Tribunal administratif N° 48325 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48325 5e chambre Inscrit le 27 décembre 2022 Audience publique du 12 février 2025 Recours formé par Madame (A), … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de remise gracieuse
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 48325 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 décembre 2022 par Madame (A), demeurant à …, dirigée contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 3 octobre 2022, référencée sous le numéro … ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mars 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 7 novembre 2024 par Maître Sabrina MARTIN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la requérante, préqualifiée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Emma DOMINGUES DE SOUSA, en remplacement de Maître Sabrina MARTIN, et Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 décembre 2024.
Par courrier du 16 novembre 2020, réceptionné par l’administration des Contributions directes le 18 novembre 2020, la société anonyme (AA), ci-après désignée par « la société (AA) », introduisit une réclamation contre « les bulletins d’impôt des années 2017 à 2018 du 13 août 2020 », auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur ».
Par une décision du 21 septembre 2021, référencée sous le numéro …, le directeur rejeta la réclamation introduite par la société (AA) et réforma in pejus les bulletins précités de l’impôt sur le revenu des collectivités, de la base d’assiette de l’impôt commercial communal, ainsi que de la retenue d’impôt sur les capitaux des années 2017 et 2018.
Par courrier du 20 décembre 2021, réceptionné le 27 décembre 2021, Madame (A) introduisit, ensemble avec Madame (B), « un recours gracieux contre la décision sur réclamation de l’administration des contributions directes, division contentieux, numéro de rôle … », en indiquant agir en leurs qualités de « dirigeantes de la société (AA) », requête qui fut qualifiée de demande de remise gracieuse par le directeur.
Par décision du 3 octobre 2022, répertoriée sous le numéro … du rôle, le directeur rejeta la demande de remise gracieuse précitée en les termes suivants :
« […] Vu la demande présentée le 27 décembre 2021 par les dames (A) et (B), en leur qualité de gérantes et au nom de la société (AA) (société à responsabilité limitée jusqu'au 4 décembre 2019), établie à …, ayant pour objet « un recours gracieux contre la décision sur la réclamation de l'administration des contributions directes, division contentieux, numéro de rôle …. » pour les années 2017 et 2018 ;
Vu le paragraphe 131 de la loi générale des impôts (AO), tel qu'il a été modifié par la loi du 7 novembre 1996 ;
Considérant qu'en vertu du paragraphe 131 AO, sur demande justifiée endéans les délais du paragraphe 153 AO, le directeur de l'administration des contributions directes accordera une remise d'impôt ou même la restitution, dans la mesure où la perception de l'impôt dont la légalité n'est pas contestée, entraînerait une rigueur incompatible avec l'équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable ;
Force est de constater que le moyen invoqué s'analyse en une contestation de la légalité matérielle de l'imposition, étrangère en tant que telle à la matière gracieuse ;
Considérant que la demande gracieuse ne doit ni servir à contourner la forclusion attachée au délai contentieux ou le réexamen d'office, ni à multiplier les voies de recours comme dans le cas d'espèce où la réclamation de la requérante a été réformée in pejus par la décision sur réclamation du directeur des contributions en date du 21 septembre 2021 pour les mêmes années en cause ;
Considérant que partant les conditions pouvant légalement justifier une remise gracieuse ne sont pas remplies ;
PAR CES MOTIFS, DÉCIDE :
La demande en remise gracieuse est rejetée. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 décembre 2022, Madame (A) a introduit un recours non autrement qualifié contre la décision directoriale précitée du 3 octobre 2022.
1) Quant à l’admissibilité de l’écrit intitulé « Argumentation décision critiquée » déposé par Madame (B) au greffe du tribunal administratif Il convient de prime abord de trancher la question de l’admissibilité de l’écrit, intitulé « Argumentation décision critiquée », signé et déposé au greffe du tribunal administratif le 9 janvier 2023 par Madame (B), étant donné qu’elle détermine le cadre des moyens à prendre en considération par la juridiction saisie dans sa démarche de solution du litige1.
Conformément à l’article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par la « loi du 21 juin 1999 », « Tout recours, en matière contentieuse, introduit devant le tribunal administratif […] est formé par requête », dont le dépôt fait courir les délais tels que fixés par l’article 52 de la loi précitée du 21 juin 1999 et plus particulièrement le délai pour le dépôt du mémoire en réponse par le défendeur et les tiers intéressés éventuels.
Par ailleurs, aux termes de l’article 7, précité, de la loi du 21 juin 1999, « Il ne pourra y avoir plus de deux mémoires de la part de chaque partie, y compris la requête introductive […] », sous réserve de la possibilité prévue par le paragraphe (3) dudit article 7 d’une autorisation de produire des mémoires supplémentaires donnée par le président du tribunal respectivement par le président de la chambre appelée à connaître de l’affaire.
Il se dégage des dispositions légales qui précèdent que seul un écrit peut être déposé au greffe du tribunal administratif à titre de requête introductive d’instance et qu’un second mémoire dans le chef de la partie demanderesse n’est autorisé qu’à titre de réplique qui ne peut être fournie qu’au cas où un mémoire en réponse a été déposé, tel que cela se dégage de l’article 5, paragraphe (5)2 de la loi du 21 juin 1999.
Or, indépendamment de la circonstance que l’écrit litigieux a été signé et déposé par Madame (B), partie tierce au présent recours, à défaut de mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif par la partie étatique à la date du 9 janvier 2023 - celui-ci ayant été déposé le 23 mars 2023 -, la partie demanderesse n’était pas autorisée, de par la loi, à déposer un second mémoire dans la présente instance à ce stade de la procédure.
Il se dégage partant de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’écrit, intitulé « Argumentation décision critiquée », déposé le 9 janvier 2023 est à écarter des débats.
2) Quant à la compétence du tribunal et la recevabilité du recours Si, comme en l’espèce, la requête introductive d’instance omet d’indiquer si le recours tend à la réformation ou à l’annulation de la décision déférée, il y a lieu d’admettre que le demandeur ait entendu introduire le recours prévu par la loi3.
Conformément aux dispositions combinées du § 131 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8, paragraphe (3), point 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur portant rejet d’une demande de remise gracieuse d’impôts.
Il y a partant lieu d’admettre que la demanderesse a entendu introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision directoriale précitée du 3 octobre 2022.
1 Cour adm., 14 novembre 2019, n° 42722C, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 933.
2 « (5) Le demandeur peut fournir une réplique dans le mois de la communication de la réponse; la partie défenderesse et le tiers intéressé sont admis à leur tour à dupliquer dans le mois. ».
3 Trib. adm., 18 janvier 1999, n° 10760 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 1286 et les autres références y citées.
Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours à plusieurs titres.
Premièrement, il conclut à un défaut de qualité à agir dans le chef de Madame (A) au motif que le recours gracieux aurait été introduit par la société (AA), de sorte que la décision directoriale ne concernerait que celle-ci, tandis que le recours sous examen aurait été introduit par Madame (A) en son nom personnel, sans que la société (AA) n’y soit mentionnée d’une quelconque façon.
En deuxième lieu, il fait valoir que si le tribunal devait arriver à la conclusion que le recours avait néanmoins été introduit au nom et pour compte de la société (AA), force serait de constater qu’il n’aurait pas été signé par les deux administrateurs comme requis par les statuts de ladite société.
Finalement, le délégué du gouvernement conclut encore à l’irrecevabilité du recours pour libellé obscur.
A l’audience publique des plaidoiries, le litismandataire de Madame (A) a soutenu que celle-ci avait introduit la requête en sa qualité de dirigeante de la société (AA).
Il convient au tribunal de trancher en premier lieu le moyen tiré d’un défaut de qualité à agir dans le chef de Madame (A).
A titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu’en règle générale, la qualité à agir, c’est-à-dire le pouvoir d’agir, à partir du moment où il n’a pas été réservé par la loi à certaines personnes, appartient à tout intéressé, c’est-à-dire à tous ceux qui peuvent justifier d’un intérêt direct et personnel. La qualité se confond alors avec l’intérêt. Au contraire, lorsque la loi a attribué le monopole de l’action à certaines personnes qu’elle désigne, seules ces dernières ont qualité pour agir4.
L’intérêt à agir conditionne la recevabilité d’un recours contentieux. En matière de contentieux administratif portant sur des droits objectifs, l’intérêt ne consiste pas dans un droit allégué, mais dans le fait vérifié qu’une décision administrative affecte négativement la situation en fait ou en droit d’un administré qui peut partant tirer un avantage corrélatif de la sanction de cette décision par le juge administratif5, étant souligné que l’intérêt à agir n’est pas à confondre avec le fond du droit en ce qu’il se mesure non au bien-fondé des moyens invoqués à l’appui d’une prétention, mais à la satisfaction que la prétention est censée procurer à une partie, à supposer que les moyens invoqués soient justifiés6.
Un demandeur, pour justifier d’un intérêt à agir, doit justifier d’un intérêt personnel et certain, en ce sens que la réformation ou l’annulation de l’acte litigieux doit lui procurer une 4 Trib. adm., 4 mai 2009, n° 23190 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 189 (2e volet) et l’autre référence y citée.
5 Cour adm., 14 juillet 2009, nos 23857C et 23871C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 2 et les autres références y citées.
6 Trib. adm., prés., 27 septembre 2002, n° 15373 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 3 (2e volet) et les autres références y citées.
satisfaction certaine et personnelle7. L’intérêt invoqué doit encore être distinct de l’intérêt général, le demandeur devant justifier de l’existence d’un lien suffisamment direct entre la décision querellée et sa situation personnelle8. L’intérêt doit ainsi être certain, c’est-à-dire né et actuel. Un intérêt simplement éventuel ou hypothétique n’est pas pris en considération9.
Dès lors, le recours ne sera déclaré recevable que si la décision attaquée est susceptible de causer un préjudice au demandeur. De surcroît, quant au caractère actuel, l’intérêt à agir ne peut être seulement futur ou simplement virtuel.
C’est au requérant à démontrer son intérêt, de façon concrète, au-delà de simples allégations, le juge administratif devant seulement avoir égard à ce qu’il avance à ce sujet10.
En l’espèce, il échet de dégager des pièces et éléments du dossier fiscal versé en cause qu’en date du 27 décembre 2021, Madame (A) a introduit, ensemble avec Madame (B), en leur qualité de gérantes et au nom de la société (AA) une demande de remise gracieuse « contre la décision sur réclamation de l’administration des contributions directes, division contentieux, numéro de rôle … » auprès du directeur, demande à laquelle le directeur a refusé de faire droit par la décision directoriale litigeuse du 3 octobre 2022, émise à l’égard de la société (AA).
Force est ensuite de constater que la décision litigieuse du 3 octobre 2022 a été émise par le directeur à l’égard de la société (AA), celle-ci se rapportant par ailleurs à l’imposition effectuée par le bureau d’imposition à l’égard de la société (AA) pour les années 2017 à 2018. Il se dégage ensuite de la requête introductive d’instance que celle-ci a été introduite non pas par la société (AA), mais par Madame (A), dans la mesure où elle indique comme « [o]bjet de la demande : Nous11 souhaiterions une révision de la décision du 3 octobre 2022 à notre demande de remise gracieuse, car nous nous sommes déplacées avec notre véhicule pour des raisons professionnelles dans la plus part de nos déplacement lors des années 2017 et 2018 », le terme « nous » renvoyant, de l’entendement du tribunal, à Madame (A) elle-
même ainsi qu’à Madame (B). La requête est d’ailleurs signée par Madame (A) en son nom personnel, sans indiquer qu’elle agirait au nom de la société (AA).
Cette conclusion n’est pas ébranlée par les développements du litismandataire de Madame (A) à l’audience publique du 18 décembre 2024, étant donné qu’au vu du libellé du recours, qui ne mentionne ni la société (AA) ni le mandat social de Madame (A) au sein de cette dernière, il ne saurait être retenu qu’à travers le recours, Madame (A) aurait agi en sa qualité de représentant légal de ladite société. A cela s’ajoute que si Madame (A) est certes, de façon non contestée par le délégué du gouvernement, une des gérantes de la société (AA), il n’en demeure pas moins que Madame (A) et la société (AA) constituent deux personnalités juridiques distinctes, de sorte qu’un recours introduit par Madame (A), sans autre précision, n’est pas d’office à considérer comme recours introduit par cette dernière au nom de la société (AA).
7 Trib. adm., 22 octobre 2007, n° 22489 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 12 et les autres références y citées.
8 Trib. adm., 27 juin 2001, n° 12485 du rôle, confirmé par Cour adm., 17 janvier 2002, n° 13800C du rôle, Pas.
adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 16 et les autres références y citées.
9 Le contentieux administratif en droit luxembourgeois, Rusen Ergec, Pas. adm. 2023, n° 114.
10 Idem., n°111.
11 Souligné par le tribunal.
Au vu des considérations qui précédent, le tribunal arrive à la conclusion que le recours a été introduit par Madame (A), agissant en son nom personnel.
Toutefois, il convient encore à cet égard de souligner qu’en principe un recours contentieux est ouvert à toute personne qui peut être affectée indirectement par une décision administrative adressée à une autre personne, dès lors que cette décision est susceptible de lui causer préjudice. A ce titre, il est nécessaire que le demandeur puisse se prévaloir d’une lésion à caractère individualisé et retirer de l’annulation une satisfaction certaine et personnelle. L’intérêt à agir implique un lien personnel avec l’acte et une lésion individuelle par le fait de l’acte12.
Il importe donc de vérifier si l’acte litigieux est de nature à porter préjudice à Madame (A).
Or, dans la mesure où Madame (A) n’indique pas, face aux contestations de la partie étatique, quelle satisfaction certaine et personnelle une éventuelle réformation de la décision directoriale déférée serait susceptible de lui procurer à titre personnel, ni le lien direct entre ladite décision et sa situation personnelle, le tribunal retient qu’elle n’a pas justifié d’un intérêt à agir contre la décision du directeur du 3 octobre 2022 prise par rapport à une demande de remise gracieuse introduite par la société (AA) par rapport à des bulletins visant exclusivement celle-ci.
Le recours est dès lors à déclarer irrecevable sans qu’il n’y ait lieu de statuer plus en avant sur les autres questions d’irrecevabilité soulevées par le délégué du gouvernement.
Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;
écarte des débats l’écrit intitulé « Argumentation décision critiquée » déposé le 9 janvier 2023 au greffe du tribunal administratif ;
déclare le recours irrecevable, partant le rejette ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 février 2025 par :
Françoise EBERHARD, premier vice-président, Carine REINESCH, premier juge, Benoît HUPPERICH, premier juge, en présence du greffier Shania HAMES.
s. Shania HAMES s. Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 février 2025 Le greffier du tribunal administratif 12 Trib. adm., 16 juillet 1997, n°9626 du rôle, Pas. adm. 2023, Procédure contentieuse n° 176 et les autres références y citées.