Tribunal administratif N° 52372 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52372 5e chambre Inscrit le 14 février 2025 Audience publique du 19 février 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous de multiples alias, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52372 du rôle et déposée le 14 février 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le… et être de nationalité irakienne, connu sous de multiples alias, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 4 février 2025 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 février 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en ses plaidoiries à l’audience publique du 19 février 2025, Maître Philippe STROESSER s’étant excusé.
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Le 9 janvier 2024, Monsieur (A), connu sous de multiples alias, ci-après désigné par « Monsieur (A) », introduisit auprès du ministère de Affaires intérieures, direction générale de l’immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au Luxembourg au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de la police judiciaire, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, tel que confirmé par une recherche effectuée le même jour dans la base de données EURODAC, que Monsieur (A) avait préalablement introduit des demandes de protection internationale en Allemagne en date du 17 février 2016, aux Pays-Bas en date du 8 juillet 2023, ainsi qu’en Suisse en date du 15 décembre 2023. Il s’avéra encore à cette occasion, suite à une recherche dans la base de données du système d’information Schengen (« SIS ») que Monsieur (A) faisait l’objet d’un signalement de la part des autorités allemandes pour « Ressortissant d’un pays tiers (étranger) en vue d’une décision de retour […] ». Il ressort également du dossier administratif qu’en date du même jour, des renseignements complémentaires portant sur la situation administrative de Monsieur (A) furent adressés aux autorités luxembourgeoises par les autorités allemandes via le réseau nommé « SIRENE » (Supplément d’Information Requis à l’Entrée Nationale), lesquelles indiquèrent notamment que l’intéressé était connu en Allemagne pour des faits de « Sexual coercion », « Threating of criminal offences » et « Violation of aliens law », qu’il était connu pour avoir des « mental behavioral disturbences » et qu’il ne pouvait être exclu qu’il soit lié à une organisation terroriste.
En date du 12 janvier 2024, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».
En date du 17 janvier 2024, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités allemandes aux fins de la reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par lesdites autorités allemandes par courrier du 19 janvier 2024 sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) dudit règlement.
Par décision du 4 avril 2024, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », informa Monsieur (A) que le Grand-Duché de Luxembourg n’examinerait pas sa demande de protection internationale et qu’il serait transféré vers l’Allemagne, Etat membre responsable pour examiner sa demande de protection internationale, le ministre ayant invoqué plus particulièrement les dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.
Il ressort d’un rapport de l’Unité de garde et d’appui opérationnel (« UGAO ») du 15 mai 2024 que Monsieur (A) fut transféré vers l’Allemagne le même jour.
En date du 9 janvier 2025, Monsieur (A) introduisit auprès du ministère une seconde demande de protection internationale au Luxembourg en vertu de la loi du 18 décembre 2015.
A la même date, il fut à nouveau entendu par la police sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Par arrêté du même jour, notifié à Monsieur (A) an mains propres à la même date, le ministre ordonna le placement de l’intéressé au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification, sur le fondement de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015, dans les termes suivants :
« […] Vu l’article 22 de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu ma décision de transfert du 4 avril 2024 ;
Attendu que l’intéressé a déjà été transféré vers l’Allemagne en date du 15 mai 2024 en vertu de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
Attendu que l’intéressé a été débouté de sa demande de protection internationale dans l’Etat membre responsable ;
Attendu que l’intéressé est revenu au pays malgré ma décision de transfert du 4 avril 2024 et après l’exécution effective de la mesure de transfert ;
Vu que l’intéressé a introduit une deuxième demande de protection internationale au Luxembourg en date du 9 janvier 2025 ;
Attendu que l’intéressé a fait usage d’identités multiples sur le territoire luxembourgeois, en ayant présenté sa première demande de protection internationale sous un autre nom que la deuxième demande ;
Attendu que l’intéressé fait l’objet d’un signalement dans le Système d’information Schengen (SIS) ;
Considérant qu’une nouvelle demande de reprise en charge en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 sera adressée aux autorités compétentes dans les meilleurs délais ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue du transfert de l’intéressé vont être engagées ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite non négligeable dans le chef de l’intéressé comme défini à l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 précitée ;
Considérant qu’afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement de l’intéressé, le placement en rétention est ordonné […] ».
En date du 15 janvier 2025, les autorités allemandes acceptèrent la nouvelle demande de reprise en charge de Monsieur (A), sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, leur adressée par les autorités luxembourgeoises sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point b) du même règlement le 13 janvier 2025.
Par décision du 20 janvier 2025, le ministre informa Monsieur (A) que le Grand-Duché de Luxembourg n’examinerait pas sa demande de protection internationale et qu’il serait transféré vers l’Allemagne, Etat membre responsable pour examiner sa demande de protection internationale, le ministre ayant invoqué plus particulièrement les dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.
Par courrier électronique du 21 janvier 2025, le litismandataire de Monsieur (A) informa le ministère que l’intéressé renonçait à sa seconde demande de protection internationale introduite le 9 janvier 2025.
Il ressort d’un document, intitulé « Notification d’une décision de transfert en vertu du [règlement Dublin III] », daté du 24 janvier 2025, que Monsieur (A) refusa d’y apposer sa signature au motif que ledit document était établi en français.
Par arrêté du 4 février 2025, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre rapporta sa décision du 20 janvier 2025.
Par arrêté séparé du 4 février 2025, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre ordonna la mainlevée de l’arrêté de placement en rétention du 9 janvier 2025 et ordonna son placement en rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question sur base des dispositions de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par la « loi du 29 août 2008 ».
Ladite décision est fondée sur les motifs et considérations suivants :
« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu ma décision de transfert du 4 février 2025 ;
Vu que l’intéressé a introduit une première demande de protection internationale au Luxembourg en date du 9 janvier 2024 ;
Attendu que, dans le cadre de sa première demande de protection internationale, l’intéressé a été transféré vers l’Allemagne en date du 15 mai 2024 en vertu de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
Attendu que l’intéressé est revenu au pays malgré ma décision de transfert du 4 avril 2024 et après l’exécution effective de la mesure de transfert ;
Vu que l’intéressé a introduit une deuxième demande de protection internationale au Luxembourg en date du 9 janvier 2025 ;
Vu l’arrêté ordonnant le placement en rétention de l’intéressé du 9 janvier 2025, lui notifié le même jour ;
Vu le nouvel accord de reprise en charge des autorités allemandes du 15 janvier 2025 en vertu de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
Vu le courriel du mandataire de l’intéressé du 21 janvier 2025, informant que l’intéressé a décidé de renoncer à sa deuxième demande de protection internationale introduite au Luxembourg en date du 9 janvier 2025 ;
Attendu que l’intéressé a fait usage d’identités multiples sur le territoire luxembourgeois, en ayant présenté sa première demande de protection internationale sous un autre nom que la deuxième demande ;
Attendu que l’intéressé fait l’objet d’un signalement dans le Système d’information Schengen (SIS) ;
Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;
Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant qu’afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement de l’intéressée, la décision de placement s’avère nécessaire […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 février 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 4 février 2025 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, le demandeur, après avoir exposé les faits et rétroactes à la base de la décision déférée et avoir cité l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, souligne, de manière générale, que le placement au Centre de rétention devrait être considéré comme un ultime remède et ne constituerait qu’une simple faculté pour le ministre et non pas une obligation systématique.
Or, cette faculté accordée au ministre devrait se baser sur des motifs sérieux et être proportionnée par rapport à la situation donnée, alors que le placement en rétention d’une personne constituerait une atteinte à la liberté de mouvement qui devrait être motivée à suffisance, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.
Il indique également qu’en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, le maintien de la rétention serait conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et exécuté avec toute la diligence nécessaire, impliquant que le ministre serait dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Il critique le fait que malgré l’indication dans son arrêté de placement que « les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées », aucune perspective d’éloignement n’existerait à l’heure actuelle, de sorte qu’il y aurait lieu de s’interroger sur les chances de succès de la mesure d’éloignement dans un délai raisonnable et, en toute circonstance, avant l’écoulement de la durée maximale de la mesure de sa rétention.
Le demandeur ajoute que son maintien au Centre de rétention constituerait une mesure privative de liberté qui devrait être réduite au strict minimum et qu’il ne devrait pas être retenu au Centre de rétention en attendant l’exécution de la mesure d’éloignement.
Au vu des circonstances de l’espèce et de son comportement, le demandeur estime que son placement au Centre de rétention serait disproportionné et que des mesures moins coercitives, telles qu’une assignation à résidence dans un lieu fixé par le ministre assortie d’une obligation de se présenter régulièrement auprès des services du ministère, auraient pu être prises à son égard sur le fondement de l’article 125 de la loi du 29 août 2008.
Il conclut à l’absence du caractère justifié de son maintien au Centre de rétention et sollicite, en conséquence la réformation de l’arrêté ministériel du 4 février 2025 en vue de sa libération immédiate et d’une assignation à résidence dans un lieu à fixer par le ministre.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
A titre liminaire, le tribunal constate que la décision déférée constitue une décision de placement du demandeur au Centre de rétention fondée sur les dispositions de la loi du 29 août 2008, et non pas une décision de prorogation, tel qu’indiqué erronément par le litismandataire du demandeur dans sa requête, étant donné que l’arrêté ministériel du 9 janvier 2025, dont la mainlevée a entretemps été ordonnée par le ministre, était fondée sur les dispositions de la loi du 18 décembre 2015.
S’agissant, ensuite, de la légalité externe de la décision de placement déférée et, plus particulièrement, du moyen tiré d’une insuffisance de motivation de ladite décision, le tribunal relève que dans la mesure où aucun texte légal ou réglementaire n’exige l’indication formelle des motifs se trouvant à la base d’une décision de placement en rétention - l’article 6, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en vertu duquel certaines catégories de décisions doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, n’étant pas applicable à une telle décision - le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision litigieuse, de sorte que le moyen sous analyse est à rejeter.
Quant à la légalité interne de la décision de placement déférée, le tribunal rappelle de prime abord qu’une décision de placement en rétention est prise dans l’objectif de l’exécution d’une mesure d’éloignement. C’est ainsi que l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, sur le fondement duquel l’arrêté ministériel litigieux a été pris, prévoit que : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
En l’espèce, il est constant en cause que le demandeur est en séjour irrégulier au Luxembourg, étant donné qu’il ne dispose ni d’un visa en cours de validité, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail. Il est également constant en cause que le demandeur fait l’objet d’un signalement dans le système SIS.
Il s’ensuit qu’il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008 figurent justement celles d’être en possession d’un passeport et d’un visa en cours de validité et de ne pas faire l’objet d’un signalement dans le système SIS, telles que prévues au paragraphe (2), points 1. et 2. de la disposition légale en question.
Il aurait, par conséquent, appartenu au demandeur de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption, en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite, ce qu’il est, toutefois, resté en défaut de faire.
Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.
S’agissant, ensuite, de l’argumentation du demandeur selon laquelle il aurait dû bénéficier de mesures moins coercitives, telles que visées à l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, et notamment d’une assignation à résidence, assortie d’une obligation de se présenter régulièrement auprès des services du ministère, le tribunal relève que cette disposition légale prévoit ce qui suit : « (1) Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).
On entend par mesures moins coercitives :
a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;
b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.
La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;
c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.
Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».
Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes1.
En l’espèce, le tribunal est amené à retenir que le demandeur, qui ne dispose au Luxembourg d’aucun domicile fixe déclaré ni d’une quelconque autre attache, ne lui a pas soumis d’éléments concluants permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points a), b) et c) dudit article s’impose.
Ainsi, les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 et plus particulièrement celle visée au point b) dudit article, à laquelle le demandeur a fait référence en particulier, ne sauraient être efficacement appliquées et l’arrêté déféré de placement en rétention ne saurait être considéré comme étant disproportionné ou injustifié de ce fait.
1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 972 et les autres références y citées.
Il s’ensuit que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter.
En ce qui concerne les démarches entreprises par le ministre en vue de procéder au transfert du demandeur vers l’Allemagne, force est au tribunal de constater que les autorités ministérielles se sont adressées aux autorités compétentes allemandes par courrier électronique du 13 janvier 2025 pour solliciter la reprise en charge du demandeur sur le fondement du règlement Dublin III et que lesdites autorités allemandes ont accepté cette demande suivant un courrier du 15 janvier 2025 sur base du même règlement. Le tribunal relève ensuite que le 13 février 2025, le ministre a demandé à la police grand-ducale, UGAO – Service de Garde et de Protection (« SGP »), de bien vouloir procéder au transfert de l’intéressé vers l’Allemagne et de lui communiquer les modalités de transfert. Il y a encore lieu de relever que la police grand-
ducale, service UGAO-SGP, a informé le ministère, le 14 février 2025, que le transfert du demandeur pouvait être fixé au 24 février 2025, tout en demandant au ministère d’effectuer les démarches appropriées à cet égard. Enfin, le tribunal constate qu’un laissez-passer établi par le ministre le 14 février 2025 en faveur de l’intéressé, a été transmis aux autorités allemandes dans le cadre de la communication d’un formulaire, intitulé « Standard form for the transfer of data prior to a transfer pursuant to article 31(4) of regulation (EU) No 604/2013 », daté du même jour.
Dans ces conditions, le tribunal est amené à retenir que la procédure d’éloignement du demandeur est en cours et que les démarches entreprises à cet égard par les autorités luxembourgeoises doivent être considérées, à ce stade, comme suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 pour justifier le placement du demandeur en rétention, de sorte que les contestations afférentes sont à rejeter.
C’est, dès lors, à tort que le demandeur estime que la mesure d’éloignement n’aurait que peu de chances d’aboutir endéans la durée maximale de la mesure de rétention.
Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que contrairement à l’argumentation du demandeur, la mesure de placement en rétention litigieuse n’est pas disproportionnée et qu’en l’état actuel du dossier et en l’absence de moyens à soulever d’office, il ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée.
Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 février 2025 par :
Benoît HUPPERICH, premier juge, Sibylle SCHMITZ, premier juge, Georges GEDGEN, attaché de justice délégué, en présence du greffier en chef Xavier DREBENSTEDT.
s. Xavier DREBENSTEDT s. Benoît HUPPERICH Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 février 2025 Le greffier du tribunal administratif 10