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14/03/2025 | LUXEMBOURG | N°48431

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 mars 2025, 48431


Tribunal administratif Numéro 48431 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48431 4e chambre Inscrit le 20 janvier 2023 Audience publique du 14 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L. 18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48431 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 janvier 2023 par Maître Fränk ROLLINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à

Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Nigéria) et être d...

Tribunal administratif Numéro 48431 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48431 4e chambre Inscrit le 20 janvier 2023 Audience publique du 14 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L. 18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48431 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 janvier 2023 par Maître Fränk ROLLINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Nigéria) et être de nationalité nigériane, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 20 décembre 2022 portant refus de lui octroyer un statut de protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 20 mars 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yannick GENOT en sa plaidoirie à l’audience publique du 14 janvier 2025.

En date du 8 septembre 2020, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-

après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée à cette occasion dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur (A) avait précédemment introduit une demande de protection internationale en Italie en date du 31 août 2015.

Monsieur (A) fut encore entendu, en date du 8 septembre 2020, par un agent du ministère, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre 1responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Par arrêté du 6 septembre 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-

après par « le ministre », assigna Monsieur (A) à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) pour une durée de trois mois.

La demande de reprise en charge de Monsieur (A) adressée aux autorités italiennes par les autorités luxembourgeoises le 17 septembre 2020 sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), pont d) du règlement Dublin III fut acceptée par courrier électronique du 28 septembre 2020 desdites autorités sur le même fondement.

Par décision du 3 novembre 2020, le ministre informa Monsieur (A) de sa décision de le transférer vers l’Italie sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de celles de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.

Le recours contentieux introduit par Monsieur (A) contre ladite décision de transfert fut rejeté pour être non fondé par un jugement du tribunal administratif du 11 janvier 2021, inscrit sous le numéro 45241 du rôle.

Le Luxembourg étant devenu compétent pour connaître de la demande de protection internationale de Monsieur (A) du fait que le transfert de ce dernier vers l’Italie ne put être réalisé dans le délai imparti, ce dernier fut entendu, en dates des 25 avril et 16 mai 2022, par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 20 décembre 2022, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le même jour, le ministre informa Monsieur (A) que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est basée sur les motifs et considérations suivants :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 8 septembre 2020 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains votre fiche des données personnelles du 8 septembre 2020, votre fiche des motifs du 8 septembre 2020, le rapport du Service de Police Judiciaire du 8 septembre 2020, le rapport « Dublin III » du 8 septembre 2020, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 25 avril et 16 mai 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale ainsi que les documents versés à l’appui de votre demande de protection internationale.

2 Avant tout autre développement, il convient de rappeler que vous êtes arrivé au Luxembourg le 8 septembre 2020 et que la comparaison de vos empreintes digitales avec la base de données du système « Eurodac » a relevé que vous aviez introduit une demande de protection internationale en Italie en date du 31 août 2015. Le 17 septembre 2020, la Direction de l’Immigration a adressé une demande de reprise en charge aux autorités italiennes, demande qui a été acceptée par lesdites autorités en date du 28 septembre 2020. Par décision du 3 novembre 2020, les autorités luxembourgeoises se sont alors déclarés incompétentes pour examiner votre demande de protection internationale et vous ont informé que vous seriez transféré vers l’Italie, pays responsable pour l’examen de votre demande de protection internationale sur base du règlement « Dublin III ». Cette décision a été confirmée par un jugement du Tribunal administratif du 11 janvier 2021. Cependant, le Luxembourg est devenu responsable de l’examen de votre demande de protection internationale alors que le transfert vers l’Italie n’a pas pu être exécuté dans le délai légal prévu selon l’article 29(2) du règlement « Dublin III ». Il convient encore de rappeler que la comparaison de vos empreintes digitales avec la base de données du système « CCPD » a relevé que vous aviez été appréhendé sur le territoire allemand le 15 novembre 2019 et puis transféré, le 2 janvier 2020, vers l’Italie, pays responsable de votre demande de protection internationale à ce moment.

Monsieur, il ressort de vos déclarations que vous êtes né le … à … au Nigéria, que vous êtes de nationalité nigériane, célibataire, de confession chrétienne et que vous auriez vécu depuis toujours à …, qui se situe dans l’état d’….

Vous évoquez comme motif principal de fuite que vous ne pourriez plus retourner dans votre pays d’origine, étant donné que votre vie y serait en danger. En effet, vous expliquez que vous auriez « the evidence of a group of people called Black Axe » (p.4 du rapport d’entretien).

Quant aux évènements qui se seraient déroulés dans votre pays d’origine avant votre départ vous racontez que le 16 janvier 2015 vous auriez été témoin de deux meurtres, dont vous supposez qu’il s’agirait de deux politiciens et dont vous supposez également que ces meurtres auraient été commis par un groupe mafieux nigérian appelé « Black Axe ». Par coïncidence, vous auriez filmé toute la scène et seriez en possession d’une preuve qui confirmerait les agissements de ce groupe (p. 5 du rapport d’entretien).

Vous expliquez que la police nigériane vous aurait interrogé à plusieurs reprises concernant cette vidéo que vous auriez prise lors des évènements que vous relatez, mais que vous auriez nié être en possession de ladite vidéo.

Vous continuez en expliquant que « a groupe of people came to our house and we were not around». Ces mêmes personnes que vous supposez être des membres du groupe « Black Axe » seraient revenus plusieurs jours après et auraient tué votre sœur et votre père. Vous auriez également été touché d’une balle à l’épaule (p. 7 du rapport d’entretien), leur but ayant été de récupérer la vidéo en question.

Par la suite, un policier dénommé …, responsable de l’enquête, vous aurait aidé à échapper à ces individus en vous logeant auprès de sa propre sœur à …, mais cette-dernière vous aurait vendu à des marchands à … (p.7 du rapport d’entretien). Vous auriez alors travaillé pendant quelques mois en Libye avant de payer un passeur pour vous rendre en Italie.

3 2 /9 A l’appui de votre demande de protection internationale, vous ne présentez aucun document d’identité, mais vous remettez deux copies :

- Une copie d’une déposition de Monsieur … auprès de la police nigériane de …, datée au … et - une copie d’un « affidavit of facts » de Monsieur … auprès de la Cour de justice de …, division judiciaire de ….

Vous précisez que Monsieur … serait votre voisin et qu’il aurait été témoin de toute la scène (p.5, 7 et 10 du rapport d’entretien).

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale • Quant à la crédibilité de votre récit Il y a lieu de rappeler qu’il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits, craintes et persécutions par lui alléguées, sur base d’un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre l’administration en mesure de saisir l’intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l’analyse d’une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d’évaluation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Or, la question de crédibilité se pose avec acuité dans votre cas alors qu’il y a lieu de constater que vous ne faites pas état de manière crédible qu’il existerait des raisons sérieuses de croire que vous encourriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015.

En effet, la sincérité de vos propos et par conséquent la gravité de votre situation dans votre pays d’origine doit être réfutée au vue de vos nombreuses déclarations incohérentes et contradictoires et de votre comportement de mauvaise foi adopté depuis votre arrivée en Europe.

Premièrement, force est de constater qu’il ressort des informations contenues dans la base de données « Eurodac » que vous avez introduit une demande de protection internationale en Italie en date du 31 août 2015. A cet égard, il convient notamment de relever que vous êtes connu en Italie sous l’alias de …, né le … et de nationalité nigériane. Or, vous avez renseigné une autre date de naissance lors de l’introduction de votre demande de protection internationale en Italie, de sorte qu’il est raisonnable de conclure que vous ne jouez d’ores et déjà pas franc jeu avec les autorités luxembourgeoises et/ou italiennes et que vous changez de date de naissance et de facto d’identité comme bon vous semble, ce qui conduit manifestement à mettre en doute votre identité et par conséquent votre sincérité envers les autorités des pays desquelles vous souhaitez obtenir une protection internationale.

4 3 /9 A cela s’ajoute que vous n’avez pas jugé nécessaire de fournir une quelconque preuve de votre identité, mais au contraire que vous vous êtes borné à dire que vous n’étiez pas en possession d’un tel document étant donné que vous n’auriez jamais eu « the privilege » (p.2 du rapport d’entretien) d’obtenir des documents d’identité (p.2 du rapport d’entretien). Or, il convient de souligner qu’il s’agit d’une justification non-constructive de votre part alors que, selon les informations en notre possession une personne au Nigéria a la possibilité d’obtenir une carte d’identité dès l’âge de 16 ans et que vous aviez manifestement déjà 17 ans en 2015, de sorte que vous auriez facilement pu vous procurer un document d’identité.

Deuxièmement, il échet également de relever votre désintérêt total quant à la procédure à suivre lors d’une demande de protection internationale et les obligations y afférentes, alors qu’il ressort des informations de la base de données du « CCPD » que vous avez été appréhendé sur le territoire allemand en 2019 alors même que l’instruction de votre demande de protection internationale italienne était toujours en cours, puisque les autorités allemandes vous ont transféré dans ledit pays après votre appréhension. A cet effet, il convient notamment de noter que vous n’avez d’ailleurs jamais jugé nécessaire de mentionner cet incident survenu en Allemagne tout au long de votre demande de protection internationale au Luxembourg, mais au contraire, que vous avez expressément répondu par la négative lorsque l’agent du Ministère vous a interrogé si vous aviez déjà séjourné dans un autre pays européen hormis le Luxembourg (p.4 du rapport d’entretien), ce qui démontre clairement que vous mentez ouvertement aux autorités luxembourgeoises.

En ce qui concerne votre demande de protection internationale italienne, il convient encore de relever que vos propos lors de votre entretien individuel selon lesquels « I just told, my socials about my story and I received a negative. Then I got a lawyer and he did an appeal and he filed the same story and I became a negative response again » (p.4 du rapport d’entretien) sont à nouveau des mensonges avérés et ne sauraient emporter conviction alors que vous étiez manifestement toujours en cours de procédure en Italie, étant donné que ces derniers ont accepté votre demande de reprise en charge selon le règlement « Dublin III ».

Ainsi, force est donc de constater que vous séjournez en Europe depuis approximativement sept ans et que vous circulez à travers l’Europe comme bon vous semble en allant là où le vent vous mène, de sorte qu’il est notoire de s’interroger sur vos intentions quant à votre demande de protection internationale au Luxembourg.

Troisièmement, ajoutons encore que votre récit est entaché de nombreuses et répétitives incohérences et contradictions, appuyant le fait que vous avez inventé votre histoire de toutes pièces dans le but de tromper les autorités luxembourgeoises et d’augmenter vos chances d’y obtenir une protection internationale.

En effet, force est tout d’abord de constater que vous ne semblez pas savoir pour quelles raisons vous auriez quitté votre pays d’origine, étant donné que vous avez du mal à garder une version unique de vos motifs de fuite. En effet, vous avez, premièrement et sans donner de plus amples précisions, indiqué auprès du Service de Police Judiciaire que « Ich musste Nigeria verlassen, da sah wie ein Politiker einen Mann schlug. Ich musste flüchten da mein Leben nun in Gefahr war » (p.2 du rapport de la Police Judiciaire). Deuxièmement, vous avez indiqué un autre motif lorsqu’il vous a été demandé de remplir votre fiche de motifs, puisque vous y avez indiqué des « political issues », en précisant que vous auriez vu « something they hold secret » (cf. fiche de motifs). Vous avez finalement et troisièmement développé encore un autre motif lors de votre entretien individuel, alors que vous y avez indiqué que vous auriez quitté le Nigéria parce que vous auriez « the evidence of a group of people called Black Axe » (p.4 du 5 4 /9 rapport d’entretien) et lors duquel vous précisez que vous auriez été témoin de deux meurtres dont vous supposez que les personnes auraient été des politiciens et dont vous supposez encore que les meurtriers appartiendraient au groupe mafieux « Black Axe » (p. 5 du rapport d’entretien). Vous ajoutez à toutes fins utiles que vous aimeriez uniquement aller à l’école et finir vos études (p.10 du rapport d’entretien), de sorte qu’il convient sans aucun doute de constater que vos motifs de fuite sont changeants et contradictoires et que votre récit est inventé de toutes pièces.

Ce constat est encore soutenu par le fait que les documents que vous avez remis, et qui sont censés corroborer vos motifs de fuite et appuyer les raisons de votre demande de protection internationale sont des copies entachées de nombreuses fautes flagrantes et incohérences, de sorte qu’aucune crédibilité ne saurait être accordée à vos prétendus documents, alors que lesdits documents ont manifestement été manipulés dans le but d’augmenter la gravité de votre récit et ainsi obtenir une protection internationale.

En effet, il convient à cet égard de constater que lesdits documents comportent de nombreuses fautes d’orthographes, telles que l’utilisation de majuscules au lieu de minuscules et vice versa, ou encore des fautes de frappes et irrégularités de présentation, telles que des espaces ou des mots manquants. L’absence d’un quelconque numéro de document tout comme la date, à savoir le 2 juillet 2021, sont également très suspicieux alors que les faits qui y sont mentionnés datent de 2015. A cet égard, il convient donc sérieusement de s’interroger pourquoi les faits auraient été rapportés plus de six ans après leur commission. Ce qui éveille encore des doutes quant à l’authenticité des documents est le fait que les dates retracées, notamment le 27 mai 2015 et le 19 mai 2015 ne correspondent, d’une part, pas à la date de l’évènement que vous avez mentionnée dans votre entretien individuel, à savoir le 16 janvier 2015 (p.6 du rapport d’entretien) et que d’autre part, ces dates ne correspondent pas non plus avec la chronologie de votre récit, alors que vous avez expliqué que les supposés meurtres commis par le groupe mafieux seraient survenus avant les prétendus meurtres de votre famille, ce qui est clairement en contradiction avec les documents, qui rapportent que votre famille serait décédée le 19 mai 2015 et les deux politiciens le 27 mai 2015. Force est encore de souligner que les documents mentionnent que vos deux sœurs auraient été tuées, alors que vous avez dit avoir uniquement une seule sœur jumelle (p.3 du rapport d’entretien). Pareil constat s’impose concernant l’identité du dénommé, …, alors que selon les documents il s’agirait de votre cousin, or vous avez vous-même expliqué qu’il s’agirait de votre « neighbor » (p.10 du rapport d’entretien). A noter encore que le document émis par la police nigériane mentionne « (…) hier home town ». Or, il est impossible que les policiers aient effectué une erreur aussi grossière dans un rapport officiel, alors qu’il s’agissait manifestement d’un homme qui aurait fait la déposition et plus précisément Monsieur ….

Force est encore de constater qu’aucune crédibilité ne saurait être accordée à votre récit alors que vous vous emmêlez les pinceaux quant à vos explications concernant votre voisin, puisque vous affirmez d’une part, que votre voisin aurait été au courant que vous auriez pris une vidéo lors de ce supposé incident et que ce serait d’ailleurs ce dernier qui aurait « told the police I did a video about it » (p.5 du rapport d’entretien). Vous précisez encore qu’il ne s’agirait pas de Monsieur … (p.6 du rapport d’entretien). Or, vous expliquez, d’autre part, que votre voisin « didn’t know about the tape only about the incident what happened at home with my father and my sister » (p.9 du rapport d’entretien) en précisant que le voisin en question serait Monsieur … (p.10 du rapport d’entretien), ce qui est en contradiction avec les documents que vous avez pu remettre et qui énoncent que … serait votre cousin.

6 5 /9 Aucune crédibilité ne saurait encore être accordée quant à la date de départ de votre pays d’origine ou encore votre trajet emprunté pour regagner le Luxembourg. En effet, vous êtes dans l’impossibilité de donner une réponse claire et cohérente, alors que vous indiquez d’abord vaguement avoir quitté votre pays d’origine pendant l’année 2015 (p.2 du rapport de Police Judiciaire et p.3 de votre fiche des données personnelles), puis en juin 2015 (p.3 du rapport d’entretien Dublin III) pour finalement préciser en juillet 2015 (p.4 du rapport d’entretien). Concernant votre trajet emprunté, vous expliquez que vous auriez pris le bus depuis l’Italie pour venir au Luxembourg pour finalement changer de version et expliquez qu’en fait vous auriez pris le train (p.4 du rapport d’entretien). Pareil constat s’impose lorsque vous précisez que votre intention n’aurait pas été de venir au Luxembourg, mais que vous auriez souhaité aller aux Pays-Bas (p.4 du rapport d’entretien), alors que ces propos ne correspondent pas avec la version que vous avez livré à la Police Judiciaire, et notamment avec le fait que vous seriez venu au Luxembourg « (…) da dies das einzige Land ist in welchem ich mich sicher fühle » (p.2 du rapport de la Police Judiciaire).

Quatrièmement, vos propos malhonnêtes et contradictoires sont encore soutenus par de nombreuses autres incohérences, ce qui démontrent clairement que vous mentez depuis le début de votre arrivée au Luxembourg.

En effet, d’une part, vous expliquez auprès du Service de la Police Judiciaire que « jedoch muss ich immer noch meinen Schleuser abbezahlen welcher mich 2015 nach Italien gebracht hat » (p.2 du rapport de Police Judiciaire) alors que, d’autre part, vous expliquez à l’agent du Ministère au sujet de la personne pour laquelle vous auriez travaillé en Libye que « (…) He organized my trip. Maybe he paid the money » (p.8 du rapport d’entretien). Pareil constat s’impose lorsque vous parlez de votre séjour en Libye, alors que vous expliquez que « je n’ai jamais été ni torturé, ni violé mais chaque jour, j’étais passé à tabac, ils nous tapaient dessus avec des tuyaux en caoutchouc » (p.3 du rapport d’entretien Dublin III), mais que lors de votre entretien individuel vous n’avez jamais fait référence à ce que vous aviez dit lors de votre entretien Dublin III et qu’au contraire vous expliquez sur plusieurs lignes que «(…) the man became more and more like friendly to me. (..) He felt sorry about me. I stopped working and he was taking good care of me (…) » (p.7 du rapport d’entretien).

Dans cette même lignée, il convient de relever que vous omettez comme par hasard, lors de votre entretien Dublin III, de préciser que votre mère et votre sœur seraient toutes les deux décédées, en précisant d’ailleurs leur « current place of residence » (p.2 et 3 du rapport d’entretien Dublin III). Or, ces propos sont à nouveau en total contradiction avec ceux que vous avez avancé lors de votre entretien individuel, alors que vous y affirmez que votre sœur serait décédée le même jour que votre père et que votre mère serait décédée lorsqu’elle aurait donné naissance à votre sœur jumelle et vous-même (p.3 du rapport d’entretien).

Une autre contradiction ressort encore de votre récit en ce qui concerne votre dernier lieu de séjour dans votre pays d’origine, alors que vous indiquez d’abord qu’il s’agirait de … (p.2 du rapport d’entretien), et que vous changez ensuite de version et dites qu’il s’agirait de … (p.4 du rapport d’entretien).

D’autres passages de votre récit accentuent encore le fait que celui-ci ne saurait être considéré comme étant crédible, alors que lesdits passages sont totalement dérisoires et laissent à croire qu’ils sont inventés de toutes pièces.

7 6 /9 En effet, c’est le cas lorsque vous expliquez que vous auriez été l’unique personne à avoir pris une vidéo des évènements dont vous auriez été témoin en soutenant vos propos par le fait que « there are only a few who are privileged to have a phone » (p.8 du rapport d’entretien). Or, il est plus qu’invraisemblable que de nos jours les personnes ne soient pas presque toutes en possession d’un téléphone portable, alors qu’il s’agit d’un outil indispensable pour la grande majorité des personnes au Nigéria. A cet égard il convient d’ailleurs de relever que « The total number of active mobile sibscribers reached 210 million in August 2022 (…) ».

Il en va de même lorsque vous expliquez que vous ne connaîtriez plus aucune personne proche dans votre pays d’origine (p.8 du rapport d’entretien), mais que vous présentez des copies de documents de votre voisin/cousin, documents datés en 2021, de sorte qu’il convient de s’interroger sérieusement comment vous auriez pu obtenir lesdits documents sans avoir un point d’attache dans votre pays d’origine, alors que vous vous trouviez déjà au Luxembourg.

A toutes fins utiles, il convient de souligner que vous vous moquez ouvertement des autorités luxembourgeoises, alors que vous vous trouviez manifestement au Nigéria le 1er décembre 2022 et plus précisément au « Market Square » de l’Etat d’… selon votre publication Facebook. Or, il s’agit manifestement de votre compte Facebook, étant donné que vous l’avez indiqué vous-même auprès de l’agent du Ministère lors de votre entretien individuel (p.8 du rapport d’entretien). Il convient encore de constater que selon des recherches effectuées sur votre compte Facebook, vous avez indiqué avoir une sœur, qui n’est manifestement pas décédée comme vous avez pu le prétendre, alors qu’elle a récemment effectué une publication sur son propre compte en date du 7 juillet 2022. Pareil constat s’impose encore en ce qui concerne votre père, qui n’est également pas celui que vous avez décrit auprès des autorités luxembourgeoises, alors que selon l’annonce retrouvé sur le compte Facebook de votre sœur, ce dernier s’appellerait … et non pas … et serait décédé en 2017 et non pas en 2015.

Ainsi, tout ceci pris ensemble, il est clairement avéré que vous n’êtes ni honnête, ni sincère. En effet, votre récit est changeant et entaché de mensonges répétitifs depuis votre arrivée au Luxembourg. Or, il est plus que raisonnable d’attendre d’un demandeur de protection internationale qu’il fasse au moins état d’un récit cohérent et logique en ce qui concerne les points les plus importants de son récit, notamment ses motifs de fuites, son vécu ou encore les documents qu’ils remets à l’appui de sa demande de protection internationale, ce qui n’est définitivement pas votre cas. Il est clair que votre comportement malhonnête et vos mensonges ne reflètent aucunement l’attitude d’une personne réellement persécutée dans son pays d’origine.

Partant, votre récit n’étant pas crédible, aucune protection internationale ne vous est accordée.

Quand bien même votre récit serait crédible, quod non, il s’avère que vous ne remplissez également pas les conditions pour l’octroi du statut de réfugié, respectivement pour l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

8 Aux termes de l’article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifiée de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, il découle de manière claire et non-équivoque que les raisons qui sont à l’origine de votre demande de protection internationale ont trait à des raisons d’ordre privé, et plus précisément des raisons de pure vengeance personnelle de la part d’un groupe de personnes que vous supposez appartenir au groupe mafieux nigérian « Black Axe ».

En effet, il convient de noter que les problèmes, respectivement les craintes que vous éprouvez n’ont aucun lien avec l’un des motifs de fond définis par la Convention de Genève et la Loi de 2015, à savoir votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un groupe social, alors que vous précisez que votre vie serait en danger dans votre pays d’origine parce que vous auriez « the evidence of a group of people called ‘Black Axe’ » (p.4 du rapport d’entretien), étant donné que vous auriez, le 16 janvier 2015, assisté aux meurtres de deux personnes que vous supposez également être des politiciens. Or, il convient de relever que ces seuls faits ne sauraient aucunement être liés à un des cinq motifs de fond mentionnés ci-dessus.

Force est encore de constater qu’il ressort clairement de votre récit que vous faites seulement état de pures et simples suppositions tout au long de votre récit, sans jamais apporter le moindre élément concret permettant de corroborer vos dires ou encore permettant d’établir qu’il s’agirait effectivement des membres du groupe « Black Axe ». En effet, vous évoquez uniquement qu’il s’agirait d’un « group of people » (p.7 du rapport d’entretien) ou encore que vous sauriez qu’il s’agirait de « Black Axe » parce que « … told me » (p.5 du rapport d’entretien), de sorte que vos craintes sont purement hypothétiques et se traduisent plutôt en un sentiment général d’insécurité, qui ne saurait toutefois pas justifier l’octroi du statut de réfugié.

Même à supposer que vos problèmes, seraient à qualifier d’actes de persécution motivés par un des cinq motifs de fond de la Convention de Genève et de la Loi de 2015, il convient de constater que s’agissant d’actes émanant de personnes privées, ceux-ci peuvent être considérés comme fondant une crainte légitime uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités guinéennes.

Or, vous déclarez que vous n’auriez jamais porté plainte contre les faits dont vous auriez été témoin ou encore les meurtres de votre famille commis par ce groupe mafieux. Votre 9défaut de plainte est d’autant plus incompréhensible alors que la police nigériane est venue à votre domicile « every day, mornings and in the evenings for one week » (p.6 du rapport d’entretien) en vous interrogeant et en essayant de comprendre ce qui s’était réellement passé et dont leur but aurait été, sans nul doute, de poursuivre ce groupe mafieux pour lesdits faits.

Vous expliquez d’ailleurs encore qu’un dénommé policier … vous aurait également aidé (p.6 et 7 du rapport d’entretien).

Ainsi, la police nigériane a bel et bien été en mesure de faire son travail et aurait pu intervenir pour sanctionner les agissements de ce groupe, mais vous avez volontairement refuser de collaborer avec lesdites autorités en ne révélant pas tout ce que vous saviez, de sorte que vous ne sauriez reprocher une quelconque absence respectivement volonté d’action aux autorités nigérianes compétentes. Il n’est donc clairement pas établi que les autorités nigérianes auraient été dans l’incapacité de vous fournir une protection nationale.

A toutes fins utiles, il convient de souligner que, selon plusieurs informations en notre possession concernant le « Staatlicher Schutz hinsichtlich Kultgruppen », le gouvernement nigérian et les forces de l’ordre nigérianes œuvrent activement à la répression des groupes cultistes.

A cet égard, ils citent le journal nigérian Observer, qui retrace que la « Police in … have arrested no fewer than 940 suspected cult members in a renewed efforts to curtain recurrent cult-related killings in the state. A cache of assorted weapons, ammunition, secret cult regalia, motorcycles and cars prepared to be deployed for attack against their rival groups were also recovered from them ».

Toujours dans cette même lignée: « In …, the Police Command has made arrests too numerous to count. In fact, activities of cultists in the state have witnessed a down turn with the introduction of anti-cultism squad by the Commissioner of Police, Mr … » ou encore « IGP [Inspector-General of Police] …, has constituted a special squad of officers to stem the activities of cultists and other violent criminals in … ».

De nombreuses autres sources témoignent encore de l’activité des forces de l’ordre nigérianes sur le terrain, notamment que « The police in … have killed a suspected kidnapper and arrested no fewer than 46 other suspected criminals (…) 20 suspected cultists were among those arrested in different parts of the state ». Pareil constat s’impose finalement alors que « Four notorious cultists terrorizing … University, …, … University … and its environs have been arrested by the Federal Special Anti-Robbery Squad ».

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

10 8 / 9 L’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande en reconnaissance du statut de réfugié, notamment le fait que vous craindriez d’être tué par le groupe mafieux nigérian « Black Axe » en raison de faits dont vous auriez été témoin en 2015.

Or, et tout en renvoyant aux arguments développés ci-dessus, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination du Nigéria, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 janvier 2023, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle du 20 décembre 2022 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre le refus du ministre d’octroyer la protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions ministérielles du 20 décembre 2022, telle que déférée.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

1) Quant au recours visant la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours et en fait, après avoir repris les rétroactes exposés ci-avant, Monsieur (A) explique qu’il aurait quitté son pays d’origine en juillet 2015 après avoir été témoin d’un meurtre de deux hommes politiques commis par un groupement dénommé « Black 11Axe », une organisation mafieuse d’envergure au Nigéria, connue pour ses homicides à connotation politique.

Alors qu’il aurait filmé les meurtres en question sur sa vidéo-caméra, le demandeur explique avoir toujours nié devant la police nigériane être en possession de l’enregistrement vidéo afférent, car il aurait très vite compris qu’il ne pourrait bénéficier d’aucune protection s’il divulguait cette information, dans la mesure où les adhérents de l’organisation « Black Axe » auraient même infiltré la police nigériane.

Le demandeur explique ensuite que plusieurs jours après l’incident, alors qu’il se trouvait devant son domicile, un groupe d’individus ayant souhaité obtenir la vidéo du meurtre survenu quelques jours auparavant, serait apparu, en tirant des coups de feu en sa direction, ainsi qu’en direction de sa sœur et de son père, tuant ainsi ces derniers et le blessant à son épaule.

En craignant pour sa vie, Monsieur (A) aurait pris la décision de quitter le Nigéria pour se rendre en Lybie, pays dans lequel il serait resté environ quatre mois et dans lequel il aurait été victime de maltraitances physiques et contraint à du travail forcé, avant de traverser la mer Méditerranée et d’arriver en Italie.

En droit et en ce qui concerne sa crédibilité, le demandeur soutient, en premier lieu, qu’il serait bel et bien né le …, quoiqu’il ne serait pas en mesure de fournir un document officiel l’attestant, et qu’il n’aurait aucun intérêt à mentir, ni aurait, à un quelconque moment, souhaité tromper les autorités au sujet de sa date de naissance, alors qu’il aurait très tôt signalé l’erreur relative à sa date de naissance aux autorités italiennes et que ces dernières l’auraient informé qu’elle pourrait être rectifiée au stade de l’établissement des documents d’identité définitifs.

S’agissant de son séjour en Allemagne en 2019, le demandeur fait valoir qu’il n’aurait pas omis de le mentionner, dans la mesure où les seuls pays européens dans lesquels il aurait littéralement séjourné seraient ceux où il aurait déposé une demande de protection internationale, en l’occurrence l’Italie et le Luxembourg.

Le demandeur donne ensuite à considérer que contrairement aux affirmations du ministre, sa demande de protection internationale introduite en Italie aurait d’ores et déjà fait l’objet d’un rejet et que l’acceptation par les autorités italiennes de la demande de reprise en charge leur adressée sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III ne serait pas de nature à établir le contraire, ni à démontrer que son récit serait faux.

En reprochant, par ailleurs, au ministre de pointer des incohérences et contradictions de son récit, sans pour autant que l’ensemble d’exemples cités n’aurait de sens ou de valeur, le demandeur soutient être conscient que son récit comporterait certaines approximations « simplement par authenticité », en soulignant n’avoir jamais appris par cœur un vécu monté de toute pièce pour augmenter ses chances d’obtenir une protection internationale.

Le demandeur estime que les éléments de son dossier administratif iraient tous dans le même sens concernant les raisons de sa fuite de son pays d’origine qui seraient, par ailleurs, fondées et constantes, respectivement que le ministre tenterait clairement de détourner ses propos pour les faire apparaître comme confus, voire douteux, alors qu’il aurait répondu de manière claire aux questions de l’agent de manière claire et aurait fourni les informations détaillées concernant ses données personnelles, ainsi que celles des membres de sa famille.

12 Il cite, dans ce contexte, un extrait de la position commune du 4 mars 1996 définie par le Conseil sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, concernant l’application harmonisée de la définition du terme « réfugié » au sens de l’article 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ayant déclaré que le bénéfice du doute devrait être accordé au demandeur de protection internationale, lorsque la crédibilité de ses déclarations aurait été suffisamment établie.

En rappelant avoir été témoin d’un meurtre de deux hommes politiques qu’il aurait enregistré sur sa vidéo-caméra, le demandeur avance que le fait de détenir, dans un contexte politique nigérian tendu en raison de la criminalité importante perpétrée par l’organisation mafieuse « Black Axe », des éléments de preuve à son encontre, en l’occurrence l’enregistrement vidéo du meurtre litigieux, aurait eu pour effet sa mise en danger, ensemble avec sa famille, danger qui ne pourrait qu’être constaté, dans la mesure où son père et sa sœur auraient été exécutés, respectivement le demandeur aurait été blessé par arme à feu à l’épaule.

En soutenant que l’ensemble des termes qu’il aurait employés à l’appui de sa demande de protection internationale, et notamment « political issues », « evidence of a group of people called Black Axe » et « something they hold secret », ferait référence au même récit d’évènements, respectivement que les éléments avancés ci-avant ne permettraient pas l’invention d’un récit de toute pièce, le demandeur souligne être resté constant et cohérent dans ses propos depuis 2015.

Il conteste ensuite que les pièces versées à l’appui de sa demande de protection internationale ne seraient pas crédibles pour contenir des fautes d’orthographe et des incohérences chronologiques, en estimant au contraire, qu’elles seraient justifiées et qu’aucun commentaire ne saurait être fait ni quant à leur forme, ni quant à leur contenu, en précisant que son père et sa sœur auraient été exécutés à une date ultérieure aux meurtres qu’il aurait filmés, alors que leur exécution constituerait une vengeance des individus armés, à la recherche de l’enregistrement vidéo compromettant détenu par le demandeur.

Il fait encore valoir que le fait de mentionner les évènements datant de plus de huit ans pourrait, certes, faire penser à un récit inventé et appris par cœur, mais qu’il n’en serait rien, tout en donnant à considérer qu’il ne saurait se voir reprocher d’avoir établi une chronologie des faits ne reflétant parfois pas au jour précis les étapes de son trajet pour venir au Luxembourg, alors qu’il se serait efforcé d’affiner au mieux les périodes y relatives, « sans pour autant retenir de manière robotisée des dates plus exactes ».

Concernant son séjour en Lybie, pays dans lequel le demandeur aurait subi des violences et aurait travaillé sans rémunération durant quelques mois, avant de recevoir de l’aide en raison de son état de santé, il fait valoir que lors de ses entretiens menés dans le cadre de sa demande de protection internationale, l’agent du ministère ne se serait pas attardé sur sa situation dans ce pays, de sorte que ses réponses n’auraient a fortiori pas fait l’objet d’amples explications, ce qui n’aurait pas été le cas des entretiens menés par les autorités italiennes.

S’agissant de sa mère et de sa sœur, le demandeur conteste avoir omis de préciser leur triste sort et soutient avoir fait leur mention en tant que personnes décédées, en fournissant des éléments primaires de leurs identités, qui resteraient inchangés malgré leurs décès.

13En ce qui concerne sa dernière adresse au Nigéria, le demandeur indique qu’il aurait clairement fait savoir qu’elle serait l’endroit où des policiers se seraient rendus à maintes reprises suite à son enregistrement de la vidéo problématique et qu’il aurait ensuite vécu chez la sœur du policier …, avant de quitter le Nigéria.

Le demandeur souligne encore qu’il aurait été la seule personne à avoir filmé les évènements litigieux à l’aide de sa caméra et conteste que de nombreux habitants de son village posséderaient un téléphone portable, nonobstant le document du 5 octobre 2022, invoqué par le ministre, aux termes duquel le nombre de détenteurs du téléphone mobile au Nigéria aurait atteint 210 millions en août 2022.

Il conteste finalement s’être trouvé au Nigéria à la date du 1er décembre 2022, alors que, d’une part, il assisterait à cette date au cours d’intégration linguistique et, d’autre part, il lui aurait été impossible de prendre un avion sans être en possession d’un document d’identité, respectivement de voyage, tout en donnant à considérer qu’une recherche superficielle sur internet permettrait de se rendre compte qu’il existerait plusieurs homonymes du nom donné, de sorte qu’il serait impossible de conclure que le premier profil apparu correspondrait à celui du demandeur.

En ce qui concerne la protection subsidiaire, le demandeur, outre de rappeler les dispositions légales en la matière, conteste ne pas avoir fait état d’atteintes graves dans la mesure où il aurait exposé, dans le cadre de sa demande de protection internationale, ses craintes de se faire exécuter, et aurait été témoin d’atteintes graves subies par son père et sa sœur, tués par arme à feux tous les deux, alors qu’il aurait lui-même été blessé par une balle à l’épaule.

Le demandeur soutient qu’au vu de la situation au Nigéria, respectivement de l’infiltration de l’organisation « Black Axe » au sein des institutions, il serait très clair qu’il risquerait d’être victime de tortures ou de traitements ou sanctions inhumains ou dégradants au Nigéria.

En estimant que les éléments gisant à la base de la décision ministérielle déférée, ayant retenu un manque de crédibilité de son récit, seraient erronés, le demandeur conclut à sa réformation.

Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.

Le tribunal relève, d’abord, qu’aux termes de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la même loi comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, 14point g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphe (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, aux termes de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il résulte de ces dispositions que tant l’octroi du statut de réfugié que celui de la protection subsidiaire est conditionné par une gravité suffisante des persécutions, respectivement des atteintes invoquées, découlant de leur nature ou de leur répétition ou accumulation.

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« (…) a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

15 c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. L’article 2, point g), précité, définit, quant à lui, la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant 16son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les persécutions et les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas.

Il s’ajoute aux considérations qui précèdent que l’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans son office de juge du fond en matière de demande de protection internationale, le tribunal doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur de protection internationale, tout en prenant en considération la situation, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays d’origine. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais inclut également l’appréciation de la valeur des éléments de preuve et de la crédibilité des déclarations du demandeur.

Le tribunal constate tout d’abord qu’à l’appui tant du statut de réfugié que de celui conféré par la protection subsidiaire le demandeur invoque en substance les mêmes faits, à savoir, le meurtre de son père et de sa sœur, respectivement sa blessure par arme à feu qu’il impute à une organisation criminelle dénommée « Black Axe » qui seraient à sa recherche pour récupérer l’enregistrement vidéo d’un meurtre de deux hommes politiques filmé à l’aide de sa vidéo-caméra.

Or, nonobstant la question de la crédibilité du récit du demandeur, il ressort de l’analyse du tribunal que ces faits ne remplissent ni les conditions d’octroi du statut de réfugié, ni de celui conféré par la protection subsidiaire dans son chef.

Le tribunal doit en effet constater que l’identité des auteurs des tirs ayant causé le décès de son père et de sa sœur, ainsi que sa propre blessure par balle à l’épaule, reste inconnue, dans la mesure où il se dégage de ses déclarations devant l’agent du ministère, actées dans son rapport d’entretien portant sur sa demande de protection internationale, que le demandeur ignorait lui-même qui était le groupe d’individus l’ayant assailli le jour de la fusillade devant son domicile1, de sorte qu’il n’est d’ores et déjà pas établi qu’ils relèvent des catégories des acteurs prévues à l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur ne tirant aucune conclusion de son affirmation au sujet de l’appartenance des individus en question au groupement mafieux « Black Axe ».

Dans la mesure où il n’est pas établi que les individus ayant tiré des coups de feu sur le demandeur sont en lien avec l’Etat nigérian, ils ne sont susceptibles d’être qualifiés d’auteur de persécution ou d’atteintes graves que si les autorités nigérianes ne sont pas capables, respectivement disposées à le protéger, étant rappelé, dans ce cadre, qu’une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection. La disponibilité 1 Voir rapport d’entretien de Monsieur (A), p.7.

17d’une protection nationale exige par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou atteintes graves. Cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés des structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

Il faut relever, à cet égard, que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

A cet égard, il convient de souligner l’importance de rechercher la protection des autorités du pays d’origine puisqu’à défaut d’avoir au moins tenté de solliciter une forme quelconque d’aide, les demandeurs de protection internationale ne sauraient reprocher aux autorités étatiques une inaction volontaire ou un refus de les aider. En effet, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection, s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection. En effet, il faut en toute hypothèse que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut2. Or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de violences, communément la forme d’une plainte.

En l’espèce, force est de constater que dans sa requête introductive d’instance, le demandeur n’a point pris position par rapport à l’argumentation du ministre aux termes de laquelle les autorités nigérianes, par le biais des forces de l’ordre, œuvreraient activement dans la répression des groupes cultistes, tel que le groupement « Black Axe ».

Il échet ensuite de relever que non seulement aucune plainte n’a été déposée contre les individus ayant tiré des coups de feu sur le demandeur, mais, en plus et selon ses propres affirmations, suite à la fusillade, le demandeur a bénéficié de la protection d’un policier dénommé …, l’ayant mis à l’abri3 et ayant mené une enquêté sur les auteurs des tirs litigieux, le demandeur ayant, en effet, déclaré devant l’agent du ministère « He was investigating. »4.

Dans cet ordre d’idées, le tribunal constate que même avant l’incident de la fusillade du demandeur par un groupe d’individus inconnus, la police nigériane s’est présentée à son domicile, selon ses déclarations, à de nombreuses reprises pour faire une enquête sur le meurtre des deux hommes politiques qu’il affirme avoir filmé avec sa vidéo-caméra5, de sorte qu’il ne saurait être conclu, en l’espèce, à une inaction des autorités policières nigérianes.

2 Voir notamment Trib. Adm., 18 octobre 2021, n°45105 du rôle, confirmé par arrêt de la Cour adm. du 1er février 2022, n° 46704 du rôle.

3 Voir rapport d’entretien de Monsieur (A), p. 7.

4 Ibidem.

5 Ibidem, p. 6.

18 Il convient encore de relever que le demandeur verse en cause, à l’appui de ses développements concernant les faits litigieux, des pièces émanant des autorités judiciaires et de poursuite, et notamment un « affidavit » des déclarations émanant de son cousin, …, du 2 juillet 2021.

Eu égard aux éléments à la disposition du tribunal, il n’est pas établi que les autorités nigérianes ne seraient pas disposées, voire seraient dans l’incapacité d’assurer au demandeur une protection suffisante dans son pays d’origine s’il devait y être en proie à des actes de persécution, respectivement à des atteintes graves.

Il y a encore lieu de relever qu’en ce qui concerne, en l’espèce, la demande en obtention d’une protection subsidiaire, le demandeur ne fait pas état d’un risque d’être victime d’une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne au sens du point c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée dans ses deux volets, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

2) Quant au recours visant l’ordre de quitter le territoire Le demandeur conclut à la réformation de l’ordre de quitter le territoire prononcé à son encontre, principalement, en conséquence de la réformation de la décision de refus d’une protection internationale et, subsidiairement, pour violation de l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-

après par « la loi du 29 août 2008 », alors que son retour au Nigéria impliquerait que sa vie ou sa liberté y seraient gravement menacées pour l’ensemble des raisons invoquées à l’appui de sa demande de protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre telle que visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le demandeur ne remplit pas les conditions pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, de sorte que ce dernier ne peut pas être considéré comme étant exposé à des actes de persécution, respectivement à des atteintes graves en cas de retour dans son pays d’origine, la décision de refus du 20 décembre 2022 est valablement assortie d’un ordre de quitter le territoire, sans, de ce fait, violer l’article 129 de la loi du 29 août 2008.

19Il s’ensuit que le recours en réformation pour autant qu’il est dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 20 décembre 2022 portant refus de la protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 20 décembre 2022 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 mars 2025 par :

Paul Nourissier, premier vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée.

en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 mars 2025 Le greffier du tribunal administratif 20


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 48431
Date de la décision : 14/03/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 22/03/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-03-14;48431 ?

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