Tribunal administratif N° 52288 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52288 2 e chambre Inscrit le 27 janvier 2025 Audience publique du 24 février 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52888 du rôle et déposée le 27 janvier 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Lukman ANDIC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Arabie Saoudite) et être de nationalité malienne, connu sous l’alias (A), né le … à … (Mali), de nationalité malienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 10 janvier 2025 de le transférer vers la France comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 janvier 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Matthieu WERNOTH, en remplacement de Maître Lukman ANDIC, et Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 février 2025.
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Le 30 septembre 2024, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à une consultation dans la base de données VIS, qu’il était titulaire d’un visa délivré par les autorités françaises, valable du 29 juillet au 8 octobre 2024.
En date du 7 octobre 2024, Monsieur (A) fut encore entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre 1 responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Le 21 octobre 2024, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues français une demande de prise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 12 (2) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par ces derniers en date du 19 décembre 2024 sur le fondement de l’article 12 (1) du même règlement.
Par décision du 10 janvier 2025, notifiée à l’intéressé en mains propres le 22 janvier 2025, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », informa Monsieur (A) que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers la France sur base de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 12 (1) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 30 septembre 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 12(1) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la France qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains le rapport de Police Judiciaire du 30 septembre 2024 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 7 octobre 2024.
1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 30 septembre 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.
La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac n'a révélé aucun résultat.
Il résulte cependant des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que la France vous a délivré un visa, valable du 29 juillet 2024 jusqu'au 8 octobre 2024.
Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 7 octobre 2024.
Sur cette base, une demande de prise en charge en vertu de l'article 12(2) du règlement 2 DIII a été adressée aux autorités françaises en date du 21 octobre 2024, demande qui fut acceptée par lesdites autorités françaises en date du 20 décembre 2024, sur base de l'article 12(1) du règlement DIII.
2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.
L'article 12(1) du règlement DIII dispose que, si le demandeur est titulaire d'un titre de séjour en cours de validité, l'Etat membre qui l'a délivré est responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).
3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort de l'article invoqué par les autorités françaises dans leur accord par rapport à la prise en charge de votre demande de protection internationale du 20 décembre 2024 que vous êtes en possession d'un titre de séjour français en cours de validité.
Selon vos déclarations, vous auriez quitté votre pays d'origine en avion en direction de Paris/France avec une escale à Abidjan/Côte d'ivoire en date du 24 août 2024. Alors que vous auriez reçu une invitation par la France afin de participer aux Jeux Paralympiques à Paris en tant qu'athlète malien, vous ne seriez pas sûr si vous aviez obtenu un visa français avant votre entrée sur le territoire des Etats membres vers la France en date du 25 août 2024. Au cours des Jeux Paralympiques, vous auriez vécu dans le Village olympique, mais lorsque celui-ci a été fermé à la fin des événements sportifs, vous vous seriez retrouvé dans la rue. En outre, pendant votre séjour à Paris, votre sac contenant votre passeport aurait été volé dans le métro.
Etant donné que vous auriez déjà souhaité venir au Luxembourg avant vote départ de votre pays d'origine, vous auriez finalement quitté la France afin de rejoindre le Luxembourg en bus, le 27 septembre 2024.
3 Monsieur, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la France qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Rappelons à cet égard que la France est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).
Il y a également lieu de soulever que la France est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Soulignons en outre que la France profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.
Par conséquent, la France est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.
Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de I'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la France sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en France revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.
torture.
Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en France, d'introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités françaises ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes françaises, notamment judiciaires.
Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.
Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection 4 internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l'exécution du transfert vers la France, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers la France, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers la France en informant les autorités françaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités françaises n'ont pas été constatées. […].
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 janvier 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle, précitée, du 10 janvier 2025.
Etant donné que l’article 35 (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28 (1) de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en l’espèce, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Prétentions des parties A l’appui de son recours et au-delà des faits et rétroactes retranscrits ci-dessus, le demandeur explique être un athlète ayant participé aux Jeux paralympiques à Paris et s’être retrouvé sans domicile fixe et dans une situation de grande précarité à l’issue des jeux au cours desquels il aurait bénéficié d’un hébergement au sein du village paralympique. Il précise encore avoir été victime d’un vol à Paris et qu’à cette occasion son passeport lui aurait été dérobé.
En droit, il se prévaut, en premier lieu, d’une violation de l’article 3 (2) du règlement Dublin III. En se référant à un arrêt du Conseil du contentieux des étrangers belge qui aurait conclu en mars 2024 à l’existence de défaillances systémiques dans le dispositif d’accueil des demandeurs de protection internationale en France et à des « chiffres issus d’Eurostat et de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) » dont il se dégagerait qu’au 31 5 mars 2024, plus de 46.000 personnes en demande d’asile en France y auraient été privées des conditions matérielles d’accueil, le demandeur conteste l’affirmation du ministre suivant laquelle la France bénéficierait de la confiance mutuelle entre Etats membres et qu’elle respecterait ses obligations internationales, tout en s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne ci-après désignée par la « CJUE », suivant laquelle il ne s’agirait là que d’une présomption réfragable. Après avoir renvoyé à un extrait d’un article publié en ligne, sans toutefois en indiquer la source, qui serait intitulé « Demandeurs d’asile :
Derrière les "défaillances systémiques" du dispositif d’accueil français, il y a un refus d’adopter des solutions pragmatiques », il fait plus particulièrement valoir qu’il serait, au contraire, de notoriété publique que des difficultés persisteraient en France en termes d’accès à la procédure d’asile et que près d’un quart des demandeurs de protection internationale y seraient privés des conditions matérielles d’accueil. Il renvoie, dans ce contexte, encore à un article publié par l’association Forum Réfugiés, intitulé « L’asile en France et en Europe. Etat des lieux 2022 ; Action contre la faim, Précarité extrême et faim : l’enfer des demandeurs d’asile en France », à un article publié le 14 février 2022 sur le site actioncontrelafaim.org, intitulé « Précarité extrême et faim : l’enfer des demandeurs d’asile en France », à un article publié le 10 décembre 2021 sur le site federationsolidarite.org, intitulé « Les oubliés du droit d’asile. Enquête sur les conditions de vie et l’accès aux droits des exilés fréquentant 5 structures d’accueil à Paris », et enfin à un article qui aurait été publié le 22 janvier 2025 sur le site du Journal du Dimanche - sans toutefois qu’un lien hypertexte afférent ne soit repris dans la requête -, et dont il se dégagerait que la France aurait tenté d’offrir des bourses aux migrants pour limiter leur nombre sur le territoire français.
Au vu de ces considérations, le demandeur estime qu’il devrait être raisonnablement présumé qu’en cas de transfert en France, il se retrouverait dans des centres dont les conditions matérielles d’accueil seraient décriées par la presse et les organismes actifs dans le domaine de l’asile.
Il se prévaut ensuite d’une violation par la décision ministérielle querellée de l’article 17 (1) du règlement Dublin III en faisant valoir que le ministre n’aurait pas pris en compte le fait qu’en tant que jeune majeur, il ne serait pas considéré comme étant prioritaire pour l’attribution d’un lieu d’hébergement par les autorités françaises et ce au motif que la politique de la France privilégierait les personnes plus vulnérables, notamment les personnes gravement malades, les familles et les mineurs. Il en déduit qu’il risquerait de se retrouver à la rue, à l’instar de ce qui aurait été le cas à la fin des Jeux paralympiques, ou bien de devoir vivre dans un squat ou un campement illégal, et donc, en tout état de cause, d’être soumis à des conditions de vie similaires à des traitements contraires aux articles 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par la « CEDH », et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par la « Charte ».
En dernier lieu, le demandeur se prévaut d’une violation isolée de l’article 3 de la CEDH, en se référant à un arrêt de la CJUE à ce sujet et en soutenant que les « informations de sources publiques » qu’il a invoquées à l’appui de son recours démontreraient à suffisance qu’en cas de transfert vers la France, il encourrait un risque réel et sérieux d’être exposé à des traitements inhumains et dégradants contraires audit article 3 de la CEDH. En se référant à un article et deux rapports traitant de la situation des personnes atteintes, comme lui, d’albinisme, il met encore plus particulièrement en avant les problèmes « en matière de droits humains » auxquels feraient face ces personnes, notamment lorsqu’elles se trouvent en situation de déplacement. Il se réfère, par ailleurs à un article de Radio France Internationale en juillet 2024 6 au sujet de la situation d’un jeune Malien ayant été expulsé du territoire français « faute de titre de séjour valide alors même qu’il aurait vécu toute son existence en France », ainsi qu’à un rapport du United States Department of State de 2020 sur la situation des droits humains au Mali dont il se dégagerait plus particulièrement que les personnes atteintes d’albinisme y feraient l’objet de discriminations et pourraient y être victimes d’agressions.
Il en conclut que même en l’absence de défaillances systémiques en France, il existerait néanmoins une probabilité qu’il se retrouve dans des conditions inhumaines immédiatement après son transfert puisque le soutien que lui procureraient les autorités françaises ne serait que limité dans le temps et qu’il risquerait d’être expulsé vers le Mali, pays qu’il aurait fui pour se mettre en sécurité. Dans ces conditions, il devrait être admis que la France ne serait pas en mesure de lui garantir l’exercice effectif de ses droits fondamentaux, tels que le droit à la vie, à la sécurité et à la non-discrimination.
Appréciation du tribunal L’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que : « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
L’article 12 (1) du règlement Dublin III sur le fondement duquel la décision litigieuse a été notamment prise dispose, quant à lui, que : « […] Si le demandeur est titulaire d’un titre de séjour en cours de validité, l’Etat membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. ».
Il est, en l’espèce, constant en cause que la décision litigieuse a été adoptée par le ministre en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 12 (1) du règlement Dublin III, au motif que ce ne serait pas le Luxembourg qui serait compétent pour le traitement de la demande de protection internationale présentée par Monsieur (A), mais la France. Etant donné qu’il n’est pas contesté, pour se dégager, par ailleurs, du dossier administratif, que lors de l’introduction de sa demande de protection internationale au Luxembourg, le demandeur était titulaire d’un visa délivré par les autorités françaises valable du 29 juillet au 8 octobre 2024 et qu’en date du 19 décembre 2024, les autorités françaises ont accepté de prendre l’intéressé en charge sur le fondement de l’article 12 (1) du règlement Dublin III, c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers la France et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.
En l’espèce, le demandeur, qui ne conteste pas la compétence de principe de la France, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois pour traiter sa demande 7 de protection internationale, invoque l’existence, en France, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale au sens de l’article 3 (2) du règlement Dublin III, ainsi que, de manière plus générale, le risque d’y subir des traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 3 de la CEDH en cas de transfert, le demandeur critiquant encore le fait que le ministre n’a pas fait application de l’article 17 (1) du règlement Dublin III.
A cet égard, le tribunal précise que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande, sont prévues, d’une part, par l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17 (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.
L’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III prévoit ce qui suit : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».
Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte - corollaire de l’article 3 de la CEDH.
La situation visée par ledit article 3 (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé1.
A cet égard, le tribunal est amené à relever que la France est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a 1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.
8 encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3.
Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4.
Dans un arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile5, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.
Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives6, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE7, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20178.
Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.
3 Ibidem, point. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.
4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.
5 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.
6 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.jurad.etat.lu.
7 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.
8 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.
9 19 mars 20199 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3 (2), alinéa 2, précité, du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine10. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant11.
En l’espèce, le demandeur remettant en question cette présomption du respect par la France des droits fondamentaux, puisqu’il fait état de défaillances systémiques dans ce pays, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser en présentant des éléments permettant de retenir que la situation en France, telle que décrite par lui, atteint le degré de gravité tel que requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et par les principes dégagés ci-avant.
Le tribunal constate de prime abord que comme le demandeur n’a pas eu la qualité de demandeur de protection internationale en France, il ne saurait, en tout état de cause, se prévaloir de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en France au sens de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III qu’il aurait personnellement pu y rencontrer. C’est à cet égard en vain qu’il semble plus particulièrement reprocher aux autorités françaises de ne pas lui avoir fourni une possibilité de logement à la fin de sa participation en tant qu’athlète aux Jeux paralympiques, étant donné que faute d’avoir introduit une demande de protection internationale dans ce pays, le demandeur n’a eu, au cours de son séjour en France, que la simple qualité de ressortissant de pays tiers se trouvant sur le territoire français grâce à la délivrance d’un visa Schengen. Il ne saurait dès lors pas non plus tirer de son vécu en France une quelconque conclusion en ce qui concerne la politique française en matière de conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale.
Le tribunal relève encore que ni dans le cadre de son entretien Dublin III, ni dans le recours sous examen, le demandeur n’a fait état de problèmes particuliers qu’il aurait personnellement rencontrés en France, notamment pour y déposer une demande de protection internationale. Il se dégage, au contraire, de ses déclarations faites dans le cadre de son entretien Dublin III qu’il n’a pas introduit de demande de protection internationale en France aux motifs suivants : « Depuis qu’on m’avait informé que je parte à Paris pour les jeux paralympiques, je voulais partir au Luxembourg. C’est pour ça que je n’ai pas fait de demande de protection internationale en France. ».
9 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.
91.
10 Ibid., pt. 92.
11 Ibid., pt. 93.
10 En ce qui concerne ensuite la crainte du demandeur qu’en cas de transfert, il ne pourrait pas accéder en tant que demandeur de protection internationale aux conditions matérielles d’accueil en France, de sorte à se retrouver dans une situation de dénuement matériel extrême, il y a lieu de relever que s’il se dégage certes des publications citées dans la requête que les autorités françaises connaissent depuis plusieurs années des problèmes quant à leur politique d’asile en ce sens que certains demandeurs de protection internationale rencontrent des difficultés en termes de conditions d’accueil, il n’en reste pas moins qu’il ne s’en dégage pas qu’à l’heure actuelle tout demandeur de protection internationale ne puisse pas bénéficier en France de conditions matérielles d’accueil lui permettant de faire face à ses besoins les plus élémentaires, Monsieur (A) restant d’ailleurs en défaut de mettre d’une quelconque manière la documentation, dont il se prévaut pour invoquer l’existence dans son chef d’un risque d’être exposé à des conditions d’existence pénibles en France, en relation avec sa situation personnelle de demandeur de protection internationale devant être transféré en France dans le cadre du règlement Dublin III suite à l’acceptation expresse de sa prise en charge par les autorités dudit pays. Ce constat s’impose d’autant plus qu’outre le fait qu’il ne fait que citer le titre d’articles publiés en ligne, tout en se contentant de renvoyer, pour le surplus, à des liens hypertexte afférents, la plupart des articles en ligne auquel l’intéressé se réfère reflètent la situation telle qu’elle existait en France en 2021 et 2022.
Pour ce qui est de la mention tout à fait générale faite par le demandeur d’un arrêt du Conseil du contentieux des étrangers belges qui aurait conclu en mars 2024 à l’existence de défaillances systémiques en France, ledit arrêt, qui n’est pas versé à l’appui du recours sous analyse, ni mis en relation avec la situation concrète du demandeur, n’est, à défaut d’autres éléments, pas de nature à permettre au tribunal de conclure à l’existence en France de défaillances systémiques empêchant à l’heure actuelle le transfert de tout demandeur de protection internationale dans ce pays. Le même constat s’impose en ce qui concerne la référence, non autrement mise en relation avec la situation personnelle du demandeur, faite « aux chiffres issus d’Eurostat et de l’Office français de l’immigration et de l’intégration », mention apparemment tirée de l’article publié en ligne intitulé « Derrière les "défaillances systémiques" du dispositif d’accueil français », précité, d’après lequel au 31 mars 2024, « plus de 46 000 personnes en demande d’asile […] étaient privées » d’une domiciliation, d’un hébergement et d’une allocation minimale leur assurant un niveau de vie digne.
En tout état de cause, il y a lieu d’admettre qu’au regard du seuil de gravité fixé par la CJUE, l’argumentation du demandeur n’est, à défaut d’autres éléments, pas suffisante pour permettre de retenir de manière générale l’existence à l’heure actuelle de défaillances systémiques en France, à savoir que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale y seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 4 de la Charte, respectivement 3 de la CEDH.
Le tribunal relève également que le demandeur n’établit de toute façon pas que, de 11 manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale en France ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore qu’ils n’y auraient aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir en usant des voies de droit adéquates, étant encore relevé que le France est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève - comprenant le principe de non-refoulement y inscrit à l’article 33 -
ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.
Par ailleurs, le tribunal relève que le demandeur n’invoque aucune jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », relative à une suspension générale des transferts vers la France, voire une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers la France de ressortissants maliens dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile française qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que le demandeur n’a pas rapporté la preuve de l’existence, en France, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays.
Cependant, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable12.
Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte13, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant.14 12 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.
13 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.
14 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.
88.
12 En l’espèce, le tribunal constate que Monsieur (A) n’établit pas que, personnellement et concrètement, ses droits n’auraient pas été respectés en France, ni que ses droits ne seraient pas respectés en cas de retour dans ce pays, respectivement qu’il ne pourrait pas les faire valoir en usant des voies de droit adéquates.
S’agissant plus particulièrement de sa crainte d’être victime en France de discriminations ou de mauvais traitements du seul fait de son albinisme, le tribunal constate que celle-ci reste à l’état de pure allégation. En effet, le simple renvoi à un extrait d’un rapport publié par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme au sujet de l’exercice des droits de l’Homme par les personnes atteintes d’albinisme en situation de déplacement et notamment par les demandeurs de protection internationale, respectivement à un extrait d’un article du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme faisant état d’agressions rituelles commises à l’encontre de ces personnes dans différents pays, ou encore à un extrait d’une étude réalisée au niveau mondial sur la situation générale des personnes atteintes d’albinisme, sans aucune discussion sur la situation concrète des personnes atteintes d’albinisme en France, n’est, en tout état de cause, pas suffisant pour venir conforter cette crainte, ce d’autant plus que le demandeur ne fait pas état de discriminations ou de traitements inhumains et dégradants dont il aurait été lui-même victime en raison de son albinisme au cours de son séjour en France.
Pour ce qui est du vol dont le demandeur déclare avoir été victime à Paris, s’il s’agit certes d’un acte regrettable, il doit toutefois s’analyser en une infraction de droit commun qu’il lui aurait appartenu de dénoncer aux autorités policières françaises. Or, il ne se dégage pas des éléments à la disposition du tribunal qu’alors même que Monsieur (A) se serait adressé aux autorités policières françaises celles-ci auraient refusé de lui fournir une aide, respectivement qu’il aurait vécu une quelconque expérience négative avec les autorités françaises qui aurait pu le dissuader de s’adresser à elles.
Au vu des éléments soumis à son appréciation, le tribunal se doit de constater qu’il n’apparaît pas qu’en cas de transfert en France les conditions d’existence du demandeur dans ce pays risqueraient d’atteindre un degré de pénibilité et de gravité tel qu’elles puissent être qualifiées de traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH.
Enfin, quant à l’argumentation du demandeur ayant trait à sa crainte d’être refoulé par les autorités françaises vers le Mali, il y a lieu de préciser que suivant un arrêt de la CJUE du 30 novembre 202315, la juridiction de l’Etat membre requérant, saisie d’un recours contre une décision de transfert, ne peut examiner s’il existe un risque, dans l’Etat membre requis, d’une violation du principe de non-refoulement auquel le demandeur de protection internationale serait soumis à la suite de son transfert vers cet Etat membre, ou par suite de celui-ci, lorsque, tel que c’est le cas en l’espèce, cette juridiction ne constate pas l’existence, dans l’Etat membre requis, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’une protection internationale. Des divergences d’opinion entre les autorités et les juridictions de l’Etat membre requérant, d’une part, et celles de l’Etat membre requis, d’autre part, en ce qui concerne l’interprétation des conditions matérielles de la protection internationale n’établissent pas l’existence de défaillances systémiques.
15 CJUE, 30 novembre 2023, affaires jointes C-228/21, C-254/21, C-297/21, C-315/21 et C-328/21 13 Par ailleurs, et en tout état de cause, la décision déférée n’implique pas un retour vers le pays d’origine de Monsieur (A), mais désigne uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de sa demande de protection internationale, étant souligné que ledit Etat membre, en l’occurrence la France, a reconnu, par courrier daté du 19 décembre 2024, être compétent pour prendre le demandeur en charge.
Le tribunal relève ensuite que le demandeur reste en défaut d’étayer concrètement l’existence, dans son chef, d’un risque d’être renvoyé arbitrairement dans son pays d’origine par les autorités françaises. La seule référence faite au cas de figure d’un jeune Malien qui aurait été expulsé du territoire français à défaut d’avoir disposé d’un titre de séjour valable et malgré le fait qu’il ait vécu longtemps en France n’est, en tout état de cause, pas de nature à ébranler ce constat, étant rappelé que Monsieur (A) sera transféré en France en qualité de demandeur de protection internationale dans le cadre du règlement Dublin III.
Force est encore au tribunal de constater qu’il ne se dégage pas des éléments produits par le demandeur que si à l’issue du traitement de sa demande de protection internationale, les autorités françaises devaient décider de l’expulser au Mali, alors même qu’il y serait exposé à un risque concret et grave pour sa vie, il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités françaises en usant des voies de droit adéquates.
Au vu des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres éléments, il n’est pas établi que compte tenu de sa situation personnelle, le demandeur serait exposé à un risque réel de subir des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, en cas de transfert vers la France, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, dans ce pays, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, au sens de l’article 3 (2) du règlement Dublin III.
Il s’ensuit que l’argumentation du demandeur ayant trait à l’existence, dans son chef, d’un risque de subir des traitements inhumains et dégradants au sens des articles 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, 3 de la CEDH et 4 de la Charte, en cas de transfert vers la France, est à rejeter dans son ensemble.
S’agissant ensuite du moyen tiré d’une violation de l’article 17 (1) du règlement Dublin III, au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, il y a lieu de relever que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ».
A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres16, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201717.
Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté 16 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, pt. 65.
17 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.
14 qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge18, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration19.
En l’espèce, le demandeur invoque, en substance, dans ce contexte, la même argumentation que celle développée à l’appui de son moyen tiré de la violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, à savoir plus particulièrement sa crainte de se retrouver dans une situation de grande précarité en France. Dans la mesure où cet argumentaire a été rejeté ci-
avant et que d’autres raisons humanitaires ou exceptionnelles justifiant le recours à la clause discrétionnaire n’ont pas été mises en avant par le demandeur sous cet aspect pour infirmer le constat afférent du tribunal, celui-ci conclut qu’il n’est pas établi que le ministre se serait mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 (1) du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.
Au vu des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, le recours est à rejeter pour être non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Caroline Weyland, premier juge, Melvin Roth, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 24 février 2025 par le vice-président en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 18 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 60 et les autres références y citées.
19 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.