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26/02/2025 | LUXEMBOURG | N°49514

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 février 2025, 49514


Tribunal administratif N° 49514 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49514 3e chambre Inscrit le 3 octobre 2023 Audience publique du 26 février 2025 Recours formé par Madame (A), …, contre une décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse en matière de reconnaissance de diplômes

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49514 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 octobre 2023 par Maître Miloud AHMED-BOU

DOUDA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom ...

Tribunal administratif N° 49514 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49514 3e chambre Inscrit le 3 octobre 2023 Audience publique du 26 février 2025 Recours formé par Madame (A), …, contre une décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse en matière de reconnaissance de diplômes

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49514 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 octobre 2023 par Maître Miloud AHMED-BOUDOUDA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), demeurant à L-…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse du 17 mai 2023 refusant de reconnaître son « Schulzeugnis des Berufsabiturs in der mittleren Fachausbildung :

Vorschulerzieherin » lui décerné le 5 juillet 2010 par le « Center für schriftliche Ausbildung (Universum) » à … (Slovénie) comme équivalent au diplôme d’Etat luxembourgeois d’éducateur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 décembre 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Miloud AHMED-

BOUDOUDA et Monsieur le délégué du gouvernement Vincent STAUDT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 février 2025.

En date du 25 novembre 2022, Madame (A) s’adressa au ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, ci-après désigné par « le ministre », en vue de voir reconnaître son « Schulzeugnis des Berufsabiturs in der mittleren Fachausbildung :

Vorschulerzieherin » lui décerné le 5 juillet 2010 par le « Center für schriftliche Ausbildung (Universum) » à … (Slovénie) comme équivalent au diplôme d’Etat luxembourgeois d’éducateur, demande entrée au ministère de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, ci-après désigné par « le ministère », le 30 novembre 2022.

Par courrier envoyé le 7 février 2023, le ministre pria Madame (A) de compléter son dossier en lui faisant parvenir des informations supplémentaires, informations que celle-ci fournit le 21 février 2023.

En date du 17 mai 2023, la commission ad hoc du ministère chargée d’apprécier les titres et diplômes ainsi que les qualifications professionnelles afférents des professions réglementées du secteur social avisa négativement la demande de Madame (A).

Le ministre refusa de faire droit à la prédite demande de Madame (A) par décision du même jour, libellée comme suit :

« […] Vu les articles 6 et 7 de la loi modifiée du 10 août 2005 portant création d'un Lycée technique pour professions éducatives et sociales ;

Vu le règlement grand-ducal du 24 août 2016 déterminant l'organisation de la classe terminale des études d'éducateur au Lycée technique pour professions éducatives et sociales et les modalités de l'examen final pour l'obtention du diplôme d'État d'éducateur ;

Vu la loi modifiée du 28 octobre 2016 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles ;

Vu le règlement grand-ducal du 17 février 2017 relatif à la reconnaissance des qualifications professionnelles ;

Vu l'arrêté ministériel du 2 février 2023 portant nomination de la commission ad hoc d'experts chargée d'apprécier les titres et diplômes ainsi que les qualifications professionnelles afférentes des professions réglementées du secteur social ;

Vu la demande de reconnaissance présentée par Madame (A), née le … à … (Bosnie-

Herzégovine), portant sur le Schulzeugnis des Berufsabiturs in der mittleren Fachausbildung:

Vorschulerzieherin, délivré par le Center für schriftliche Ausbildung (Universum) à … (Slovénie) en date du 5 juillet 2010 ;

Vu l'avis en date du 17 mai 2023 de la commission susmentionnée ;

Considérant que le niveau de qualification requis au Luxembourg pour accéder à la profession d'éducateur correspond au niveau c) de l'article 11 de la loi modifiée du 28 octobre 2016 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, et que le titre de formation de la requérante correspond au niveau b) du prédit article ;

Considérant que la formation de la requérante présente au niveau du contenu, des différences essentielles avec la formation luxembourgeoise de l'éducateur ;

Considérant que la requérante ne peut pas se prévaloir d'une formation socio-éducative approfondie ;

Considérant que la requérante ne peut pas se prévaloir d'une formation pratique encadrée en milieux socio-éducatifs ;

Considérant que la requérante ne dispose pas des compétences multidimensionnelles et d'une approche différenciée à l'égard de tout public cible ;

Il est certifié que :

Art. 1er. Le Schulzeugnis des Berufsabiturs in der mittleren Fachausbildung:

Vorschulerzieherin, décerné en date du 5 juillet 2010 par le Center für schriftliche Ausbildung (Universum) à … (Slovénie), à Madame (A), n'est pas reconnu équivalent au diplôme d'État luxembourgeois d'éducateur.

Art. 2. La présente est transmise à l'intéressée pour information. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 octobre 2023, Madame (A) a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision précitée du ministre du 17 mai 2023.

Quand bien même une partie a formulé un recours en annulation à titre principal et un recours en réformation à titre subsidiaire, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, alors qu’en vertu de l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un recours en annulation n’est possible qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements.

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation.

Le tribunal est, par contre, compétent pour connaître du recours principal en annulation, lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours, la demanderesse retrace les faits et rétroactes exposés ci-

avant, et, en droit, reproche au ministre d’avoir commis un excès de pouvoir.

Après avoir cité l’article 7, alinéa 2, de la loi modifiée du 10 août 2005 portant création d’un Lycée technique pour professions éducatives et sociales, ci-après désignée par « la loi du 10 août 2005 », elle fait tout d’abord valoir que le ministre n’aurait pas justifié dans quelle mesure les études qu’elle aurait suivies seraient si différentes de celles suivies au Luxembourg qu’elles ne sauraient pas être reconnues comme équivalentes.

Elle donne ensuite à considérer que la décision ministérielle sous analyse contiendrait des formules vagues selon lesquelles « la requérante ne dispose pas d’une formation pratique encadrée en milieu socio-éducatifs » et « la requérante ne dispose pas des compétences multidimensionnelles et d’une approche différenciée à l’égard de tout public cible », qui ne permettraient pas de justifier le refus de reconnaissance de son diplôme.

Par ailleurs, la décision litigieuse prévoirait que « la requérante ne peut pas se prévaloir d’une formation socio-éducative approfondie », reproche qui ne saurait constituer à lui seul un motif de refus de reconnaissance.

Au regard de ces développements et après avoir cité l’article 7, alinéa 8, de la loi du 10 août 2005, la demanderesse estime que le ministre aurait décidé d’emblée qu’elle n’aurait pas les compétences requises sans lui laisser la possibilité de prouver le contraire.

La partie étatique conclut, quant à elle, au rejet du recours sous analyse pour ne pas être fondé.

Après avoir cité les articles 6 et 7 de la loi du 10 août 2005, elle rappelle tout d’abord que la profession d’éducateur constituerait une profession réglementée au Luxembourg.

Elle explique ensuite que tel ne serait pas le cas dans le pays de délivrance du diplôme de la demanderesse, à savoir la Slovénie, et qu’en vertu de la loi modifiée du 28 octobre 2016 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, ci-après désignée par « la loi du 28 octobre 2016 », l’exercice de la profession d’éducateur serait conditionné par l’obtention d’une autorisation d’exercer.

La partie étatique estime que le titre de formation de la demanderesse correspondrait au niveau b) de l’article 11 de la loi du 28 octobre 2016 alors que le niveau requis pour accéder à la profession d’éducateur au Luxembourg serait le niveau c) dudit article.

Elle fait valoir que la formation suivie par la demanderesse préparerait à un enseignement dans le domaine du préscolaire et comporterait seulement 200 heures de cours environ alors que la formation menant au diplôme d’Etat luxembourgeois d’éducateur s’étendrait sur une année supplémentaire après la délivrance du diplôme de fin d’études secondaires et donc sur une durée totale de trois années, de sorte qu’il existerait des différences essentielles par rapport à la formation menant au diplôme d’Etat luxembourgeois d’éducateur au niveau tant de la durée de la formation suivie par la demanderesse que de son contenu.

Elle donne à considérer que la formation de la demanderesse concernerait uniquement le domaine de l’enfance et de la jeunesse sans aborder les domaines des personnes à besoins spécifiques et des personnes âgées et ne comporterait pas de stages pratiques encadrés en milieux socio-éducatifs, de sorte que le diplôme de la demanderesse n’attesterait pas d’une formation socio-éducative approfondie et complète. Elle précise encore que le contenu de la formation suivie par la demanderesse comporterait des matières substantiellement différentes par rapport à celles de la formation luxembourgeoise d’éducateur.

Par ailleurs, les différences constatées au niveau du contenu de la formation suivie par la demanderesse seraient substantielles et trop importantes pour pouvoir proposer des mesures de compensation, l’application de telles mesures revenant, en effet, d’après la partie étatique, à imposer à la demanderesse de suivre le programme complet de formation requis au Luxembourg pour avoir accès à la profession réglementée d’éducateur.

Appréciation du tribunal Saisi d’un recours en annulation, le juge administratif est appelé à vérifier, d’un côté, si, au niveau de la décision administrative querellée, les éléments de droit pertinents ont été appliqués et, d’un autre côté, si la matérialité des faits sur lesquels l’autorité de décision s’est basée est établie. Au niveau de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation vérifie encore s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée. Le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de proportionnalité1.

Il convient encore de souligner que dans la mesure où le contentieux administratif est un contentieux objectif, il s’agit d’un procès fait à l’acte taxé d’illégalité en vue de le faire disparaître de l’ordre juridique : le tribunal administratif n’est dès lors pas saisi d’une situation, mais concrètement d’une décision, étant encore relevé qu’un acte administratif individuel, et plus particulièrement celui qui est de nature à faire grief soit à son destinataire soit à de tierces personnes, bénéficie de la présomption de légalité ainsi que de conformité par rapport aux objectifs de la loi sur base de laquelle il a été pris, de sorte qu’il appartient à celui qui prétend subir un préjudice ou des inconvénients non justifiés du fait de l’acte administratif en question, et qui partant souhaite le voir réformer ou annuler en vue d’obtenir une situation de fait qui lui est plus favorable, d’établir concrètement en quoi l’acte administratif en question viole une règle fixée par une loi ou un règlement grand-ducal d’application2, sans qu’il n’appartienne au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse à cet égard3.

L’article 6 de la loi du 10 août 2005 dispose que :

« Sous réserve des dispositions de l’article 7, nul ne peut exercer au Grand-Duché de Luxembourg la profession d’éducateur ou une autre profession tombant sous le champ d’application de la présente loi, s’il ne remplit pas d’une part, les conditions d’études y prévues ou les conditions d’études faites dans un institut d’enseignement à l’étranger reconnues équivalentes par le ministre et d’autre part, les conditions d’honorabilité et de moralité nécessaires à l’exercice de la profession. ».

Aux termes de l’article 7 de la même loi :

« La reconnaissance des diplômes obtenus à l’étranger est de la compétence du ministre.

La reconnaissance est accordée :

1. pour les professions pour lesquelles un diplôme luxembourgeois est délivré, aux titulaires d’un diplôme sanctionnant une formation équivalente à l’étranger, sans préjudice des dispositions du paragraphe 3 ci-après ;

2. pour les professions tombant sous l’application d’une directive communautaire instituant un système général de reconnaissance des diplômes, aux titulaires d’un des diplômes répondant aux exigences de la directive en question ;

3. aux titulaires d’un diplôme délivré conformément à une convention internationale ou à un accord de réciprocité conclus par le Luxembourg ;

4. pour les ressortissants d’un pays tiers, si les études qui ont conduit à la délivrance du diplôme, certificat ou titre, répondent aux exigences fixées par la présente loi. […] ».

Force est tout d’abord au tribunal de constater que la demande adressée par Madame (A) au ministre en date du 25 novembre 2022 constitue une demande de voir reconnaître son « Schulzeugnis des Berufsabiturs in der mittleren Fachausbildung : Vorschulerzieherin » lui 1 Cour adm., 9 décembre 2010, n° 27018C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 60 et les autres références y citées.

2 Trib. adm., 16 juillet 2003, n° 15207 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Actes administratifs, n°169 (1er volet) et les autres références y citées.

3 Trib. adm., 26 mars 2003, n°15115 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n°533 et les autres références y citées.

décerné le 5 juillet 2010 par le « Center für schriftliche Ausbildung (Universum) » à … (Slovénie) comme équivalent au diplôme d’Etat luxembourgeois d’éducateur, demande qui, au vu du texte même de l’article 6 de la loi du 10 août 2005, précité, et au vu des explications fournies par le délégué du gouvernement, comporte nécessairement celle d’avoir accès à la profession réglementée d’éducateur. À cet égard, il convient encore de relever que la décision ministérielle sous analyse n’est pas seulement basée sur la loi du 10 août 2005, mais également sur le règlement grand-ducal du 24 août 2016 déterminant l’organisation de la classe terminale des études d’éducateur au Lycée technique pour professions éducatives et sociales et les modalités de l’examen final pour l’obtention du diplôme d’Etat d’éducateur, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 24 août 2016 », la loi du 28 octobre 2016 ainsi que le règlement grand-ducal du 17 février 2017 relatif à la reconnaissance des qualifications professionnelles tel qu’en vigueur à la date de la prise de décision.

S’il n’est pas contesté que la demanderesse dispose des conditions d’honorabilité et de moralité requises, le ministre a toutefois refusé de reconnaître l’équivalence entre le titre de formation litigieux et le diplôme d’Etat luxembourgeois d’éducateur au motif que la formation ayant mené à la délivrance du titre de formation litigieux présenterait des différences essentielles avec la formation menant au diplôme d’Etat luxembourgeois d’éducateur.

À ce titre, il échet de relever qu’il ressort de l’article 2, paragraphe (1) de la loi du 28 octobre 2016 que « La présente loi s’applique : a) à tout ressortissant, y compris aux membres des professions libérales, ayant acquis des qualifications professionnelles à l’étranger et voulant exercer une profession réglementée au Grand-Duché de Luxembourg, soit à titre indépendant, soit à titre salarié ; […] ».

Suivant l’article 3, point a) de la même loi, on entend par « profession réglementée » :

« une activité ou un ensemble d’activités professionnelles dont l’accès, l’exercice ou une des modalités d’exercice est subordonné directement ou indirectement, en vertu de dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession de qualifications professionnelles déterminées ; l’utilisation d’un titre professionnel limitée par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives aux détenteurs d’une qualification professionnelle donnée constitue une modalité d’exercice. […] ».

Suivant l’article 3, point b) de la même loi, on entend par « qualifications professionnelles » : « les qualifications attestées par un titre de formation […] ou une expérience professionnelle ; ».

Ce même article définit le « titre de formation » sous son point c) comme « les diplômes, certificats et autres titres délivrés par une autorité d’un Etat membre désignée en vertu des dispositions législatives, réglementaires ou administratives de cet Etat membre et sanctionnant une formation professionnelle acquise principalement dans l’Union européenne. […] ».

L’article 13 de la même loi, lequel fixe les conditions de la reconnaissance des qualifications professionnelles en général, prévoit, quant à lui, que :

« (1) Lorsqu’au Grand-Duché de Luxembourg, l’accès à une profession réglementée ou son exercice est subordonné à la possession de qualifications professionnelles déterminées, l’autorité compétente luxembourgeoise permet aux demandeurs d’accéder à cette profession et de l’exercer, dans les mêmes conditions que pour ses nationaux, s’ils possèdent une attestation de compétences ou un titre de formation visé à l’article 11 qui est requis par un autre Etat pour y accéder à cette même profession sur son territoire ou l’y exercer.

(2) L’accès à la profession et son exercice, tels que décrits au paragraphe 1er, sont également accordés aux demandeurs qui ont exercé la profession en question à temps plein pendant une année ou à temps partiel pendant une durée totale équivalente au cours des dix années précédentes dans un autre Etat membre qui ne réglemente pas cette profession et qui possèdent une ou plusieurs attestations de compétences ou preuves de titre de formation délivré par un autre Etat qui ne réglemente pas cette profession.

Les attestations de compétences ou les titres de formation remplissent les conditions suivantes :

a) être délivrés par une autorité compétente, désignée conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives de l’Etat dont elle dépend ;

b) attester la préparation du titulaire à l’exercice de la profession concernée.

L’expérience professionnelle d’un an visée au premier alinéa ne peut cependant être requise si le titre de formation que possède le demandeur certifie une formation réglementée. […] ».

Au vu des dispositions légales qui précèdent, une personne peut prétendre à la reconnaissance de ses qualifications professionnelles aux fins d’accès à une profession réglementée au Luxembourg, si elle dispose respectivement d’un titre de formation ou d’une attestation de compétences, le paragraphe (1) de l’article 13 précité étant applicable si la profession est également réglementée dans l’Etat membre ayant délivré l’attestation de compétences ou le titre de formation dont la reconnaissance est demandée, tandis que le paragraphe (2) du même article est applicable si la profession concernée n’est pas réglementée par ledit Etat membre4.

Il échet en premier lieu de constater qu’il est constant en cause que la profession d’éducateur est une profession réglementée au Luxembourg, la formation donnant lieu à la délivrance du diplôme d’Etat luxembourgeois d’éducateur étant, par ailleurs, prévue au règlement grand-ducal du 24 août 2016, étant encore précisé que l’accès à l’exercice de cette profession en contact avec les enfants et les personnes âgées et/ou dépendantes nécessite un contrôle des qualifications professionnelles et de l’honorabilité professionnelle5.

Il échet ensuite de constater qu’il ressort des explications circonstanciées et non contestées de la partie étatique, basées sur les informations de la base de données des professions réglementées de la Commission européenne, que la Slovénie, pays de délivrance du diplôme de la demanderesse, n’a pas règlementé la profession d’éducateur, de sorte que l’article 13, paragraphe (2) de la loi du 28 octobre 2016 est applicable en l’espèce. La demanderesse doit, dès lors, établir qu’elle a exercé la profession d’éducateur à temps plein pendant une année ou à temps partiel pendant une durée totale équivalente au cours des dix années précédentes en Slovénie et qu’elle possède une ou plusieurs attestations de compétences ou preuves de titre de formation délivré par la Slovénie, étant précisé que les attestations de compétences ou les titres de formation doivent à la fois avoir été délivrés par une autorité 4 Voir notamment Trib. adm., 17 septembre 2024, n° 48000 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

5 Projet de loi n° 5338, commentaire des articles, page 7.

compétente, désignée conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives en vigueur en Slovénie et attester la préparation du titulaire à l’exercice de la profession d’éducateur. S’agissant de conditions cumulatives, il suffit qu’une seule de ces conditions ne soit pas remplie pour que le ministre puisse rejeter la demande en reconnaissance d’équivalence présentée dans ce cadre.

Or, la demanderesse reste en défaut d’établir que le titre de formation litigieux soit équivalent au diplôme d’Etat luxembourgeois d’éducateur et notamment qu’il atteste sa préparation à l’exercice de la profession d’éducateur.

Premièrement, force est de constater que le « Schulzeugnis des Berufsabiturs in der mittleren Fachausbildung : Vorschulerzieherin » décerné à la demanderesse le 5 juillet 2010 correspond, tel que relevé à juste titre par la partie étatique, au niveau prévu au point b) de l’article 11 de la loi du 28 octobre 20166 alors que le niveau requis pour accéder à la profession d’éducateur au Luxembourg est le niveau prévu au point c) du même article7. En effet, la formation suivie par la demanderesse sanctionne un cycle d’études secondaires professionnel (« Berufsabitur in der mittleren Fachausbildung ») tandis que la formation menant au diplôme d’Etat luxembourgeois d’éducateur s’étend sur une année supplémentaire après la délivrance du diplôme de fin d’études secondaires.

Deuxièmement, il échet de constater, à l’instar de la partie étatique, qu’il existe des différences essentielles par rapport à la formation menant au diplôme d’Etat luxembourgeois d’éducateur au niveau du contenu de la formation suivie par la demanderesse qui porte essentiellement sur le domaine du préscolaire (« Vorschulerzieherin »), ce qui ressort encore du programme pédagogique (« Lehrplan ») figurant au dossier administratif, et plus particulièrement des matières abordées, telles que par exemple « Pädagogik und pädagogische Ansätze in der Vorschulzeit », « Entwicklung und Lernen eines Vorschulkindes », « Lehrplan der Kinderabteilung », « Spiele mit Kindern », « Mathematik für Kinder », « Wissenschaft für Kinder », « Gesellschaft für Kinder ».

Troisièmement, le tribunal rejoint encore la partie étatique dans son constat que la demanderesse ne dispose pas des compétences multidimensionnelles requises, ni d’une approche différenciée à l’égard de tout public cible. Ce constat, loin de constituer des « formules vagues », tel qu’allégué par la demanderesse, s’impose en effet dans la mesure où la formation suivie par celle-ci, contrairement à la formation luxembourgeoise d’éducateur ne 6 « certificat sanctionnant un cycle d’études secondaires :

i) soit général, complété par un cycle d’études ou de formation professionnelle autre que ceux visés au point c) ou par le stage ou la pratique professionnelle requis en plus de ce cycle d’études ;

ii) soit technique ou professionnel, complété le cas échéant par un cycle d’études ou de formation professionnelle tel que visé au point i) ou par le stage ou la pratique professionnelle requis en plus de ce cycle d’études ; ».

7 « diplôme sanctionnant :

i) soit une formation du niveau de l’enseignement postsecondaire autre que celui visé aux points d) et e) d’une durée minimale d’un an ou d’une durée équivalente à temps partiel, dont l’une des conditions d’accès est, en règle générale, l’accomplissement du cycle d’études secondaires exigé pour accéder à l’enseignement universitaire ou supérieur, ou l’accomplissement d’une formation de niveau secondaire équivalente, ainsi que la formation professionnelle éventuellement requise en plus de ce cycle d’études postsecondaires ;

ii) soit une formation réglementée ou, dans le cas de professions réglementées, une formation professionnelle à structure particulière, avec des compétences allant au-delà de ce qui prévu au niveau b, équivalente au niveau de formation mentionné au point i), si cette formation confère un niveau professionnel comparable et prépare à un niveau comparable de responsabilités et de fonctions, pour autant que le diplôme soit accompagné d’un certificat de l’Etat d’origine ; ».

constitue pas une formation socio-éducative approfondie et complète pour ne pas avoir porté sur les domaines des personnes à besoins spécifiques et des personnes âgées et pour ne pas avoir comporté une formation pratique encadrée en milieux socio-éducatifs.

Quant à la possibilité pour le ministre d’avoir recours à des mesures de compensation et d’exiger l’accomplissement d’un stage d’adaptation ou d’une épreuve d’aptitude, le tribunal relève que la demanderesse n’invoque ni une violation par le ministre de la loi du 28 octobre 2016, ni une violation du principe de proportionnalité consacré plus particulièrement à l’article 14, paragraphe (5) de cette même loi, mais se limite à citer l’article 7, alinéa 8, de la loi du 10 août 2005 et à affirmer que le ministre aurait décidé d’emblée qu’elle n’aurait pas les compétences requises sans lui laisser la possibilité de prouver le contraire.

Il échet de relever que l’article 7, alinéa 8, de la loi du 10 août 2005 dispose que « La reconnaissance pourra être soumise en cas de différences substantielles constatées au niveau de la durée ou du contenu de la formation à la condition d’une expérience professionnelle, d’un stage d’adaptation et/ou d’une épreuve d’aptitude. ».

Dans la mesure où il vient d’être retenu ci-avant (i) que le titre de formation litigieux correspond au niveau prévu au point b) de l’article 11 de la loi du 28 octobre 2016 alors que le niveau requis pour accéder à la profession d’éducateur au Luxembourg est le niveau prévu au point c) du même article, (ii) qu’il existe des différences essentielles par rapport à la formation menant au diplôme d’Etat luxembourgeois d’éducateur au niveau du contenu de la formation suivie par la demanderesse qui porte essentiellement sur le domaine du préscolaire et (iii) que la demanderesse ne dispose pas des compétences multidimensionnelles requises, ni d’une approche différenciée à l’égard de tout public cible, la formation suivie par cette dernière ne constituant pas une formation socio-éducative approfondie et complète, le tribunal ne saurait, au vu de la présomption de légalité de l’acte administratif déféré, suivre les développements non circonstanciés de la demanderesse selon lesquels le ministre aurait décidé d’emblée qu’elle n’aurait pas les compétences requises sans lui laisser la possibilité de prouver le contraire, étant encore précisé qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer la carence des parties dans la présentation de leurs moyens.

Par conséquent, le tribunal vient à la conclusion, à l’instar de la partie étatique, que non seulement la formation suivie par la demanderesse porte sur des matières substantiellement différentes de celles couvertes par le diplôme d’Etat luxembourgeois d’éducateur au sens de l’article 14, paragraphe (4) de la loi du 28 octobre 2016 mais qu’également les différences constatées au niveau tant de la durée que du contenu de la formation suivie par la concernée sont essentielles et trop importantes pour que des mesures de compensation aient pu être envisagées, la demanderesse n’ayant apporté aucun élément lui permettant de se départir de cette conclusion.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a, sans commettre un excès de pouvoir et sans méconnaître la portée de l’article 7 de la loi du 10 août 2005, refusé sa demande de voir reconnaître son « Schulzeugnis des Berufsabiturs in der mittleren Fachausbildung :

Vorschulerzieherin » lui décerné le 5 juillet 2010 par le « Center für schriftliche Ausbildung (Universum) » à … (Slovénie) comme équivalent au diplôme d’Etat luxembourgeois d’éducateur.

Au vu des considérations qui précèdent, et à défaut de tout autre moyen, le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

La demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.000,- euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, telle que formulée par la demanderesse, est à rejeter au vu de l’issue du litige.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation ;

reçoit en la forme le recours principal en annulation ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la demanderesse ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 février 2025 par :

Thessy Kuborn, premier vice-président, Sibylle Schmitz, premier juge, Felix Hennico, attaché de justice délégué, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s.Judith Tagliaferri s.Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 février 2025 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 49514
Date de la décision : 26/02/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 02/03/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-02-26;49514 ?

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