] ».

8 Page 15 de la requête introductive d’instance.

9 Page 9 du rapport d’entretien.

10 En ce sens notamment : Trib. adm., 14 octobre 2020, n° 43820 du rôle, Trib. adm., 17 mars 2021, n° 42914 du rôle, Trib. adm., 8 février 2022, n° 44704 du rôle, confirmé par Cour adm., 12 mai 2022, n° 47147C du rôle, disponibles sous www.jurad.etat.lu.

19l’aurait exposé à des persécutions dans son pays d’origine, constat qui n’est pas énervé par les différents articles de presse et rapports internationaux invoqués par le demandeur.

S’agissant ensuite des deux placements en garde à vue de Monsieur (A), celui-ci a déclaré avoir été placé en garde à vue (i) en janvier 2020 pour avoir participé à une « marche pour la libération de Selahattin Demirtas », garde à vue qui aurait eu « pour seul et unique but de [lui] faire peur »11 et lors de laquelle deux policiers l’auraient « menacé et cherché à [lui] faire peur »12, avant de le relâcher le jour même, (ii) ainsi qu’en avril 2022 pour avoir participé aux festivités de la Newroz dans la ville de … en portant un badge officiel du HDP, ainsi qu’une tenue traditionnelle kurde qui serait également portée par les membres du PKK, garde à vue lors de laquelle il aurait été menacé et frappé par des policiers turcs avant d’être libéré le lendemain, le demandeur ayant précisé ne pas avoir consulté de médecin après sa libération13.

En l’espèce, si ces deux placements en garde à vue semblent dès lors être motivés par les opinions politiques du demandeur, voire par son appartenance à l’ethnie kurde, de sorte à pouvoir a priori être rattachés à des motifs de persécution énumérés à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, force est toutefois de constater qu’ils ne sont, en tant que tels, pas suffisamment graves au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 pour pouvoir être qualifiés d’actes de persécution au sens de la Convention de Genève. Cette conclusion s’impose d’autant plus qu’il ne ressort pas des éléments soumis au tribunal que le demandeur ait, par la suite, eu des problèmes concrets et personnels avec les autorités turques en raison de ses activités politiques14, étant rappelé que si le concerné a certes déclaré que des policiers se seraient rendus à son domicile le 6 juin 2022 et auraient demandé à sa mère où il se trouvait, il a toutefois estimé que cette visite aurait été en relation avec son recrutement forcé par l’armée turque en tant qu’opérateur de pelleteuse.

Par ailleurs, si le demandeur a encore fait état d’un autre placement en garde à vue pour avoir été soupçonné d’avoir creusé des tranchées, lequel aurait eu lieu en 2016 et lors duquel il aurait également été interrogé par les policiers au sujet de son oncle15, au-delà du constat qu’il ne lie cet événement ni à son ethnie kurde, ni à ses opinions politiques, mais plutôt à sa qualité d’opérateur de pelleteuse16, l’événement en question date de près de neuf ans et est, dès lors, en tout état de cause trop éloigné dans le temps pour justifier la présente demande de protection internationale, conclusion qui s’impose d’autant plus qu’après cet évènement, le demandeur est resté encore pendant environ six ans dans son pays d’origine et qu’il ressort de ses propres explications que rien ne lui est personnellement arrivé lors dudit placement en garde à vue.

Force est, de surcroît, de constater que le demandeur n’a pas porté plainte auprès d’une quelconque autorité de son pays d’origine pour dénoncer les agissements répréhensibles qu’il 11 Page 8 du rapport d’entretien.

12 Page 9 du rapport d’entretien.

13 Page 18 du rapport d’entretien.

14 Page 18 du rapport d’entretien : « Y a-t-il eu des suites à votre garde à vue ? Non. Il ne s’est rien passé. Mon oncle m’a dit que j’allais surement être convoqué et que je devrais signer un document régulièrement mais il ne s’est rien passé. […] ».

15 Pages 6-7 du rapport d’entretien : « En 2016, j’ai été placé en garde à vue par des policiers car ils me soupçonnaient d’avoir creusé les tranchées pour s’opposer aux forces. Les policiers voulaient savoir où se trouvait mon oncle …. […] ».

16 Page 7 du rapport d’entretien : « Pour quelles raisons vous avez été placé en garde à vue ? Tout le monde savait que j’étais un opérateur de pelleteuse. Depuis que je suis jeune, je conduis ce genre d’engins. […] Les policiers voulaient savoir si j’avais participé à creuser les tranchées d’…. ».

20invoque de la part desdits policiers, le demandeur ayant affirmé avoir uniquement porté plainte pendant son service militaire en 2020 pour s’être vu « attribu[er] des gardes abusives »17. A cet égard, il convient de noter qu’il ressort des explications circonstanciées et non contestées du délégué du gouvernement, sources internationales à l’appui, que le demandeur aurait notamment pu s’adresser à l’Institution turque des droits de l’Homme et de l’égalité, laquelle est compétente en matière de « droits de l’Homme, de prévention des violations des droits de l’Homme, de lutte contre la torture et les mauvais traitements, de réception et de traitement des plaintes, d’éducation et de recherche sur les droits de l’Homme », ou encore au Médiateur national de Turquie, voire au procureur d’Etat afin de déposer plainte contre ces policiers.

Or, la simple affirmation suivant laquelle les autorités « ne pouvaient [l]e protéger contre [elles]-mêmes »18, n’est en tout état de cause pas suffisante pour conclure que l’Etat ou les autres organisations étatiques présentes sur le territoire du pays d’origine du demandeur n’auraient pas voulu ou pu l’aider ou lui offrir une protection adéquate, en l’absence de toute démarche effectuée à cet égard.

S’agissant ensuite de l’argumentation du concerné suivant laquelle il serait encore ciblé par les autorités turques en raison des activités politiques des membres de sa famille, et notamment de son oncle, force est au tribunal de constater que si le demandeur a, certes, affirmé lors de son entretien au ministère que « [l]’opposition de ma famille est connue »19 et que « [n]otre famille était connue comme la famille …. On a changé notre nom de famille à (A). La famille … est marquée en rouge, on a changé notre nom de famille. »20, il n’en a cependant déduit aucune crainte de persécution concrète et personnelle, ni n’a fait état d’un quelconque acte de persécution qu’il aurait personnellement subi de la part des autorités turques en raison des activités politiques de sa famille, étant rappelé, à cet égard, que son placement en garde à vue en 2016, lors duquel il aurait notamment été interrogé sur son oncle, est, tel que retenu ci-

avant, en tout état de cause trop éloigné dans le temps pour justifier sa demande de protection internationale. Il s’ensuit que l’argumentation en question n’est pas de nature à fonder utilement sa demande de protection internationale.

Au vu de ce qui précède, il convient de retenir que les craintes mises en avant par le demandeur en raison de son engagement politique ne sont pas suffisamment graves, voire purement hypothétiques, de sorte qu’elles ne sauraient justifier l’octroi du statut de réfugié dans son chef.

En ce qui concerne finalement, de manière générale, la situation des Kurdes vivant en Turquie et, en particulier, les « pressions »21 exercées par l’Etat turc sur le demandeur, il échet de relever que la Cour administrative22 a déjà, à plusieurs reprises, retenu que la situation générale des Kurdes en Turquie n’est pas telle que tout membre de la minorité kurde puisse valablement se prévaloir d’une crainte fondée d’être persécuté du seul fait de sa présence sur le territoire turc, sans que le demandeur n’ait invoqué en l’espèce un quelconque élément permettant de retenir le contraire.

17 Page 20 du rapport d’entretien.

18 Ibidem.

19 Page 19 du rapport d’entretien.

20 Page 8 du rapport d’entretien.

21 Page 19 du rapport d’entretien.

22 Voir notamment : Cour adm., 10 mars 2022, n° 46709C du rôle ; Cour adm., 12 mai 2022, n° 47147C du rôle ;

Cour adm., 8 juin 2023, n° 48799C du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

21Il suit de tout ce qui précède que les faits relatés par Monsieur (A) ne peuvent permettre de retenir qu’il risquerait de subir des persécutions en lien avec son refus de travailler pour l’armée turque, ses convictions et activités politiques ou son ethnie kurde.

Le recours est partant à rejeter en ce qui concerne le refus d’octroi du statut de réfugié dans le chef du demandeur.

En ce qui concerne le volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef du demandeur du statut conféré par la protection subsidiaire, le tribunal constate que ce dernier invoque en substance les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié. Dans la mesure où il ne prétend pas risquer la peine de mort ou de se retrouver dans une situation d’une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé, tels que prévu aux points a) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’il invoque risquer de subir, en cas de retour dans son pays d’origine, des atteintes graves sous forme de traitements inhumains et dégradants, le tribunal se limitera à examiner si les difficultés dont il fait état peuvent être qualifiées de risque de torture ou de traitements, respectivement de sanctions inhumains ou dégradants au sens du point b) dudit article.

Or, au vu des considérations dégagées ci-avant au sujet de la demande de reconnaissance du statut de réfugié, dans la mesure où il a été jugé que le demandeur n’a pas établi être dans le collimateur des autorités turques en raison de son ethnie ou de ses opinions politiques, ni même en raison de son refus de travailler pour l’armée turque, le tribunal ne saurait, en ce qui concerne lesdits motifs à la base de sa demande de protection internationale, se départir de ses conclusions alors qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes arguments, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que le demandeur encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 précité.

C’est dès lors également à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres éléments, que le recours tendant à la réformation de la décision ministérielle de refus d’octroi d’une protection internationale dans le chef de Monsieur (A) est à rejeter pour être non fondé.

2) Quant au recours dirigé contre la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire A cet égard, le demandeur expose que l’ordre de quitter le territoire devrait encourir la réformation pour violation de la loi, alors qu’il risquerait de subir des atteintes graves telles que définies aux articles 48 et 49 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour dans son pays d’origine.

Il fait encore valoir que l’ordre de quitter le territoire constituerait une violation autonome de l’article 3 de la CEDH, dans la mesure où un retour en Turquie serait suivi de traitements inhumains et dégradants en raison de sa situation particulière.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours contre l’ordre de quitter le territoire.

22Il résulte des termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 qu’« une décision du ministre vaut décision de retour […] » et en vertu de l’article 2, point q) de la même loi, la notion de « décision de retour » est définie comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Bien que le législateur n’ait pas expressément précisé que la décision du ministre, visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre en matière de protection internationale.

Il s’ensuit que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Etant donné qu’il vient d’être retenu ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder au demandeur l’un des statuts conférés par la protection internationale, le ministre a a priori valablement pu assortir sa décision de refus d’une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire.

Il convient de rappeler que si l’article 3 de la CEDH proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à son article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte qu’il existe a fortiori un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants. Cependant, dans ce type d’affaires, la CourEDH soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Turquie, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence, dans le chef du demandeur, de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves, au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal ne saurait se départir de cette conclusion à ce niveau-ci de son analyse.

23Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH23, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur dans son pays d’origine soit dans ces circonstances incompatibles avec l’article 3 de la CEDH, de sorte que le moyen tiré d’une violation dudit article 3 de la CEDH encourt le rejet.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 25 septembre 2023 portant refus d’un statut de protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 25 septembre 2023 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

rejette la demande en communication de « la copie de la photo et des vidéos versés par le requérant à l’agent ministériel, lors de son audition en rapport avec sa demande de protection internationale concernant sa situation particulière quant à sa réquisition par l’armée turque afin qu’il preste des prestations en faveur de cette dernière dans des zones militaires en conflit avec PKK, en sa qualité de pelleteuse dans la localité montagneuse de … à la frontière de la Turquie et l’Irak », formulée par le demandeur ;

rejette la demande d’ordonner « une mesure d’instruction supplémentaire à un organisme indépendant afin de déterminer le sort réservé par les autorités turques aux personnes désertant les missions militaires informelles exercées contre le PKK » ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 mars 2025 par :

Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn 23 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2003, point 59.

24Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 mars 2025 Le greffier du tribunal administratif 25


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 49532
Date de la décision : 18/03/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 22/03/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-03-18;49532 ?

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