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11/02/2025 | LUXEMBOURG | N°49172

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 février 2025, 49172


Tribunal administratif N° 49172 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49172 3e chambre Inscrit le 14 juillet 2023 Audience publique du 11 février 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49172 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 juillet 2023 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats

à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Iran) et être ...

Tribunal administratif N° 49172 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49172 3e chambre Inscrit le 14 juillet 2023 Audience publique du 11 février 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49172 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 juillet 2023 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Iran) et être de nationalité iranienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 29 juin 2023 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 août 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 décembre 2024.

Le 24 mai 2019, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, du même jour.

En date du 10 octobre 2019, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 31 mars 2021, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée en date du même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », rejeta la demande de protection internationale de Monsieur (A), tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

1Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 avril 2021, inscrite sous le numéro 45956 du rôle, Monsieur (A) fit introduire un recours tendant à la réformation de ladite décision ministérielle du 31 mars 2021.

Par jugement du 7 février 2023, inscrit sous le numéro 45956 du rôle, le tribunal administratif déclara le recours en réformation recevable et justifié, et, dans le cadre du recours en réformation, annula la décision ministérielle du 31 mars 2021 et renvoya l’affaire devant le ministre aux fins d’un entretien complémentaire concernant la demande de protection internationale de Monsieur (A), tout en condamnant l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

En date du 13 avril 2023, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale dans le cadre d’un entretien complémentaire.

Par décision du 29 juin 2023, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le 6 juillet 2023, le ministre rejeta la demande de protection internationale de Monsieur (A), tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :

« […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 24 mai 2019 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains votre fiche manuscrite du 24 mai 2019, le rapport du Service de Police Judiciaire du 24 mai 2019, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 10 octobre 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, la décision ministérielle de refus du 31 mars 2021, le recours en réformation de votre mandataire du 27 avril 2021, le mémoire déposé par la partie étatique dans la procédure contentieuse en date du 28 juin 2021, le jugement du Tribunal administratif du 7 février 2023 (N°45956 du rôle), le rapport d'entretien complémentaire de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 13 avril 2023 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que votre permis de conduire versé à l'appui de votre demande de protection internationale.

Avant tout autre développement, il convient de signaler que vos déclarations vagues et incohérentes au fil de votre témoignage ont complexifié la synthétisation de votre rapport d'entretien de sorte que la reconstitution ci-dessous ne représente qu'une tentative de refléter au mieux votre vécu en Iran et les motifs vous ayant poussé à introduire une demande de protection internationale au Luxembourg.

2Monsieur, il ressort de votre rapport d'entretien du 10 octobre 2019 que vous seriez né le … à … en Iran, de nationalité iranienne, d'ethnie fars, athée, célibataire et détenteur d'un baccalauréat en électronique. Au cours des deux années qui auraient précédé votre départ d'Iran en date du 19 juillet 2018, vous auriez vécu seul à … et y auriez travaillé comme « … », respectivement ….

À l'appui de votre demande, vous avancez avoir quitté l'Iran au motif que vous craindriez d'y être condamné à une peine de prison après que les autorités iraniennes auraient perquisitionné votre domicile en votre absence et se seraient saisis de votre documentation antireligieuse et antigouvernementale, interdite par la législation iranienne.

Premièrement, vous expliquez que « le but dans ma vie » aurait été de « résister » au régime iranien (p.6/10 du rapport d'entretien). Pour ce faire, vous vous seriez documenté et instruit en accumulant et en lisant des documents et textes, tels que le livre interdit en Iran « 23 ans » d'Ali DASHTI, qui expliqueraient « comment l'Islam a pénétré en Iran » ou « touchaient à ce genre de sujet » (p.6/10 du rapport d'entretien). Vous en auriez conclu que la pratique d'une religion, en l'occurrence l'Islam, serait obsolète et inutile pour le bien-être d'une société et que vous en auriez fait une « quête de le faire savoir aux gens » (p.6/10 du rapport d'entretien). Votre intérêt en la matière se serait développé à l'Université de …, où vous auriez étudié les œuvres de poètes et écrivains, dont le livre « 23 ans », et eu des discussions avec les élèves et les professeurs, qui vous auraient finalement valu une exclusion.

Vous auriez dès lors fait « très attention » (p.7/10 du rapport d'entretien) et vous auriez souvent changé de ville et de lieux de travail.

Deuxièmement, vous indiquez que vous auriez passé la soirée du 10 juillet 2018 en compagnie de sept personnes dont deux collègues de travail et « le reste était les amis d'amis » (p.6/10 du rapport d'entretien). Vous auriez discuté ensemble « de la mort et de la vie ainsi que des problèmes de la religion » (p.6/10 du rapport d'entretien). Vous auriez alors critiqué ouvertement l'islam et dépeint le vénéré imam Ali comme étant un personnage sanguinaire, tout en déplorant que trois jours de deuil national seraient commémorés en son honneur et en approuvant qu'il aurait été assassiné par un Iranien.

Le lendemain, alors que vous auriez été absent de votre domicile, votre frère qui se serait trouvé chez vous dans le cadre d'une visite, vous aurait téléphoné pour vous avertir de ne plus y revenir alors que « trois personnes en civil » (p.5/10 du rapport d'entretien) auraient sonné à votre porte et lui auraient demandé où vous vous trouveriez. Ils auraient ensuite perquisitionné votre domicile et « emmené mon ordinateur avec tous les livres » (p.5/10 du rapport d'entretien). Vous soupçonneriez dans ce contexte qu'un des participants, témoin de vos dires préjudiciables le soir précédent, vous aurait dénoncé aux autorités iraniennes.

Conscient de la nature compromettante des biens saisis, à savoir votre documentation antireligieuse et antigouvernementale interdite en Iran, et des conséquences que vous risqueriez de subir en raison de sa possession, vous auriez pris la décision de quitter … le jour-

même et de vous rendre à …. Vous y seriez resté une dizaine de jours, en changeant plusieurs fois d'auberge par mesure de précaution, pour attendre que votre frère vous ramène votre passeport « afin que je puisse quitter le pays » (p.5/10 du rapport d'entretien). Le 19 juillet 2018, vous auriez quitté l'Iran et seriez passé par la Turquie, la Serbie, la Croatie, la Slovénie, l'Autriche, l'Italie et la France avant de venir introduire une demande de protection internationale au Luxembourg.

3À l'appui de votre demande de protection internationale, vous versez un permis de conduire iranien alors que vos documents d'identité seraient « restés en Iran » (p.2/10 du rapport d'entretien).

Suite au jugement du 7 février 2023 du Tribunal administratif, la Direction de l'immigration vous a convoqué pour le 13 avril 2023 afin de procéder à un entretien complémentaire en vue de vous permettre d'apporter des éclaircissements aux incohérences soulevées par le Ministre dans sa décision du 31 mars 2021. Après avoir répondu à une série de questions rudimentaires, vous avez néanmoins décidé de mettre fin à cet entretien complémentaire en ne répondant plus aux questions posées.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Avant tout autre développement en cause, il convient de rappeler qu'il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits, craintes et persécutions par lui allégués, sur base d'un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre l'administration en mesure de saisir l'intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l'analyse d'une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément fondamental dans l'appréciation du bien-fondé d'une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Or, la question de crédibilité se pose avec acuité dans votre cas alors qu'il y a lieu de constater que vos revirements de position, vos réponses peu détaillées et votre manque de collaboration ne font pas état de manière crédible qu'il existerait des raisons sérieuses de croire que vous encourriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la Loi de 2015.

Par conséquent Monsieur, je tiens à vous informer que la crédibilité de votre récit est remise en cause pour les raisons suivantes :

Premièrement, il ressort de votre dossier administratif que vous n'avez versé aucun document d'identité à l'appui de votre demande de protection internationale de sorte que vos allégations relatives à votre identité ne reposent que sur vos dires.

Tout d'abord, quand bien même les analyses de l'Unité de la Police de l'Aéroport (UPA) ont permis de déterminer en date du 17 avril 2020 que le permis de conduire iranien que vous avez versé à l'appui de votre demande de protection internationale est authentique, il y a lieu de soulever qu'il ne s'agit pas d'un document suffisant qui permet de formellement déterminer votre identité. De plus, compte tenu de la qualité relativement médiocre du portrait biométrique sur ce permis de conduire, il est impossible d'établir avec certitude qu'il s'agit bien du vôtre.

Ensuite, en ce qui concerne vos justifications relatives à l'absence du versement d'un document d'identité, respectivement votre passeport ou votre carte d'identité, il appert que vous dites tout et son contraire de sorte qu'il est impossible de démêler le vrai du faux.

4Par rapport à votre passeport, d'une part vous expliquez lors de votre entretien ministériel du 10 octobre 2019 que vous ne seriez pas en mesure de présenter des documents d'identité à la Direction de l'immigration car « ils sont restés en Iran » (p.2/10 du rapport d'entretien), suggérant clairement que vous auriez donc quitté l'Iran sans passeport. L'agent ministériel vous demande alors d'entreprendre les démarches nécessaires pour vous faire parvenir vos documents d'identité alors que vous affirmez être en mesure de contacter l'un de vos frères en Iran. D'autre part, vous rapportez que vous auriez été contraint d'attendre une dizaine de jour à …, dans un climat prétendument anxiogène, que « mon frère amène mon passeport afin que je puisse quitter le pays » (p.5/10 du rapport d'entretien), sous-entendant clairement donc que la possession de votre passeport aurait constitué pour vous une condition fondamentale pour quitter sereinement votre pays d'origine. Or, Monsieur, il est évident que ces deux cas de figure ne peuvent pas se chevaucher logiquement puisqu'il est incompatible que vous puissiez d'abord prétendre que vos documents d'identité, en l'occurrence votre passeport, se trouveraient encore en Iran ce qui implique logiquement que vous auriez donc quitté l'Iran sans être en possession de ceux-ci pour ensuite déclarer que vous auriez pris le risque de retarder votre départ d'Iran d'une dizaine de jours pour attendre la remise de votre passeport par votre frère « afin que je puisse quitter le pays ». Partant, il convient de rejeter l'argumentation erronée de votre mandataire lorsqu'il conteste, dans votre recours en réformation du 27 avril 2021, le fait que vous n'auriez « jamais donné deux versions différentes » (p.8/35 du recours en réformation).

Votre mandataire reproche par ailleurs à la Direction de l'immigration de ne pas avoir « posé de question relative à l'absence de passeport du requérant lors de son audition » (p.8/35 du recours en réformation). Or, il s'agit d'une autre argumentation fallacieuse puisque l'agent ministériel vous a demandé « Pourquoi ? » vos documents d'identité seraient « restés en Iran », ce à quoi vous lui avez répondu que « je ne me promène jamais avec mes documents. J'ai toujours mon permis sur moi et ce jour-là c'était la même chose. J'ai aussi une carte bancaire » (p.2/10 du rapport d'entretien). Vous avez donc bien été interrogé et en mesure de donner une explication « relative à l'absence de passeport » puisque vous avancez - à cet instant de l'entretien - qu'il serait resté en Iran puisque vous ne l'auriez pas porté sur vous, comme à votre habitude, le jour de votre départ d'Iran.

Finalement, dans l'objectif d'écarter cette incohérence mettant à mal votre crédibilité, vous décidez d'opter dans votre recours en réformation pour une troisième version selon laquelle « les passeurs lui ont confisqué son passeport avant de quitter la Turquie » (p.8/35 du recours en réformation). Cette nouvelle version vous permet habilement de vous aligner de manière cohérente au cas de figure selon lequel vous auriez réellement attendu une dizaine de jours à … pour vous voir remettre votre passeport par votre frère avant votre exil - et que vous auriez donc quitté votre pays d'origine en possession de votre passeport - mais elle ne saurait cependant aucunement fournir une explication rationnelle à la raison pour laquelle vous avez mentionné en début d'entretien que vos documents d'identité, en l'occurrence votre passeport, se trouveraient toujours en Iran. Par conséquent, prenant en compte ces contradictions et vos révisions constantes pour maintenir un semblant de cohérence dans votre récit, aucune crédibilité n'est accordée à vos dires.

En ce qui concerne votre carte d'identité, la justification fournie quant à l'absence de son versement à la Direction de l'immigration est la même que pour votre passeport, à savoir que vos documents d'identité « sont restés en Iran » (p.2/10 du rapport d'entretien). Vous confirmez par ailleurs cette version dans votre entretien complémentaire du 13 avril 2023 en indiquant que votre carte d'identité se serait trouvée en 2018 « à la maison paternelle » (p.4/7 5du rapport d'entretien complémentaire) et que vous ne l'auriez donc pas détenue lors de votre fuite d'Iran. Contrairement à vos déclarations relatives à la localisation de votre passeport, vous tenez donc un récit inchangé en ce qui concerne la localisation de votre carte d'identité.

Néanmoins, il appert que l'explication que vous donnez pour justifier l'absence de moyens en votre possession pour vous faire parvenir votre carte d'identité restée en Iran n'est aucunement crédible. En effet, lors de votre entretien du 10 octobre 2019, vous avancez que le versement de votre carte d'identité à la Direction de l'immigration dépendrait principalement de votre frère car vous n'auriez « personne d'autre » (p.2/10 du rapport d'entretien) en Iran pour vous soutenir. Or, dans le cadre de votre entretien complémentaire, vous avancez non seulement que votre carte d'identité serait « à la maison paternelle », mais en plus que vous seriez toujours en contact avec d'autres membres de votre famille depuis votre arrivée au Luxembourg (p.3/7 du rapport d'entretien complémentaire). Partant, alors que votre excuse initiale se trouve être non fondée et contredite par vous-même, il est aberrant de constater vous êtes resté complètement passif et que vous n'avez visiblement entamé aucune démarche pour vous voir remettre ne serait-ce qu'une copie de votre carte d'identité depuis l'introduction de votre demande de protection internationale au Luxembourg en mai 2019, d'autant plus qu'elle serait localisée dans un endroit facilement accessible pour les membres de votre famille.

Par conséquent, puisque vous n'êtes pas en mesure de garder une version inchangée en ce qui concerne la localisation de votre passeport, que vous êtes visiblement resté passif et que vous n'avez entamé aucune démarche depuis l'introduction de votre demande de protection internationale en date du 24 mai 2019 pour vous voir remettre une copie de votre pièce d'identité - alors que vos propos divergent quant aux moyens en votre possession pour vous voir en remettre une - et que finalement vous ne versez aucun document d'identité à l'appui de votre demande de protection internationale, l'on peut s'interroger sur les raisons réelles vous ayant amené à ne pas en présenter et à ne pas jouer franc-jeu avec les autorités auxquelles vous demandez une protection et en conclure que votre identité n'est pas formellement établie.

Deuxièmement, tout comme l'absence du versement d'un document d'identité, il appert que vous n'apportez aucun autre type de document qui permettrait de corroborer un minimum vos dires relatifs à votre vie familiale, sociale ou professionnelle, voire votre résistance alléguée en Iran, de vos opinions politiques ou de vos intérêts de recherche et de documentation anti-régime, de sorte que ces déclarations restent également au stade de pures allégations.

Pour rappel, il incombe au demandeur de protection internationale de tout mettre en œuvre pour prouver ses dires auprès des autorités desquelles il demande une protection. Or, il est évident que depuis votre arrivée au Luxembourg en date du 24 mai 2019, soit en l'espace de quatre années, vous êtes totalement resté inactif à cet égard et vous n'avez visiblement à aucun moment jugé opportun de corroborer la moindre partie de vos dires grâce à des documents qui seraient en mesure d'établir vos allégations. Ce constat est d'autant plus déplorable alors qu'il est évident que vous auriez facilement pu récolter une série de preuves via votre famille qui résiderait encore en Iran et avec qui vous auriez maintenu un contact tangible (p.3/7 du rapport d'entretien complémentaire).

En guise d'exemple, l'on peut relever le fait que vous auriez pu verser une preuve de votre inscription à l'Université de …, une copie de votre diplôme en électronique, un de vos divers contrats professionnels alors que vous auriez changé « souvent le lieu de travail » (p.7/10 du rapport d'entretien), comme celui de la société « … » où vous auriez exercé avant 6de fuir l'Iran, ou encore des contrats de bail alors que vous auriez également « souvent » déménagé.

Par rapport à votre fuite d'Iran, vous auriez très bien pu remettre les factures relatives à votre séjour à … alors que vous y auriez été dans des résidences hôtelières pendant une dizaine de jours, ou éventuellement transmettre une preuve des échanges téléphoniques que vous auriez eus avec votre frère lorsqu'il vous aurait informé de la perquisition, préparé votre départ de votre pays d'origine ou fixé un rendez-vous pour vous remettre prétendument votre passeport.

Finalement, en ce qui concerne la justification concernant l'absence d'une remise de preuves relatives à la documentation anti-islamiste et anti-gouvernementale que vous auriez possédée, il appert que vous utilisez à votre guise une argumentation contradictoire. En effet, alors qu'il vous a été reproché dans la décision ministérielle du 31 mars 2021 ne pas être en mesure de verser une partie de cette documentation à l'appui de votre demande de protection internationale, votre mandataire avance dans votre recours en réformation du 27 avril 2021 que vous n'auriez pas eu « besoin de sauvegarder le fruit de ses lectures (…) il est incohérent voir dangereux de proposer au demandeur d'asile de sauvegarder les documentations litigieux et anti-gouvernemental » (p.11/35 du recours en réformation). En d'autres termes, vous sous-

entendez clairement qu'il aurait été incohérent pour vous, voire dangereux, de sauvegarder ce type de documentation dans l'unique but de prouver vos dires un jour. Or, si vous aviez réellement pris le soin de ne jamais sauvegarder le contenu de votre documentation par mesure de précaution, alors il paraît paradoxal que vous puissiez en même temps prétendre que cette documentation « non sauvegardée » aurait été saisie lors de la perquisition du 11 juillet 2018.

Il convient en réalité de percevoir cette justification comme étant malhonnête puisque les deux cas de figure présentés ne peuvent pas se chevaucher logiquement : d'une part prétendre ne pas avoir sauvegarder sa documentation pour se protéger et justifier l'absence d'un tel versement dans le cadre d'une demande de protection internationale n'est pas compatible avec un motif invoqué suggérant que vous auriez fui votre pays d'origine à cause d'une perquisition ayant débouché sur la saisie de cette même documentation.

Dans ce contexte, il y a surtout lieu de relever qu'il aurait été à votre avantage de verser la preuve d'une telle documentation, ou du moins d'étaler vos connaissances en la matière, alors qu'il paraît étrange que vous vous contentez de citer répétitivement un seul et unique livre de référence, à savoir « 23 ans » d'Ali DASHTI, durant l'intégralité de votre entretien du 10 octobre 2019. En réalité, l'on aurait raisonnablement pu s'attendre de la part d'un individu qui prétend s'être « beaucoup documenté » et avoir « beaucoup lu » (p.6/10 du rapport d'entretien) de ne pas être avare en détails, d'être en mesure de citer beaucoup plus d'œuvres et de s'étendre sur ses connaissances au lieu d'en faire référence de manière vague et imprécise comme « des informations de ce genre » ou « ce genre de sujets » (p.6/10 du rapport d'entretien). En d'autres termes, le fait que vous avez uniquement été apte à citer un livre dans le cadre de votre entretien pour exemplifier les lectures dont vous faisiez référence, alors que vous étiez libre de développer vous-même votre récit, est relativement déconcertant et sème sérieusement le doute sur la crédibilité de vos prétendus intérêts pour la documentation anti-

islamiste et antigouvernementale.

Troisièmement, il appert que vous tenez des déclarations contradictoires en ce qui concerne la nature de vos relations familiales de sorte que les explications que vous fournissez pour justifier l'absence du versement de documents à l'appui de votre demande de protection internationale sont non crédibles.

7Dans ce contexte, il convient de rappeler que le défaut de versement de preuves documentaires à l'appui de votre demande de protection internationale vous a déjà été reproché dans la décision ministérielle du 31 mars 2021. En effet, la Direction de l'immigration avait estimé, sur base de votre entretien du 10 octobre 2019, que vous n'aviez pas entrepris les démarches nécessaires pour vous faire parvenir des documents étant donné que des membres de votre famille résideraient toujours en Iran et qu'ils ne seraient pas inquiétés par les autorités iraniennes. Votre argumentation selon laquelle vous n'auriez « personne d'autre que mon frère » (p.2/10 du rapport d'entretien) pour vous soutenir en Iran n'avait par conséquent pas porté conviction.

Partant, dans le cadre de votre recours en réformation du 27 avril 2021, votre mandataire a plaidé ambigument que vous n'auriez « pas mentionné aucun contact avec sa famille mis à part son frère (…). De plus, aucune question ne fut posée à ce sujet par l'agent ministériel » (p.14/35 du recours en réformation). Le Tribunal administratif estime par ailleurs dans son jugement du 7 février 2023 qu'« il ne se dégage pas du rapport d'entretien (…) du 10 octobre 2019, que la production de telles pièces lui a été explicitement demandé par l'agent en charge de l'entretien » et que vous n'auriez pas eu « la possibilité » de vous expliquer sur les raisons pour lesquelles vous n'en auriez pas versées (p.18/22 du jugement du Tribunal administratif).

Or, il ressort de votre entretien complémentaire du 13 avril 2023 que l'argumentation de la décision ministérielle du 31 mars 2021 était cohérente de sorte que votre justification -

selon laquelle la possibilité de vous voir remettre des documents serait amoindrie par le fait que vous seriez uniquement en contact avec l'un de vos frères et non pas l'ensemble de votre famille - n'est pas crédible. En effet, il ressort de vos déclarations du 13 avril 2023 non seulement que vous auriez entretenu avant votre départ d'Iran des relations « avec toute ma famille mais plus particulièrement mon frère cadet » (p.3/7 du rapport d'entretien complémentaire), mais aussi depuis votre exil puisque vous seriez encore « en contact avec ma famille mais pas régulièrement, peut-être tous les 4, 5 ou 6 mois par WhatsApp par exemple » (p.3/7 du rapport d'entretien complémentaire). Des déclarations donc incohérentes si elles sont comparées avec vos déclarations initiales selon lesquelles « Je n'ai personne d'autre que mon frère » (p.2/10 du rapport d'entretien), de sorte que l'agent en charge de votre entretien vous demande des explications. Vous commentez que vous ne considérez pas le fait d'échanger « tous les 4, 5 ou 6 mois » avec votre famille comme un « contact » (p.3/7 du rapport d'entretien complémentaire). Nonobstant la dénomination que vous donnez à la nature de vos liens avec les membres de votre famille, votre explication n'emporte aucunement conviction car quand bien même vous n'auriez que des contacts irréguliers avec les membres de votre famille, ceux-ci sont largement suffisants pour vous permettre de solliciter leur soutien afin qu'ils vous transmettent les éventuels documents nécessaires que vous pourriez verser à l'appui de votre demande de protection internationale. Ce constat est d'autant plus corroboré par le fait que non seulement votre carte d'identité se trouverait, conformément à vos dires, « à la maison paternelle » (p.4/7 du rapport d'entretien complémentaire), mais en plus vous déclarez que vous auriez un frère cadet dénommé « (B) avec lequel je me sens le plus proche et quand j'ai quelque chose à lui demander, il le fait pour moi » (p.3/7 du rapport d'entretien). À noter que votre explication confuse décrivant la prétendue dangerosité de demander un tel soutien aux membres de votre famille n'est aucunement crédible alors que vous avez formellement déclaré dans votre entretien du 10 octobre 2019 que les membres de votre famille ne seraient pas inquiétés par les autorités iraniennes et qu'il convient d'en déduire qu'il n'aurait certainement pas été risqué pour l'un d'entre eux de photographier votre carte d'identité qui se trouverait « à la maison paternelle » et de vous l'envoyer via WhatsApp. Par ailleurs, quand bien même 8votre mère, votre père et l'un de vos frères seraient décédés depuis l'introduction de votre demande de protection internationale au Luxembourg (p.2/7 du rapport d'entretien complémentaire), ces faits malheureux ne sauraient être une justification suffisante pour contrer l'argumentation ministérielle alors que deux de vos frères, dont (B), et vos trois sœurs résideraient encore en Iran.

En ce qui concerne l'argumentation dans le jugement du Tribunal administratif du 7 février 2023 relative au fait que la Direction de l'immigration ne vous a jamais demandé explicitement la remise de pièces documentaires dans le cadre de votre entretien du 10 octobre 2019, il convient de soulever qu'il est tout de même consternant qu'au vu de tous les avertissements formulés postérieurement au cours de votre procédure, vous n'avez jamais entrepris une quelconque démarche. En effet, quand bien même vous avez été averti dès le 31 mars 2021, respectivement il y a plus de deux ans, par la décision ministérielle que l'absence du versement de pièces documentaires était problématique et qu'elle mettait à mal votre crédibilité, il est aberrant de noter que vous n'en avez visiblement pas été inquiété puisque vous n'avez entrepris aucune démarche pour y remédier. Si ce premier avertissement n'était pas suffisant, il appert que le jugement du Tribunal administratif du 7 février 2023 n'a également pas enclenché en vous le besoin urgent de trouver une solution pour faire parvenir à la Direction de l'immigration des documents à l'appui de votre demande, et ce d'autant plus dans l'éventuelle optique de préparer sereinement votre entretien complémentaire fixé au 13 avril 2023.

Monsieur, alors qu'on est en droit d'attendre d'un demandeur de protection internationale réellement persécuté ou à risque d'être persécuté et en défaut de toute pièce et de toute preuve à l'appui de ses dires, qu'il présente au moins un récit crédible et cohérent, il appert que, hormis les contradictions soulevées au sujet de vos pièces d'identité et de votre impossibilité à vous faire parvenir des preuves à l'appui de vos dires, votre récit contient encore d'autres contradictions et incohérences.

Quatrièmement, il ressort de la lecture de votre rapport d'entretien du 10 octobre 2019 que les raisons ayant conduit à la perquisition de votre domicile ne sont pas crédibles.

Effectivement, vous expliquez qu'après votre expulsion de l'Université de …, en raison des discussions engagées que vous auriez eues avec des étudiants et professeurs, vous auriez été conscient des risques que vous pourriez encourir si vous teniez des propos anti-islamiste et anti-gouvernemental. Par conséquent, vous rapportez que dès votre expulsion « je faisais très attention et je changeais souvent de ville. Je changeais souvent le lieu de travail » et « je ne parle pas d'emblée avec les gens et je ne déclenche pas de conversations » (p.7/10 du rapport d'entretien). Vous insinuez donc clairement que vous auriez été un individu averti qui aurait été conscient que le contenu de ses propos politisés en défaveur de l'islamisation de la société et contre le régime iranien pouvait lui porter préjudice, à tel point que vous auriez même pris l'extrême précaution de ne jamais vous installer durablement dans une ville puisque vous auriez souvent déménagé et changé de lieu de travail préventivement.

De ce fait, il semble complètement improbable que vous auriez perdu cette lucidité dans le cadre d'une soirée où vous auriez été accompagné de deux amis et cinq inconnus au simple motif que « la discussion a dévidé vers ce sujet (…) Si on me demande quelque chose, je donne mon avis » (p.7/10 du rapport d'entretien). En d'autres termes, il paraît incompatible qu'un individu prétendument avisé, qui aurait jusqu'à-là été extrêmement prudent sur le contenu de 9ses dires, aurait totalement baissé sa garde en se mettant à critiquer ouvertement l'Islam et un Imam vénéré ardemment en Iran devant cinq inconnus.

Ainsi, puisque la véracité du déroulement de cette soirée est déjà sérieusement interrogeable, alors que votre comportement aurait été incompatible avec le précautionnisme dont vous auriez habituellement fait preuve, il convient d'en déduire par extension que la perquisition de votre domicile n'est pas à percevoir comme étant crédible alors que vous en faites deux évènements auxiliaires en déclarant « je soupçonne que la perquisition soit liée à ça » (p.6/10 du rapport d'entretien).

Cinquièmement, quand bien même vous auriez tenu de tels propos dans le cadre d'une soirée devant des participants inconnus de la soirée, il convient de soulever que le déroulement des faits qui en auraient découlé, respectivement votre comportement et la perquisition à votre domicile, n'emporte aucunement conviction.

En effet, force est de constater que vous n'êtes qu'en mesure d'expliquer que trois inconnus en civil auraient sonné à la porte de votre domicile dès le lendemain de la soirée, auraient demandé à votre frère où vous vous trouviez, auraient ensuite perquisitionné votre domicile et « confisqué du matériel interdit » (p.8/10 du rapport d'entretien), respectivement ils se seraient saisis de « mon ordinateur avec tous les livres » (p.5/10 du rapport d'entretien).

Or, il est déconcertant d'observer que vous n'êtes pas en mesure d'apporter plus de détails quant à cet évènement bouleversant pour votre vie, au motif que vous ne seriez qu'en mesure de répéter les dires de votre frère : « Il ne m'a dit rien d'autre » (p.6/10 du rapport d'entretien).

En d'autres termes, il paraît irrationnel que vous vous êtes contenté de ce minimalisme informationnel pour drastiquement modifier le cours de votre vie en décidant directement de quitter votre travail, votre famille, vos amis, votre domicile et fuir votre pays d'origine.

Inversement, en ayant pris une telle décision extrême, l'on aurait raisonnablement pu s'attendre de votre part que vous auriez tenté de récolter plus d'informations de la part de votre frère afin de confirmer vos craintes redoutées, telles que par exemple le contenu et l'ampleur des matériels saisis, la durée de la perquisition, les éventuels commentaires qu'auraient fait les trois inconnus au cours de celle-ci, voire sa légalité, ou encore des indices quant à l'identité ou la fonction des trois inconnus. Toutefois, le peu d'informations dont vous auriez disposé -

donc le flou compréhensif dans lequel vous vous seriez trouvé - et votre décision fatale qui en aurait découlé pousse à s'interroger sérieusement sur la crédibilité de votre récit.

Pour rappel, vous avancez donc ne pas savoir qui sont les trois personnes en civil qui auraient perquisitionné votre domicile (p.6/10 du rapport d'entretien), ne pas savoir s'ils avaient été en possession d'un mandat de perquisition (p.6/10 du rapport d'entretien) - de sorte que le terme « perquisition » que vous employez répétitivement est à relativiser sérieusement -

et ne pas connaître le contenu exact et l'ampleur des matériels saisis puisque vous n'êtes jamais retourné à votre domicile. Partant, votre déduction débouchant sur la conclusion que vous auriez été la cible des autorités iraniennes paraient être une interprétation relativement exagérée et ce d'autant plus que vous confirmez ne pas savoir si vous êtes réellement recherché par les autorités iraniennes (p.8/10 du rapport d'entretien). Ce constat est conforté par le fait que vous ne signalez aucunement que des membres de votre famille auraient été contactés par les autorités iraniennes depuis votre fuite d'Iran en date du 19 juillet 2018, notamment votre frère qui aurait été présent lors de la perquisition de votre domicile, de sorte qu'il parait raisonnable de penser que vous n'auriez en réalité jamais été dans leur collimateur.

10Par ailleurs, si les autorités iraniennes avaient vraiment voulu vous arrêter, il paraît évident que les trois inconnus en civil auraient attendu votre retour à votre domicile afin de procéder à votre arrestation au lieu de se contenter de saisir une partie de vos affaires personnelles. Ce constat s'impose d'autant plus par le fait que votre frère leur aurait simplement dit que vous n'étiez pas là « pour le moment » (p.6/10 du rapport d'entretien), donc que votre absence serait temporaire, et qu'il paraît étrange qu'ils lui auraient laissé les coudées franches pour vous avertir par téléphone de cette « perquisition », anéantissant alors toutes possibilités en leur faveur pour vous retrouver facilement.

Sixièmement, il ressort de votre recours en réformation du 27 avril 2021 quelques éléments nouveaux visant à fournir des explications complémentaires sur votre vécu pour écarter les doutes émis quant à la crédibilité de votre récit. Or ces explications complémentaires ne font que produire l'effet inverse.

En effet, il ressort de ces explications complémentaires que vous auriez, après votre expulsion de l'Université de … à une date inconnue, souvent changé de lieu de résidence et de profession. Vous auriez entre autre travaillé « quelques mois » à …, puis « quelques mois » à …, avant de vous installer durablement à … « après toutes ses années d'errance » en y restant « les cinq dernières années, jusqu'à la perquisition policière » (p.15/35 du recours en réformation). Partant, en dépit d'indications temporelles relativement floues puisque non datées, il est permis d'en retenir que vous vous seriez installé à … au cours de l'année 2013 -

étant donné que la perquisition policière aurait eu lieu en juillet 2018 - de sorte que vos « années d'errance », respectivement votre mobilité professionnelle et vos multiples déménagements qui se seraient écoulés sur « quelques mois », seraient antérieures à cette date.

Pour justifier cette mobilité antérieure à l'année 2013, vous expliquez dans le cadre de votre recours en réformation du 27 avril 2021 que vous auriez systématiquement été confronté à la même problématique, à savoir que vos employeurs vous auraient demandé après un certain temps le versement d'un extrait de votre casier judicaire. Néanmoins, vous n'auriez jamais succombé à cette injonction au motif que vous n'auriez pas voulu être « mis en contact avec les autorités iraniennes, afin de se protéger » (p.15/35 du recours en réformation) de sorte que vous auriez donc vraisemblablement été contraint de changer de lieu de travail.

Or, votre prétendu précautionnisme n'emporte aucunement conviction, tout comme le fait que vous auriez une « crainte réelle de persécution des autorités » (p.15/35 du recours en réformation) alors que vous n'avez visiblement pas hésité à vous rendre auprès des autorités iraniennes pour vous voir remettre votre permis de conduire, s'il s'avère réellement être le vôtre, dont la délivrance date de l'année 2013.

Septièmement, force est de constater que votre comportement adopté depuis votre arrivée en Europe met en doute la gravité de votre situation. En effet, il y a lieu de rappeler que vous auriez traversé un grand nombre d'Etats membres de l'Union européenne avant de rejoindre le Luxembourg, tel que la Croatie, la Slovénie, l'Italie ou la France, et que vous n'avez pas recherché une forme quelconque de protection dans ces pays sûrs rencontrés.

Or, un tel comportement ne correspond clairement pas à celui d'une personne qui aurait été forcée à quitter son pays d'origine à la recherche d'une protection internationale et qui aurait été reconnaissante de se voir offrir une protection dans les pays sûrs visités. En effet, alors que l'on peut s'attendre d'une personne réellement persécutée ou à risque d'être persécutée ou de devenir victime d'atteintes graves qu'elle introduise sa demande de protection 11dans le premier pays sûr rencontré et dans les plus brefs délais, vous avez choisi de traverser plusieurs pays dans lesquels vous n'avez pas recherché une forme quelconque de protection, d'autant plus que vous seriez resté « une dizaine de mois » en Serbie avant de prendre la décision de rejoindre le Luxembourg pour des motifs tels que « l'éducation, la liberté d'expression et la tolérance, le fait que le pays n'est pas très peuplé » (p.7/10 du rapport d'entretien).

Huitièmement, il convient de percevoir votre absence de collaboration dans le cadre de votre entretien complémentaire du 13 avril 2023 comme étant préjudiciable pour votre crédibilité alors que celui-ci n'a pas permis d'atteindre les objectifs fixés.

Il y a lieu de rappeler que cet entretien complémentaire a été organisé conformément au jugement du 7 février 2023 du Tribunal administratif : « Il s'ensuit qu'il y a lieu d'annuler la décision déférée dans le cadre du recours en réformation et de renvoyer le dossier au ministre aux fins d'un entretien complémentaire » (p.20/22 du jugement). Son objectif était de récolter des informations additionnelles qui vous auraient permis de justifier les incohérences compromettantes qui ont été soulevées dans la décision ministérielle du 31 mars 2021 et d'apporter les détails complémentaires que vous auriez vous-même jugés nécessaires en tant que personne avertie.

Tout d'abord, force est de constater que votre comportement dans le cadre de votre entretien complémentaire est fortement regrettable alors que l'agent ministériel soulève que, après vous avoir remis en début d'entretien une feuille blanche destinée à récolter des informations écrites, « ce dernier s'énerve en disant qu'il ne parlera uniquement avec son avocat et non pas avec l'agent et qu'il n'écrira rien sur la feuille en jetant la feuille en direction de l'agent » (p.2/7 du rapport d'entretien complémentaire). L'agent ministériel tente de vous raisonner en vous expliquant qu'il est dans votre intérêt de coopérer afin d'apporter des éléments explicatifs sur votre vécu. L'entretien entame alors son cours et vous répondez à des questions élémentaires, voire impertinentes, relatives à votre identité, la mort de vos parents et de l'un de vos frères, la nature de vos relations avec les membres de votre famille et l'emplacement de votre carte d'identité. Puis, en dépit des recommandations de l'agent ministériel, vous décidez subitement de mettre fin à votre coopération : « Décidez avec ce que vous avez en possession, je n'ai rien à perdre, j'ai passé 4 ans dans une situation difficile et là maintenant c'est comme si vous aviez mis un pistolet sur ma tête, soit oui ou soit non. Je suis au bout du tunnel et je n'ai plus peur de rien (…) Comprenez mon désarroi et la pression psychologique qui est sur moi. Je suis désolé, mais après 4 ans je ne viens plus en arrière pour répéter encore les mêmes choses » (p.4/7 du rapport d'entretien complémentaire). Il convient d'en retenir que vous justifiez donc votre mutisme en invoquant des problèmes psychologiques et en déplorant le fait de devoir vous répéter quatre années après le début de la procédure administrative de votre demande d'une protection internationale.

Partant, votre mandataire a adressé un message électronique à la Direction de l'immigration en date du 14 avril 2023, soit le lendemain de votre entretien complémentaire infructueux. Il y informe que votre comportement serait sans doute lié « aux décès de sa mère, de son père et de son frère durant la procédure d'asile » et qu'il en découlerait que vous n'auriez pas « été apte psychologiquement à participer à une nouvelle audition » et ce d'autant plus « en raison des traumatismes vécus ». Par conséquent, il estime qu'il conviendrait que vous soyez « soumis à un examen médical » permettant d'établir votre aptitude « à être auditionné ».

12Or, force est de constater que cette détresse psychologique, et la prétendue nécessité d'avoir recours à une expertise médicale, s'est manifestée très tardivement et dans un contexte précis qui ne saurait être ignoré, à savoir le début de questionnements entrant dans le vif du sujet. Ainsi, il convient en réalité de percevoir la révélation inopinée de votre mal-être psychologique comme une excuse opportuniste visant à justifier votre manque de collaboration et à trouver une échappatoire à cet entretien complémentaire qui avait eu l'enjeu crucial d'obtenir des renseignements additionnels sur les zones d'ombre de votre récit alors que sa crédibilité avait été sérieusement interrogée dans la décision ministérielle du 31 décembre 2021.

Nonobstant cette concomitance suspecte, si cette détresse psychologique est aussi profonde que vous cherchez à le faire croire, il est déraisonnable que vous n'ayez jamais entrepris des démarches thérapeutiques depuis les quatre années où vous vous trouvez au Luxembourg, d'autant plus que vos prétendus « traumatismes vécus » ne seraient pas récents.

Par ailleurs, depuis les déclarations de votre mandataire en date du 14 avril 2023, vous n'avez toujours pas remis une attestation d'une consultation auprès d'un expert médical qui aurait pu constater, pour le bien de votre cause, votre inaptitude à participer à une nouvelle audition.

En ce qui concerne votre refus de coopérer en raison du caractère répétitif de certaines questions alors qu'elles vous avaient déjà été posées lors de votre entretien du 10 octobre 2019, il convient de souligner qu'il ne s'agit pas d'une explication suffisante permettant de justifier votre comportement contreproductif. S'il est certes compréhensible que la durée de votre procédure administrative, l'ajout d'un entretien complémentaire et la répétition de certaines questions puissent être des éléments frustrants, ils ne sauraient cependant vous permettre de vous déroger de la responsabilité qui est la vôtre, à savoir de coopérer avec la Direction de l'immigration en répondant aux questions qui vous sont posées.

Il convient d'interpréter vos deux justifications précitées relatives à votre comportement non collaboratif comme étant des subterfuges que vous utilisez afin d'échapper au fournissement d'explications complémentaires alors que vous redoutez que celles-ci risqueraient éventuellement d'impacter négativement la crédibilité de votre récit ; crédibilité déjà interrogée dans la décision ministérielle du 31 mars 2021. Il parait entre autre évident qu'un demandeur de protection internationale, qui aurait réellement fait part de faits réels et véridiques, et qui craindrait réellement de se faire renvoyer dans son pays d'origine, aurait pris le soin de répondre aux questions posées et ce en dépit de leur caractère répétitif, du ralentissement de sa procédure de demande de protection internationale et du repoussement de l'issue de sa décision. Inversement, votre comportement reflète celui d'une personne qui aurait craint de s'empêtrer dans ses propres mensonges au point qu'il préfère ne plus du tout collaborer avec les autorités du pays dont il demande une protection en ne répondant pas aux questions additionnelles qui lui sont demandés, redoutant que la crédibilité de son récit soit définitivement remise en cause.

Partant, vous n'avez pas permis à la Direction de l'immigration d'obtenir les renseignements complémentaires nécessaires pour effacer les doutes relatifs à votre crédibilité émis dans la décision ministérielle du 31 mars 2021. Votre refus hâtif de coopérer n'a d'ailleurs même pas donné l'occasion à l'agent ministériel de vous poser des questions qui n'auraient pas eu ce caractère répétitif que vous dénoncez. Conformément à la demande du Tribunal administratif, il n'a donc pas été possible de vous donner l'occasion par exemple de vous expliquer plus longuement sur les incohérences relatives à la localisation de votre passeport ou sur les divers supports sur lesquels vous auriez possédé votre documentation anti-islamiste 13et anti-gouvernementale, de solliciter des explications supplémentaires concernant votre vécu en Iran, votre engagement politique ou vos connaissances en la matière, d'obtenir des détails sur le contenu du matériel saisi lors de cette « perquisition », de connaître les différents lieux de séjour où vous auriez vécu, les différentes fonctions que vous auriez occupées, ou de ce qu'il serait advenu de votre frère après qu'il vous aurait prétendument soutenu dans votre exil.

Finalement, alors que votre manque de coopération dans le cadre de votre entretien complémentaire n'a aucunement permis d'atténuer les doutes soulevés dans la décision ministérielle du 31 mars 2021 ou d'obtenir des détails complémentaires quant à votre vécu, il appert que le peu de questions auxquelles vous avez répondu n'a abouti qu'à produire l'inverse.

Tout d'abord, et comme susmentionné, il ressort de vos déclarations du 13 avril 2023 que vous auriez en réalité maintenu un contact avec plusieurs membres de votre famille contrairement à vos déclarations initiales du 10 octobre 2019 selon lesquelles vous n'auriez eu « personne d'autre que mon frère » (p.2/10 du rapport d'entretien).

Puis, il est consternant de noter que vous prétendez dans le cadre de votre entretien complémentaire du 13 avril 2023 que « Je suis resté 10 jours dans un petit hôtel » (p.5/7 du rapport d'entretien complémentaire) lors de votre séjour à … alors que dans votre entretien du 10 octobre 2019, vous avez expliqué que « J'ai changé plusieurs fois d'auberge à … dans une période de 10 jours » (p.5/10 du rapport d'entretien). Il s'agit d'une incohérence qui a son importance puisqu'elle décrit en réalité l'état d'esprit dans lequel vous vous seriez trouvé lors des faits. Votre première version, selon laquelle vous auriez plusieurs fois changé d'auberge, dépeint un climat anxiogène dans lequel vous vous seriez trouvé puisque vous auriez par mesure de précaution changer de lieu de séjour à plusieurs reprises pour supposément compliquer la tâche aux autorités iraniennes qui vous auraient éventuellement recherché. Une façon de procéder qui aurait dû être marquante et mémorable pour celui qui l'aurait réellement vécu, et encore plus pour un individu dont il se serait agi des dix derniers jours vivant dans son pays d'origine avant d'en prendre la fuite. Dans la deuxième version, vous n'auriez visiblement pas pris cette précaution puisque vous vous seriez contenté de vivre dans un seul et unique hôtel au cours de ces dix jours.

Il est également incohérent que vous puissiez prétendre dans le cadre de votre entretien complémentaire qu'« avant la première audition c'était ma mère qui est décédée » (p.2/7 du rapport d'entretien complémentaire) alors que dans le cadre de votre premier entretien du 10 octobre 2019, vous avez déclaré que votre mère serait encore vivante et que son « lieu de séjour actuel » serait à … (p.3/10 du rapport d'entretien).

Finalement, vous indiquez dans votre entretien complémentaire que vous seriez né dans la ville de … alors que dans votre entretien du 10 octobre 2019, vous mentionnez la ville de ….

Votre récit n'étant pas crédible, aucune protection internationale ne vous est accordée.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la Loi de 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

14Suivant les dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de l'Iran, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juillet 2023, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 29 juin 2023 portant rejet de sa demande de protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 29 juin 2023, telle que déférée. Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours et au-delà des faits repris ci-avant, le demandeur rappelle être de nationalité iranienne et être sans religion. Après avoir énuméré les motifs gisant à la base de sa demande de sa protection internationale, à savoir (i) son rejet de la religion et plus particulièrement de la religion islamique, (ii) sa liberté de critiquer le prophète Ali, (iii) sa possession du livre « 23 ans » d’Ali DASHTI et d’autres livres interdits et (iv) son exclusion de l’université, il souligne que la révélation, lors d’une réunion avec un groupe d’amis, de son idéologie contre l’Islam et l’expression de ses opinions relatives à l’Imam Ali et les commémorations religieuses, la perquisition qui s’en serait suivie, le contenu de son ordinateur, et les documentations en sa possession, auraient inévitablement entraîné sa fuite de son pays d’origine, alors que ces faits seraient répréhensibles en Iran. Il précise encore qu’il se serait caché à … pendant dix jours avant de quitter son pays d’origine pour se rendre en Turquie.

Par ailleurs, le demandeur fait relever qu’il se serait trouvé dans un état de vulnérabilité lors de son entretien complémentaire du 13 avril 2023, alors qu’il aurait perdu ses parents, ainsi que son frère (C) « durant sa demande de protection internationale », de sorte que son état psychique aurait été altéré à tel point qu’il aurait été incapable de continuer l’entretien devant l’agent du ministère.

En droit, le demandeur fait valoir que la décision ministérielle sous analyse devrait être réformée pour violation de la loi et plus particulièrement des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que de l’article 1er, section A, paragraphe 2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, ci-après désignée par « la Convention de Genève », respectivement pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

A cet égard, il rappelle que la notion de crainte prévue à ladite Convention de Genève devrait être qualifiée de raisonnable lorsqu’elle est basée sur une évaluation objective de la situation dans le pays d’origine du demandeur d’asile et que cette crainte découle du manquement de l’Etat d’origine dudit demandeur de remplir ses obligations de protection de 15ses citoyens, ces obligations de protection résultant de la déclaration universelle des droits de l’Homme adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948, désignée ci-après par « la DUDH », obligations auxquelles le Pacte International relatif aux droits civils et politiques, entré en vigueur le 23 mars 1976, désigné ci-après par « le PIDCP », aurait donné force obligatoire, de sorte que la mise en cause de ces droits civils et politiques constituerait une persécution.

Dans la mesure où ses droits tels qu’énumérés dans la DUDH et le PIDCP auraient été violés, il y aurait lieu de conclure que le ministre, en retenant que ces mêmes faits ne justifieraient pas dans son chef une crainte fondée de persécution en raison de son appartenance à un groupe social vulnérable et de ses opinions politiques et religieuses, aurait fait une appréciation erronée des faits de l’espèce, alors qu’un membre de la « réunion » aurait certainement dénoncé les idéologies qu’il aurait propagées dans ses discours entre amis le mettant ainsi à la merci des autorités iraniennes.

Il éprouverait dès lors une menace réelle d’être persécuté par les autorités de son pays d’origine, sans pouvoir y obtenir une quelconque protection en raison (i) de son opposition face au système politique et religieux en place en Iran, (ii) de la diffusion des susdites idéologies et (iii) de la perquisition de son domicile, respectivement des saisies effectuées par les autorités iraniennes, le demandeur ajoutant encore qu’il lui aurait été impossible de déposer une plainte, alors que les autorités iraniennes elles-mêmes seraient à l’origine des actes en question, tout en soulignant que le dépôt d’une telle plainte aurait pu donner lieu à des représailles plus graves à son encontre de la part de ses persécuteurs. Par ailleurs, en raison du contenu de son ordinateur et des livres anti-islamique et anti-régime interdits en Iran, il n’aurait aucune chance de pouvoir se défendre.

Eu égard aux éléments exposés ci-dessus, respectivement au vu du cumul des évènements et des persécutions dont il aurait déjà été victime en Iran, il conclut que les conditions exigées par le statut de réfugié seraient remplies dans son chef.

Le demandeur reproche ensuite au ministre d’avoir remis en cause la crédibilité de son récit et d’avoir omis de lui appliquer le bénéfice du doute.

A cet égard, il se réfère tout d’abord aux développements contenus dans sa requête introductive d’instance relative à son recours inscrit sous le numéro 45956 du rôle, lequel ferait « partie intégrante du présent recours ».

Ensuite, en ce qui concerne les incohérences mises en avant concernant le fait qu’il n’aurait versé aucun document d’identité à l’appui de sa demande de protection internationale, le demandeur donne à considérer qu’il aurait néanmoins remis un permis de conduire authentique aux autorités ministérielles. Il considère encore que s’il ressortirait certes de son rapport d’audition qu’il aurait attendu que son frère lui apporte son passeport pour qu’il puisse quitter l’Iran, ledit document aurait toutefois été confisqué par le passeur avant qu’il n’ait quitté la Turquie. Il en conclut que le fait qu’il n’aurait pas versé de document d’identité à l’appui de sa demande de protection internationale ne saurait décrédibiliser son récit, tout en renvoyant à cet égard au jugement du tribunal administratif du 7 février 2023, inscrit sous le numéro 45956 du rôle, lequel aurait retenu que le premier entretien du 10 octobre 2019 aurait été lacunaire et qu’il n’aurait pas eu la possibilité d’expliquer le sort de son passeport.

16Pour le surplus, le demandeur entend réitérer, « conformément au recours [inscrit sous le numéro] 45956 [du rôle] », que le premier entretien ministériel aurait été lacunaire et que l’instruction de sa demande de protection internationale n’aurait pas été conforme à l’article 10, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015.

S’agissant du reproche ministériel selon lequel il n’aurait versé aucun document permettant de corroborer ses dires relatifs à sa vie familiale, sociale ou professionnelle, voire sa résistance alléguée en Iran, ses opinions politiques ou ses intérêts de recherche et de documentation anti-régime, le demandeur rappelle que son ordinateur et l’ensemble de ses livres auraient été saisis par les autorités iraniennes et insiste sur le fait que s’il avait pu verser un seul document permettant de corroborer ses dires, il l’aurait fait. Or, dans la mesure où il ne serait plus rentré à son domicile après la perquisition et qu’il aurait erré à … pendant dix jours, le temps que sa fuite soit organisée, il n’aurait pas pu anticiper la production d’un quelconque document probant. A cet égard, il donne encore à considérer que les membres de sa famille n’auraient pas pu lui faire parvenir un quelconque document, alors qu’ils vivraient loin de chez lui et qu’ils ne pourraient pas se déplacer aisément à son domicile. Il ajoute que l’argumentation ministérielle visant à remettre en cause la crédibilité de son récit serait « humiliante » et « contribue[rait] à détruire sa personnalité, alors que son récit [serait] sincère et véridique ».

Dans ce contexte, il rappelle encore les recommandations du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) sur les éléments de preuve, la crédibilité et le bénéfice du doute, en soulignant qu’il aurait collaboré avec les agents ministériels en répondant à toutes les questions lui posées, conformément à l’article 37, paragraphes (4) et (5) de la loi du 18 décembre 2015. Ainsi, le défaut de présentation d’une pièce documentaire ne devrait pas empêcher sa demande d’être acceptée si ses déclarations sont globalement cohérentes et plausibles et ne vont pas à l’encontre de faits connus. Il conclut dès lors à une violation par le ministre des articles 31 et 33 de la Convention de Genève et de l’article 37 de la loi du 18 décembre 2015 pour avoir fait abstraction du bénéfice du doute en basant la décision sur l’absence de documents de nature à prouver ses dires et pour avoir appliqué un seuil particulièrement élevé de crédibilité. Il rappelle, par ailleurs, que suivant le Guide de l’UNHCR, les incidents vécus ne devraient pas être pris isolément mais de façon cumulative et qu’il y aurait également lieu de tenir compte de l’atmosphère générale d’insécurité régnant toujours dans son pays d’origine.

Il ajoute ensuite, en citant des extraits de la décision ministérielle déférée et pour expliquer l’absence de toute documentation anti-islamiste et anti-gouvernementale, qu’il aurait disposé d’un ordinateur, lequel aurait été saisi par les autorités iraniennes lors de la perquisition de son domicile en Iran, et d’une tablette, laquelle aurait été saisie par les autorités serbes lors de sa traversée en Serbie, informations qui ne résulteraient pas de son rapport d’audition, dans la mesure où aucune explication n’aurait été requise à ce sujet. Il explique que la sanction qu’il encourrait en cas de retour en Iran consisterait dans son emprisonnement avec d’innombrables coups de fouets, voire sa condamnation à mort en tant qu’opposant politique du fait, par ailleurs, d’avoir séjourné pendant plusieurs années à l’étranger. Il en conclut que ses dires à ce sujet devraient être considérés comme cohérents et avérés.

Quant au reproche ministériel suivant lequel il n’aurait pas détaillé ses lectures, respectivement ses connaissances en la matière, et de n’avoir cité qu’un seul livre, à savoir le livre intitulé « 23 ans », le demandeur fait plaider que ledit livre suffirait, à lui seul, pour contrer le régime iranien, alors qu’il s’agirait d’une étude prophétique de la carrière de Mahomet, lequel remettrait en cause certains miracles et certaines paroles du prophète. Le livre en 17question serait interdit en Iran et quiconque le lirait risquerait des sanctions pénales sévères.

Dans ce contexte, le demandeur se réfère également aux discussions menées pendant la « réunion » avec un groupe d’amis et conclut que ses explications à ce sujet seraient suffisamment précises, tout en reprochant à la partie étatique de ne pas avoir posé de question par rapport aux documentations contenues dans son ordinateur et sa tablette ou par rapport aux livres qu’il aurait possédés.

Quant à l’argumentation ministérielle suivant laquelle ses déclarations concernant sa relation avec les membres de sa famille seraient contradictoires, le demandeur fait plaider qu’une fois exclu de l’Université de …, il aurait dû s’éloigner de la ville de … pour s’installer à la ville de … afin de travailler et de pouvoir subvenir à ses besoins. Il fait ensuite valoir que ses déclarations faites à ce sujet dans ses entretiens respectifs des 10 octobre 2019 et 13 avril 2023 seraient complémentaires, et non contradictoires, alors qu’il n’aurait pas pu demander un quelconque soutien à feu ses parents, lesquels auraient à l’époque déjà été âgés, mais seulement à son frère cadet (B). Or, ce dernier n’aurait, contrairement à l’argumentation de la partie étatique, pas simplement pu photographier sa carte d’identité et l’envoyer via l’application « WhatsApp », alors qu’il serait connu que les autorités iraniennes disposeraient d’un « arsenal d’espionnage informatique de très haute qualité », de sorte que cette façon de procéder aurait été trop dangereuse pour son frère. Quant à ses autres frères et sœurs, il affirme qu’il ne saurait répondre à leur place à la question de savoir pourquoi ils ne l’ont pas aidé, tout en réitérant qu’il serait dangereux d’envoyer des photographies par l’application « WhatsApp ».

En ce qui concerne le reproche ministériel selon lequel les raisons ayant conduit à la perquisition de son domicile ne seraient pas crédibles, il soutient que s’il avait, certes, toujours pris des précautions pour éviter des sanctions de la part des autorités, il n’aurait toutefois pas pu anticiper les conséquences de ses déclarations faites le soir de la « réunion » avec ses « prétendus amis », alors qu’il aurait cru que ces derniers ne les divulgueraient pas.

S’agissant des doutes émis par le ministre au sujet du déroulement de la perquisition de son domicile, le demandeur explique qu’il pourrait seulement relater les dires de son frère qui, au vu de la gravité de la situation, n’aurait pas souhaité générer plus d’angoisse et de stress dans son chef, alors que la détention de documentations et de livres interdits serait sévèrement réprimée par la loi iranienne, et notamment par des châtiments corporels, voire par l’emprisonnement. Il estime à cet égard qu’il ne serait pas incohérent pour lui de ne pas avoir posé davantage de questions à son frère au sujet de ladite perquisition, alors que, craignant pour sa vie, il aurait préféré quitter son pays d’origine le plus rapidement possible.

Monsieur (A) explique ensuite qu’après son expulsion de l’Université de …, il serait d’abord retourné chez sa famille à …, avant de se rendre à … pour y travailler pendant quelques mois. Il aurait cependant démissionné lorsque son employeur lui aurait demandé un extrait de son casier judiciaire, le demandeur expliquant à cet égard qu’il aurait, en tant que personne « fiché[e] » comme étudiant exclu de l’université, eu peur de contacter les autorités iraniennes.

Il serait ensuite parti à …, puis à …, où il aurait été confronté à la même problématique du casier judiciaire. Il serait finalement retourné à … pour y rester pendant cinq années avant de quitter définitivement son pays d’origine.

Quant au reproche ministériel lié à son comportement adopté depuis son arrivée en Europe, le demandeur fait plaider que la plupart des demandeurs de protection internationale traverseraient plusieurs Etats membres de l’Union européenne avant d’introduire leur demande de protection internationale, ce qui n’empêcherait pas que certains se verraient octroyer le statut 18de réfugié ou celui conféré par la protection subsidiaire, en soulignant qu’en tout état de cause, la compétence du Grand-Duché de Luxembourg pour connaître de sa demande de protection internationale n’aurait jamais été remise en question par l’application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

En ce qui concerne le reproche ministériel lié à un défaut de coopération dans son chef lors de l’entretien complémentaire du 13 avril 2023, le demandeur réitère, en substance, ses développements précédents quant à l’état de vulnérabilité dans lequel il se serait trouvé lors dudit entretien, en expliquant que son vécu dans son pays d’origine et la longueur de la procédure relative à sa demande de protection internationale, ensemble le décès récent de ses parents et de son frère, auraient créé un état d’angoisse et de stress important dans son chef l’ayant empêché de continuer l’entretien ministériel, état qui ressortirait, de l’avis du demandeur, à suffisance du rapport relatif audit entretien. Il ajoute encore à cet égard que son état de santé se serait dégradé durant les quatre ans pendant lesquels il aurait attendu l’issue de la procédure relative à sa demande de protection internationale.

Il souligne ensuite que son mandataire et lui-même n’auraient ni relu ni signé le rapport relatif à son entretien complémentaire du 13 avril 2023, de sorte qu’il s’agirait d’un document unilatéral qui ne saurait lui être opposé.

Au vu de ce qui précède, il devrait dès lors être conclu que son récit serait crédible et que les arguments ministériels seraient basés sur une appréciation erronée des faits, en violation d’une instruction conforme à l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015.

Il ajoute qu’en tout état de cause, il devrait se voir accorder le bénéfice du doute tel qu’exposé dans le Guide de l’UNHCR, tout en insistant sur le devoir de recueil d’information incombant aux autorités ministérielles en vue de faciliter les démarches d’introduction d’une demande de protection internationale, d’établir son historique et de recueillir objectivement son récit.

Le demandeur conclut que le ministre aurait contrevenu aux principes de diligence et d’instruction loyale et objective qui lui incomberaient en vertu de la loi du 18 décembre 2015 et qui devraient dominer dans le cadre d’une instruction objective d’une demande de protection internationale.

Le demandeur expose ensuite la situation en Iran, tout en se référant dans ce contexte à un article publié sur le site internet de « Humanists International », intitulé « General Introduction », suivant lequel la circonstance d’être sans religion constituerait un crime en Iran, à un rapport de l’organisation « Human Rights Watch », intitulé « Iran – Events of 2022 », à deux articles de « Human Rights Watch » des 17 janvier 2019 et 12 septembre 2020, intitulés respectivement « Iran : Une répression implacable » et « Iran : Exécution subite du lutteur Navid Afkari », desquels il se dégagerait qu’une insulte contre les dirigeants en place ou une insulte d’ordre religieuse serait gravement sanctionnée dans son pays d’origine sans qu’il n’existerait une quelconque protection étatique à cet égard. Ainsi, en ayant une conception différente de la politique et de la religion dans le cadre de sa philosophie de vie, il serait perçu par ses persécuteurs comme tenant des discours politico-religieux, respectivement comme opposant aux préceptes religieux du pays.

19Le demandeur se réfère ensuite à un rapport de l’ « Immigration and Refugee Board of Canada », intitulé « Iran : information sur le traitement réservé par les autorités de l’Iran aux demandeurs d’asile déboutés et aux membres de la famille des personnes qui ont quitté l’Iran et ont demandé le statut de réfugié (2011- février 2015) », du 10 mars 2015, ainsi qu’à un rapport de l’Organisation suisse d’aides aux réfugiés (OSAR), intitulé « Iran : risques liés à la publication d’information « sensible » sur les réseaux sociaux », du 21 janvier 2019 desquels il ressortirait que des demandeurs de protection internationale déboutés et condamnés en Iran se verraient aggraver leurs peines en cas de retour dans leur pays d’origine pour avoir quitté illégalement le pays.

Il en conclut qu’il risquerait de faire l’objet de poursuites pénales disproportionnées, sans aucune possibilité de se défendre selon une procédure équitable, tel qu’édicté par « l’article 6 de la Convention de Genève ».

En se basant ensuite sur l’article 37, paragraphe (3), point a) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur reproche encore au ministre de ne pas avoir tenu compte des faits pertinents dans son pays d’origine, alors qu’au regard de la loi traditionnelle du pays, basée sur le Coran, il risquerait d’y être emprisonné et de subir des coups de fouets, voire d’être condamné à plusieurs années de prison en raison de sa qualité d’opposant politique et religieux.

Après avoir encore soutenu que ses persécuteurs rempliraient les critères de l’article 39, points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 et que les faits invoqués à la base de sa demande de protection internationale rentreraient, compte tenu de leur gravité et de leur accumulation, dans le champ d’application de l’article 42, paragraphe (1), points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur affirme en outre que ces mêmes faits seraient à qualifier d’actes de persécutions au sens de l’article 42, paragraphe (2) de la même loi.

Le demandeur se prévaut ensuite de l’article 43 de la loi du 18 décembre 2015 et prend appui sur la jurisprudence en la matière pour soutenir qu’il faudrait examiner si le comportement d’un demandeur de protection internationale est perçu par les autorités comme un acte d’opposition contre le pouvoir pour déterminer si la persécution subie a été inspirée par les opinons politiques de celui-ci, le demandeur soutenant encore qu’une simple abstention et non une action positive dans le champ politique pourrait être retenue pour justifier une crainte de persécution. Dans la mesure où son comportement personnel serait perçu comme répréhensible de la part des autorités iraniennes, voire comme opposition au pouvoir politique en place et partant comme l’expression de ses convictions politiques, il pourrait être raisonnablement admis qu’il court un risque de persécution en cas de retour dans son pays d’origine.

Il y aurait dès lors lieu de réformer la décision ministérielle litigieuse et de lui accorder le statut de réfugié.

En ordre subsidiaire, le demandeur fait plaider qu’il remplirait les conditions d’octroi de la protection subsidiaire, au sens des articles 2, point g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015.

En se prévalant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, dénommée ci-après « la CourEDH », relative à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH », il fait valoir que le caractère fondé de sa crainte de subir des atteintes graves se dégagerait de son dossier administratif, alors qu’il aurait d’ores et déjà dû 20subir de telles atteintes dans son pays d’origine, sans qu’il n’existerait de « bonne raison », au sens de l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, de croire que les atteintes graves dont il aurait été victime ne se reproduiraient pas en cas de retour dans son pays d’origine.

Par ailleurs, il donne à considérer que le fait de vivre dans la crainte constante que ces atteintes graves se réalisent constituerait pour lui un véritable traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH. Il fait encore valoir que sa déposition serait éloquente, étant donné qu’il encourrait déjà une condamnation pénale en Iran et qu’il aurait rapporté la preuve qu’il ne pourrait bénéficier d’une protection efficace, d’une part, et qu’il s’exposerait à des atteintes graves et plus particulièrement à des actes de harcèlement, de discrimination, sinon à des traitements inhumains en cas de retour en Iran, d’autre part.

Finalement, le demandeur conteste toute possibilité de fuite interne.

Il estime dès lors remplir toutes les conditions pour se voir accorder la protection subsidiaire, de sorte qu’il y aurait lieu de réformer la décision ministérielle en ce sens.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Analyse du tribunal Quant à la légalité externe Suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, il appartient d’abord au tribunal de vérifier la légalité extrinsèque de l’acte lui déféré, avant de se livrer, par le biais de l’examen de la légalité des motifs, au contrôle de la légalité intrinsèque.

Au titre de la légalité externe, s’agissant d’abord du moyen du demandeur relatif à une violation de l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015 en ce que le ministre aurait procédé à une mauvaise instruction de son dossier, ledit article dispose comme suit : « […] (2) Lors de l’examen d’une demande de protection internationale, le ministre détermine d’abord si le demandeur remplit les conditions d’octroi du statut de réfugié et, si tel n’est pas le cas, détermine si le demandeur remplit les conditions pour pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire.

(3) Le ministre fait en sorte que les décisions sur les demandes de protection internationale soient prises à l’issue d’un examen approprié. A cet effet, il veille à ce que:

a) les demandes soient examinées et les décisions soient prises individuellement, objectivement et impartialement;

b) des informations précises et actualisées soient obtenues auprès de différentes sources, telles que le Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEAA) et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), ainsi que les organisations internationales compétentes en matière de droits de l’homme, sur la situation générale existant dans les pays d’origine des demandeurs et, le cas échéant, dans les pays par lesquels les demandeurs ont transité, et à ce que le personnel chargé d’examiner les demandes et de prendre les décisions ait accès à ces informations;

21c) les agents chargés d’examiner les demandes et de prendre les décisions connaissent les normes applicables en matière d’asile et de droit des réfugiés;

d) les agents chargés d’examiner les demandes et de prendre les décisions aient la possibilité de demander conseil à des experts, le cas échéant, sur des matières particulières comme les questions médicales, culturelles, religieuses, ou celles liées aux enfants ou au genre.

[…] ».

L’article 15 de la loi du 18 décembre 2015 concernant l’entretien sur le fond de la demande de protection internationale, certes non invoqué en l’espèce, mais auquel le moyen sous analyse peut également être rattaché, dispose quant à lui que « (1) Lors de l’entretien personnel sur le fond d’une demande de protection internationale, le ministre veille à ce que le demandeur ait la possibilité concrète de présenter les éléments nécessaires pour étayer sa demande de manière aussi complète que possible, conformément à l’article 37. Cela inclut la possibilité de fournir une explication concernant les éléments qui pourraient manquer et toute incohérence ou contradiction dans les déclarations du demandeur.

(2) Le ministre veille à ce que chaque entretien fasse l’objet d’un rapport détaillé et factuel contenant tous les éléments essentiels de la demande. A la fin de l’entretien, le demandeur a la possibilité de faire des commentaires ou d’apporter des précisions soit oralement soit par écrit concernant toute erreur de traduction ou tout malentendu dans le rapport.

(3) Le demandeur est invité à confirmer que le contenu du rapport reflète correctement l’entretien. En cas de refus de cette confirmation, les motifs du refus sont consignés dans le dossier du demandeur. Un tel refus n’empêche pas le ministre de prendre une décision sur la demande. […] ».

En l’espèce, si le tribunal administratif a, dans son jugement du 7 février 2023, inscrit sous le numéro 45956 du rôle, retenu une violation de l’article 15 de la loi du 18 décembre 2015, en ce que le ministre n’avait pas donné à Monsieur (A) la possibilité concrète, avant la prise de la décision de refus du 31 mars 2021, de présenter les éléments nécessaires pour étayer sa demande de manière aussi complète que possible et notamment la possibilité de fournir une explication concernant les éléments manquants et les incohérences, voire les contradictions dans son récit, et s’il a, en conséquence, annulé ladite décision ministérielle du 31 mars 2021 et renvoyé le dossier au ministre aux fins d’un entretien complémentaire concernant la demande de protection internationale de l’intéressé, force est au tribunal de constater que le demandeur n’a pas profité de l’entretien complémentaire du 13 avril 2023 pour fournir davantage de précisions quant aux zones d’ombre et incohérences dans son récit, mais a, après avoir répondu à quelques questions, refusé de donner des explications supplémentaires au motif qu’il aurait déjà donné toutes ses explications lors de son premier entretien du 10 octobre 2019, malgré plusieurs tentatives de l’agent du ministère de continuer l’entretien1.

Il ressort encore de la décision déférée que le ministre a tenu compte tant des déclarations faites par Monsieur (A) dans son entretien du 10 octobre 2019 que de ses déclarations faites dans le cadre de l’entretien complémentaire du 13 avril 2023.

1 Page 4 du rapport d’entretien complémentaire : « Madame, j’ai déjà donné mes explications, je n’ai pas d’autres choses à ajouter et il n’y a même pas quelque chose en plus à ajouter de ce que j’ai dit auparavant. […] ».

22Or, dans ces conditions, aucun défaut d’instruction en violation de l’article 10, respectivement de l’article 15 de la loi du 18 décembre 2015 ne saurait être reproché au ministre.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation du demandeur selon laquelle il se serait trouvé dans un état psychique altéré à tel point qu’il n’aurait pas été en mesure de continuer l’entretien devant l’agent du ministère, ces développements restant en effet à l’état de pures allégations pour n’être appuyées par aucune pièce, telle qu’un certificat médical, permettant d’attester de la gravité alléguée de l’état de santé mental du concerné au moment de son entretien complémentaire.

Cette conclusion n’est pas non plus énervée par l’affirmation du demandeur selon laquelle son mandataire et lui-même n’auraient ni relu ni signé le rapport relatif à son entretien complémentaire du 13 avril 2023, de sorte qu’il s’agirait d’un document unilatéral qui ne saurait lui être opposé, alors qu’il ressort du rapport en question que non seulement il a été relu, mais aussi que le demandeur « confirme l’entièreté du contenu de l’entretien », en ayant apposé sa signature, suivie de la mention manuscrite « lu et approuvé ». Ledit rapport ayant, par ailleurs, été signé par le mandataire du concerné, les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter.

Le moyen sous analyse est dès lors rejeté.

Il en va de même en ce qui concerne le moyen tendant à une violation de l’article 37, paragraphe (3), point a) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « (3) Le ministre procède à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale en tenant compte des éléments suivants: a) tous les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande, y compris les lois et règlements du pays d’origine et la manière dont ils sont appliqués ; […] ».

En effet, le tribunal constate, d’une part, que, tel que relevé ci-dessus, le ministre a pris en compte l’intégralité des déclarations du demandeur dans le cadre de la décision déférée, de sorte qu’il a bien procédé à une évaluation individuelle de la demande de Monsieur (A) et, d’autre part, qu’il ne se dégage d’aucun élément soumis à son appréciation qu’en menant cette évaluation, le ministre n’aurait pas tenu compte des éléments visés au point a) de l’article 37, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 avant d’arriver à la conclusion que son récit ne serait pas crédible dans son ensemble. La seule circonstance qu’il a rejeté sa demande ne permet en tout état de cause pas de retenir qu’il n’ait pas procédé à un examen individuel de celle-ci.

Le moyen afférent est dès lors rejeté, étant encore relevé que les contestations du demandeur concernent pour le surplus le bien-fondé de la décision du ministre, examen qui sera fait ci-

après.

Quant à la légalité interne Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

23La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, point g), de la loi 18 décembre 2015 comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« […] a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« […] a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

24c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2, point g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans 25le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Par ailleurs, le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Il se dégage à ce propos du libellé de la décision déférée que le ministre est arrivé à la conclusion que le récit du demandeur ne serait pas crédible dans son ensemble et qu’il lui a, en conséquence, refusé l’octroi d’un statut de protection internationale, le délégué du gouvernement ayant confirmé cette approche dans le cadre de son mémoire en réponse.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves2.

En l’espèce, le tribunal partage toutefois les doutes du ministre quant à la crédibilité du récit du demandeur.

En effet, force est tout d’abord au tribunal de constater qu’il n’est pas cohérent pour Monsieur (A) d’affirmer, d’une part, qu’il aurait, notamment depuis son exclusion de l’Université de …, été conscient du danger de persécution par les autorités iraniennes pour ses idées religieuses et politiques et qu’il aurait fait « vraiment très attention »3 en changeant régulièrement de ville et de lieu de travail et, d’autre part, avoir « commencé à critiquer ouvertement non seulement Ali, mais aussi l’Islam et tout ce qui nous a été inculqué de force »4 devant un groupe de huit personnes, dont six lui étaient inconnues, pour la simple raison que « la discussion a[urait] dévié vers ce sujet », le demandeur ayant encore affirmé à cet égard que « si on [lui] demande quelque chose, [il] donne son avis ». En effet, un tel comportement est manifestement incompatible avec le comportement très prudent qu’il aurait précédemment adopté, consistant notamment à changer régulièrement de lieux de travail et de résidence, de sorte qu’il semble peu probable que le demandeur ait soudainement « omis une règle 2 Trib. adm., 16 avril 2008, n° 23855 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 140 et les autres références y citées.

3 Page 7 du rapport d’entretien du 10 octobre 2019.

4 Page 6 du rapport d’entretien du 10 octobre 2019.

26importante », à savoir « ne pas faire confiance à tout le monde »5 et qu’il ait ouvertement fait part de ses opinions religieuses et politiques devant plusieurs personnes lui inconnues.

S’agissant ensuite de la prétendue perquisition de son domicile qui s’en serait suivie, il échet de constater que le demandeur a déclaré, dans le cadre de son entretien du 10 octobre 2019, que « le but dans [s]a vie »6 serait de résister au régime iranien et qu’à cette fin, il aurait beaucoup lu et documenté, notamment un livre interdit en Iran, intitulé « 23 ans », écrit par un dénommé Ali DASHTI, lequel expliquerait « comment l’Islam a pénétré en Iran »7. Il a encore ajouté qu’il aurait été étudiant à l’Université de … et qu’il y aurait « connu les poètes et les écrivains, leurs livres et surtout le livre « 23 ans » »8 et qu’il aurait eu « beaucoup de discussion[s] avec des élèves ainsi que de[s] professeurs sur ces propos »9, ce qui aurait d’ailleurs conduit à son exclusion de ladite université. Or, au vu de ces déclarations, le tribunal rejoint le ministre dans son constat qu’il paraît étrange que le demandeur, qui prétend avoir beaucoup lu sur le sujet et être très instruit en la matière, n’ait pas été en mesure de préciser le contenu de la documentation qui aurait été confisquée à son domicile, mais se soit contenté de citer de manière répétée un seul livre, à savoir le livre « 23 ans », et de se référer à des « informations de ce genre » ou à « ce genre de sujets »10 pour le surplus, étant encore relevé que Monsieur (A), tout en étant avisé de l’importance de ces informations dans le cadre de l’examen de la crédibilité de son récit depuis au plus tard la décision ministérielle du 31 mars 2021, reste toujours à l’heure actuelle en défaut d’apporter une quelconque précision à cet égard.

Dans ce contexte, le tribunal constate encore, à l’instar de la partie étatique, qu’il est singulier que Monsieur (A), après avoir appris de la part de son frère cadet que trois personnes inconnues habillées en civil seraient venues à son domicile, auraient demandé où il se trouvait, auraient perquisitionné son domicile et confisqué « [s]on ordinateur avec tous les livres »11, n’ait pas demandé plus d’informations concernant ladite perquisition à ce dernier, telles que la durée, l’étendue exacte du matériel saisi ou encore les éventuels commentaires qu’auraient faits les trois inconnus. En effet, tel que retenu à bon droit par la partie étatique, il semble peu probable qu’il ait pris la décision de quitter son pays d’origine, bouleversant ainsi le cours de sa vie, sans avoir essayé de confirmer la réalité de ses craintes.

Ce constat n’est pas énervé par son explication, contenue dans sa requête introductive d’instance, que son frère n’aurait pas souhaité générer plus d’angoisse et de stress dans son chef, respectivement qu’il aurait préféré quitter son pays d’origine le plus rapidement possible, alors qu’il est, d’après ses propres déclarations, resté encore dix jours à … avant de quitter son pays d’origine, de sorte qu’il aurait encore pu tenter d’obtenir plus d’informations de la part de son frère pendant ce temps, ainsi que suite à sa fuite de l’Iran, le demandeur restant en défaut d’expliquer pour quelle raison il n’aurait, à ce jour, toujours pas demandé ces précisions à son frère, malgré le fait d’être conscient de l’importance de ces précisions dans le cadre de l’examen de sa demande de protection internationale.

5 Page 7 du rapport d’entretien du 10 octobre 2019.

6 Page 6 du rapport d’entretien du 10 octobre 2019.

7 Page 6 du rapport d’entretien du 10 octobre 2019.

8 Page 7 du rapport d’entretien du 10 octobre 2019.

9 Ibidem.

10 Page 6 du rapport d’entretien du 10 octobre 2019.

11 Page 5 du rapport d’entretien du 10 octobre 2019.

27A cela s’ajoute que le demandeur a déclaré ne pas savoir s’il est officiellement recherché par les autorités iraniennes12 et que les membres de sa famille, et notamment son frère ayant été présent lors de la perquisition litigieuse, n’ont « pas eu de problèmes »13 avec les autorités iraniennes suite à la perquisition de son domicile, de sorte qu’il peut être raisonnablement mis en doute que l’intéressé ait réellement été recherché par celles-ci.

Le tribunal se doit, par ailleurs, de constater que le demandeur s’est contredit quant aux circonstances de son séjour à … avant le départ de son pays d’origine, alors qu’il a, dans son entretien complémentaire du 13 avril 2023, déclaré qu’il serait « resté 10 jours dans un petit hôtel, le temps que mon frère m’apporte mon passeport »14, tandis qu’il avait expliqué, dans son entretien du 10 octobre 2019, qu’il avait « changé plusieurs fois d’auberge à … dans une période de 10 jours le temps que mon frère amène mon passeport »15. Or, le tribunal rejoint la partie étatique dans son constat qu’il s’agit d’une incohérence majeure dans le récit de Monsieur (A), alors que celui-ci a, dans son premier entretien du 10 octobre 2019, décrit un climat anxiogène dans lequel il se serait trouvé et lequel l’aurait amené à changer à plusieurs reprises de lieu d’hébergement à titre de mesure de précaution, démarche dont il aurait toutefois indubitablement dû se souvenir lors de son entretien complémentaire du 13 avril 2023.

L’absence de crédibilité du récit de Monsieur (A) est encore renforcée par le fait qu’au-

delà d’un permis de conduire, celui-ci est resté en défaut de rapporter la moindre preuve permettant d’appuyer ses dires concernant notamment son identité, sa vie familiale, sociale ou professionnelle, voire sa résistance alléguée en Iran, ses opinions politiques, ses intérêts de recherche et sa documentation anti-régime.

A cet égard, force est de constater, à l’instar de la partie étatique, que depuis son arrivée au Luxembourg en 2019, le demandeur n’a entrepris aucune démarche afin de se procurer des éléments permettant de corroborer ses dires, malgré le fait qu’il est resté en contact avec les membres de sa famille en Iran16 et qu’il leur aurait été possible de lui faire parvenir des pièces probantes, notamment via l’application « WhatsApp ». Ce constat n’est pas ébranlé par l’affirmation du demandeur que les autorités iraniennes disposeraient d’un « arsenal d’espionnage informatique de très haute qualité » et que cette façon de procéder aurait été trop dangereuse pour sa famille, alors qu’une telle affirmation reste, à défaut d’être soutenue par un quelconque élément concret, à l’état d’une pure allégation.

Le manque de crédibilité du récit de Monsieur (A) est, par ailleurs, renforcé par le comportement adopté par celui-ci depuis son arrivée en Europe. A cet égard, il convient de relever que celui-ci a déclaré être d’abord arrivé en Turquie et s’être ensuite rendu successivement en Serbie, où il serait resté pendant une « dizaine de mois »17, puis en Croatie, en Slovénie, en Autriche, en Italie et en France, avant de venir au Luxembourg pour y déposer une demande de protection internationale. Or, un tel comportement est manifestement contraire à celui d’une personne craignant réellement de subir des persécutions ou des atteintes graves dans son pays d’origine, une telle personne ne traversant en principe pas plusieurs pays sans y 12 Page 8 du rapport d’entretien du 10 octobre 2019.

13 Page 7 du rapport d’entretien du 10 octobre 2019.

14 Page 5 du rapport d’entretien du 13 avril 2023.

15 Page 5 du rapport d’entretien du 10 octobre 2019.

16 Page 3 du rapport d’entretien du 13 avril 2023 : « Je suis en contact avec toute ma famille mais pas régulièrement, peut-être tous les 4, 5 ou 6 mois par WhatsApp par exemple. Et avec mon frère (B) j’ai un peu plus de contact qu’avec les autres. ».

17 Page 7 du rapport d’entretien du 10 octobre 2019.

28rechercher une quelconque protection et n’attendant pas de nombreux mois pour ce faire, mais cherchant plutôt l’aide et la protection des autorités d’un pays sûr dès qu’elle en a la possibilité, la simple affirmation du demandeur suivant laquelle un tel comportement n’empêcherait pas certains demandeurs de protection internationale de se voir octroyer un statut de protection internationale n’énervant pas ce constat.

Au vu de l’ensemble des incohérences et contradictions ainsi relevées dans le récit de Monsieur (A), desquels il avait connaissance depuis la décision ministérielle du 31 mars 2021, et au vu de son refus de donner des explications supplémentaires y relatives dans le cadre de son entretien du 13 avril 2023, le tribunal conclut que c’est à juste titre que la partie étatique a retenu que la crédibilité du récit du demandeur est ébranlée dans son ensemble et qu’il a retenu que les conditions d’octroi du statut de réfugié ne sont pas remplies dans le chef de ce dernier, faute d’avoir présenté un fait crédible y relatif, de sorte que ce volet de sa demande de protection internationale est à rejeter.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef du demandeur d’un statut de protection subsidiaire, le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande subsidiaire, le demandeur invoque en substance les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié en estimant encore qu’en raison des persécutions et atteintes graves antérieurement subies, il risquerait, en cas de retour, de subir ces mêmes atteintes.

Dans la mesure où le tribunal a retenu l’absence de crédibilité globale du récit du demandeur, il ne saurait s’en départir dans le cadre de l’analyse des conditions de la protection subsidiaire, étant relevé que le demandeur n’a pas non plus versé de rapports internationaux établissant un conflit armé interne ou international au sens de l’article 48, point c) menaçant sa vie ou sa personne en cas de retour en Iran.

Il s’ensuit que c’est également à bon droit que le ministre a refusé d’accorder la protection subsidiaire au demandeur.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’affirmation non circonstanciée du demandeur qu’il risquerait, en cas de retour dans son pays d’origine, d’être persécuté ou de subir des atteintes graves du fait d’avoir séjourné pendant plusieurs années à l’étranger, alors que celui-

ci reste en défaut d’expliquer les raisons concrètes qui pourraient conduire les autorités iraniennes à le persécuter du seul fait d’avoir vécu quelques années à l’étranger, les craintes afférentes ne traduisant dès lors qu’un vague sentiment d’insécurité.

Ce volet du recours est partant à rejeter pour ne pas être fondé.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

29A cet égard, le demandeur expose que l’ordre de quitter le territoire devrait encourir la réformation pour violation de la loi, alors qu’il risquerait de subir des atteintes graves telles que définies aux articles 48 et 49 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour dans son pays d’origine.

Il fait encore valoir que l’ordre de quitter le territoire serait contraire à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 concernant la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par la « loi du 29 août 2008 », dans la mesure où un retour en Iran serait suivi de traitements inhumains et dégradants, de sorte à constituer également une violation de l’article 3 de la CEDH. Afin d’appuyer ses déclarations, il se réfère à plusieurs arrêts de la CourEDH18, ainsi qu’à une décision de la Commission européenne des droits de l’Homme19 selon lesquels l’existence d’un simple risque que l’étranger soit soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la CEDH en cas de retour dans son pays d’origine suffirait pour un non-éloignement.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.

Il résulte des termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 qu’« une décision du ministre vaut décision de retour […] » et en vertu de l’article 2, point q) de la même loi, la notion de « décision de retour » est définie comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Bien que le législateur n’ait pas expressément précisé que la décision du ministre, visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre en matière de protection internationale.

Il s’ensuit que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Etant donné qu’il vient d’être retenu ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder au demandeur l’un des statuts conférés par la protection internationale, le ministre a a priori valablement pu assortir sa décision de refus d’une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire.

Il convient de rappeler que si l’article 3 de la CEDH, auquel renvoie l’article 129 de la loi du 29 août 2008 – qui est applicable à la décision de retour découlant d’une décision de rejet d’une demande de protection internationale, conformément à l’article 34, paragraphe (2), alinéa 3 de la loi du 18 décembre 2015 –, proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à son article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible 18 CEDH, 2 mai 1997, D. c. Royaume-Uni, Requête n° 30240/96 ; CEDH, 7 juillet 1989, Soering c. Royaume-

Uni, requête n° 14038/88 ; CEDH, 30 octobre 1991, Vilvarajah c. Royaume-Uni, requêtes n° 13163/87, 13164/87, 13165/87, 13447/87 et 13448/87.

19 Commission, 15 décembre 1977, X. c. RFA, requête n° 6699/74, DR 11, p.16.

30de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte qu’il existe a fortiori un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants. Cependant, dans ce type d’affaires, la CourEDH soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Iran, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence, dans le chef du demandeur, de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves, au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal ne saurait se départir de cette conclusion à ce niveau-ci de son analyse.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH20, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur dans son pays d’origine soit dans des circonstances incompatibles avec l’article 3 de la CEDH, de sorte que les moyens tirés d’une violation dudit article 3 de la CEDH et de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 encourent le rejet.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est, à son tour, à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle du 29 juin 2023 rejetant la demande de protection internationale du demandeur ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle du 29 juin 2023 portant ordre de quitter le territoire dans le chef du demandeur ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

20 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2003, point 59.

31Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 février 2025 par :

Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 février 2025 Le greffier du tribunal administratif 32


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 49172
Date de la décision : 11/02/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 15/02/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-02-11;49172 ?

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