Tribunal administratif N° 49429 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49429 1re chambre Inscrit le 15 septembre 2023 Audience publique du 26 février 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49429 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 septembre 2023 par Maître Françoise NSAN-NWET, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Pakistan), de nationalité pakistanaise, demeurant à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 août 2023 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 novembre 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Fideline BILOA BIBI, en remplacement de Maître Françoise NSAN-NWET, et Monsieur le délégué du gouvernement Brice CLOOS en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 octobre 2024.
Le 1er décembre 2021, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du service de police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée – police des étrangers, dans un rapport du même jour.
En date des 1er mars et 26 avril 2023, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 22 août 2023, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », 1informa Monsieur (A) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 1er décembre 2021 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant à vos motifs de fuite En mains votre fiche des motifs manuscrite ainsi que le rapport du Service de Police Judiciaire des 1er décembre 2021, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 1er mars et 24 avril 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale ainsi que le document versé à l'appui de voire demande.
Monsieur, il ressort de votre dossier administratif que vous vous nommez Monsieur (A), que vous êtes né le … à … au Pakistan, que vous êtes de nationalité pakistanaise, d'ethnie Punjabi et de confession musulmane sunnite. Vous expliquez être originaire du village de …, petit village qui se situe à proximité de … dans le district de Gujranwala au Pakistan, où vous auriez vécu avec toute votre famille depuis votre naissance (p.2/17 du rapport d'entretien).
A l'appui de votre demande de protection internationale, vous expliquez avoir fui votre pays d'origine en raison de votre homosexualité, laquelle vous auriez découverte en … à l'âge de 16 ans.
De manière générale, vous expliquez que votre homosexualité aurait été révélée lors d'un incident survenu en 2019 au domicile familial de votre petit-copain, le dénommé Monsieur (B), avec lequel vous auriez entretenu une relation depuis 2015. A cet égard, vous précisez, vaguement, que la mère d'Monsieur (B) vous aurait surpris en plein acte sexuel. Choquée par cet incident, cette dernière aurait immédiatement essayé de vous attraper, mais vous auriez réussi à vous échapper.
Au cours de votre fuite, vous auriez réussi à entrer en contact avec votre mère, qui aurait désormais également été au courant de votre orientation sexuelle. Celle-ci vous aurait conseillé de quitter définitivement le Pakistan et de ne plus jamais revenir dans votre village natal, étant donné que la mère d'Monsieur (B) vous aurait dénoncé au conseil local du village, le « … », qui aurait prononcé sa sentence à votre encontre. Le verdict aurait été la mort et plus précisément le souhait de vous brûler vivant (p.6-10/17 du rapport d'entretien).
Tout au long de la procédure de votre demande de protection internationale vous ne présentez aucun document d'identité ou autre, qui aurait permis de corroborer vos dires en expliquant que vous auriez perdu la totalité de vos documents et objets au cours de votre fuite (p.2/17 du rapport d'entretien).
Le 8 juin 2023, vous remettez, cependant, l'original de votre carte d'identité 2pakistanaise émise le 25 mai 2023 par les autorités nationales pakistanaises.
2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Il y a lieu de rappeler qu'il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits, craintes et persécutions par lui alléguées, sur base d'un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre l'administration en mesure de saisir l'intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l'analyse d'une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d'évaluation fondamental dans l'appréciation du bien-fondé d'une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.
Or, la question de crédibilité se pose avec acuité dans votre cas alors qu'il y a lieu de constater que vous ne faites pas état de manière crédible qu'il existerait des raisons sérieuses de croire que vous encourriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la Loi de 2015.
Par conséquent, Monsieur, il convient de vous informer que la sincérité de vos propos et la crédibilité de votre orientation sexuelle est remise en cause pour les raisons suivantes :
Premièrement, il est évident que votre prétendue homosexualité n'est qu'un subterfuge fallacieux que vous utilisez afin d'augmenter la probabilité de vous voir octroyer une protection internationale au Luxembourg, respectivement de vous trouver une alternative vous permettant de régulariser votre situation administrative en Europe.
Ce constat du caractère mensonger de votre récit, respectivement de votre attirance pour les hommes, se base notamment sur le fait que vous avez vraisemblablement cru que les autorités luxembourgeoises allaient prendre pour argent comptant votre orientation sexuelle et que vous ne vous êtes par conséquent aucunement efforcé de fournir des détails et exemples cruciaux pour étayer vos déclarations. Ainsi, votre prétendue homosexualité ne repose que sur vos propres allégations, qui ne sauraient être crédibles alors qu'elles sont très générales, vagues et impersonnelles, ce qui ne saurait refléter la situation d'une personne qui est réellement homosexuelle.
En effet, cette facette fictive de votre homosexualité s'impose notamment étant donné qu'il ressort à aucun moment de la lecture de votre entretien ministériel que vous auriez eu une relation amoureuse et sentimentale stable avec un homme au cours de votre vie. Certes, vous expliquez que vous auriez été en couple avec le dénommé Monsieur (B) pendant quatre ans, mais force est de relever que vous n'êtes à aucun moment en mesure de parler de cette relation autrement que par le biais de « sex ». En effet, lorsque l'agent ministériel aborde votre relation en vous posant des questions personnelles et précises, vous restez évasif tout en vous limitant à rapporter votre couple à une relation de « sex » et sans ne jamais partager une anecdote ou histoire personnelle que vous auriez vécu avec votre amant, comme par exemple un bon souvenir que vous garderiez de cette période.
3A cet égard, il convient notamment d'avancer quelques exemples non-exhaustifs.
Questionné par l'agent ministériel « when was the first time you got close physically ? » vous répondez brièvement « In the summertime, we were preparing for the exams ». Toujours dans ce sens, lorsque l'agent vous interroge et vous demande de décrire votre relation avec Monsieur (B) et vos sentiments à son égard, vous indiquez de manière totalement désintéressé « we love each other ; we do all the things, meaning sex » tout comme encore « We were friends and also did sex » et encore et toujours « He was my friend (…) I had sex with him ». Or, une telle anecdote ne retrace manifestement aucune affection ou encore émotion qu'une personne pourrait ressentir au quotidien durant sa relation depuis 2015.
En outre, vous n'êtes pas non plus en mesure d'apporter une quelconque preuve tangible qui permettrait d'établir votre prétendue relation homosexuelle ou encore qu'Monsieur (B) existerait vraiment et que votre prétendue relation ne provient pas de votre pure imagination. Au contraire, lorsque l'agent ministériel vous questionne à cet égard, vous répondez de manière négative et non constructive en précisant que vous n'auriez aucune preuve à fournir concernant votre relation et que vous ne seriez plus en contact avec ledit Monsieur (B).
Or, il n'est tout simplement pas crédible que vous ne disposeriez pas d'une seule photo, voire d'un courriel ou encore d'un SMS de la personne avec laquelle vous auriez prétendument entretenu une relation amoureuse pendant quatre an. Cela d'autant plus que, de nos jours, on peut s'attendre à ce que ce genre d'éléments soient faciles à apporter alors que de nombreuses informations sont sauvegardés sur les différents outils électroniques dans notre société actuelle, comme par exemple le cloud, le drive, whatsapp, etc. Il est à plus forte raison loisible d'attendre de votre part une quelconque preuve concernant votre relation avec Monsieur (B), alors que vous affirmez que vous auriez d'abord été amis avant d'être amants, de sorte que vous semblez manifestement avoir passé beaucoup de temps avec cette personne. Cependant et contrairement à ce qui est attendu de votre part, vous préférez vous borner à dire que vous auriez perdu tout contact avec Monsieur (B) depuis votre fuite et que vous n'auriez plus jamais essayé d'entrer en contact avec lui (p.8/17 et 12/17 du rapport d'entretien) Toujours concernant votre supposée orientation sexuelle, force est de noter que vous expliquez au sujet de l'incident qui vous aurait poussé à quitter votre pays d'origine de manière fébrile et vague que la mère d'Monsieur (B) vous aurait surpris en plein acte sexuel dans le salon de sa maison, alors que vous auriez « oublié » de fermer la porte à clef. Or, Monsieur, il est curieux de relever que vous dites également avoir toujours fait très attention en vous cachant dans des endroits adaptés pour vos rapports sexuels et ce pendant les quatre années de votre relation. Ainsi, il n'est pas crédible que vous auriez donc eu un tel rapport sexuel dans le salon de la maison familiale d'Monsieur (B) en oubliant de fermer la porte, tout en sachant que la famille d'Monsieur (B) aurait pu entrer à n'importe quel moment et découvrir votre relation.
Cela est d'autant plus incroyable alors même que vous affirmez avoir eu des nombreux autres endroits où vous vous auriez pleinement dévouer à vos actes sexuels et où personne ne vous aurait trouvé (p.6/17 et p.11-12/17 du rapport d'entretien). Par conséquent, il convient de sérieusement remettre en doute la crédibilité de cet incident et la cause sous-tendant celui-ci en soulignant que vous cherchez tout simplement à vous faire passer pour une victime, ce qui n'est nullement votre cas.
En dehors de ces informations compromettantes pour votre crédibilité concernant votre 4orientation sexuelle, il y a lieu de noter que même vos connaissances concernant le cadre législatif en vigueur au Pakistan ne sauraient emporter conviction compte tenu de vos allégations vagues voire inexistantes. En effet, il est complètement inconcevable qu'une personne qui se prétend être homosexuelle depuis ses seize ans ne connaisse pas le cadre législatif en vigueur et la situation des personnes homosexuelles dans son pays d'origine en se bornant à répéter « It's not allowed (…) I don't know exactly » (p.14/17 du rapport d'entretien).
Pareil conclusion s'impose concernant le fait de ne pas savoir si différentes associations sont actives ou non sur le terrain au sujet de la protection des droits des personnes homosexuelles (p.14/17 du rapport d'entretien), alors que des affirmations aussi peu corroborées ne sauraient aucunement jouer en votre faveur, et ce d'autant plus qu'il existe des réseaux d'information et de défense LGBTQI+ au Pakistan. Dans ce sens « Presque chaque municipalité dispose de réseaux LGBT, souvent informels ou secrets car ils ne veulent pas être connus publiquement. En général, dans chaque ville, vous trouverez quelques grandes organisations et plusieurs petites organisations à base communautaire. Ils traitent du plaidoyer et de la sensibilisation dans la vie quotidienne et des droits des personnes LGBT. Ils assurent également la liaison avec le ministère de la santé et le département de la protection sociale et participent à la rédaction des lois. En outre, le programme national de contrôle du sida est présent dans chaque ville, ce qui contribue également à la protection ».
Ainsi, force est de constater que vous n'avez à aucun moment recherché ou ne serait-ce tenté d'entrer en contact avec lesdites associations au Pakistan, ce qu'une personne réellement homosexuelle aurait assurément fait ou du moins essayé de faire. A cela s'ajoute également que depuis votre arrivée au Luxembourg vous n'avez à aucun moment recherché à nouer contact avec la communauté LGBTQI+ au Luxembourg, en vous empêtrant dans une explication farfelue sans queue ni tête (p.9/17 du rapport d'entretien).
Finalement, mais toujours concernant la crédibilité de votre orientation sexuelle, vous expliquez que vous auriez déjà été attiré par des hommes avant votre relation avec Monsieur (B) en précisant « I also had sex one or two times » (p.8-9/17 du rapport d'entretien) afin d'illustrer le cheminement intérieur de la prise de conscience de votre attirance pour les hommes. Or, à nouveau, vos propos restent très généraux et ne sont soutenus par aucun détail spécifique et personnel hormis une référence au « sex ».
Ainsi, au vu de tous les éléments qui précèdent, il découle clairement de l'analyse de votre dossier administratif que vous n'êtes pas homosexuel contrairement à ce que vous tentez de faire croire aux autorités luxembourgeoises, de sorte qu'il est évident que vous avez inventé cette histoire de toute pièce dans le but d'aggraver votre situation et d'augmenter vos chances d'obtenir une protection internationale.
Deuxièmement, force est de noter qu'il est légitime d'attendre de votre part, en tant que personne prétendument homosexuelle et dont la vie aurait été chamboulée suite à la découverte de son orientation sexuelle, que vous soyez du moins en mesure de vous rappeler exactement du jour, du mois et de l'année de l'incident qui aurait bouleversé votre vie.
Or, force est de constater que tel n'est manifestement pas le cas en l'espèce, alors que vous avancez dans les grandes lignes que l'incident aurait eu lieu en « 2019 », sans pouvoir explicitement préciser une date concrète. Force est d'ailleurs de noter que vous avancez ensuite que l'incident aurait eu lieu en février 2019, date dont vous n'êtes pourtant pas certain (p.6/17 du rapport d'entretien).
5 Ainsi, Monsieur, cela ne saurait une nouvelle fois pas appuyer la crédibilité de cet incident et par conséquent la crédibilité de votre orientation sexuelle, alors qu'il est assurément normal d'attendre de votre part que vous vous rappeliez d'une telle date, qui rappelons-le, aurait changé toute votre vie et vous aurait poussé à quitter votre pays d'origine.
Dans cette même lignée, vous êtes également incapable de retracer clairement et logiquement votre trajet de fuite depuis votre pays d'origine, alors que vous expliquez à maintes reprises avoir effectué les trajets à pied. Or, les distances en km ne correspondent pas avec les heures de marche que vous avancez. En effet, force est de relever que vous dites avoir fait le trajet de Quetta jusqu'à la frontière iranienne à pied en sept ou huit heures, or, comme l'agent ministériel le soulève il y aurait approximativement 600 km, ce qui ne peut clairement pas être effectué à pied pendant le temps imparti que vous avancez (p.14/17 du rapport d'entretien). Ne sachant plus quoi répondre lorsque l'agent vous interpelle à cet égard, vous changez de version et dites finalement qu'un bus vous aurait emmené au plus proche de la frontière pour traverser uniquement le poste de frontière à pied.
En outre, force est de relever que vous expliquez avoir créé votre profil Facebook … lors de votre arrivée au Luxembourg, c'est-à-dire en décembre 2021. Or, vous revenez sur vos propos en affirmant en réalité avoir créé votre profil « 38 days before I received the pink paper » (p.12/17 du rapport d'entretien). Vous auriez reçu ledit : « papier rose » le 1er décembre 2021, de sorte qu'en faisant le calcul vous auriez donc créé votre compte Facebook plus ou moins aux alentours du 24 octobre 2021, ce qui correspond à une publication retrouvée sur votre compte Facebook et où vous vous trouvez dans les rues du Luxembourg, alors que des plaques d'immatriculation de voitures luxembourgeoises y sont visibles. Ainsi, Monsieur, force est de sérieusement s'interroger pour quelles raisons vous auriez attendu aussi longtemps avant d'introduire votre demande de protection internationale au Luxembourg, notamment 38 jours, alors qu'il s'agit d'un délai considérable, en notant que vous auriez été potentiellement en danger dans votre pays d'origine. Un tel comportement aussi passif et ignorant ne saurait donc emporter aucune persuasion concernant vos motifs de fuite.
Dans cette même lignée, le manque manifeste de crédibilité de votre récit se traduit encore par votre comportement affiché depuis votre arrivée en Europe, alors qu'une telle attitude ne correspond vraisemblablement pas à celle d'une personne qui se sent réellement en danger dans son pays d'origine. En effet, on peut attendre d'une personne réellement persécutée et à la recherche d'une protection qu'elle introduise une demande de protection internationale dans le premier pays sûr rencontré et dans les plus brefs délais, contrairement à vous, qui avez traversés une panoplie de pays européens sans y rechercher une forme de protection quelconque et sans ne jamais introduire de demande de protection internationale ni en Grèce, ni en Macédoine du Nord, ni en Serbie, ni en Bosnie-Herzégovine, ni en Croatie, ni en Slovénie, ni en Italie et ni en France (p.2/2 du rapport du Service de Police Judiciaire ; p.5/17 du rapport d'entretien). Votre comportement ne reflète donc clairement pas celui d'une personne homosexuelle, qui serait recherchée et poursuivie dans son pays d'origine et qui risquerait à tout moment d'être tuée comme vous souhaitez le faire croire aux autorités luxembourgeoises.
Au contraire, il apert que, lors de votre traversé de l'Europe, vous auriez plutôt orienté votre choix d'introduction de demande vers le Luxembourg, alors que vous voudriez vivre « in a free country, in a free atmosphere and [because] I came to know that the king of Luxembourg likes gays » (p.5/17 du rapport d'entretien). Or, il convient de relever qu'en tant que demandeur 6de protection internationale, vous n'êtes ni censé, ni autorisé à opérer un choix par rapport au pays d'introduction de votre demande pour vous installer là où cela vous conviendrait le mieux, ce qui est pourtant clairement votre cas en l'espèce. Partant, il est indéniable que vous avez pratiqué du forum shopping en soumettant votre demande dans l'Etat qui vous semblait personnellement le plus favorable et qui satisfait au mieux vos attentes, alors que vous auriez traversé la Grèce, la Macédoine du nord, la Serbie, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Slovénie, l'Italie et la France avant de rejoindre le Luxembourg Troisièmement, il convient de relever que vous affirmez ne pas avoir été à même de vous installer dans une autre partie de votre pays d'origine, alors que vous dites que le conseil local de votre village, le « … » vous aurait assurément retrouvé dans tout le pays (p.14-15/17 du rapport d'entretien). Or, un telle affirmation ne saurait être crédible, alors que le Pakistan est un pays immense dont la superficie aborde les 803.940 km2 et le place au rang mondial du 34e pays le plus grand en terme de superficie. De plus, le Pakistan compte également pas moins de 247 millions d'habitants et est divisé en quatre provinces, de sorte qu'il aurait largement été possible pour vous de vous réinstaller dans votre pays d'origine et de recommencer une nouvelle vie loin de vos problèmes et loin de votre village sans que le conseil local vous retrouve.
Dans cette même lignée, il n'est pas non plus crédible que, d'une part, vous affirmiez ne pas pouvoir solliciter une quelconque forme d'aide auprès des autorités de votre pays étant donné que vous auriez peur que les autorités pakistanaises découvrent votre supposée homosexualité (p.15/17 du rapport d'entretien), mais, que d'autre part, vous êtes capable de solliciter une carte d'identité auprès d'un consulat ou d'une ambassade pakistanaise.
De plus, il convient de remarquer que vous auriez fait la démarche pour obtenir votre carte d'identité après l'introduction de votre demande de protection internationale et que vous avez même renseigné des informations personnelles de vous comme par exemple votre adresse au Luxembourg. Vous vous êtes donc sans problème tourné vers les autorités de votre pays, de sorte que vous ne craignez donc manifestement aucune représailles de leurs part. En effet, une personne qui craint réellement d'être tué dans son pays d'origine et qui plus est en raison de sa prétendue orientation sexuelle formellement interdite ne se serait manifestement jamais permise de faire une telle démarche auprès des autorités de son pays si elle avait eu peur qu'on découvre son orientation sexuelle. Dès lors, on ne saurait aucunement croire à votre récit ou même croire au fait que vous soyez à risque en cas de retour dans votre pays d'origine.
Partant, votre récit n'étant pas crédible, aucune protection internationale ne vous est accordée.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.
Suivant les dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination du Pakistan, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 septembre 2023, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision ministérielle du 22 août 2023 portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et, d’autre part, 7de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 22 août 2023 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 22 août 2023, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en réitérant, en substance, ses déclarations, telles qu’actées lors de son audition par un agent du ministère.
Le demandeur rappelle ensuite l’importance du principe du bénéfice du doute et critique les arguments du ministre selon lesquels ses déclarations relatives à son orientation sexuelle ne seraient pas crédibles.
Dans ce contexte, il explique que, contrairement aux affirmations du ministre, il n’aurait pas été en mesure de décrire sa relation autrement qu’en déclarant « we had sex », alors que certaines personnes n’auraient besoin que d’un seul mot pour expliquer leur orientation sexuelle. A ce titre, il se réfère à un article publié le 13 février 2019 sur le site internet « www.lavieenqueer.wordpress.com », intitulé « Orientation sexuelle et orientation romantique ».
Il précise que le ministre devrait tenir compte du fait que, dans son pays d’origine, « le simple fait d’avoir des relations sexuelles avec une personne du même sexe serait considéré comme de l’homosexualité », et cite, à cet égard, l’article 10 de la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts.
Il explique qu’une personne homosexuelle dans son pays d’origine serait exposée à l’oppression, à la violence et aux menaces de la société pakistanaise, en s’appuyant sur les conseils aux voyageurs à destination du Pakistan publiés sur le site internet « www.diplomatic.belgium.be ».
Il souligne qu’il aurait vécu toute sa vie dans une société homophobe et explique que le simple fait d’avoir une relation sexuelle avec une personne de même sexe serait passible du bannissement familial, d’emprisonnement, voire de la peine de mort, et se réfère à cet égard à un article publié le 29 octobre 2018 sur le site du journal « Quotiden », intitulé « Être homosexuel au Pakistan : honte, terreur et dissimulation ».
Il se réfère à un article publié sur « www.santemagazine.fr », selon lequel l’orientation sexuelle serait une création culturelle, tout en soulignant que l’homosexualité ne pourrait être associée qu’au sexe ou aux relations sexuelles entre personnes du même sexe.
8Il reproche au ministre d’avoir fait abstraction du contexte dans lequel il aurait entretenu sa relation avec le dénommé « Monsieur (B) ». Dans ce contexte, il précise en substance qu’il appartiendrait au ministre de prendre en compte les recommandations du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (« UNHCR ») afin d’évaluer la cohérence de son récit.
Le demandeur souligne, en substance, que les personnes appartenant à la communauté LGBTQI seraient persécutées au Pakistan, de sorte qu’elles se protégeraient en s’abstenant de révéler des éléments essentiels de leur vie, tout en se référant dans ce contexte à un article publié le 22 novembre 2022 sur « Observatoire des inégalités » intitulé « Dans 69 pays sur 193, l’homosexualité est interdite » et à un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 2 décembre 2014.
A cet égard, il précise que contrairement au « contexte luxembourgeois », suivant lequel une personne conserverait des photos, des courriels et des SMS avec son amant, ce ne serait pas le cas au Pakistan.
Il réfute finalement l’argument du ministre selon lequel il n’aurait pas déposé de demande de protection internationale dans les pays qu’il aurait traversés pour se rendre au Luxembourg, en soulignant que l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015 ne fixerait pas de délai pour le dépôt d’une demande de protection internationale, de sorte qu’il serait libre d’introduire sa demande lorsqu’il se sentirait prêt à le faire.
Il en conclut que le ministre aurait conclu à tort que son récit ne serait pas crédible, de sorte que la décision déférée devrait être réformée.
Par ailleurs, le demandeur se réfère aux articles 2 h) et f) de la loi du 18 décembre 2015 pour affirmer que l’orientation sexuelle entrerait dans le champ d’application de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après dénommée la « Convention de Genève ».
Il explique, en substance, que selon l’UNCHR, les persécutions pourraient « être le fruit d’une pratique sociale ou d’une loi ». Il précise, à cet égard, que le Pakistan connaîtrait des dispositions légales incriminant l’homosexualité, ce qui l’empêcherait de trouver refuge dans une autre région du pays. Dans ce contexte, il précise qu’il aurait été rejeté par sa communauté et qu’il aurait été forcé par son clan de partir et de ne plus jamais revenir. Il souligne encore qu’il serait livré à lui-même, n’ayant pas accès à la protection des autorités nationales.
Il en conclut qu’il remplirait les conditions prévues à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, en raison de son appartenance à un certain groupe social.
Quant à la protection subsidiaire, il cite l’article 4.3 de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ci-après désignée par la « directive 2011/95/UE », et estime remplir les conditions prévues aux articles 2 g) et 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015.
9Il estime encore remplir les conditions prévues à l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, en soulignant que le Pakistan serait « tellement instable » qu’il y régnerait une violence contre les homosexuels.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la loi 18 décembre 2015 comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».
Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :
« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou 10b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :
« […] a) l’Etat;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».
Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.
11Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
Il se dégage à ce propos du libellé de la décision déférée que le ministre est arrivé à la conclusion que le récit de Monsieur (A) ne serait pas crédible dans son ensemble.
A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves.1 En l’espèce, le tribunal partage les doutes du ministre quant à la crédibilité du récit du demandeur.
Le tribunal relève que le demandeur a expliqué avoir quitté le Pakistan parce qu’il ne s’y sentirait plus en sécurité, notamment au motif qu’il y risquerait d’être tué par les autorités pakistanaises en raison de sa relation homosexuelle avec le dénommé « Monsieur (B) ».
Dans ce contexte, le tribunal constate que les déclarations du demandeur relatives à sa relation avec le dénommé « Monsieur (B) », non appuyées par une quelconque pièce, sont essentiellement vagues et générales, voire évasives et non circonstanciées.
En effet, alors même que Monsieur (A) a déclaré avoir entretenu une relation avec le dénommé « Monsieur (B) » pendant une durée d’environ quatre ans, à savoir de 20152 à 20193, le tribunal constate que malgré les invitations de l’agent ministériel en charge de son audition de décrire sa relation avec le dénommé « Monsieur (B) », le demandeur s’est borné à la décrire en des termes vagues et généraux comme étant une relation purement sexuelle, en affirmant :
1 Trib. adm. 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 140 et les autres références y citées.
2 Rapport d’entretien, page 7 : « […] When did you meet Monsieur (B) for the first time? In school somewhere in the beginning of 2015. You said you were involved with him. What do you mean by that? We were in the same class, class 8. Then we became friends slowly. And involved means doing sex with each other. […] ».
3 Rapport d’entretien, pages 5 et 12 : « […] Date of departure from your country of origin: The second month 2019. […] Is Monsieur (B) your friend on Facebook? Since I left Pakistan, I don't have contact with him. […] ».
12« […] We love each other; we do all the things, meaning sex […] »4, tout en ajoutant : « […] We were friends and also did sex […] »5 et : « […] He was my friend then we became best friends and developed a good relationship. I had sex with him. […] »6.
En outre, en réponse à la question de savoir comment sa relation avec le dénommé « Monsieur (B) » avait évolué jusqu’au moment de leur relation sexuelle, le demandeur s’est borné à expliquer, toujours en des termes vagues et généraux, avoir entamé une relation sexuelle après être devenu l’ami de ce dernier : « […] We became best friends and then we started doing sex […]7 ».
Dans ce contexte, le tribunal retient que si le demandeur avait réellement entretenu une relation amoureuse avec le dénommé « Monsieur (B) », il aurait dû être en mesure de fournir de plus amples détails quant à cette relation et, notamment, quant à la personnalité de son partenaire, à ses sentiments à l’égard de ce dernier et aux circonstances dans lesquelles leur relation a évolué dans le temps, en étayant son récit par plusieurs événements concrets ayant marqué leur vie de couple - alors que la relation a perduré pendant une période d’environ 4 années -, ce qu’il n’a cependant pas fait.
Par ailleurs, à la question de savoir s’il avait des photos du dénommé « Monsieur (B) », il s’est contenté de répondre : « […] No because I had a simple cell phone over there. […] »8.
Au vu des constatations faites ci-avant, et compte tenu des lacunes flagrantes dans les détails, incompatibles avec une relation réellement vécue, le tribunal conclut, face aux contestations de la partie étatique, que le récit de Monsieur (A) ayant trait à la relation qu’il prétend avoir eue avec le dénommé « Monsieur (B) » n’est pas crédible.
Le tribunal constate encore qu’à la question de savoir s’il avait connaissance du cadre législatif relatif aux personnes homosexuelles dans son pays d’origine, le demandeur s’est limité à déclarer : « […] It's not allowed […] »9, en ajoutant : « […] No, I don't know exactly […] »10. Dans ce même ordre d’idées, le tribunal constate encore qu’interrogé sur l’existence d’associations défendant les intérêts des personnes homosexuelles au Pakistan, le demandeur a simplement déclaré : « […] No, I don't know […] »11. Dans ce contexte, le tribunal retient 4 Rapport d’entretien, page 7 : « […] You told sometimes he came to vou and sometimes vou went to his village.
How would you describe your relationship with him? We love each other; we do all the things, meaning sex.
[…] ».
5 Rapport d’entretien, page 7 : « […] Other then sex, what did you do with him ? We were friend and also did sex. […] ».
6 Rapport d’entretien 10 : « […] You said_you were in love with Monsieur (B). What does that mean for you? He was my friend then we became best friends and developed a good relationship. I had sex with him. […] ».
7 Rapport d’entretien, page 7 : « […] You told me he was your friend at first. How did your relationship evolve to get to the point of having sex with each other? We became best friends and then we started doing sex with each other. He had a cell phone, we watched videos. […] ».
8 Rapport d’entretien, page 11 : « […] Do you have pictures of Monsieur (B)? No because I had a simple cell phone over there. […] ».
9 Rapport d’entretien, page 14 : « […] You said that according to religion homosexuality is not permitted, what about the law in Pakistan do you know it? It's not allowed. […] ».
10 Rapport d’entretien, page 14 : « […] Do you know what the law says regarding homosexuality? No, I don't know exactly. […] ».
11 Rapport d’entretien, page 14 : « […] Did you seek contact with associations defending the homosexuals in Pakistan? No. Do you know if such associations exist? No, I don't know. […] ».
13que Monsieur (A), prétendant être attiré par des hommes depuis l’année 201512 et surtout, ayant déclaré avoir rencontré en secret le dénommé « Monsieur (B) »13, devrait connaître les lieux de rencontre dédiés à la communauté LGBTQI, sinon les associations LGBTQI au Pakistan.
Il suit des considérations qui précèdent que la crédibilité du récit du demandeur en relation avec son orientation sexuelle est ébranlée dans son ensemble. Ainsi, le demandeur ne saurait, sur base de ce même récit, valablement prétendre à l’octroi d’un statut de protection internationale.
Concernant l’hypothèse de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015 relative aux violences aveugles dans le cadre d’un conflit armé interne ou international, force est de relever qu’il ne se dégage pas des pièces versées par le demandeur qu’au Pakistan, la situation serait actuellement telle qu’elle répondrait aux critères d’une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne ou international au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, précitée.
Il suit des développements faits ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande de protection internationale de Monsieur (A), de sorte que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.
2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 22 août 2023 portant ordre de quitter le territoire, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Le demandeur sollicite l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, alors que son éloignement vers le Pakistan constituerait une violation manifeste de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, désignée ci-après par la « CEDH ».
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas 12 Rapport d’entretien, page8 : « […] When did vou feel that you were attracted to men? When I started growing up to the age of adult sense. It was somewhere in class seven. When was the first time you had an experience with a boy? The first time was in the beginning of 2015. […] ».
13 Rapport d’entretien, pages 8 et 10 : « […] You stated that according to your religion what vou did is not permitted; it's considered a bad act. So what did vou think of that feeling vou had and is Iinked to something that is not allowed? I could not control myself, and we did not do the sex openly, we did it in secret places, hiding it. At that time, I was not aware that it might cause threats to my life. […] Why would you hide before that if you thought it was normal? I wanted to say that I was doing this in hiding and thought it would remain secret and not cause problems to me. But 1 was aware of the fact this is not permitted in the region. […] Your relationship with Monsieur (B) lasted almost 4 vears. Did you do anything in particular to hide your relationship? We always did the sex secretly, hiding. […] ».
14expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Or, dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour du demandeur dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution, ni à des atteintes graves, le ministre a valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, sans violer l’article 3 de la CEDH, tel qu’invoqué par Monsieur (A).
Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 22 août 2023 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 22 août 2023 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 février 2025 par :
Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Michel THAI, juge, en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Daniel WEBER 15