Tribunal administratif N° 52427 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52427 1re chambre Inscrit le 21 février 2025 Audience publique du 26 février 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52427 du rôle et déposée le 21 février 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Tunisie), de nationalité tunisienne, connu sous différents alias, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 9 février 2025 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 février 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Danitza GREFFRATH en sa plaidoirie à l’audience publique du 26 février 2025, Maître Eric SAYS s’étant excusé.
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Le 15 décembre 2022, Monsieur (A), se prétendant de nationalité tunisienne, introduisit une demande de protection internationale au Grand-Duché de Luxembourg au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ». Il apparut que Monsieur (A) avait déposé deux demandes de protection internationale en Allemagne, respectivement en date du 23 juin 2017 et du 13 avril 2021, une demande aux Pays-Bas le 27 juillet 2017, une demande en France le 23 mars 2018 et une en Suisse le 18 novembre 2022.
Si les autorités helvétiques acceptèrent la reprise en charge de l’intéressé, celui-ci, assigné à résidence à la structure d’hébergement du Kirchberg, disparut toutefois, de sorte que son transfert ne put être réalisé.
Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale du commissariat de Luxembourg, Région Capitale, Commissariat C3R, daté du 9 avril 2024, que Monsieur (A) fut interpellé par les forces de l’ordre après avoir agressé les usagers d’un bus, l’intéressé ayant ensuite été interné en psychiatrie en raison de son comportement agressif et de ses idées suicidaires.
1Par arrêté du 12 avril 2024, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », décida de placer l’intéressé au Centre de rétention pour une durée de trois mois sur le fondement de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015.
Par décision du 12 avril 2024, notifiée à l’intéressé en mains propres en date du 18 avril 2024, le ministre, informa Monsieur (A) que le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas sa demande de protection internationale et qu’il sera transféré vers la Suisse, Etat membre responsable pour examiner sa demande de protection internationale, le ministre invoquant plus particulièrement les dispositions de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que de l’article 18 (1) c) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et les mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».
Monsieur (A) fut transféré en Suisse le 21 mai 2024.
Tel qu’il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, Région Centre-Est, Commissariat Syrdal (C2R), daté du 3 juillet 2024, Monsieur (A) fut à nouveau interpellé par les forces de l’ordre près du Findel, sans qu’il n’ait été en mesure de présenter un document d’identité ou un document de voyage en cours de validité.
Par arrêté du 3 juillet 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre déclara le séjour de Monsieur (A) sur le territoire luxembourgeois comme étant irrégulier, et lui ordonna de quitter ledit territoire sans délai.
Par arrêté séparé du même jour, également notifié en mains propres à l’intéressé en date du 3 juillet 2024, le ministre ordonna le placement en rétention de Monsieur (A) pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question.
Monsieur (A) ayant auparavant déposé trois demandes de protection internationale en Allemagne, respectivement en date des 23 juin 2017, 13 avril 2021 et 26 mai 2024, trois demandes aux Pays-Bas en date des 27 juillet 2017, 20 janvier 2023 et 21 décembre 2023, deux demandes en France en date des 23 mars 2018 et 12 septembre 2023, une en Suisse le 18 novembre 2022, ainsi qu’une au Luxembourg le 15 décembre 2022, les autorités luxembourgeoises contactèrent le 10 juillet 2024 les autorités suisses en vue de la reprise en charge de la personne retenue sur la base de l’article 18 (1) b), du règlement Dublin III. Cette demande fut rejetée par les autorités suisses par courrier du même jour, au motif qu’après avoir quitté le territoire suisse, ce dernier avait introduit une demande de protection internationale en Allemagne. Par courrier du 26 juillet 2024, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités suisses pour leur demander de reconsidérer leur refus de reprise en charge, tandis qu’en date du 30 juillet 2024, les autorités luxembourgeoises adressèrent également à leurs homologues allemands une demande de reprise en charge de la personne retenue, basée sur l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III.
Par arrêté du 2 août 2024, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre prorogea pour une durée d’un mois le placement en rétention de Monsieur (A).
Le recours contentieux introduit par Monsieur (A) en date du 5 août 2024 contre la 2décision ministérielle du 2 août 2024 fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 14 août 2024, inscrit sous le numéro 50874 du rôle.
Par arrêté du 14 août 2024, notifié à l’intéressé le 20 août 2024, la décision de retour prononcé à l’encontre de Monsieur (A) en date du 3 juillet 2024 fut rapportée et le ministre informa Monsieur (A) de son transfert vers l’Allemagne sur base de l’article 25 (2) du règlement Dublin III.
Monsieur (A) fut transféré en Allemagne le 30 août 2024 suite à l’acceptation expresse des autorités allemandes du 15 août 2024 sur base de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III.
Tel qu’il ressort d’un rapport de la police grand-ducale du commissariat de Luxembourg, Région Capital, Commissariat C3R, daté du 11 novembre 2024, Monsieur (A) fit l’objet d’un contrôle policier.
Il ressort d’un rapport de la police grand-ducal, Région Sud-Ouest, Commissariat Dudelange (C3R), qu’en date du 9 février 2024, Monsieur (A) fut à nouveau interpellé par les forces de l’ordre à Bettembourg suite à une tentative de vol et sans qu’il n’ait été en mesure de présenter un document d’identité ou un document de voyage en cours de validité.
Par arrêté du 9 février 2025, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre déclara le séjour de Monsieur (A) sur le territoire luxembourgeois comme étant irrégulier et lui ordonna de quitter ledit territoire sans délai.
Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé le 9 février 2025, le ministre ordonna le placement au Centre de rétention de Monsieur (A) pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :
« […] Vu les articles 100, et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le rapport no … du 9 février 2025 établi par la Police grand-ducale, Région Sud-
Ouest, Commissariat … ;
Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;
Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un visa en cours de validité;
Considérant que l’intéressé se rend toujours au Grand-Duché du Luxembourg sans remplir les conditions de séjour ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;
Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 février 2025, Monsieur 3(A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 9 février 2025 ayant ordonné son placement au Centre de rétention.
Etant donné que l’article 123 (1) de la loi modifiée sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par la « loi du 29 août 2008 » institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours et quant à la légalité externe de la décision déférée, le demandeur se rapporte à prudence de justice quant à la compétence « […] du Ministre des Affaires intérieures ayant pris la décision litigieuse […] ».
En ce qui concerne la légalité interne de la décision déférée, il conclut à une violation de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 en contestant qu’il existerait dans son chef un danger de fuite, qu’il empêcherait la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement et que les démarches nécessaires en vue de l’exécution de son éloignement auraient été entamées.
Le demandeur en conclut que son placement au Centre de rétention ne serait pas justifié.
Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
C’est de prime abord à tort que le demandeur conteste, par le fait de s’être rapporté à prudence de justice, la compétence du ministre ayant pris la décision déférée, étant donné qu’en vertu de l’article 3 g) de la loi du 29 août 2008, le ministre visé dans les dispositions de cette loi est le membre du gouvernement ayant l’immigration dans ses attributions, soit, conformément à l’annexe B du règlement interne du gouvernement tel qu’approuvé par arrêté grand-ducal du 27 novembre 2023 portant approbation et publication du règlement interne du Gouvernement, le ministre des Affaires intérieures.
Le moyen de légalité externe afférent est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120 (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
4 Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de la rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
L’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120 (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
S’agissant d’abord des contestations de Monsieur (A) quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, le tribunal constate qu’il est constant en cause que le demandeur, qui a fait l’objet d’une décision de retour en date du 9 février 2025, se trouve en situation de séjour irrégulier au Luxembourg.
Il est encore constant en cause que le demandeur est démuni de tout document d’identité et de voyage valable, de sorte qu’il ne remplit pas les conditions énoncées à l’article 34 (2) 1., de la loi du 29 août 2008 qui requiert précisément d’un étranger de disposer notamment d’un passeport et, le cas échéant, d’un visa en cours de validité.
Il en résulte l’existence, dans le chef du demandeur, d’un risque de fuite, légalement présumé par l’article 111 (3) c) 1. de la loi du 29 août 2008, si l’étranger ne remplit pas ou ne remplit plus les conditions de l’article 34 de la même loi.
Dès lors, et dans la mesure où Monsieur (A) est resté en défaut de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption de risque de fuite dans son chef, ses contestations quant à l’existence d’un risque de fuite sont à rejeter.
Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120 (1) précité de la loi du 29 août 2008, placer l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement.
Quant à l’argumentation du demandeur selon laquelle il n’empêcherait pas la 5préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement, le tribunal relève que la mesure litigieuse n’est pas motivée par une telle considération, de sorte que l’argumentation en question est à rejeter pour défaut de pertinence.
En ce qui concerne ensuite les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, le tribunal constate qu’une recherche effectuée dans la base de données EURODAC en date du 20 février 2025 a relevé que l’intéressé avait introduit plusieurs demandes de protection internationale en Allemagne, aux Pays-Bas, en France et en Suisse. Le 20 février 2025, les autorités luxembourgeoises ont encore adressé à leurs homologues allemands une demande de reprise en charge du demandeur, sur le fondement de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, laquelle a été acceptée par ces derniers le 24 février 2025 sur base du même article.
Au vu des diligences ainsi déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise, le tribunal est amené à conclure que les démarches entreprises en l’espèce doivent être considérées comme étant suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008. Les contestations afférentes du demandeur sont, dès lors, à rejeter.
Eu égard aux développements qui précèdent, en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 février 2025 par :
Michèle STOFFEL, vice-président, Géraldine ANELLI, vice-président, Izabela GOLINSKA, attaché de justice délégué, en présence du greffier Luana Poiani.
s. Luana Poiani s. Michèle Stoffel 6