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24/02/2025 | LUXEMBOURG | N°52282

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 février 2025, 52282


Tribunal administratif N° 52282 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52282 1re chambre Inscrit le 27 janvier 2025 Audience publique du 24 février 2025 Recours formé par Madame (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52282 du rôle et déposée le 27 janvier 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric SAYS, avocat

à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame...

Tribunal administratif N° 52282 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52282 1re chambre Inscrit le 27 janvier 2025 Audience publique du 24 février 2025 Recours formé par Madame (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52282 du rôle et déposée le 27 janvier 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), déclarant être née le … à … (Nigéria) et être de nationalité nigériane, actuellement assignée à résidence à la maison retour sise à L-…, et ayant élu domicile en l’étude de son litismandataire, préqualifié, sis à L-2668 Luxembourg, 24, rue Julien Vesque, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 15 janvier 2025 de la transférer vers la France comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 février 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST en sa plaidoirie à l’audience publique du 12 février 2025, Maître Eric SAYS s’étant excusé.

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Le 11 novembre 2024, Madame (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Madame (A) fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’est avéré à cette occasion qu’elle était signalée par les autorités suisses dans le système d’information Schengen (SIS) avec le motif de recherche suivant :

« Ressortissant d’un pays tiers en vue d’une décision de retour ».

Une recherche effectuée à la même date par les autorités luxembourgeoises dans la base de données EURODAC révéla que Madame (A) avait auparavant introduit une demande de protection internationale en France en date du 31 janvier 2024.

1En date du 27 novembre 2024, Madame (A) fut entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 9 décembre 2024, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues français une demande de reprise en charge de Madame (A) sur base de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par ces derniers en date du 19 décembre 2024 sur base du même article.

Par décision du 15 janvier 2025, notifiée à l’intéressée en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Madame (A) que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de la transférer dans les meilleurs délais vers la France sur base de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 11 novembre 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18(1)b du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transférée vers la France qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 11 novembre 2024 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 27 novembre 2024.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 11 novembre 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en France en date du 31 janvier 2024. Il ressort également de cette comparaison que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 26 août 2023.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 27 novembre 2024.

Sur base des informations à notre disposition, une demande de reprise en charge en vertu de l’article 18(1)b du règlement DIII a été adressée aux autorités françaises en date du 9 décembre 2024, demande qui fut acceptée par lesdites autorités françaises en date du 20 2décembre 2024.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point b) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge – dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 – le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection que vous avez introduit une demande de protection internationale en France en date du 31 janvier 2024. Il ressort également de cette comparaison que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 26 août 2023.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté votre pays d’origine en août 2023 en direction de la Tunisie en passant par le Niger et l’Algérie. En Tunisie, vous auriez pris une embarcation clandestine en direction de l’Italie. Arrivée à Lampedusa, vous auriez été transférée à Rome.

Lors de votre séjour à Rome, vous auriez reçu un appel téléphonique d’une personne inconnue qui vous aurait dit qu’elle viendrait vous chercher pour vous emmener à Naples. A Naples, vous auriez été enfermée dans une chambre et vous auriez été forcée à vous prostituer. Vous y seriez restée jusqu’en janvier 2024, jour où vous auriez réussi à vous enfuir grâce à l’aide d’une personne inconnue. Vous auriez pris la route en direction de la Suisse et puis de la France. En France, vous seriez restée jusqu’en novembre 2024. Vous déclarez être arrivée au Luxembourg en date du 9 novembre 2024.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 27 novembre 2024, vous avez mentionné 3que vous consulteriez un psychiatre et que vous prendriez des médicaments pour dormir. Il y a cependant lieu de soulever que vous n’avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé actuel ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la France qui est l’Etat responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que l’France est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l’France est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l’France profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, l’France est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’France sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l’occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires françaises.

Madame, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en France revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités 4luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers l’France, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi en France, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transférée. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction générale de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers l’France en informant les autorités françaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités françaises n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 janvier 2025, Madame (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la susdite décision ministérielle du 15 janvier 2025.

I. Quant à la compétence du tribunal Etant donné que l’article 35 (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28 (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation introduit à titre principal.

Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

II. Quant à la recevabilité du recours Positions des parties Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours pour défaut d’indication, dans la requête introductive d’instance, du domicile de la demanderesse, en soulignant que Madame (A) aurait disparu de la maison retour depuis le 23 janvier 2025. Le recours sous analyse ayant été déposé postérieurement à la disparition de la demanderesse, il considère que la requête introductive d’instance ne ferait pas état du domicile de l’intéressée. En se prévalant d’un arrêt de la Cour administrative du 3 décembre 2024, inscrit sous le numéro 50575C du rôle, le représentant étatique soutient que le fait pour la demanderesse de ne pas communiquer son adresse exacte nuirait à l’exécution de la décision de justice à intervenir.

Au vu de ce qui précède, le recours serait à déclarer irrecevable.

La demanderesse, qui n’a pas été représentée à l’audience des plaidoiries, n’a pas pris position quant à ce moyen d’irrecevabilité.

5 Appréciation du tribunal Il y a tout d’abord lieu de relever que l’article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », aux termes duquel « […] La requête […] contient […] [le] domicile du requérant […] », est à lire ensemble avec l’article 29 de la même loi disposant que « L’inobservation des règles de procédure n’entraîne l’irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense. ».

L’article 1er, précité, a pour finalité de permettre à la partie défenderesse de pouvoir utilement identifier le demandeur, afin d’être en mesure d’assurer sa défense de façon valable et complète1.

En l’espèce, s’il y a certes lieu de constater (i) qu’il ressort d’un relevé de la maison retour que suite à l’arrêté ministériel du 15 janvier 2025 assignant la demanderesse à résidence dans la maison retour, celle-ci a disparu des lieux le 23 janvier 2025, (ii) que la demanderesse indique, dans sa requête introductive d’instance, être assignée à résidence dans ladite maison retour, sans fournir de précisions sur son domicile actuel et (iii) qu’une simple élection de domicile ne vaut pas indication du « domicile du requérant » au sens de l’article 1er, alinéa 2, de la loi du 21 juin 19992, le tribunal ne saurait toutefois déceler de lésion des droits de la défense de la partie étatique du fait de l’omission d’indication, dans la requête introductive d’instance, du domicile effectif de la demanderesse, étant donné que la partie gouvernementale ne s’est pas méprise sur l’identité de celle-ci et a utilement pris position quant au fond du litige.

En outre, en ce qui concerne l’argumentation de la partie étatique selon laquelle l’absence d’adresse de la demanderesse l’empêcherait d’exécuter le jugement à intervenir, il échet de relever que ces considérations ont trait à l’exécution du jugement à venir et ne sauraient, dès lors, impliquer l’irrecevabilité du recours pour violation des droits de la défense de la partie gouvernementale.

Dans ces circonstances, le moyen d’irrecevabilité pour défaut d’indication dans la requête introductive d’une adresse effective de la demanderesse est rejeté.

A défaut d’autres moyens d’irrecevabilité invoqués, le recours en réformation est à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

III. Quant au fond Prétentions des parties A l’appui de son recours et quant à la légalité externe de la décision déférée, la demanderesse se rapporte à prudence de justice quant à la compétence du ministre pour prendre l’arrêté litigieux.

En ce qui concerne la légalité interne de la décision déférée, la demanderesse fait valoir que, bien qu’elle ait introduit une demande de protection internationale en France le 31 janvier 1 Trib. adm., 9 juillet 2015, n° 35177 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 482 et les autres références y citées.

2 Idem.

62024, elle n’aurait aucune attache avec le pays en question. En outre, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (« OFPRA ») n’aurait pas respecté le délai de six mois prévu par la législation française pour statuer sur sa demande de protection internationale. La législation française ne prévoirait toutefois aucune conséquence juridique en cas de non-respect de ce délai, ce qui entraînerait des attentes prolongées pour les demandeurs de protection internationale. La France ferait, encore, face à une crise dans la gestion de l’immigration et de l’asile en raison de la saturation des centres d’hébergement pour demandeurs d’asile et d’autres structures d’accueil. De plus, l’accès effectif aux soins serait « compliqué » pour les demandeurs d’asile dans ce pays.

Au vu de ce qui précède, la demanderesse souhaite s’établir au Grand-Duché de Luxembourg, où elle pourrait régulariser sa situation administrative et bénéficier des soins psychologiques indispensables à son état de santé. Elle avance, à ce dernier propos, avoir subi des traitements inhumains, dans la mesure où, lors de son séjour en Italie au cours des mois d’août 2023 et janvier 2024, elle aurait été contrainte à la prostitution, ce qui aurait causé chez elle un « trouble sérieux lié à un traumatisme », rendant nécessaire le suivi d’un psychiatre. En effet, son état de santé serait marqué par un syndrome dépressif anxieux, accompagné de pensées suicidaires la plaçant dans une situation de détresse psychique rendant indispensable une prise en charge particulière. Ainsi, une hospitalisation au Luxembourg s’imposerait pour garantir une prise en charge adaptée et un traitement médicamenteux lui aurait été prescrit afin de stabiliser son état de santé.

Sa vulnérabilité serait, dès lors, un facteur qui devrait être pris en considération dans le cadre de l’appréciation du risque de subir, en cas de transfert vers la France, des traitements prohibés par l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par la « CEDH », et par l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte ». Or, les capacités actuelles du système d’accueil français seraient telles qu’elle ne pourrait pas y bénéficier de conditions d’accueil adaptées à son état de santé. En outre, les personnes transférées en France sur base du règlement Dublin III y rencontreraient des difficultés pour accéder à la procédure de demande de protection internationale, les plaçant dans une attente prolongée de plusieurs mois, au cours de laquelle il serait difficile de trouver un logement en raison d’une capacité d’hébergement limitée.

La demanderesse se réfère encore à un article paru le 19 avril 2019 dans la Revue des droits de l’homme, non autrement référencé, qui ferait état de défaillances graves au niveau de l’hébergement des demandeurs de protection internationale, insuffisances qui s’inscriraient dans une politique de dissuasion de la demande d’asile en France, ainsi que d’une dégradation des conditions d’accueil des demandeurs d’asile, mais surtout des conditions de prise en charge et d’encadrement juridique et social de ceux-ci.

Elle déplore enfin que les autorités luxembourgeoises n’auraient sollicité aucune garantie individuelle auprès des autorités françaises quant aux conditions dans lesquelles elle pourrait accéder aux soins et à un traitement médical en France.

La demanderesse conclut, dès lors, à une violation de l’article 3 de la CEDH, ainsi que de l’article 4 de la Charte, voire de l’article 2 de la CEDH en cas de transfert en France.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

7Appréciation du tribunal A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par le demandeur, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

Le tribunal constate tout d’abord que c’est à tort que la demanderesse conteste, par le fait de s’être rapportée à prudence de justice, la compétence du ministre ayant pris la décision déférée, étant donné qu’en vertu de l’article 3 (1) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre visé dans les dispositions de cette loi est le ministre ayant l’asile dans ses attributions, soit conformément à l’annexe B du règlement interne du gouvernement tel qu’approuvé par arrêté grand-ducal du 27 novembre 2023 portant approbation et publication du règlement interne du Gouvernement, le ministre des Affaires intérieures.

Le moyen de légalité externe afférent est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités françaises pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Madame (A), prévoit que « l’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de […] reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre […] ».

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer la demanderesse vers la France et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale de la demanderesse serait la France, en ce qu’elle y avait introduit une demande de protection internationale le 31 janvier 2024 et que les autorités françaises avaient accepté sa reprise en charge le 19 décembre 2024, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de la transférer vers la France.

Force est ensuite de constater que la demanderesse ne conteste pas la compétence de principe de la France, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais soutient que la décision déférée violerait les articles 2 et 3 de la CEDH, ainsi que 4 de la Charte.

8 A cet égard, le tribunal précise que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3 (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17 (1) du même règlement, non invoqué en l’espèce, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

Pour autant qu’à travers ses développements selon lesquels les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale ne seraient pas garanties en France, la demanderesse ait entendue se prévaloir des dispositions de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, non expressément invoqué en l’espèce, le tribunal relève qu’aux termes de cet article :

« Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.

La situation visée par ledit article 3 (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé3.

A cet égard, le tribunal relève que la France est tenue au respect, en adhérant aux textes légaux communautaires et en tant que signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres 3 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

9peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard4. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants5. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres, ainsi que les Etats y adhérant, peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées6. Dans un arrêt du 16 février 20177, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile8, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres et les Etats y adhérant.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives9, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE10, des défaillances systémiques au sens de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 201711.

Quant à la preuve à rapporter par la demanderesse, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201912 que, pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, 4 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform, point 78.

5 Ibidem, point. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

6 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

7 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

8 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

9 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur www.jurad.etat.lu.

10 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

11 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

12 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt. 91.

10indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine13. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-

ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant14.

En l’espèce, il incombe à la demanderesse de fournir des éléments concrets permettant de retenir que la situation en France, telle que décrite par elle, atteindrait le degré de gravité tel que requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et par les principes dégagés ci-avant.

Il ressort des développements de la demanderesse que cette dernière fonde l’existence de défaillances systémiques en France sur une dégradation des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, plus particulièrement sur une défaillance au niveau de l’hébergement, ainsi que des conditions de prise en charge et d’encadrement juridique et social, défaillances qui s’inscriraient, selon elle, dans une politique de dissuasion de la demande d’asile en France. Il échet toutefois de relever que l’article paru dans la Revue des droits de l’homme, intitulé « L’hébergement des demandeurs d’asile à l’épreuve d’administrations françaises en crise. Une analyse locale : l’exemple de Grenoble. », auquel la demanderesse semble faire référence, date de 2018, de sorte à être trop ancien pour refléter la situation actuelle en France.

En outre, s’il y est certes fait état de défis rencontrés par les demandeurs de protection internationale en France, tout en mettant en lumière des dysfonctionnements structurels et des pratiques administratives décourageant les demandeurs de protection internationale d’exercer leur droit à l’hébergement, cet article de presse se focalise toutefois principalement sur la situation telle qu’elle se présenterait à Grenoble. Il s’ensuit que ce document n’est, à lui seul, pas suffisant pour permettre de retenir de manière générale l’existence, à l’heure actuelle, de défaillances systémiques en France, à savoir que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale y seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par les articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH.

Par ailleurs, le tribunal constate que la demanderesse n’invoque aucune jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », relative à une suspension générale des transferts vers la France, voire une demande en ce sens de la part du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (« UNHCR »). Elle ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers la France de ressortissants nigérians dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile française qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens 13 Ibid., pt. 92.

14 Ibid., pt. 93.

11des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que la demanderesse n’a pas rapporté la preuve de l’existence, en France, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III et de l’article 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays.

Cependant, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable15.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte16, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant17.

Il appartient dès lors au tribunal de vérifier s’il existe, dans le chef du demandeur, un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de gravité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, telles que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé18.

Or, en l’espèce, il ne se dégage pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que personnellement et concrètement les droits de la demanderesse n’auraient pas été respectés en France dans le cadre de sa demande de protection internationale y introduite. Il ne ressort plus particulièrement pas des déclarations faites par la demanderesse lors de son entretien Dublin III ni du recours sous analyse que les autorités françaises lui auraient refusé l’accès à la procédure d’asile. Il ne se dégage pas non plus des éléments du dossier qu’au cours de son séjour en France, ses conditions d’existence dans ce pays aient atteint un degré de pénibilité et de gravité tel qu’elles puissent être qualifiées de traitement inhumain et dégradant, ni qu’en cas de transfert, elle serait personnellement exposée au risque que ses besoins existentiels minimaux ne soient pas satisfait et ce, de manière durable, sans perspective d’amélioration, au point qu’il aurait fallu renoncer à son transfert ou bien demander des garanties individuelles auprès des autorités 15 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12 ; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.

16 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.

17 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

88.

18 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarahel c. Suisse, n° 29217/12 ; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.

12françaises avant de la transférer. Ce constat est corroboré par le fait que dans le cadre de son entretien Dublin III, Madame (A) a indiqué que lors de son séjour en France « I slept in a refugee camp »19, de sorte à ne pas avoir rencontré un problème au niveau de son hébergement. En outre, la simple référence par la demanderesse à un rapport de l’« Asylum Information Database » (« AIDA ») pour prétendre que les personnes transférées en France sur base du règlement Dublin III auraient des difficultés à accéder à la demande de protection internationale, entraînant une « attente longue de plusieurs mois » et une possibilité réduite pour trouver un logement, sans mise en lien avec sa situation personnelle, est insuffisante pour conclure à l’existence d’un risque de traitements inhumains et dégradants en cas de transfert en France, et ce d’autant plus que les autorités françaises ont accepté de reprendre en charge l’intéressée sur base de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, de sorte que sa demande de protection internationale, introduite en France, est toujours en cours de traitement et qu’elle ne se trouvera, dès lors, pas dans une situation difficile pour y accéder à la procédure de demande de protection internationale.

S’agissant ensuite plus particulièrement de l’argumentation de la demanderesse relative à son état de santé, le tribunal relève que dans son arrêt, précité, du 16 février 2017, la CJUE a mis en évidence le fait, en ce qui concerne les conditions d’accueil et les soins disponibles dans l’Etat membre responsable du traitement de la demande de protection internationale, que les Etats membres liés par la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (« directive Accueil ») sont tenus, y compris dans le cadre de la procédure au titre du règlement Dublin III, conformément aux articles 17 à 19 de cette directive, de fournir aux demandeurs d’asile les soins médicaux et l’assistance médicale nécessaires comportant, au minimum, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves : « Dans ces conditions, et conformément à la confiance mutuelle que s’accordent les États membres, il existe une forte présomption que les traitements médicaux offerts aux demandeurs d’asile dans les États membres seront adéquats […] ». Elle a retenu ensuite que « […] dans des circonstances dans lesquelles le transfert d’un demandeur d’asile, présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave, entraînerait le risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens [de l’article 4 de la Charte]. En conséquence, dès lors qu’un demandeur d’asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l’article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l’État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments. Elles sont, au contraire, tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de la légalité d’une décision de transfert, dès lors que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-ci. […] »20. Dans une telle situation, il appartiendra aux autorités concernées « […] d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur l’état de santé de l’intéressé, en prenant les précautions nécessaires pour que son transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de cette personne. Dans l’hypothèse où, compte tenu de la particulière gravité de l’affection du demandeur d’asile concerné, la prise desdites précautions ne suffirait pas à assurer que son transfert n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, il incombe aux autorités de l’État membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de l’intéressé, et ce aussi longtemps que 19 Page 4 du rapport d’entretien Dublin III.

20 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, points 74 et 75.

13son état ne le rend pas apte à un tel transfert […] » 21.

Ainsi, cet arrêt concerne l’hypothèse particulière suivant laquelle un demandeur de protection internationale produit des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, hypothèse dans laquelle les autorités de l’Etat membre procédant au transfert doivent prendre les précautions spécifiques afin de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de la personne concernée, telles que, par exemple, l’obtention, de la part de l’Etat membre responsable, de la confirmation que les soins indispensables seront disponibles à l’arrivée22.

En l’espèce, s’il ressort certes du rapport médical versé en cause par la demanderesse qu’elle a été diagnostiquée avec une « Angst und depressive Störung », nécessitant un traitement médicamenteux et qu’un suivi psychologique est recommandé après sa sortie de la psychiatrie, il n’y a toutefois aucune indication dans ce rapport qu’un transfert vers la France serait contre-

indiqué.

En outre, il ne se dégage d’aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal que la demanderesse ne pourrait trouver en France une aide spécifique répondant à ses besoins particuliers en matière d’accueil, si nécessaire, en raison de son état de santé.

Il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32 (1), alinéa 1er une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin, il pourra être tenu compte de l’état de santé de la demanderesse lors de l’organisation du transfert vers la France par le biais de la communication aux autorités françaises des informations adéquates, pertinentes et raisonnables la concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressée exprime son consentement explicite à cet égard.23 Outre le fait que la demanderesse n’a, ainsi, pas établi que, dans son cas précis, ses droits ne seraient pas garantis en cas de retour en France, elle n’a pas non plus prouvé que, de manière générale, les droits des demandeurs ou des bénéficiaires d’une protection internationale en France ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que ceux-ci n’auraient en France aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités françaises en usant des voies de droit adéquates24 étant relevé que la France est signataire de la Charte, de la CEDH, du Pacte international des droits civils et politiques, de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que de la Convention de Genève et devrait, à ce titre, en appliquer les dispositions.

21 Ibid., points 76 à 85 et point 96.

22 Ibid., point 83.

23 En ce sens : trib. adm., 30 mars 2022, n° 47115 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

24 Voir, pour les demandeurs de protection internationale : article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.

14Il convient, par ailleurs, de souligner que si la demanderesse devait estimer que le système d’asile français est à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités françaises en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates. Il en va de même si la demanderesse devait estimer que le système d’accueil et d’aide français n’était pas conforme aux normes européennes.

Dans ces circonstances, le tribunal est amené à conclure que la demanderesse reste en défaut d’établir que son transfert vers la France l’exposerait personnellement à un risque de subir des traitements inhumains et dégradants au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, respectivement 2 de la CEDH, de sorte que le moyen ayant trait à une violation isolée desdits articles est à rejeter.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 février 2025 par :

Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Annemarie THEIS, premier juge, en présence du greffier Luana POIANI.

s. Luana POIANI s. Daniel WEBER 15


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 52282
Date de la décision : 24/02/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 02/03/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-02-24;52282 ?

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